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SCIENCE et CROYANCES, RAISON et IMAGINATION:
à ne pas mélanger sans discernement

"I have become increasingly convinced that some of the popular methods presumed to discover what is in the unconscious cannot be counted upon as reliable methods of obtaining evidence. They often involve the use of symbolism and analogy in such a way that the interpreter can find virtually anything that he is looking for."
H. Cleckley, M.D., & E.S. Cleckley: The Mask of Sanity, 5th edition, 1988, p. 407
"J'ai acquis la conviction de plus en plus ferme que certaines des méthodes en vogue présumées permettre de découvrir le contenu de l'inconscient ne sont pas un moyen fiable d'obtenir des preuves. Ces méthodes se basent souvent sur des symboles et des analogies de telle sorte que celui qui s'en sert peut trouver virtuellement tout ce que, d'avance, il désire trouver."

La plus grande confusion est soigneusement entretenue à propos de tout ce qui est étiqueté "PSY" dans notre société: les psychologues, les médecins psychiatres, la psychologie, la psychiatrie, les psychanalystes, les psychothérapies. Quoique cet état de choses ne date pas d'aujourd'hui, la confusion semble actuellement s'étendre et s'amplifier à une vitesse inégalée jusqu'ici. Cette inquiétante évolution paraît bénéficier de la bénédiction, de l'encouragement et du soutien de nos politiques et de nos pouvoirs publics. En effet, par sondages et enquêtes d'opinion qui se multiplient sans cesse, nos responsables affectent, depuis les hauteurs où pourtant ils planent, de vouloir mieux se pencher sur les états d'âme de la population (sur ce qu'ils appellent aussi le "psychisme" des individus). Ils baptisent cela la "Santé Mentale" envers laquelle ils manifestent leur sollicitude avec une ostentation plutôt récente mais régulièrement accrue; peut-être ont-ils fini par prendre conscience que la stabilité de leurs positions sociales et l'importance de leur influence dans cette société dépendent étroitement du "bonheur subjectif" des électeurs. Peut-être aussi pensent-ils qu'il devrait être à la fois bien plus facile, plus rapide et moins coûteux de manipuler le "psychisme" et les humeurs des citoyens (les persuader qu'ils ne peuvent qu'être satisfaits de leur sort puisqu'on se soucierait "en haut lieu" de leur bien-être, de leur bonheur), plutôt que d'améliorer pratiquement, concrètement et sensiblement leurs conditions de vie (matérielles et autres).

Aujourd'hui, on ne peut ni ne veut plus séparer très clairement les uns des autres: d'une part les médecins psychiatres, d'autre part les psychanalystes, les psychologues, les "psychothérapeutes". Non seulement les limites de leurs envahissants et ubiquitaires domaines respectifs d'activité(s) et de compétences semblent fort mal définies et fluctuer comme au gré des vents (et peut-être des successions de ministres). Mais aussi et plus exactement, on n'aperçoit plus très bien ce qui distinguerait (ou rapprocherait?) les uns des autres tous ces "acteurs psys", sauf peut-être les diverses dénominations des titres dont ils se parent. Ces titres constituent-ils toujours une garantie fiable de compétence et nous renseignent-ils vraiment sur quels sont les domaines précis où ces compétences seraient requises et entreraient en jeu? Si, en nous gardant soigneusement de toute passion, nous tentions de mesurer le bénéfice et le degré de satisfaction que leurs clients (ou leurs cobayes) disent en retirer, estimerions-nous tenue la promesse, que ces professionnels "psy" font miroiter à nos yeux, de l'utilité et de l'efficacité de l'exercice de leur profession?

Bien souvent la culture, la formation professionnelle de départ, le niveau d'instruction, par exemple des psychanalystes, sont les plus divers (tant en nature et qualités qu'en étendue) et peuvent n'avoir, que ce soit avec "le soin" en général, la médecine, ou avec la biologie pas plus d'ailleurs qu'avec la psychologie ni aucune science, que des rapports fort lointains et ténus, voire souvent plus imaginaires que réels. Le vocabulaire, ou plus précisément le jargon, les abondants néologismes et les tournures des phrases ou les mots bizarres que s'empruntent volontiers les uns aux autres toutes sortes de "psys", - sans nécessairement se soucier d'en vérifier la concordance des acceptions (les significations) - tout cela n'aide guère non plus à les départager. D'ordinaire, les psychanalystes disent qu'ils se préoccupent des mêmes problèmes que les autres "psys", mais qu'ils permettraient bien mieux à chacun de leurs clients d'y apporter les réponses et solutions les mieux adaptées à ses besoins individuels, personnels.

