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Agressivité, Violence, Dangerosité sont-elles les seules (ou peut-être les plus fréquentes) caractéristiques justifiant l'hospitalisation forcée que les uns préconisent et défendent, alors que les autres s'y opposent avec véhémence?

L'agressivité, la violence, la dangerosité font peur. Dans l'esprit des gens, elles sont associées indistinctement à "la maladie mentale" et aux malades mentaux.

La peur des maladies mentales (la crainte d'en contracter une)

Comme il a été dit, ailleurs sur ce site et à plusieurs reprises déjà, la seule évocation des maladies mentales fait généralement peur aux personnes mal informées des particularités de ces affections. La majorité de ceux qui constituent ce qu'on appelle "le grand public" (Mr et Mme "Tout le monde") ont peur des maladies mentales (principalement de la schizophrénie, qui est pour tous l'exemple même de la "folie").

Ils redoutent les maladies mentales et en écartent involontairement le spectre de leurs pensées. Ils devraient se rassurer. Contrairement à une croyance populaire largement répandue que l'on retrouve aussi dans de nombreuses oeuvres de fiction (mais pas seulement là), les maladies mentales chroniques, bien qu'elles soient un fléau souvent comparé à la peste, au choléra ou au SIDA, elles ne "s'attrapent" pas.

C'est dire aussi qu'on n'engendre pas les maladies mentales par une éducation fautive, ni en contraignant les gens à un mode de vie que certains condamneraient sur base de ce qu'ils croient "convenable" ou non, ni en les plongeant dans des situations inextricables ou insupportables. Dans cette dernière éventualité, on les rendrait sans doute très malheureux, on provoquerait peut-être leur révolte, on n'en ferait cependant pas des malades mentaux (même si c'est ce que de nombreuses organisations et administrations dites de "santé publique" ont tendance à laisser croire).

Et, s'il est vraisemblable qu'une large majorité de malades mentaux sont effectivement malheureux, si même certains parmi eux se révoltent parfois, à leur manière, contre ce monde pour eux incompréhensible dans lequel ils se débattent, "leur" monde dont nous ne pouvons imaginer comment ils le perçoivent et que sans doute nous trouverions absurde si nous pouvions y entrer ou l'entrevoir, il ne s'ensuit pourtant pas que, à l'inverse, tous les malheureux et tous les révoltés soient ou deviennent nécessairement des malades mentaux.

Les origines des maladies mentales chroniques pourraient se comparer à des combinaisons particulièrement désavantageuses de cartes dans la main d'un joueur, mais où, cette fois, au lieu des 52 cartes habituelles, le jeu complet serait composé de milliers de cartes différentes (les gènes). Les chances (ou, plus justement, les risques) pour un joueur de recevoir un mauvais jeu dépendent à la fois du nombre total des cartes, de leurs combinaisons possibles et, en dernière analyse, du hasard de la donne (à cette dernière, chacun donnera évidemment le nom qui lui plaira: hasard, fatalité, malchance, destin, volonté divine, etc.). S'il est bien naturel de redouter les conséquences de cette distribution aveugle dictée par les lois du hasard, il faut néanmoins toujours se souvenir qu'elles sont inéluctables et que nous y sommes tous soumis. Dès lors, nous ne pouvons que tenter de nous en accommoder, tâcher de ne pas en faire une hantise permanente!

La peur des malades mentaux (la peur de leur agressivité et de leur violence supposées)

