SCIENCE et CROYANCES,
RAISON et IMAGINATION:
à ne pas mélanger sans discernement
"I have become increasingly convinced that some of the popular methods presumed to discover what is in the unconscious cannot be counted upon as reliable methods of obtaining evidence. They often involve the use of symbolism and analogy in such a way that the interpreter can find virtually anything that he is looking for."
H. Cleckley, M.D., & E.S. Cleckley: The Mask of Sanity, 5th edition, 1988, p. 407
"J'ai acquis la conviction de plus en plus ferme que certaines des méthodes en vogue présumées permettre de découvrir le contenu de l'inconscient ne sont pas un moyen fiable d'obtenir des preuves. Ces méthodes se basent souvent sur des symboles et des analogies de telle sorte que celui qui s'en sert peut trouver virtuellement tout ce que, d'avance, il désire trouver."
La plus grande confusion est soigneusement entretenue à propos de tout ce qui est étiqueté "PSY" dans notre société: les psychologues, les médecins psychiatres, la psychologie, la psychiatrie, les psychanalystes, les psychothérapies. Quoique cet état de choses ne date pas d'aujourd'hui, la confusion semble actuellement s'étendre et s'amplifier à une vitesse inégalée jusqu'ici. Cette inquiétante évolution paraît bénéficier de la bénédiction, de l'encouragement et du soutien de nos politiques et de nos pouvoirs publics. En effet, par sondages et enquêtes d'opinion qui se multiplient sans cesse, nos responsables affectent, depuis les hauteurs où pourtant ils planent, de vouloir mieux se pencher sur les états d'âme de la population (sur ce qu'ils appellent aussi le "psychisme" des individus). Ils baptisent cela la "Santé Mentale" envers laquelle ils manifestent leur sollicitude avec une ostentation plutôt récente mais régulièrement accrue; peut-être ont-ils fini par prendre conscience que la stabilité de leurs positions sociales et l'importance de leur influence dans cette société dépendent étroitement du "bonheur subjectif" des électeurs. Peut-être aussi pensent-ils qu'il devrait être à la fois bien plus facile, plus rapide et moins coûteux de manipuler le "psychisme" et les humeurs des citoyens (les persuader qu'ils ne peuvent qu'être satisfaits de leur sort puisqu'on se soucierait "en haut lieu" de leur bien-être, de leur bonheur), plutôt que d'améliorer pratiquement, concrètement et sensiblement leurs conditions de vie (matérielles et autres).
Aujourd'hui, on ne peut ni ne veut plus séparer très clairement
les uns des autres: d'une part les médecins psychiatres,
d'autre part les psychanalystes, les psychologues,
les "psychothérapeutes". Non seulement
les limites de leurs envahissants et ubiquitaires domaines respectifs d'activité(s)
et de compétences semblent fort mal définies et fluctuer comme
au gré des vents (et peut-être des successions de ministres).
Mais aussi et plus exactement, on n'aperçoit plus très bien
ce qui distinguerait (ou rapprocherait?) les uns des autres tous
ces "acteurs psys", sauf peut-être
les diverses dénominations des titres dont ils se parent. Ces titres
constituent-ils toujours une garantie fiable de compétence et nous
renseignent-ils vraiment sur quels sont les domaines précis où
ces compétences seraient requises et entreraient en jeu? Si, en nous
gardant soigneusement de toute passion, nous tentions de mesurer le bénéfice
et le degré de satisfaction que leurs clients (ou leurs cobayes)
disent en retirer, estimerions-nous tenue la promesse, que ces professionnels
"psy" font miroiter à nos yeux, de
l'utilité et de l'efficacité de l'exercice de leur profession?
Bien souvent la culture, la formation professionnelle de départ, le
niveau d'instruction, par exemple des psychanalystes,
sont les plus divers (tant en nature et qualités qu'en étendue)
et peuvent n'avoir, que ce soit avec "le soin" en général,
la médecine, ou avec la biologie pas plus d'ailleurs qu'avec la psychologie
ni aucune science, que des rapports fort lointains et ténus, voire
souvent plus imaginaires que réels. Le vocabulaire, ou plus précisément
le jargon, les abondants néologismes et les tournures des phrases ou
les mots bizarres que s'empruntent volontiers les uns aux autres toutes sortes
de "psys", - sans nécessairement
se soucier d'en vérifier la concordance des acceptions (les significations)
- tout cela n'aide guère non plus à les départager. D'ordinaire,
les psychanalystes disent qu'ils se préoccupent
des mêmes problèmes que les autres "psys",
mais qu'ils permettraient bien mieux à chacun de leurs clients d'y
apporter les réponses et solutions les mieux adaptées à
ses besoins individuels, personnels.