Compte tenu de l'inflation considérable de la demande de soins "psys" constatée paraît-il par nos responsables politiques, et dont les ministres de la Santé successifs ne se privent pas de nous rebattre les oreilles autant qu'ils peuvent (la demande ne serait-elle donc pas rencontrée, serait-elle mal satisfaite?), pourquoi devrions-nous quand même croire à une efficacité de ces "soins" alors qu'elle ne se traduirait pas dans les chiffres? Autrement dit pourquoi le niveau de la "demande" ne finit-il pas par décroître ou au moins par se stabiliser, grâce à, ou peut-être (plutôt?) en dépit des réponses qu'une pléthore de "professionnels" prétendent y apporter? Nos ministres ne se posent-ils jamais cette question? Comment se fait-il que, face à cette inquiétante demande croissante et semble-t-il mal contrôlée, nos ministres ne se soient jamais sérieusement demandé quelles sont les causes de cette croissance ? (mais on verra plus loin qu'ils prétendent néanmoins l'expliquer, quoique par de mauvaises raisons). Cela leur permettrait peut-être de la prévenir au moins en partie (ils n'ont pourtant jamais renoncé à nous dire qu'en matière de "santé mentale", il vaut mieux prévenir que guérir, et que c'est ce sur quoi ils "mettent l'accent"). Ils pourraient ainsi espérer d'avance "tuer dans l'oeuf" le malaise que la demande reflète. Dès lors, le malaise heureusement évité (quoiqu'on nous en dise, le but visé ne serait-il peut-être pas celui-là?), son traitement par là-même devenu sans objet, donc inutile, automatiquement ils réduiraient des dépenses en les évitant elles aussi, au moins en grande partie?

Ou encore, comme ils l'ont pourtant déjà fait envers les médecins et pour les mêmes raisons officiellement avancées d'économie budgétaire, pourquoi n'ont-ils jamais proposé d'instaurer un numerus clausus limitant l'accès aux professions de "psychothérapeute", pensant par ce biais limiter la "surconsommation" et les dépenses "injustifiées"? (Une explication possible, dont je ne prétends pas qu'elle soit la seule ni la bonne, est que nos organismes de sécurité sociale n'y interviennent jusqu'à présent, par leurs remboursements, que de façon bien plus limitée que pour les soins prodigués par les porteurs d'un diplôme de médecin ou de licencié en sciences dentaires. Mais il semble qu'on espère changer cela. Croit-on désormais pouvoir faire les économies tant souhaitées, bien qu'en intégrant l'industrie de "la consolation du mal-vivre" à la Santé Publique et à la Sécurité sociale, tout en profitant de l'occasion pour faire ainsi "une fleur" à ceux qui prétendent vendre le bonheur à leurs "clients/patients" à coups de placebos? Puisque la demande apparente ne cesserait de s'accroitre, faut-il, en y répondant avec un certain empressement, encourager ce que, par ailleurs mais en même temps, on appelle pourtant surconsommation médicale qu'il est urgent d'endiguer?)

Personne ne sait plus trop à qui s'apparentent tous ceux, fort nombreux, qui se déclarent psychothérapeutes, toutes ces personnes (ces nouveaux prêtres postmodernes qui se font payer) qui proclament bien haut leur dévouement à "soigner" les souffrances et les affections qualifiées de "psychiques" de leurs semblables, sans que, la plupart du temps, on parvienne à deviner en quoi consistent ces affections ni quelles en sont les origines, ni surtout si les thérapeutes réellement les soulagent durablement toutes, voire si peut-être ils en guériraient parfois quelques unes, et alors, lesquelles?

