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(la suite de "Politique 2: Les Droits du Patient")

"[...] 80 percent of the mentally ill can be helped with antipsychotic medication, yet civil rights laws are used daily to prevent patients from getting help."
Pete Earley, Crazy, p. 358
"[...] 80 pour cent des malades mentaux peuvent être aidés par une médication antipsychotique, mais nos lois sur les droits civils sont utilisées quotidiennement pour empêcher les patients de recevoir cette aide."

ÊTRE MALADE MENTAL CONFÈRE-T-IL L'EXPERTISE DE LA MALADIE MENTALE?

(en d'autres circonstances et, admettons-le, par analogie sans doute quelque peu caricaturale - mais, insistons-y à nouveau avec force, une analogie n'impliquant strictement aucun jugement de valeur ni moral sur les "malades mentaux" eux-mêmes -, imaginerait-on, par exemple, qu'être ignorant rendrait expert en ignorance? Ou peut-être encore, en consultant une personne qu'ils estimeraient, par exemple, stupide - il en existe, et ce ne sont pas des malades mentaux -, certains imagineraient-ils pouvoir recueillir d'elle un avis particulièrement autorisé sur la stupidité?)

En décembre 2001 (quand la section précédente du présent article avait été mise en ligne), la loi sur les droits des patients n'en était encore qu'à l'état de projet (ne pouvant faire, bien entendu, aucune distinction entre les innombrables pathologies de tous les "patients" pris dans leur généralité). Actuellement (juin 2005), cette loi a été votée (26 juillet 2002). Certains, se disant "professionnels" de la santé mentale et s'auto-proclamant preux chevaliers "défenseurs des droits" des patients (à la suite et à la manière de la section belge de la "Ligue des Droits de l'Homme" , v. Erreurs), ils estiment aujourd'hui que la loi serait mal appliquée. Créant, et par là même saisissant (sans fatigue ni "recherche" , ni "action" ni réflexion!) une occasion facile de faire parler d'elle et de paraître "agir", une association sise à Bruxelles (L'Autre "lieu") a décidé de lancer une "campagne d'information" en éditant une petite brochure à destination des malades psychiatriques (dont ceux qui sont hospitalisés) "pour...aider les patients (potentiels) à prendre connaissance de leurs droits et à se les approprier, tout en portant un regard critique sur certaines pratiques pouvant perdurer en psychiatrie et en santé mentale, ..." (sic, etc.). (Ceux qui seraient intéressés par le texte et par les motivations qui, officiellement, justifieraient cette campagne, peuvent se renseigner sur le site de cette association).

Deux représentants (un psychologue et un psychiatre) de cette a.s.b.l. se sont expliqués (à leur demande?) sur les raisons de cette campagne (n°1686 du 28 juin 2005 du périodique médical belge "Le Journal du médecin", interview par Thierry Goorden, p. 32, sous le titre: "Des droits inappliqués au quotidien").

Si l'on en croit ce que l'intervieweur nous rapporte, les psychologue(s), psychiatre(s) et "médiatrice en santé mentale", qu'il a interrogés à propos des malades psychiatriques chroniques et des troubles dont ceux-ci sont affligés, semblent ne parvenir à faire état que de représentations et conceptions présentées comme "critiques" de la société (mais en réalité, ils se contentent de puiser leurs idées reçues parmi celles qui flottent dans l'air ambiant, ce qui les dispense commodément de tester leurs certitudes - "car tout le monde sait cela..." -, ils se croient humanitaires, ils se persuadent d'être plutôt anticonformistes et se croient progressistes.)

Leurs représentations ne sont pourtant que purement imaginaires et très éloignées de la triste réalité quotidienne des malades psychiatriques. Le discours tenu par ces "humanitaires" de salon sonne comme s'ils n'avaient jamais cultivé, au sujet des malades psychiatriques, que certains clichés au contenu d'apparence bienveillante qui, depuis toujours, se colportent plutôt autour d'un verre dans les bistrots, ou bien agrémentent les conversations (encore mieux que les amuse-gueule de rigueur ne les pimentent!) dans l'une ou l'autre de ces réunions ou soirées plutôt b.c.b.g. dites humanitaires ou de bienfaisance. Comme si ces "experts" frais émoulus de "sciences humaines" (?) n'avaient été instruits, de leur "spécialité" médicale, paramédicale ou "socio-pédagogique" (qu'ils arborent ostensiblement bien plus qu'ils ne l'exercent efficacement), que par des compléments plus ou moins théoriques et désincarnés de quelque cours "psy" (ou "de communication") à option et par correspondance.

On nous dit que "Certains patients ont peu d'informations sur leur traitement ou se voient refuser l'accès au dossier médical sans motivation ou pour les protéger de conséquences censées leur être dommageables. D'autres n'ont aucun mot à dire, alors que leur état de santé ou leur degré de compréhension pourrait quand même permettre un dialogue, de manière à être bien informés, écoutés, et entrer ainsi dans un partenariat entre soignant et soigné". (je souligne.)