Compte tenu de l'inflation considérable de la demande de soins "psys"
constatée paraît-il par nos responsables politiques, et dont
les ministres de la Santé successifs ne se privent pas de nous rebattre
les oreilles autant qu'ils peuvent (la demande ne serait-elle donc pas
rencontrée, serait-elle mal satisfaite?), pourquoi devrions-nous
quand même croire à une efficacité de ces "soins"
alors qu'elle ne se traduirait pas dans les chiffres? Autrement dit pourquoi
le niveau de la "demande" ne finit-il pas par décroître
ou au moins par se stabiliser, grâce à, ou peut-être (plutôt?)
en dépit des réponses qu'une pléthore de "professionnels"
prétendent y apporter? Nos ministres ne se posent-ils jamais cette
question? Comment se fait-il que, face à cette inquiétante demande
croissante et semble-t-il mal contrôlée, nos ministres ne se
soient jamais sérieusement demandé quelles sont les causes de
cette croissance ? (mais on verra plus loin qu'ils prétendent néanmoins
l'expliquer, quoique par de mauvaises raisons). Cela leur permettrait
peut-être de la prévenir au moins en partie (ils n'ont pourtant
jamais renoncé à nous dire qu'en matière de "santé
mentale", il vaut mieux prévenir que guérir, et que c'est
ce sur quoi ils "mettent l'accent"). Ils pourraient ainsi espérer
d'avance "tuer dans l'oeuf" le malaise que la demande reflète.
Dès lors, le malaise heureusement évité (quoiqu'on
nous en dise, le but visé ne serait-il peut-être pas celui-là?),
son traitement par là-même devenu sans objet, donc inutile, automatiquement
ils réduiraient des dépenses en les évitant elles aussi,
au moins en grande partie?
Ou encore, comme ils l'ont pourtant déjà fait envers les médecins
et pour les mêmes raisons officiellement avancées d'économie
budgétaire, pourquoi n'ont-ils jamais proposé d'instaurer un
numerus clausus limitant l'accès aux professions
de "psychothérapeute", pensant par ce biais limiter la "surconsommation"
et les dépenses "injustifiées"? (Une explication
possible, dont je ne prétends pas qu'elle soit la seule ni la bonne,
est que nos organismes de sécurité sociale n'y interviennent
jusqu'à présent, par leurs remboursements, que de façon
bien plus limitée que pour les soins prodigués par les porteurs
d'un diplôme de médecin ou de licencié en sciences dentaires.
Mais il semble qu'on espère changer cela. Croit-on désormais
pouvoir faire les économies tant souhaitées, bien qu'en intégrant
l'industrie de "la consolation du mal-vivre" à la Santé
Publique et à la Sécurité sociale, tout en profitant
de l'occasion pour faire ainsi "une fleur" à ceux qui prétendent
vendre le bonheur à leurs "clients/patients" à coups
de placebos? Puisque la demande apparente ne cesserait de s'accroitre, faut-il,
en y répondant avec un certain empressement, encourager ce que, par
ailleurs mais en même temps, on appelle pourtant surconsommation médicale
qu'il est urgent d'endiguer?)
Personne ne sait plus trop à qui s'apparentent tous ceux, fort nombreux,
qui se déclarent psychothérapeutes,
toutes ces personnes (ces nouveaux prêtres postmodernes qui se font
payer) qui proclament bien haut leur dévouement à "soigner"
les souffrances et les affections qualifiées de "psychiques"
de leurs semblables, sans que, la plupart du temps, on parvienne à
deviner en quoi consistent ces affections ni quelles en sont les origines,
ni surtout si les thérapeutes réellement les soulagent durablement
toutes, voire si peut-être ils en guériraient parfois quelques
unes, et alors, lesquelles?