Les disputes qui ne cessent d'opposer les uns aux autres ceux qui, de divers bords et tendances (de diverses "formations"), professent ou exercent ces métiers, tout comme les polémiques qui les font s'affronter et dont ils nous prennent parfois à témoins (et qu'ils tentent alors de faire passer pour des discussions entre scientifiques) ne nous permettent habituellement pas de nous former une opinion claire à leur sujet. Les précisions (?) que parfois ils prétendent nous apporter sur les compétences multiples et variées qu'ils revendiquent et sur les rôles respectifs qu'ils s'attribuent dans notre société ne suffisent pas à éclairer une majorité du public profane sur leurs réelles fonctions (sur leur "utilité" effective?) dans cette société (pour se convaincre de la vérité de cette dernière affirmation, il n'y a qu'à lire la presse qui, périodiquement, croit aider et orienter les "usagers", avec un succès douteux car tout temporaire, en s'efforçant de classer ces professions de "psys" par catégories, et de les répertorier en fonction de ces classifications).

Depuis maintenant de nombreuses années, la majorité des gens (touchant de près ou de loin au "social", privé comme public) ont pris l'habitude de regrouper, sans réel souci de distinction entre elles, toutes ces professions, médicales psychiatriques, paramédicales, "psycho-sociales ou socio-psy", sociales, ainsi que nos sociologues, nos anthropologues, nos ethnologues, nos " 'panto- ou poly-pédagogues' plus ou moins autodidactes cooptés voire autoproclamés" et autres "psycho-philosophes" (certes tous très distingués, et j'en oublie certainement, on m'en excusera) dans une grande nébuleuse fourre-tout baptisée "Santé Mentale". Ce rassemblement hétéroclite (où prédominent largement des représentants et praticiens de pseudo-sciences humaines) n'est surtout pas propice à une identification aisée ni à un choix judicieux, par les usagers potentiels, des compétences auxquelles s'adresser voire recourir en cas de besoin, au sein d'une telle accumulation de ces professionnels du "psycho-sanitaire" dont les conglomérats d'organisations, organismes et entreprises les plus divers littéralement fourmillent.

Les confusions sur les rôles respectifs des divers "participants et intervenants" peuplant l'institution appelée "Santé Mentale" (c.-à-d. l'outil luttant contre la mauvaise santé mentale) et les ambiguïtés entourant les buts qu'ils disent poursuivre sont encore accentuées par le flou soigneusement entretenu autour du concept même de "Santé Mentale" (c.-à-d., cette fois, l'objectif prétendument poursuivi, celui à quoi travaillerait l'outil: la bonne santé mentale?) par ceux qui s'en disent les acteurs. La définition de ce concept et son contenu sont très disparates mais surtout fort peu cohérents selon qui en parle, et ne coïncident pas nécessairement avec des notions bien éprouvées de véritable santé [mentale], pas plus qu'avec celles des troubles mentaux ou des maladies mentales telles que notre médecine occidentale moderne peut les concevoir et les observer chez celles et ceux qui en sont réellement atteints.

L'enseigne générale de "A la Santé Mentale" (pour laquelle l'appellation shakespearienne de "Much ado about nothing" serait mieux appropriée) sert aujourd'hui d'emballage et de couvercle à un énorme melting-pot ne pouvant correspondre à aucun concept clair au contenu précis. Par conséquent, pourquoi devrait-on s'attendre à ce que, par contre, les moyens à mettre en oeuvre dans le cadre de cette création, de cette entreprise surtout bureaucratique, kafkaïenne et irréelle, purement conceptuelle et totalement dépourvue de substance vraie qu'on appelle la "Santé Mentale" soient eux-mêmes mieux définissables et pertinents, qui permettraient d'agir efficacement en faveur des véritables malades mentaux chroniques? (mais ceux-là, qui et où donc sont-ils, en parle-t-on? A quoi tous ces experts les reconnaissent-ils puisqu'ils s'en disent tous capables, mais que sont-ils devenus et que fait-on pour eux?)