On nous dit aussi: "Trop longtemps on a fait grand cas des pathologies mentales sans se préoccuper des patients. Ces patients qui n'ont pas toujours des troubles mentaux, mais de comportement, sont eux-mêmes aussi des experts quant à leur maladie." (je souligne).

Un psychiatre nous apprend que: "Cette loi a été un peu trop pensée autour d'une table, au niveau d'instances supérieures, pour normaliser notre position belge vu les avancées d'autres pays dans ce domaine. ... Elle n'a donc pas émané de la base, à la demande des usagers et des praticiens, et reste peu appliquée dans la pratique, c'est son défaut premier." (je souligne).
Et il ajoute, avec une logique originale qui lui est particulière (et que chacun appréciera), croyant sans doute pouvoir négliger un contexte clinique dont il semble manifestement peu instruit: les prestataires de soins doivent être "formés à l'écoute, à délivrer une information compréhensible, complète et préalable à tout traitement pour que le patient puisse en mesurer tous les tenants et aboutissants." (je souligne).

Que voilà donc, de la part de "professionnels", de "spécialistes", d' "experts", une accumulation de non-sens, et quel bel étalage nous offrent-ils tout à la fois d'ignorance, d'inconscience, d'absence de réflexion élémentaire, de déni de logique et de rationalité! (si,si, tout ça à la fois! Les mauvaises langues diraient sans doute qu'il faudrait peut-être chercher là l'explication de leur choix du métier qu'ils prétendent exercer!)

Primo, ces nobles et désintéressés professionnels défenseurs des droits (des concepts de veuve et d'orphelin) s'empressent de commencer par oublier, par ignorer ou par occulter (au choix!) l'essentiel: les personnes dont ils affectent de prendre la défense sont des malades psychiatriques, c'est-à-dire des malades qui, à cause de leur affection, ne sont plus capables de "se servir de leur tête" tout à fait comme vous et moi. Et, je le rappelle à nouveau, quand ceux qui connaissent vraiment ces malades disent constater leur incapacité, ce constat ne constitue en aucune façon de leur part un jugement moralisant, ni une dépréciation ni un irrespect de la personne humaine des malades mentaux (une "stigmatisation"), comme souvent voudraient l'insinuer certains démagogues ignorants et défenseurs de grands principes abstraits (mais qui ne sont pas les défenseurs des personnes qui devraient en bénéficier! A la manière "psy", ils attribuent trop souvent à d'autres leurs propres préjugés sous prétexte d'en "guérir" les autres).

Secundo, "prendre connaissance de ses droits et se les approprier", cela suppose aussi et tout d'abord d'être capable de les comprendre ainsi que les devoirs qu'ils impliquent, et d'être capable d'en user ensuite avec discernement. Nos défenseurs des droits auraient-ils donc oublié que si les malades psychiatriques sont hospitalisés et traités, parfois même contre leur gré, c'est parce que leurs capacités de compréhension sont détériorées, parce que leur discernement et leur jugement sont soit "abolis", soit "atténués" du fait de leur affection?
Ceux qui, alors, suggèrent aux malades de "porter un regard critique sur certaines pratiques" seraient certainement mieux inspirés si, justement, ils s'avisaient de balayer au préalable devant leur propre porte en suivant eux-mêmes les conseils qu'ils prodiguent si généreusement aux autres (mais ils ne semblent guère capables, eux non plus, d'en prendre conscience, quoiqu'ils ne soient pas "malades").

Tertio, "Certains patients ont peu d'information sur leur traitement ou se voient refuser l'accès au dossier médical..."; "certains" ne nous renseigne aucunement sur l'importance numérique de ces patients "laissés dans l'ignorance", et ce flou artistique enveloppe aussi le nombre et l'état mental des malades auxquels l'accès à leur dossier médical aurait été refusé malgré leur demande. Nos défenseurs des droits auraient-ils jugé inutile de les recenser, auraient-ils renoncé à l'audition de tous les malades, préférant se fier à des sondages ponctuels soigneusement choisis pour leur "représentativité" (ou la facilité?) au sein de la population des hospitalisés? Est-ce la raison pour laquelle on ne parle surtout pas de chiffres?