Les disputes qui ne cessent d'opposer les uns aux autres ceux qui, de divers
bords et tendances (de diverses "formations"), professent
ou exercent ces métiers, tout comme les polémiques qui les font
s'affronter et dont ils nous prennent parfois à témoins (et
qu'ils tentent alors de faire passer pour des discussions entre scientifiques)
ne nous permettent habituellement pas de nous former une opinion claire à
leur sujet. Les précisions (?) que parfois ils prétendent nous
apporter sur les compétences multiples et variées qu'ils revendiquent
et sur les rôles respectifs qu'ils s'attribuent dans notre société
ne suffisent pas à éclairer une majorité du public profane
sur leurs réelles fonctions (sur leur "utilité"
effective?) dans cette société (pour se convaincre
de la vérité de cette dernière affirmation, il n'y a
qu'à lire la presse qui, périodiquement, croit aider et orienter
les "usagers", avec un succès douteux car tout temporaire,
en s'efforçant de classer ces professions de "psys"
par catégories, et de les répertorier en fonction de ces classifications).
Depuis maintenant de nombreuses années, la majorité des gens
(touchant de près ou de loin au "social", privé
comme public) ont pris l'habitude de regrouper, sans réel souci
de distinction entre elles, toutes ces professions, médicales psychiatriques,
paramédicales, "psycho-sociales ou
socio-psy", sociales, ainsi que nos sociologues,
nos anthropologues, nos ethnologues, nos " 'panto- ou poly-pédagogues'
plus ou moins autodidactes cooptés voire autoproclamés"
et autres "psycho-philosophes" (certes
tous très distingués, et j'en oublie certainement, on m'en excusera)
dans une grande nébuleuse fourre-tout baptisée "Santé
Mentale". Ce rassemblement hétéroclite
(où prédominent largement des représentants et praticiens
de pseudo-sciences humaines) n'est surtout pas propice à une identification
aisée ni à un choix judicieux, par les usagers potentiels, des
compétences auxquelles s'adresser voire recourir en cas de besoin,
au sein d'une telle accumulation de ces professionnels du "psycho-sanitaire"
dont les conglomérats d'organisations, organismes et entreprises les
plus divers littéralement fourmillent.
Les confusions sur les rôles respectifs des divers "participants et intervenants" peuplant l'institution appelée "Santé Mentale" (c.-à-d. l'outil luttant contre la mauvaise santé mentale) et les ambiguïtés entourant les buts qu'ils disent poursuivre sont encore accentuées par le flou soigneusement entretenu autour du concept même de "Santé Mentale" (c.-à-d., cette fois, l'objectif prétendument poursuivi, celui à quoi travaillerait l'outil: la bonne santé mentale?) par ceux qui s'en disent les acteurs. La définition de ce concept et son contenu sont très disparates mais surtout fort peu cohérents selon qui en parle, et ne coïncident pas nécessairement avec des notions bien éprouvées de véritable santé [mentale], pas plus qu'avec celles des troubles mentaux ou des maladies mentales telles que notre médecine occidentale moderne peut les concevoir et les observer chez celles et ceux qui en sont réellement atteints.
L'enseigne générale de "A la Santé Mentale" (pour laquelle l'appellation shakespearienne de "Much ado about nothing" serait mieux appropriée) sert aujourd'hui d'emballage et de couvercle à un énorme melting-pot ne pouvant correspondre à aucun concept clair au contenu précis. Par conséquent, pourquoi devrait-on s'attendre à ce que, par contre, les moyens à mettre en oeuvre dans le cadre de cette création, de cette entreprise surtout bureaucratique, kafkaïenne et irréelle, purement conceptuelle et totalement dépourvue de substance vraie qu'on appelle la "Santé Mentale" soient eux-mêmes mieux définissables et pertinents, qui permettraient d'agir efficacement en faveur des véritables malades mentaux chroniques? (mais ceux-là, qui et où donc sont-ils, en parle-t-on? A quoi tous ces experts les reconnaissent-ils puisqu'ils s'en disent tous capables, mais que sont-ils devenus et que fait-on pour eux?)
La psychiatrie dite médicale est apparue en
Europe occidentale au XIXème siècle (la médecine
d'alors n'avait en réalité aucun des moyens de ses ambitions:
ni les connaissances médicales - scientifiques et biologiques -
indispensables, ni par conséquent les nécessaires moyens d'action).