La psychiatrie dite médicale est apparue en Europe occidentale au XIXème siècle (la médecine d'alors n'avait en réalité aucun des moyens de ses ambitions: ni les connaissances médicales - scientifiques et biologiques - indispensables, ni par conséquent les nécessaires moyens d'action). Elle était alors censée se préoccuper de prendre soin des malades mentaux (ce qu'à tort on a ensuite voulu appeler les "soigner"). Mais si certains continuent de croire de nos jours que la psychiatrie, en Belgique, est encore toujours une branche spécialisée de la médecine plus particulièrement et uniquement consacrée aux malades mentaux, on peut craindre qu'ils ne se trompent lourdement. En réalité, la psychiatrie en tant que spécialisation médicale a été, chez nous, engloutie, noyée dès sa sortie de l'enfance dans une sorte d'immense marécage tout artificiel où littéralement grouillent et gargouillent des "intervenants" s'agitant, voire pataugeant à diverses occupations palustres surtout verbales, s'évertuant à mettre au point des procédés publicitaires soi-disant éducatifs et de multiples rituels à vocation soi-disant sanitaire particulièrement verbeux touchant à tous les domaines de notre vie.

(Ceci est aussi bien évoqué, pour ce qui concerne la France, dans deux petits livres: le premier datant déjà de quelques années: de Liliane Sichler: "Le parti Psy prend le pouvoir", Grasset, Paris 1997, ISBN 2-246-52471-7; le deuxième, par Marie-Jeanne Marti: "Les marchands d'illusions", Mardaga (Sprimont, Belgique 2006), ISBN : 2-87009-912-6. Les analogies en ce domaine entre la Belgique et la France ne sont pas difficiles à apercevoir).

Ici, dans ce véritable marais qu'est la "Santé Mentale", se retrouve rassemblée la crème des experts autorisés (faisant autorité) de la santé de toutes sortes (de ce qu'ils décrètent comme étant "bon" ou comme étant "mauvais" pour [l'indéfinissable santé de] leurs concitoyens). Les compétences (?) de ces autorités en matière de ce qu'on pourraît appeler les "convenances et inconvenances des pratiques en santé individuelle et publique" sont, presque toujours, infuses, universelles et indiscutables, dogmatiques et nées plus de la révélation que de savoir rationnellement étayé.
Là, dans un marigot de cette "Santé Mentale", on jongle avec les considérations philosophiques les plus éthérées et les croyances les plus farfelues relevant plus de la superstition que du bon sens. Là encore, dans cette autre mare perdue dans un chapelet de nombreuses autres flaques, on élucubre les discours les plus creux mais les plus grandiloquents destinés à travestir en profonds savoirs intouchables les croyances régnantes du moment qu'on prétendra mettre au service de simulacres "d'actions" en faveur du bien public: conférences, forums, brochures, "événements médiatisés" divers, réunions de réflexions et de concertations, etc., etc. C'est, résumée dans son ensemble en deux grands mots, la "Santé Mentale" (du vent qui à la fois nous dicte une manière d'être et invente l'Institution virtuelle qui veille à promouvoir ce qu'elle décide être le bon mode de vie pour tous). On y assiste, littéralement, à la dissolution et à la dilution homéopathique de la psychiatrie, de "médicale" qu'elle s'efforçait d'être au départ, dans la "Santé Mentale" devenue prétendument psychosociale et quelque peu ésotérique, et surtout spectacle à l'arrivée. Ce glissement de sens et de champ d'action a commencé vers la fin de la guerre 1939-45, s'est poursuivi et n'a cessé de se développer depuis.

(Telle que cette dérive s'est installée en France - mais les choses ont été assez comparables chez nous en Belgique -, elle a été assez bien résumée dans un intéressant ouvrage paru au début de cette année, du journaliste Patrick Coupechoux: "Un monde de fous", Seuil, Paris 2006, ISBN 2-02-081254-1. Malheureusement, cet auteur, à mon avis un peu trop crédule et fort respectueux de certains dogmes psy, a aussi trop souvent pris pour argent comptant les déclarations rhétoriques à l'emporte-pièce et le catéchisme de certains psys auprès desquels il s'est renseigné).