D'autres, plus que des maladies mentales, ont surtout peur des malades mentaux. Cette peur-là, plus répandue que la précédente, est peut-être aussi plus compréhensible. En effet, comme toutes les maladies, les maladies mentales elles-mêmes ne sont que des constructions de notre esprit, des concepts. On ne peut ni les rencontrer ni les voir. Pourquoi donc y penserions-nous sans cesse, pourquoi s'y attendre, pourquoi les redouter en permanence?
Au contraire des maladies elles-mêmes qui ne peuvent se voir, on constate les dégâts subis par ceux qui en sont atteints, et ces victimes, elles, nous les voyons bien, nous les rencontrons, nous les touchons et elles nous touchent: ce sont les malades mentaux chroniques. Parce qu'ils nous sont devenus incompréhensibles et imprévisibles, étrange(r)s, ils nous font peur (on en pense: "sait-on jamais ce qui pourrait bien leur passer de dangereux par la tête?").
Pourtant, nous devrions savoir que cette peur-là n'est que rarement justifiée. Mais comme toujours, dans tous les domaines de la vie courante, la peur la plus tenace est celle de l'incompréhensible, de l'inexplicable, de l'imprévisible, de l'inconnu.
L'origine la plus commune de notre peur des malades mentaux résulte de ce que nous ne les comprenons pas. La méconnaissance de leurs maladies contribue à cette incompréhension et la renforce. C'est l'indifférence (le désintérêt, l'absence de curiosité) qui entretient l'ignorance et, à son tour, cette dernière engendre la peur de ce qu'on ne connaît pas. Et, parce qu'on a peur, on préfère ne pas savoir, on ne veut pas connaître, on ne cherche pas à comprendre.

Ainsi, l'ignorance d'une part, et d'autre part l'indifférence habituelle de tous et de chacun pour les malheurs individuels des autres sont tour à tour cause et conséquence l'une de l'autre: elles s'entretiennent et s'amplifient mutuellement.
Dans cette société encourageant dès l'enfance la compétition à tous niveaux, dans cette société individualiste jusqu'à l'égoïsme bien que célébrant, en même temps et bruyamment, la solidarité et "l'esprit d'équipe", chacun éprouve le sentiment de devoir faire face à déjà trop de difficultés et de soucis personnels pour encore, de surcroît pourrait-on dire, s'intéresser réellement et prendre part aux malheurs des autres, sinon par des paroles bienveillantes en apparence, sinon en s'apitoyant pour la forme, sans doute par bienséance ou politesse en quelque sorte, et parce que les paroles attestent des bonnes intentions, des bons sentiments et coûtent moins que les actes correspondants. Les prétextes et les excuses ne manquent jamais, qu'on peut invoquer en faveur de pareille attitude. De plus, on croit souvent se protéger de ce qu'on s'efforce d'ignorer (un dicton allemand - et qui rime! - dit: waß ich nicht weiß macht mich nicht heiß: ce que j'ignore ne me fait ni chaud ni froid).

C'est aux professionnels, puisqu'ils sont censés connaître les maladies mentales et toutes leurs conséquences, qu'il revient d'instruire la presse et les médias, et ensuite aux journalistes "scientifiques" de prendre le relais en informant le grand public par une vulgarisation correcte sur le sujet. On pourrait ainsi espérer réduire l'ignorance générale qui règne sur les malades mentaux, on pourrait combattre la peur de l'inconnu et progressivement améliorer le sort de ces malades en s'y intéressant enfin réellement.

Cependant, malgré quelques timides velléités de "campagnes d'information" sur les maladies mentales qui se sont manifestées ces dernières années, les mentalités ne semblent pas encore prêtes, tant chez les professionnels de la psychiatrie que chez les journalistes, pour faire l'effort de diffusion d'une information objective à propos des extrêmes difficultés que vivent quotidiennement les malades mentaux et leurs proches. Dans le domaine des maladies mentales, la tradition dans notre pays a toujours été soit le silence, soit une rhétorique boursouflée mêlée de jargon pseudoscientifique et creux, plus destinée à cacher l'ignorance et l'impuissance des "professionnels" et à impressionner le public qu'à l'informer objectivement.

En effet, parmi les psychiatres, psychologues et les soignants, chez les "acteurs" du secteur de la "santé mentale", trop nombreux encore sont ceux qui se satisfont plus de croyances et de convictions, d'idées reçues, de slogans et de théories sans fondements que de savoir véritable et vérifié, et ils sont bien souvent plus soucieux de la simple affirmation de leurs succès thérapeutiques supposés que d'en fournir des preuves tangibles. L'habitude prise par le public de les croire religieusement reste néanmoins tenace, parce que tel est le profond désir de ceux qui sont forcés de placer leurs espoirs en eux. Les vieilles superstitions et croyances erronées bien ancrées dans l'esprit de tous ne sont dès lors guère combattues, on se contente de les habiller de la "langue de bois" la plus récente possible, croyant par là-même les rajeunir et, ainsi, les valider.