Elle était alors censée se préoccuper de
prendre soin des malades mentaux (ce qu'à tort on
a ensuite voulu appeler les "soigner"). Mais si certains continuent
de croire de nos jours que la psychiatrie, en Belgique,
est encore toujours une branche spécialisée de la médecine
plus particulièrement et uniquement consacrée aux malades mentaux,
on peut craindre qu'ils ne se trompent lourdement. En réalité,
la psychiatrie en tant que spécialisation médicale
a été, chez nous, engloutie, noyée dès sa sortie
de l'enfance dans une sorte d'immense marécage tout artificiel où
littéralement grouillent et gargouillent des "intervenants"
s'agitant, voire pataugeant à diverses occupations palustres surtout
verbales, s'évertuant à mettre au point des procédés
publicitaires soi-disant éducatifs et de multiples rituels à
vocation soi-disant sanitaire particulièrement verbeux touchant à
tous les domaines de notre vie.
(Ceci est aussi bien évoqué, pour ce qui concerne la France,
dans deux petits livres: le premier datant déjà de quelques
années: de Liliane Sichler: "Le parti Psy prend le pouvoir",
Grasset, Paris 1997, ISBN 2-246-52471-7; le deuxième, par Marie-Jeanne
Marti: "Les marchands d'illusions", Mardaga (Sprimont, Belgique
2006), ISBN : 2-87009-912-6. Les analogies en ce domaine entre la Belgique
et la France ne sont pas difficiles à apercevoir).
Ici, dans ce véritable marais qu'est la "Santé
Mentale", se retrouve rassemblée la crème
des experts autorisés (faisant autorité) de la santé
de toutes sortes (de ce qu'ils décrètent comme étant
"bon" ou comme étant "mauvais" pour [l'indéfinissable
santé de] leurs concitoyens). Les compétences (?) de ces
autorités en matière de ce qu'on pourraît appeler les
"convenances et inconvenances des pratiques en santé individuelle
et publique" sont, presque toujours, infuses, universelles et indiscutables,
dogmatiques et nées plus de la révélation que de savoir
rationnellement étayé.
Là, dans un marigot de cette "Santé
Mentale", on jongle avec les considérations philosophiques
les plus éthérées et les croyances les plus farfelues
relevant plus de la superstition que du bon sens. Là encore, dans cette
autre mare perdue dans un chapelet de nombreuses autres flaques, on élucubre
les discours les plus creux mais les plus grandiloquents destinés à
travestir en profonds savoirs intouchables les croyances régnantes
du moment qu'on prétendra mettre au service de simulacres "d'actions"
en faveur du bien public: conférences, forums, brochures, "événements
médiatisés" divers, réunions de réflexions
et de concertations, etc., etc. C'est, résumée dans son ensemble
en deux grands mots, la "Santé Mentale"
(du vent qui à la fois nous dicte une manière d'être
et invente l'Institution virtuelle qui veille à promouvoir ce qu'elle
décide être le bon mode de vie pour tous).
On y assiste, littéralement, à la dissolution et à la
dilution homéopathique de la psychiatrie, de
"médicale" qu'elle s'efforçait d'être au
départ, dans la "Santé Mentale"
devenue prétendument psychosociale et quelque
peu ésotérique, et surtout spectacle à l'arrivée.
Ce glissement de sens et de champ d'action a commencé vers la fin de
la guerre 1939-45, s'est poursuivi et n'a cessé de se développer
depuis.
(Telle que cette dérive s'est installée en France - mais
les choses ont été assez comparables chez nous en Belgique -,
elle a été assez bien résumée dans un intéressant
ouvrage paru au début de cette année, du journaliste Patrick
Coupechoux: "Un monde de fous", Seuil, Paris 2006, ISBN 2-02-081254-1.
Malheureusement, cet auteur, à mon avis un peu trop crédule
et fort respectueux de certains dogmes psy, a aussi trop souvent pris pour
argent comptant les déclarations rhétoriques à l'emporte-pièce
et le catéchisme de certains psys auprès desquels il s'est renseigné).
Cette dérive de nature idéologique qui s'est affirmée
et mise en place progressivement, elle s'impose et explose aujourd'hui à
la manière du bouquet final d'un feu d'artifice. Elle s'explique en
grande partie par l'inévitable mais inavouable (par des psychiatres)
incapacité de la psychiatrie, par son impuissance
à guérir les véritables maladies mentales: ces maladies
graves que, forcément, on qualifie de chroniques, puisqu'en effet,
malgré toutes les publicités plus ou moins mensongères
qu'on se plaît à diffuser périodiquement pour convaincre
du contraire, jamais jusqu'à présent les "psys"
ne sont parvenus à réellement les guérir.
