QUE SAIT-ON ? COMMENT LE SAIT-ON ?

Voilà bien deux questions qu'à de très fréquentes occasions chacun de nous pourrait et devrait sans doute se poser, ne serait-ce qu' à propos de multiples sujets quotidiens - sans pour autant oublier les « grands et éternels problèmes » de la vie. J'ai pourtant le sentiment qu'en général on se les pose de moins en moins de nos jours. Parfois même, dans les médias, même dans l'enseignement! , et peut-être surtout sur la toile d'internet, on ne se les pose plus du tout, noyés que tous nous sommes dans un déluge de prétendues « informations » qui ne nous laisse plus le temps de les examiner. Cela n'est-il pas l'habituel moyen - voulu ou non - de nous rendre ignorants et crédules et de faire de nous de nouveaux « moutons de Panurge » bien dociles voire stupides, prêts à suivre un possible prochain quoique quelconque « berger » ± autoritaire à la langue bien pendue, soi-disant omniscient et infaillible, qu'on laisserait penser à notre place et que l'on voudrait faire passer pour providentiel pour nous le faire accepter sans plus jamais devoir réfléchir par nous-mêmes?
(Think of and pay HEED to what is said above and BEWARE of the self-styled as well as of the self-elected know-all saviours, whomever they might happen to be and that you might meet!)

 

Une règle concise ("a pointed one-liner"), que paraît-il le Professeur P. R. McHugh recommandait à ses collaborateurs d'observer en priorité et de respecter en permanence, et qu'il aimait à rappeler dans son département de psychiatrie à l'Université Johns Hopkins à Baltimore, était formulée en ces termes: [contenant en sous-entendu: nous devons toujours nous poser ces deux questions conjointes ] "What do we know? How do we know it?" (c.- à d. Que savons-nous? et Comment le savons-nous?)

C'est là, pour tout le personnel médical et soignant, l'injonction - tout à fait logique et très raisonnable - de s'assurer d'être toujours capable de distinguer ce que l'on sait « par un savoir établi empiriquement et régulièrement confirmé » de ce que parfois par contre « on croit savoir » mais qui, en réalité, n'est qu'opinion basée sur des croyances, sur des idées reçues, voire sur les superstitions régnantes ou prédominantes dans le grand public de son temps (ce que donc on ne sait pas vraiment mais qu'on invente pour se rassurer ou se tranquilliser).

C'est aussi une mise en garde contre les tentations, auxquelles certains (parmi lesquels même des psys!) auraient parfois du mal à résister et alors pourraient y céder sans en être toujours bien conscients eux-mêmes, de suppléer le véritable savoir psychiatrique scientifiquement bien établi, mais sans doute un peu court et encore trop limité, en acceptant et en prenant à leur compte des pseudo-explications « complémentaires » parfaitement fantaisistes, invérifiables et non fondées, issues non pas d'un savoir avéré mais de la seule imagination débridée de leurs auteurs.
Des affirmations de cette sorte sont malheureusement encore trop souvent assénées sur un ton péremptoire par des personnes jouissant pourtant d'une certaine notoriété et d'une réputation pouvant sembler tenir lieu d'autorité (bien qu'à des titres fort divers!) et parfois peut-être être créditées de certaines compétences dans le domaine des affections mentales.

Et en effet, il me semble que la discipline psychiatrie (c.-à d. plus exactement ses praticiens), de par les difficultés uniques propres aux particularités, elles aussi uniques, de la « matière et/ou matériau et de son/leur "produit émergeant" » qu'elle tente de traiter théoriquement et pratiquement (méthodologiquement: de l'esprit lié au cerveau), tout particulièrement la psychiatrie des « psychoses » ne dispose encore que d'un savoir toujours très incomplet. Les grands efforts d'imagination que certains de ses praticiens déploient dans l'espoir d'ainsi, commodément et par ce qui ne sont en fait que des expédients, combler les insuffisances et lacunes du savoir scientifique les exposent inévitablement à s'égarer trop facilement et trop fréquemment dans d'improbables et pour le moins peu crédibles dérives spéculatives, plus hypothétiques que réellement et solidement démontrées et étayables empiriquement.

La très saine et indispensable attitude critique (relisez donc Claude Bernard!) et cette recommandation de questionnement permanent sont des éléments évidemment très naturels et obligés de l'éducation de base et de sa formation professionnelle inculquées à tout chercheur scientifique sérieux qui se respecte; s'y conformer devient chez lui une seconde nature, si possible automatiquement et se renforçant aussi par l'usage et l'habitude. C'est une condition de son objectivité et de sa crédibilité, et c'est la garantie de la confiance qu'il peut inspirer à ses collègues ainsi que de celle que ses patients et le public lui accorderont.

J'ai déjà écrit ailleurs que le thérapeute doit dire et expliquer au malade, tout en s'efforçant de ne pas l'alarmer en le brusquant, en termes simples compréhensibles à chacun, ce qu'en général les experts de son affection en connaissent et donc savent effectivement, sur ses causes supposées, sur le traitement, etc., etc. Quant au reste, c. -à d. sur ce qu'on ne sait pas vraiment, on ne doit pas cacher ce qu'on espère et qu'on veut croire, mais aussi expliquer que cela, ce n'est jamais un savoir tout à fait sûr, mais plutôt des croyances et des espoirs possibles à voir venir. Ce sont là des notions qu'aucun malade évidemment ne peut recevoir d'un coup, en quelques minutes ni même en quelques heures, jours, voire semaines ou parfois mois. C'est aux accompagnateurs et « accompagnants » de juger de la manière d'en faire part au malade avec la prudence, le doigté et la patience nécessaires pour qu'il soit capable de les absorber progressivement, aussi calmement que possible.

Je suis persuadé que ce n'est qu'en disant toujours ce qu'on sait, c.-à d. la vérité, et en faisant clairement la distinction d'avec ce qu'on ne sait pas, c.-à d. des inventions dont il faut soigneusement et toujours s'abstenir, que les professionnels méritent et peuvent gagner la confiance des malades et du public. Cette confiance est indispensable au succès des traitements psychiatriques, même si ces derniers ne peuvent pas toujours être garantis (cela, cela dépend du succès des chercheurs).


Première publication: 13 Juin 2016 (J.D.) Dernière modification: 13 Juin 2016

Menu Articles