Mais aussi, c'est que l'ignorance générale est propice à ceux qui s'érigent en "experts en communication" (vous savez bien, ceux qui emballent dans de belles boîtes les mauvaises nouvelles comme les bonnes, et qui essayent de nous faire croire que la couleur séduisante de l'emballage améliore la qualité du contenu), à ceux qui conseillent les politiques, et aux médias qui relayent leurs discours.

L'ignorance quasi universelle du public profane épargne aux professionnels la corvée gênante, voire humiliante à leurs yeux, de faire aux médias l'aveu des lacunes dans leurs connaissances scientifiques et de reconnaître l'impuissance de la psychiatrie qui, aujourd'hui encore, résulte de ces lacunes. Ils préfèrent dissimuler leurs propres faiblesses derrière une logorrhée pleine de néologismes faussement techniques et dépourvue de signification réelle.
Leurs discours sont ensuite fidèlement repris par la presse et les médias qui, à leur tour, les amplifient (les enjolivent) sans s'efforcer de les traduire dans un langage plus intelligible pour le commun des mortels (tâche assurément délicate, qui présenterait de plus l'inconvénient d'exposer la nudité de l'empereur). Ainsi perdurent les erreurs bien enracinées dans la croyance populaire au sujet des malades mentaux chroniques et des maladies mentales. Les erreurs (non rectifiées), les lacunes (non exposées), les explications (fantaisistes), tout cela est gobé et régurgité sous forme d'une bouillie qui finit par faire partie intégrante d'une certaine culture générale. Elle fournit la toile de fond sur laquelle on peut encore broder à volonté. C'est une réserve inépuisable d'idées reçues et de bobards où les rédacteurs de faits divers ne se lassent pas de puiser quand l'actualité plus "importante" paraît se ralentir.

Ceux qui, dans la presse diffusent, sans les examiner, pareilles explications imaginaires, inventées, superficielles et faciles des comportements de malades, autorisant toutes les erreurs, et leurs lecteurs crédules qui s'en contentent, ils sont tous des proies faciles de la peur. Les explications que fournissent et répètent les premiers aux seconds ne sont jamais qu'une apparence, ce ne sont que des interprétations (de la divination) imaginées par eux-mêmes ou que d'autres (des "experts") leur proposent, comme chacun peut voir des objets, des visages et des silhouettes dans les contours des nuages (on sait pourtant bien que chacun n'y voit que ce qu'il veut bien imaginer). N'étant que des inventions, des fantasmes, ces prétendues explications n'expliquent en réalité rien du tout.

Cette désinformation, loin d'exorciser la peur bien au contraire la suscite et l'entretient. D'ailleurs, comme on le verra plus loin, la peur bien souvent est utilisée par la presse pour frapper l'imagination. Pourtant, même si dans un premier temps la peur attire en effet l'attention du public, dans un deuxième elle le détourne d'en chercher la véritable cause et l'inciterait plutôt à oublier aussitôt ce qui dérange: par facilité, par confort, peut-être par paresse, on préfère généralement ignorer ce qui pourraît inquiéter (nous appelons cela: se voiler la face). La boucle est désormais bouclée, et certains croient ainsi excuser et justifier la désinformation sous prétexte de "communication", cette dernière bien sûr soigneusement aménagée (toilettée ou mise en forme; on appelle parfois cela: les pieux mensonges). Par volonté de sensationnalisme, on provoque la peur, ce qui permet en plus de rassurer aussitôt ensuite, en rappelant que des responsables officiels sont bien là pour nous préserver des menaces décrites (et on rappelle ainsi au bon souvenir des électeurs ces indispensables serviteurs de la société qui, sans cela, seraient peut-être oubliés...).

Ceux qui ainsi crient au loup sans vraiment le connaître ni d'abord trop y croire eux-mêmes, ils ne le font que pour pouvoir vanter le courage et les efforts des valeureux chasseurs désignés pour nous protéger. Ces derniers, s'ils sont peut-être nombreux, peu d'entre eux sont "actifs sur le terrain", ils sont plus souvent occupés à évoquer leurs exploits imaginaires. Ils ne s'exténuent guère à nous protéger vraiment du loup, sinon peut-être plus de son image menaçante que de l'animal lui-même: variation particulière sur un thème connu: celui d'un certain discours sécuritaire ambiant.