Mais on peut également soupçonner d'autres causes à cette
mutation sociale et "socialisante" des soins psychiatriques et psychothérapeutiques
en "Santé Mentale".
L'accroissement actuel des multiples et diverses difficultés économiques
et sociales (la crise permanente) sont des causes importantes contribuant
de toute évidence à engendrer le symptôme du "mal-vivre",
personne n'en disconviendra (même notre ministre des Affaires sociales
et de la Santé publique, Mr Rudy Demotte, s'est senti obligé,
sans doute bien malgré lui, de concéder une allusion, bien que
discrète, à "l'impact des conditions socioéconomiques").
Empruntant alors aux psychanalystes le reproche qu'ils adressent à
l'encontre des psychothérapeutes cognitivo-comportementalistes, des
"psychiatres biologiques" et de ceux que certains intellos autoproclamés
appellent les "techno-médecins", ne pourrions-nous penser,
de façon très plausible, que nos politiques responsables de
la "santé mentale",
très manifestement, préfèrent se donner le beau rôle
(et moins coûteux) de tenter de masquer ou d'étouffer
le symptôme plutôt que d'effectivement rechercher et tenter d'éliminer
les causes profondes (socioéconomiques et structurelles) de
ce "mal-vivre"?
Les psychanalystes, aujourd'hui visiblement inquiets
à la perspective d'être peut-être exclus de cette "Santé
Mentale" par une nouvelle législation dont ils
étaient demandeurs et à laquelle ils ont pourtant vigoureusement
poussé, et nos politiques pourtant anxieux de leur donner satisfaction
en leur accordant un statut officiel, étaient d'abord complices, alliés
objectifs. Ironie du sort! Ne sont-ils pas désormais devenus frères
ennemis, ne se sont-ils pas ensemble mis dans une
situation pour le moins paradoxale rappelant irrésistiblement celle
de l'arroseur arrosé? Et les responsables politiques de notre "Santé
Mentale", en toute objectivité, ne remplacent-ils
pas délibérément le médicament actif et nécessaire
par un énorme placebo, c.-à-d. une illusion, un mirage de remède
vraisemblablement encore plus coûteux, à court comme à
long terme, que le remède lui-même?
Reconnaissons qu'aussi longtemps que la psychiatrie
sera, à elle seule, incapable de rendre durablement leur santé
mentale et leur autonomie sociale aux malades mentaux, il faudra bien suppléer
ces déficits par des expédients médicaux et sociaux:
le suivi permanent, la poursuite et la surveillance du traitement médicamenteux
ininterrompu, l'aide pratique et l'accompagnement vigilants et de
durée indéterminée (et je crains
fort que ce soit précisément cette indétermination dans
le temps que tous se refusent à voir). Ces palliatifs à
mettre en place autant "en dehors et indépendamment des crises"
des malades que pendant celles-ci, les psychiatres,
dans leur majorité, paraissent croire que, comme ils ne sont qu'en
partie de leurs compétences (s'ils sont sans doute médecins
- certains diraient "peut-être", mais ne généralisons
quand même pas à tous les comportements reprochés à
quelques uns! - ils ne sont pas assistants sociaux pour autant!), ces
préoccupations ne seraient pas de leur ressort, si bien qu'habituellement
ils s'en désintéresseraient plutôt. Ils n'instruisent
donc pas, ni les responsables ni les exécutants de cette prise en charge
sociale, des critères fort contraignants auxquels cette dernière
devrait répondre.
Quant aux responsables sociaux, ils sont encadrés par une administration
dont le propre, comme pour toute administration, est de ne connaître
que le règlement et les directives venant "d'en haut", et
d'ignorer les caractéristiques et les besoins humains de ses administrés
auxquels ses employés, en bons fonctionnaires qu'ils sont, appliquent
le règlement selon les directives dont ils respectent la lettre sans
se poser de question sur le fond. L'absentéisme de fait des psychiatres
en dehors des "crises" de leurs patients, la formation psychiatrique
rudimentaire et discutable prodiguée à de nombreux "intervenants
de terrain" encourage ceux-ci à cultiver un faux optimisme de
convention et de convenance. Tout cela conforte la majorité des rouages
humains et administratifs de cette très hétérogène
"Santé Mentale"
dans l'illusion que la rémission apparente des troubles équivaudrait
à la guérison des malades. Lors d'une exacerbation toujours
possible de l'affection (car la menace n'en est jamais vraiment écartée),
le risque par conséquent est très grand de ne recourir aux psychiatres
que trop tard et, trop souvent, on en revient obligatoirement à une
hospitalisation en urgence, une de plus.
