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D'abord les soins adéquats. Mais aussi, l'aide indispensable...

"Quelle est alors la combinaison idéale de vérité et d'illusion dont nous avons besoin pour vivre? La dose de vérité que l'être humain est prêt à supporter est probablement beaucoup plus réduite qu'on n'aimerait le croire. Mais cela ne peut pas constituer un argument en faveur de l'erreur et de l'illusion."
Jacques Bouveresse: "Le Philosophe et le réel", p.15. Hachette Littératures 1998 (j'ai souligné- [J.D.])

Je rappelle ici ce que je disais déjà dans un des premiers articles du site Mens Sana (Ce site): «les causes [des maladies mentales] n'étant pas encore connues, les actuels traitements à mettre en oeuvre ne pourront être que palliatifs, mais ils devront, eux aussi, être bien concrets (médicamenteux). Sauf exceptions fort rares et totalement imprévisibles, même quand ils seront efficaces ils ne donneront, sans doute, pas entière satisfaction et présenteront par eux-mêmes des inconvénients. Les résultats partiels, insuffisants ou imparfaits de la médication obligeront de continuer à dispenser, à de nombreux malades médiqués, en plus de leur médication, des soins consistant, non pas en l'une ou l'autre prétendue "psychothérapie" plus ou moins arbitraire et fantaisiste, mais en un encadrement et un soutien psychologique individuellement adaptés à chaque personne.»

En fait, une proportion importante de malades devront encore, pendant des périodes plus ou moins longues, parfois même en permanence et peut-être définitivement, être accompagnés par du "personnel soignant". On a pris l'habitude d'appeler cet encadrement des "soins psychiatriques". Cette appellation est fausse et prête à confusion. On pourrait en effet imaginer qu'elle signifie le recours à des "infirmiers psychiatriques" d'une espèce toute particulière et distincte des autres infirmiers et infirmières, parce qu'ils seraient spécialement et longuement entraînés à diverses "thérapies" ayant nécessité une formation très ardue et quelque peu ésotérique, unique en son genre, où toutes sortes de techniques "psychologiques" seraient enseignées. Pareille représentation est imaginaire, elle n'est qu'une illusion.

En réalité, un certain nombre de malades, même si on est parvenu à mettre au point une médication adaptée au mieux [possible] à leur cas personnel, ne recouvrent pas une autonomie suffisante leur permettant de vivre seuls. Pour mettre les points sur les i, cela signifie que, s'ils sont laissés entièrement à eux-mêmes, ils ne seront pas nécessairement capables de toujours se débrouiller, même dans des circonstances banales de la vie quotidienne (allant de la planification des activités ménagères de chaque jour jusqu'à leur mise en oeuvre, l'adaptation aux petits imprévus quotidiens et leur gestion, l'hygiène, l'alimentation, la gestion des ressources: du budget et des charges d'habillement et d'habitation, l'entretien du logement, etc., etc.), et on sait aussi qu'une fraction importante d'entre eux ne penseront même pas à appeler à l'aide en cas de besoin.

Il faut donc leur fournir, non plus systématiquement et uniquement de prétendus "soins", mais une aide pratique, matérielle et humaine qui pallie leurs déficits: ceux-ci étant très variables d'un individu à l'autre, leur sévérité relative étant elle aussi très variable selon les cas individuels, seules les solutions personnalisées au cas par cas auront des chances d'être efficaces et d'être acceptables par une majorité des malades. Les "mesures" générales de nature administrative, bureaucratiques et standardisées selon des directives ministérielles un peu abstraites courent inévitablement à l'échec et provoquent le rejet car, peu flexibles, elles constituent toujours une entrave aux solutions individuelles, particulières, elles ne permettent jamais de répondre correctement aux besoins réels et très divers de chaque personne.
Le "prêt à porter" sur catalogue, on sait fort bien que cela ne marche pas en "santé mentale". Il faut du "sur mesure" pour chacun. De cette exigence très pointue découlent, évidemment, de nombreuses difficultés dont on ne sait pas toujours comment les affronter ni, surtout, comment les surmonter. Par conséquent, chez nos "officiels responsables" de la santé publique (qui se satisfont de généralités superficielles, pourvu qu'elles rendent un son séduisant dans les discours d'inauguration), on préfère généralement les passer sous silence et les ignorer. Cela signifie aussi que, au moins chez nous en Belgique, ce "sur mesure", pourtant indispensable, est inexistant. Ce sont en général les familles des malades qui tentent de suppléer à cette carence mais, dans leur grande majorité, elles n'en ont pas les moyens.

La première difficulté, déjà évoquée à de multiples reprises ailleurs, c'est celle de l'accès rapide aux soins, mais c'est surtout celle de l'identification et de l'évaluation correctes du besoin en soins dès le début visible de l'affection, c'est-à-dire la difficulté à laquelle, dans chaque cas précis, on se heurte pour établir quelle est la molécule médicamenteuse adéquate et quelle est la posologie optimale du médicament à administrer. Ceci n'est jamais prévisible a priori. Il faut donc procéder à des essais thérapeutiques qui peuvent requérir beaucoup de temps, aussi bien pour en expliquer la nécessité aux intéressés et la leur faire accepter, que pour les mettre en oeuvre et pour en évaluer les résultats.
Cette évaluation de l'efficacité du traitement exige une bonne connaissance préalable de chaque malade (la vraie familiarité avec lui et avec ses antécédents de vie), et il tombe sous le sens que les soignants en général ne peuvent avoir cette connaissance dès leur premier contact avec de nouveaux patients. Cette inévitable lacune, ils ne peuvent la combler que très progressivement et avec l'aide indispensable des familles.