Cette dérive de nature idéologique qui s'est affirmée et mise en place progressivement, elle s'impose et explose aujourd'hui à la manière du bouquet final d'un feu d'artifice. Elle s'explique en grande partie par l'inévitable mais inavouable (par des psychiatres) incapacité de la psychiatrie, par son impuissance à guérir les véritables maladies mentales: ces maladies graves que, forcément, on qualifie de chroniques, puisqu'en effet, malgré toutes les publicités plus ou moins mensongères qu'on se plaît à diffuser périodiquement pour convaincre du contraire, jamais jusqu'à présent les "psys" ne sont parvenus à réellement les guérir.

Mais on peut également soupçonner d'autres causes à cette mutation sociale et "socialisante" des soins psychiatriques et psychothérapeutiques en "Santé Mentale". L'accroissement actuel des multiples et diverses difficultés économiques et sociales (la crise permanente) sont des causes importantes contribuant de toute évidence à engendrer le symptôme du "mal-vivre", personne n'en disconviendra (même notre ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Mr Rudy Demotte, s'est senti obligé, sans doute bien malgré lui, de concéder une allusion, bien que discrète, à "l'impact des conditions socioéconomiques"). Empruntant alors aux psychanalystes le reproche qu'ils adressent à l'encontre des psychothérapeutes cognitivo-comportementalistes, des "psychiatres biologiques" et de ceux que certains intellos autoproclamés appellent les "techno-médecins", ne pourrions-nous penser, de façon très plausible, que nos politiques responsables de la "santé mentale", très manifestement, préfèrent se donner le beau rôle (et moins coûteux) de tenter de masquer ou d'étouffer le symptôme plutôt que d'effectivement rechercher et tenter d'éliminer les causes profondes (socioéconomiques et structurelles) de ce "mal-vivre"?

Les psychanalystes, aujourd'hui visiblement inquiets à la perspective d'être peut-être exclus de cette "Santé Mentale" par une nouvelle législation dont ils étaient demandeurs et à laquelle ils ont pourtant vigoureusement poussé, et nos politiques pourtant anxieux de leur donner satisfaction en leur accordant un statut officiel, étaient d'abord complices, alliés objectifs. Ironie du sort! Ne sont-ils pas désormais devenus frères ennemis, ne se sont-ils pas ensemble mis dans une situation pour le moins paradoxale rappelant irrésistiblement celle de l'arroseur arrosé? Et les responsables politiques de notre "Santé Mentale", en toute objectivité, ne remplacent-ils pas délibérément le médicament actif et nécessaire par un énorme placebo, c.-à-d. une illusion, un mirage de remède vraisemblablement encore plus coûteux, à court comme à long terme, que le remède lui-même?

Reconnaissons qu'aussi longtemps que la psychiatrie sera, à elle seule, incapable de rendre durablement leur santé mentale et leur autonomie sociale aux malades mentaux, il faudra bien suppléer ces déficits par des expédients médicaux et sociaux: le suivi permanent, la poursuite et la surveillance du traitement médicamenteux ininterrompu, l'aide pratique et l'accompagnement vigilants et de durée indéterminée (et je crains fort que ce soit précisément cette indétermination dans le temps que tous se refusent à voir). Ces palliatifs à mettre en place autant "en dehors et indépendamment des crises" des malades que pendant celles-ci, les psychiatres, dans leur majorité, paraissent croire que, comme ils ne sont qu'en partie de leurs compétences (s'ils sont sans doute médecins - certains diraient "peut-être", mais ne généralisons quand même pas à tous les comportements reprochés à quelques uns! - ils ne sont pas assistants sociaux pour autant!), ces préoccupations ne seraient pas de leur ressort, si bien qu'habituellement ils s'en désintéresseraient plutôt. Ils n'instruisent donc pas, ni les responsables ni les exécutants de cette prise en charge sociale, des critères fort contraignants auxquels cette dernière devrait répondre.