Bien que la plupart des psychiatres ne veuillent toujours pas l'admettre et
que certains d'entre eux aient parfois parlé à ce propos de
mythe de l'incurabilité
qu'ils dénonçaient et espéraient détruire (v.
Coupechoux, op.cit., p. 113), nos connaissances actuelles en biologie,
en médecine et en neurosciences confirment l'idée que le cerveau
humain, proche de l'âge adulte, matériellement
(organiquement) abîmé ou blessé au cours de son
développement in utero et qui s'est par conséquent
construit de manière plus ou moins défectueuse, ne peut plus
se réparer complètement ensuite (pas de "restitutio
ad integrum"). Donc, tout au contraire de ce dont on veut se persuader,
c'est bien cette fois la croyance à une possible guérison (l'utopique
réparation complète) qui n'a jamais été qu'un
mythe: le mythe de la curabilité
auquel les "psys" se cramponnent officiellement
et qu'ils entretiennent obstinément pour d'évidentes raisons
de quasi-religion (et parfois aussi, ce qui est, somme toute, assez banal
et humain quoique pas toujours très éthique, peut-être
pour préserver, à leurs propres yeux comme à ceux du
public, leur crédibilité et leur amour-propre, en plus d'intérêts
un peu moins altruistes et "spiritualistes" qu'il n'y pourraît
paraître à première vue).
La dérive provient également d'un fait que généralement
les professionnels répugnent à reconnaître: pendant fort
longtemps, et souvent aujourd'hui encore, une majorité des médecins
psychiatres de chez nous ont délibérément
voulu ignorer que nos fonctions mentales, si uniques ou extraordinaires puissent-elles
paraître en comparaison de celles du monde vivant non humain
qui nous entoure (et n'oublions tout de même pas que nous en provenons
et continuons à en faire partie!), ne sont pourtant que l'expression
finale visible du fonctionnement biologique de notre organisme dans son ensemble.
L'intégrité de ce qu'ils appellent "le psychisme"
(ce qui, en fait, n'est qu'un mot de signification vague et indéfinie)
est étroitement liée à celle de notre corps bien matériel
et "organique" tout entier et elle en dépend, elle en est
indissociable. Pourtant, une majorité de nos "psys",
encore toujours et même si ce n'est sans doute pas toujours consciemment,
font de ce qu'ils appellent "le psychisme" une entité totalement
à part (qu'ils réifient, une chose à part entière)
, sans aucune attache physique ni biologique à quoi que ce soit.
Cette évacuation délibérée, expéditive
de "l'organisme" (et somme toute commode! Car elle
épargne bien des efforts intellectuels aux praticiens psy)
permet à certains pseudo-penseurs à la logique quelque peu bancale,
observateurs et idéologues des phénomènes humains, de
faire l'impasse sur la connaissance de "l'organisme". C'est l'évidente
facilité (pour ne pas dire le simplisme, sinon la paresse d'esprit),
les autorisant à ne se focaliser, en apparence "créativement"
par la seule force supposée de la pensée (et par le verbiage
censé la soutenir, voire en tenir lieu), que sur la représentation
qu'ils croient se faire de "la personne" et sur celle de "l'esprit"
qu'ils croient imaginer. Ils présentent cet exercice mental et rhétorique
comme la démarche d'une médecine alternative, supérieure,
en quelque sorte meilleure et plus humaine ou plus humaniste. Ils imaginent
ainsi "s'adresser à la personne" (dont ils se construisent
leur propre représentation imaginaire) et "la privilégier"
(plutôt que de se préoccuper de la "machine biologique"
défaillante qu'ils ont devant eux mais qu'ils préfèrent
confortablement ignorer: puisqu'elle n'est qu'une machine!).