Nos vertueux gardiens des droits font un bien grand cas du dossier médical psychiatrique! S'ils savaient en quoi il consiste habituellement! S'ils pouvaient comparer (une majorité de) ces dossiers - tels que les médecins belges, s'ils sont curieux, peuvent les lire chez nous - avec les dossiers médicaux bien tenus de malades atteints d'autres affections ("somatiques"), ils tiendraient peut-être un autre langage! Sans même avoir accès à pareils dossiers médicaux psychiatriques, il leur suffirait peut-être d'y réfléchir un peu (serait-ce si difficile?) pour comprendre que le dossier médical psychiatrique d'un patient ne peut avoir qu'un intérêt réduit, et ce pour le(s) seul(s) psychiatre(s) traitant(s) (et encore faudrait-il que, toujours, ce "dossier" soit correctement et régulièrement mis à jour...).
Car, habituellement, le dossier médical psychiatrique, que contient-il presque exclusivement? Il résume les appréciations, les impressions et les interprétations subjectives que le psychiatre retient de ses "entretiens" avec le malade. Quel bénéfice pourrait-on espérer que le malade (ou même son représentant) retire de la lecture de ces notes? Il y a gros à parier qu'il n'éprouverait que de la colère en prenant connaissance de ce qu'il ne pourrait interpréter que comme "ce que le psychiatre pense de lui", et on peut admettre que, de son point de vue, cette colère serait généralement tout à fait compréhensible.

Il faut en effet à nouveau rappeler une évidence que tous nos "professionnels de la santé mentale" semblent ne pas parvenir à entendre ni à sentir (et pourtant, depuis le temps qu'ils ont le nez dessus!): les malades ne parlent pas et ne comprennent pas le même langage qu'eux (notre "théorie de l'esprit" et la leur ne correspondent pas). Jusqu'à présent et quoi que puissent prétendre de nombreux "psys", aucun dictionnaire fiable à doubles entrées (ce que certains d'entre eux appellent "l'intersubjectivité par la parole", parce qu'ils trouvent que cela "fait bien") n'a pu être mis au point à l'usage des malades psychiatriques "dialoguant avec le psy", que ce soit par des prénommés Sigmund ou par d'autres. Par conséquent, parler de "dialogue" et de "partenariat" entre "soignant" et "soigné" dans ces conditions, cela me paraît l'expression d'une sorte de profession de foi, d'une théologie utopiste pratiquée par des rêveurs prenant leurs rêves pour la réalité, ou peut-être ce discours traduit-il plus simplement un recours facile aux slogans creux et purement publicitaires.

Quarto: dire que "la loi a été un peu trop pensée autour d'une table,..., elle n'a pas émané de la base...", c'est tout simplement afficher: et son ignorance en matière d'éducation civique, et son incompréhension des affections psychiatriques. En Belgique comme dans la plupart des pays démocratiques, aucune loi jamais "n'émane de la base"! Les lois sont proposées par les membres du gouvernement ou par des parlementaires (les élus du peuple, qui s'entourent des avis d' "experts professionnels" indispensables) et, après examen et éventuels amendements par les parlementaires, elles sont finalement adoptées (ou rejetées) par le pouvoir législatif. C'est, en principe, ce qu'on enseigne à tous les écoliers... qui devraient donc savoir qu'à la différence de la psychiatrie telle que certains chez nous peut-être se la représentent et la pratiquent, la loi ne se "pense" pas simplement autour d'une table (et la psychiatrie ne le devrait pas plus).

Quinto: "Faire grand cas des pathologies mentales sans se préoccuper des patients": c'est un exemple supplémentaire de phrase bien sonore mais dépourvue de sens. Il devrait tomber sous le sens de chacun que les "pathologies mentales" n'ont jamais d'existence que par l'intermédiaire de leurs victimes, mais cette évidence élémentaire ne paraît pas encore avoir été remarquée par ceux qui prétendent se charger de leur défense.
"Ces patients qui n'ont pas toujours des troubles mentaux, mais de comportement..." (sic): ceux qui parlent ainsi seraient bien en peine de justifier correctement la distinction qu'ils tentent de faire entre des "troubles mentaux" et des "troubles du comportement". Cette distinction psychiatrique ne tient pas ici. S'ils ne savent pas encore que nos comportements sont, tout comme nos pensées et nos sentiments, dictés par nos fonctions mentales, alors il est grand temps pour eux de retourner à de meilleurs cours du soir!

Ce que nos défenseurs des droits [des malades psychiatriques] devraient reconnaître de toute urgence, ce n'est pas que les droits de ces patients très particuliers que sont les patients psychiatriques sont "inappliqués au quotidien". Ils devraient d'abord admettre que, telle qu'elle a été rédigée, la loi sur les droits du patient est inapplicable aux malades psychiatriques, parce que les pathologies particulières de ceux-ci imposent des contraintes thérapeutiques et sociales entrant fatalement en conflit avec la lettre et l'esprit de cette loi (voyez Politique 2).
Les problèmes éthiques posés par le traitement des malades psychiatriques semblent n'avoir été ni abordés ni discutés par les experts médicaux qui ont conseillé le législateur. Aujourd'hui, ces problèmes d'éthique ne semblent pas non plus trop préoccuper les "défenseurs des droits" des malades, qui devraient pourtant savoir qu'une politique "des droits" ne peut en aucune façon combler une carence de politique de santé et encore moins remplacer cette dernière.


Première publication: 11 Juillet 2005 (J.D.) Dernière modification: 3 juillet 2006

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