D'autre part, dès que surviennent des agressions physiques sur des personnes, quand éventuellement des crimes sont commis, les médias et la presse souvent s'empressent de les rapporter avec force détails et de les attribuer à des "fous", qu'on les appelle "schizophrènes" ou "psychopathes" ou que sais-je encore, sans que, parmi ceux qui en parlent, personne ne soit vraiment en mesure de dire ce que pareilles appellations recouvrent en réalité (mais moins bien elles sont définies, plus elles sont inquiétantes).
Mais alors, réciproquement, dès que, dans la presse et les médias, pour l'une ou l'autre raison on évoque les malades mentaux psychotiques, les malades schizophrènes, les malades maniaco-dépressifs, les "problèmes de santé mentale", les "soins psychiatriques", on s'attend toujours à ce qu'il soit aussitôt question de violence, d'agressions, de crimes (de préférence bien sordides et bien sanglants). Et voilà désormais créées les fameuses associations verbales et d'idées chères à certains!

C'est ainsi que naît la croyance selon laquelle "tout le monde saurait" que "les criminels sont des malades mentaux" et que, réciproquement, "tout le monde saurait" que "les malades mentaux sont dangereux".

Mais les professionnels savent bien, eux, que tous les criminels ne sont pas des malades mentaux, et que, d'autre part, tous les malades mentaux ne sont pas soit violents, soit criminels (en tous cas, ils devraient tous le savoir). Les études épidémiologiques montrent même qu'on ne dénombre pas une proportion sensiblement plus élevée d'actes de violence et de crimes parmi les malades mentaux qu'il ne s'en commet parmi les bien-portants en général!
(http://www.phac-aspc.gc.ca/ncfv-cnivf/violencefamiliale/html/fvstereotype_f.html).
Cela n'exclut bien sûr pas qu'on puisse rencontrer, chez les malades mentaux schizophrènes, par exemple, des individus agressifs, violents ou même dangereux, mais tout comme on peut y être confronté aussi, et encore plus souvent, dans l'ensemble de la population des gens dits "bien-portants".
Les études statistiques confirment d'ailleurs deux observations auxquelles on pouvait logiquement s'attendre:
1) les actes violents des malades non hospitalisés sont dirigés principalement, non vers le grand public, mais d'abord vers les proches, ce qui n'a rien d'étonnant, puisque ce sont eux qui sont le plus fréquemment à portée de main, si l'on peut s'exprimer ainsi;
2) les rares actes violents commis par des malades schizophrènes sont d'autant moins rares qu'il s'agit de malades non hospitalisés - qui ne suivent pas un traitement médicamenteux adéquat.

La première constatation devrait inciter non seulement les professionnels, mais aussi les responsables de l'ordre public (autorités judiciaires et police) à accorder plus d'attention et de crédit aux récits des proches et membres des familles de malades quand ceux-ci, menacés par un malade violent, s'adressent à eux en quête de protection.

La deuxième observation attire l'attention de tous sur l'importance que revêt, pour l'état du malade et son évolution, le respect scrupuleux du traitement médicamenteux.
On sait bien qu'une proportion importante des malades psychotiques n'ont pas une conscience claire de leur affection et qu'ils ne sont nullement convaincus de la nécessité de suivre un traitement régulier. Laissés à eux-mêmes, un grand nombre d'entre eux, sous les prétextes les plus divers, cessent de prendre leur médication.
Les signes et symptômes de leur affection alors finissent toujours par reprendre le dessus, plus ou moins rapidement. Si cela n'implique pas nécessairement l'apparition d'un comportement violent ou agressif, "dangereux pour autrui", les conséquences fonctionnelles de l'affection ne peuvent que mettre le malade lui-même en danger. En effet, s'il n'est plus capable de "fonctionner" normalement en société, très rapidement il s'en exclura, ce qui automatiquement entraînera la pauperisation, la clochardisation, la déchéance sociale, la mauvaise santé générale.