Ils disent soigner l'esprit (n'est-ce en effet pas plus noble?).
Pour ce faire, ils croient donc devoir choisir une approche "philosophisante"
et spiritualiste (et "holiste" , c.-à-d. "globalisante")
des affections mentales. Par conséquent, préférant les
concepts a priori (c.-à-d.vides, purement verbaux), ils adoptent
une attitude proprement platonique (platonicienne) et toute spéculative
(contemplative et onirique) envers les malades mentaux. De ceux-ci,
ils négligent et méprisent superbement les misérables
organes (dont, en premier lieu, le cerveau qu'ils ignorent car, trop compliqué
pour eux sans doute, il est inutile - voire encombrant, intempestif - à
leur argumentation scolastique). Ces organes ne sont pour eux que des
"composantes" dépourvues en soi d'intérêt (les
pièces artificiellement découpées d'un puzzle et détachées)
que la "personne" rassemblerait en elle et auxquelles elle commanderait
(rêve de mauvais poètes mais pas de thérapeutes).
Ils laissent la tâche de l'appréciation de l'état du corps
et de l'évaluation des soins à y apporter, aux praticiens d'une
médecine ancillaire "banale et conventionnelle" qu'ils accusent
d'ignorer "la personne".
Cette "tâche ancillaire" est souvent
présentée, par ceux de nos promoteurs de la "Santé
Mentale" les plus imbus d'eux-mêmes et de leurs
incohérentes rêveries, comme la caractéristique d'une
médecine "mineure", "inférieure ou subalterne",
"mécaniste" et "scientiste", qu'ils qualifient
de "surtout technique"; ils se félicitent quant à
eux d'abandonner celle-ci avec condescendance à ces techno-médecins
(des sortes de "plombiers polonais" de la médecine? - serait-on
parfois tenté de dire pour reprendre par dérision une stupide
métaphore xénophobe, volontairement dévalorisante voire
méprisante mais temporairement à la mode), et ils laissent ainsi
entendre que ces "techno-médecins" qu'ils désignent
avec un dédain évident ne peuvent être qu'indifférents
ou insensibles "à la personne" dont ils se borneraient, à
la manière de mécaniciens, à rafistoler les pièces
défectueuses de "l'organisme"; ils suggèrent que ces
béotiens, ces "techniciens" seraient tout juste bons à
réparer - vite fait bien fait - les modestes et peu intéressants
organes individuels de notre méprisable carcasse matérielle,
évidemment en ignorant ou en négligeant "la personne".
La belle représentation de la médecine et des médecins
qu'ils se font ainsi et à laquelle, en nous la proposant avec une certaine
impudence, ils essayent de nous faire croire, sans doute pour tenter de se
valoriser par contraste et ainsi se faire mieux apprécier eux-mêmes!
Bien qu'elle ne soit en rien conforme à celle qu'on m'a jadis enseignée,
ni à celle que nos généralistes et spécialistes,
malgré les obstacles de toutes sortes, s'efforcent de pratiquer de
nos jours encore, cette médecine supposée et suggérée
correspond, mais à notre époque actuelle, à la distinction
faite, bien avant Molière déjà, entre d'une part les
médicastres soi-disant beaux penseurs à soutanes et grands chapeaux
pointus, et beaux discoureurs de salon mais fort piètres guérisseurs
ou soignants, et d'autre part les barbiers, chirurgiens et autres arracheurs
de dents, tâcherons incultes des basses besognes qui, sur le
terrain, s'efforçaient de soulager les malades en se salissant
les mains; "des techniciens, quoi!" vous disent nos beaux esprits
contemporains surtout pétris de littérature mal digérée
et de médiocre poésie, rêveurs omniscients et satisfaits
de soi (saouls de leur propre "poésie") quoiqu'inconscients
de leurs ignorances, et nombrilistes impénitents de surcroît!
(pour être aujourd'hui mieux compris, devrais-je plutôt dire narcissiques?)
Sans toutefois s'en rendre compte, ces pseudo-penseurs du sanitaire "psy"
se félicitent d'en être restés au temps de Molière,
voire de ses prédécesseurs et, comme on le verra plus loin,
ils y sont eux-mêmes bien plus englués encore qu'ils ne pourraient
imaginer!
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Première publication: 19 Juin 2006 | (J.D.) | Dernière modification: 19 Juin 2006 |