Quant aux responsables sociaux, ils sont encadrés par une administration dont le propre, comme pour toute administration, est de ne connaître que le règlement et les directives venant "d'en haut", et d'ignorer les caractéristiques et les besoins humains de ses administrés auxquels ses employés, en bons fonctionnaires qu'ils sont, appliquent le règlement selon les directives dont ils respectent la lettre sans se poser de question sur le fond. L'absentéisme de fait des psychiatres en dehors des "crises" de leurs patients, la formation psychiatrique rudimentaire et discutable prodiguée à de nombreux "intervenants de terrain" encourage ceux-ci à cultiver un faux optimisme de convention et de convenance. Tout cela conforte la majorité des rouages humains et administratifs de cette très hétérogène "Santé Mentale" dans l'illusion que la rémission apparente des troubles équivaudrait à la guérison des malades. Lors d'une exacerbation toujours possible de l'affection (car la menace n'en est jamais vraiment écartée), le risque par conséquent est très grand de ne recourir aux psychiatres que trop tard et, trop souvent, on en revient obligatoirement à une hospitalisation en urgence, une de plus.

Bien que la plupart des psychiatres ne veuillent toujours pas l'admettre et que certains d'entre eux aient parfois parlé à ce propos de mythe de l'incurabilité qu'ils dénonçaient et espéraient détruire (v. Coupechoux, op.cit., p. 113), nos connaissances actuelles en biologie, en médecine et en neurosciences confirment l'idée que le cerveau humain, proche de l'âge adulte, matériellement (organiquement) abîmé ou blessé au cours de son développement in utero et qui s'est par conséquent construit de manière plus ou moins défectueuse, ne peut plus se réparer complètement ensuite (pas de "restitutio ad integrum"). Donc, tout au contraire de ce dont on veut se persuader, c'est bien cette fois la croyance à une possible guérison (l'utopique réparation complète) qui n'a jamais été qu'un mythe: le mythe de la curabilité auquel les "psys" se cramponnent officiellement et qu'ils entretiennent obstinément pour d'évidentes raisons de quasi-religion (et parfois aussi, ce qui est, somme toute, assez banal et humain quoique pas toujours très éthique, peut-être pour préserver, à leurs propres yeux comme à ceux du public, leur crédibilité et leur amour-propre, en plus d'intérêts un peu moins altruistes et "spiritualistes" qu'il n'y pourraît paraître à première vue).

La dérive provient également d'un fait que généralement les professionnels répugnent à reconnaître: pendant fort longtemps, et souvent aujourd'hui encore, une majorité des médecins psychiatres de chez nous ont délibérément voulu ignorer que nos fonctions mentales, si uniques ou extraordinaires puissent-elles paraître en comparaison de celles du monde vivant non humain qui nous entoure (et n'oublions tout de même pas que nous en provenons et continuons à en faire partie!), ne sont pourtant que l'expression finale visible du fonctionnement biologique de notre organisme dans son ensemble. L'intégrité de ce qu'ils appellent "le psychisme" (ce qui, en fait, n'est qu'un mot de signification vague et indéfinie) est étroitement liée à celle de notre corps bien matériel et "organique" tout entier et elle en dépend, elle en est indissociable. Pourtant, une majorité de nos "psys", encore toujours et même si ce n'est sans doute pas toujours consciemment, font de ce qu'ils appellent "le psychisme" une entité totalement à part (qu'ils réifient, une chose à part entière) , sans aucune attache physique ni biologique à quoi que ce soit.

Cette évacuation délibérée, expéditive de "l'organisme" (et somme toute commode! Car elle épargne bien des efforts intellectuels aux praticiens psy) permet à certains pseudo-penseurs à la logique quelque peu bancale, observateurs et idéologues des phénomènes humains, de faire l'impasse sur la connaissance de "l'organisme". C'est l'évidente facilité (pour ne pas dire le simplisme, sinon la paresse d'esprit), les autorisant à ne se focaliser, en apparence "créativement" par la seule force supposée de la pensée (et par le verbiage censé la soutenir, voire en tenir lieu), que sur la représentation qu'ils croient se faire de "la personne" et sur celle de "l'esprit" qu'ils croient imaginer. Ils présentent cet exercice mental et rhétorique comme la démarche d'une médecine alternative, supérieure, en quelque sorte meilleure et plus humaine ou plus humaniste. Ils imaginent ainsi "s'adresser à la personne" (dont ils se construisent leur propre représentation imaginaire) et "la privilégier" (plutôt que de se préoccuper de la "machine biologique" défaillante qu'ils ont devant eux mais qu'ils préfèrent confortablement ignorer: puisqu'elle n'est qu'une machine!).
Ils disent soigner l'esprit (n'est-ce en effet pas plus noble?). Pour ce faire, ils croient donc devoir choisir une approche "philosophisante" et spiritualiste (et "holiste" , c.-à-d. "globalisante") des affections mentales. Par conséquent, préférant les concepts a priori (c.-à-d.vides, purement verbaux), ils adoptent une attitude proprement platonique (platonicienne) et toute spéculative (contemplative et onirique) envers les malades mentaux. De ceux-ci, ils négligent et méprisent superbement les misérables organes (dont, en premier lieu, le cerveau qu'ils ignorent car, trop compliqué pour eux sans doute, il est inutile - voire encombrant, intempestif - à leur argumentation scolastique). Ces organes ne sont pour eux que des "composantes" dépourvues en soi d'intérêt (les pièces artificiellement découpées d'un puzzle et détachées) que la "personne" rassemblerait en elle et auxquelles elle commanderait (rêve de mauvais poètes mais pas de thérapeutes). Ils laissent la tâche de l'appréciation de l'état du corps et de l'évaluation des soins à y apporter, aux praticiens d'une médecine ancillaire "banale et conventionnelle" qu'ils accusent d'ignorer "la personne".