Malheureusement, et c'est là une deuxième difficulté, la collaboration des "soignants professionnels" avec les familles est encore loin d'être une pratique généralement admise. Certains soignants même s'y opposent.
Parmi les soignants, ils ne sont en effet pas rares, ceux qui continuent de croire erronément à la responsabilité de l'éducation, au rôle néfaste des familles et à la "responsabilité" (?) des malades eux-mêmes dans la genèse de leur affection. C'est en effet ce que certains (sont-ce des "enseignants" objectifs ou des missionnaires, sortes de représentants de commerce, des "propagandistes" d'un certain type de "thérapie"?) semblent s'obstiner à leur enseigner. Ce ne sont pourtant que des superstitions et des idées reçues depuis des temps immémoriaux, reprises et "rénovées en façade" par la psychanalyse ou par des théories "psychodynamiques" dérivées de cette psychanalyse. Elles sont dépourvues de toute validation et ignorent délibérément les preuves contraires apportées par les neurosciences.

L'adoption de ces théories par les soignants et leur adhésion docile, crédule et conformiste à ce qui ne sont que des croyances sans aucun fondement (des inventions) revient à renforcer leurs préjugés et leurs idées fausses, à les imprégner de jugements moralisateurs, d'appréciations morales (surtout péjoratives, bien sûr!) sur les malades eux-mêmes, leurs familles, leur milieu social.

Négation absolue de l'éthique élémentaire qui devrait être celle de tout soignant (ne jamais juger!), ces jugements moralisateurs sont à proscrire absolument. De plus, ils sont une entrave très préjudiciable à la relation de confiance requise par toute thérapeutique, et ils sont un obstacle à la collaboration nécessaire des familles avec les soignants. Ils peuvent aller jusqu'à transformer les soignants qui s'en font les adeptes, voire les prosélytes, en véritables commissaires politiques d'un credo absurde qu'ils veulent faire passer pour une "thérapie" et qu'ils tentent d'imposer autour d'eux: aux malades aussi bien qu'à leurs proches. Dès lors, ils ne soignent plus, ils jugent (et au nom de quoi, je vous le demande?) et ils catéchisent.
Il ne s'agit plus alors de thérapeutique mais de rééducation à la manière de ce qui se fait dans les camps d'endoctrinement de certains régimes totalitaires (ou dans certaines prétendues "madrassas"), ce qui témoigne plus d'une volonté de domination et de sujétion à un dogme que d'une authentique mission d'aide.

Malheureusement, et c'est la troisième difficulté, ces fausses thérapies, sortes de "lavages de cerveau", sont inefficaces dans le cas des maladies mentales chroniques graves comme la schizophrénie, par exemple - devrions-nous donc nous en étonner? Mais elles sont aussi néfastes, dans la mesure où, bien que ne produisant aucun soulagement manifeste ni durable de l'affection mentale, elles semblent néanmoins autoriser les responsables des "soins" à se désintéresser de l'aide nécessaire au mieux-être des malades. Cette aide-là n'a pas sa place dans la conception que de nombreux soignants se font de leur rôle. Elle n'est pas de leur ressort, elle n'est pas dans leurs attributions ni de leur compétence.

Pétris de fausses certitudes inculquées, confits dans la bonne conscience acquise grâce à ces certitudes, ils ne sont pas gênés pour vous dire: "il y a des travailleurs sociaux et des éducateurs pour cela (pour l'aide "pratique"); nous, on a fait ce qu'on a pu [implicitement:même si cela ne servait finalement à rien], à d'autres de prendre la suite, nous n'avons pas à nous préoccuper de savoir comment ces autres-là - [on fait comme s'ils existaient!] - s'y prendront"...

... tout en ignorant délibérément que ni les travailleurs sociaux, ni les "éducateurs" n'existent, qui seraient valablement formés à ce travail d'aide aux malades mentaux chroniques dont personne n'enseigne de manière pragmatique, utile, les particularités et les conséquences pratiques de leurs affections (ceux qui en parlent, les connaissent-ils vraiment, savent-ils de quoi ils parlent?) ...

... tout en ignorant délibérément que des lieux d'accueil et de vie où pareille aide serait disponible sont tout aussi inexistants que le personnel aidant compétent qu'on devrait pouvoir y rencontrer...

... tout en ignorant délibérément que, même si, par extraordinaire, des lieux d'aide existaient, même si, exceptionnellement, le personnel d'aide compétent s'y rencontrait, il ne disposerait sans doute pas des moyens matériels pour rendre cette aide effective.

Il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Il n'est pire ignorant que celui qui ne veut pas savoir. Et, pour tout humanitaire, il n'est faute plus grande que de refuser le savoir, car il s'interdit ainsi d'aider efficacement ceux à qui il a tacitement promis son aide.


Première publication: 1 Septembre 2003 (J.D.) Dernière modification: 1 Septembre 2003

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