Ce n'est donc pas, même si elle existe parfois, la "dangerosité pour autrui" qui justifie le plus souvent et le plus impérieusement l'hospitalisation sous contrainte, d'autant que cette dangerosité pour autrui n'est que très difficile à apprécier.
En effet, il ne faut surtout pas confondre, comme on a trop facilement tendance à le faire, l'estimation statistique du risque que cette "dangerosité" pourrait constituer, avec la prévision de la survenue d'un "accident" (pareille "prévision" ou "prédiction" n'est pas possible, elle ne peut jamais être qu'un constat rétrospectif, qui ne s'exprime le plus souvent que par la phrase bien connue: "Vous voyez? Je vous l'avais bien dit!", parfaitement inutile).

Au contraire, la "dangerosité pour soi-même" en l'absence de traitement régulier est une quasi-certitude. Elle peut être "directe" ou "immédiate", comme elle peut être "indirecte" ou plus "lointaine".

J'appellerais dangerosité directe ou immédiate pour soi-même celle qui, conséquence d'un traitement inexistant ou interrompu ou encore inadéquat, se manifesterait par un comportement mettant en danger l'intégrité physique d'un malade.
L'exemple le plus fréquemment cité est celui du comportement suicidaire qui, contrairement à une croyance largement répandue, est fréquent et loin d'être toujours prévisible (à preuve, les suicides au sortir de la consultation chez un "psy" ne sont pas rares).
Parmi les multiples autres exemples possibles, le malade peut n'avoir pas conscience de se mettre dans des situations périlleuses; ou encore, son comportement social inadéquat, non agressif mais incompris des autres peut l'entraîner dans d'éventuels conflits et bagarres provoqués par d'autres et qu'il serait incapable d'éviter, conflits qui néanmoins pourraient dégénérer, troubleraient l'ordre public, le mettraient inévitablement en danger.
Des études outre-Atlantique ont montré (v. le site canadien cité plus haut) que les malades schizophrènes sont bien plus souvent les victimes involontaires d'agressions qu'ils n'en commettent eux-mêmes (pour imaginer comment cela peut se produire, il suffit de se remémorer l'attitude de potaches "meneurs" qui prennent certains de leurs camarades d'école pour têtes de turc ou souffre-douleur).

La dangerosité pour soi-même que j'appellerais indirecte ou plus "lointaine", ce sont les conséquences de l'incapacité du malade non traité à "fonctionner" dans la société: l'incapacité de planifier ses tâches de telle sorte que les moyens soient assurés pour satisfaire régulièrement ses besoins élémentaires: nourriture, hygiène, habillement, logement, etc., toutes choses qui nécessitent un minimum de relations et échanges sociaux, à moins de vivre en homme des cavernes ou en bête sauvage "dans la nature", ce qui n'est plus guère possible dans nos sociétés post-industrielles très urbanisées.
Sans faire de tels états extrêmes la généralité, on doit pourtant savoir que l'absence de traitement approprié peut conduire un malade à se négliger au point de mettre rapidement sa santé "somatique" en danger, à se dégrader physiquement, intellectuellement et socialement (paupérisation, clochardisation, exclusion de la société, déchéance physique, morbidité). De nombreux exemples de pareilles conséquences du danger pour soi-même existent et sont régulièrement dénoncés.

Comme l'anosognosie des malades leur fait négliger ou refuser le traitement, comment alors s'assurer du suivi de celui-ci autrement que par l'hospitalisation sous contrainte? C'est cette dangerosité (directe comme indirecte) pour soi-même qui est la justification principale, suffisante et la plus fréquente des hospitalisations sous contrainte. L'hospitalisation sous contrainte devrait donc faire partie intégrante du traitement pour tous les malades psychotiques anosognosiques, et elle devrait être renouvelée et prolongée tant que la nécessité du traitement n'atteindrait pas de façon durable la conscience du malade, donc tant qu'il ne l'accepterait pas.
Ceci est parfois présenté comme une atteinte aux libertés de la personne, mais où est-elle, quelle est donc la liberté d'une personne privée par la maladie du contrôle de ses pensées, de ses sentiments, de ses humeurs, de son libre arbitre et de ses capacités de jugement, tant qu'un traitement adéquat ne les lui a pas rendus?

Pareille liberté est celle du papillon de nuit qu'au lieu de protéger en restreignant son vol, on laisse se brûler à la flamme de la chandelle, et on sait bien pourtant qu'il ne pourra s'empêcher de s'y précipiter.


Première publication: 3 Novembre 2003 (J.D.) Dernière modification: 3 Novembre 2003

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