Cette "tâche ancillaire" est souvent présentée, par ceux de nos promoteurs de la "Santé Mentale" les plus imbus d'eux-mêmes et de leurs incohérentes rêveries, comme la caractéristique d'une médecine "mineure", "inférieure ou subalterne", "mécaniste" et "scientiste", qu'ils qualifient de "surtout technique"; ils se félicitent quant à eux d'abandonner celle-ci avec condescendance à ces techno-médecins (des sortes de "plombiers polonais" de la médecine? - serait-on parfois tenté de dire pour reprendre par dérision une stupide métaphore xénophobe, volontairement dévalorisante voire méprisante mais temporairement à la mode), et ils laissent ainsi entendre que ces "techno-médecins" qu'ils désignent avec un dédain évident ne peuvent être qu'indifférents ou insensibles "à la personne" dont ils se borneraient, à la manière de mécaniciens, à rafistoler les pièces défectueuses de "l'organisme"; ils suggèrent que ces béotiens, ces "techniciens" seraient tout juste bons à réparer - vite fait bien fait - les modestes et peu intéressants organes individuels de notre méprisable carcasse matérielle, évidemment en ignorant ou en négligeant "la personne".
La belle représentation de la médecine et des médecins qu'ils se font ainsi et à laquelle, en nous la proposant avec une certaine impudence, ils essayent de nous faire croire, sans doute pour tenter de se valoriser par contraste et ainsi se faire mieux apprécier eux-mêmes! Bien qu'elle ne soit en rien conforme à celle qu'on m'a jadis enseignée, ni à celle que nos généralistes et spécialistes, malgré les obstacles de toutes sortes, s'efforcent de pratiquer de nos jours encore, cette médecine supposée et suggérée correspond, mais à notre époque actuelle, à la distinction faite, bien avant Molière déjà, entre d'une part les médicastres soi-disant beaux penseurs à soutanes et grands chapeaux pointus, et beaux discoureurs de salon mais fort piètres guérisseurs ou soignants, et d'autre part les barbiers, chirurgiens et autres arracheurs de dents, tâcherons incultes des basses besognes qui, sur le terrain, s'efforçaient de soulager les malades en se salissant les mains; "des techniciens, quoi!" vous disent nos beaux esprits contemporains surtout pétris de littérature mal digérée et de médiocre poésie, rêveurs omniscients et satisfaits de soi (saouls de leur propre "poésie") quoiqu'inconscients de leurs ignorances, et nombrilistes impénitents de surcroît! (pour être aujourd'hui mieux compris, devrais-je plutôt dire narcissiques?) Sans toutefois s'en rendre compte, ces pseudo-penseurs du sanitaire "psy" se félicitent d'en être restés au temps de Molière, voire de ses prédécesseurs et, comme on le verra plus loin, ils y sont eux-mêmes bien plus englués encore qu'ils ne pourraient imaginer!


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Première publication: 19 Juin 2006 (J.D.) Dernière modification: 19 Juin 2006

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