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Les laborieuses cogitations de nos eurocrates

"C'est une raison de parler beaucoup que de penser peu."
Vauvenargues: "Réflexions et Maximes"

"Tu causes, dit Laverdure, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire."
Raymond Queneau, "Zazie dans le métro", p. 27 (Gallimard, Paris 1959)

Sur le site Web http://europa.eu.int on peut trouver, au chapitre intitulé "15.30 - Protection de la santé", le texte d'une "Résolution du Conseil de l'Union européenne", datée du 18 novembre 1999, concernant la "promotion de la santé mentale" (sic) (portant le n° d'identification 300Y0324(01) . Ce texte figurerait au "Journal officiel" n° C086 du 24/03/2000, p. 0001 - 0002 (date de "livraison": 09 octobre 2000; date de mise en ligne sur le Web : 09 juillet 2001!).

Cette "Résolution" comporte 16 points, commençant par, soit: "Rappelant", soit "Prenant acte", "Se félicite", "Reconnaît", "Considère", "Souligne", "Estime", "Invite" (les Etats membres, la Commission).
Voyons-en quelques uns.

Il aura donc fallu de novembre 1999 à juillet 2001 pour que, par l'intermédiaire d'Internet, les citoyens européens puissent profiter de ce pitoyable accouchement de "bonnes résolutions" ("décisions" qui n'en sont pas, au mieux "invites" n'ayant pas force de loi, donc n'engageant personne à quoi que ce soit), consistant en quelques médiocres lieux communs de Café du Commerce, de surcroît souvent farcis d'affirmations dépourvues de fondements solides.
Pareil document fait-il honneur à l'Europe? Renforce-t-il le respect pour les institutions européennes? Fait-il la "promotion" de la démocratie?
Veut-on faire de l'Europe un nouveau MACHIN ?

En 2003, on est irrésistiblement amené à penser que la réponse à cette dernière question doit être OUI puisqu'à nouveau, mais cette fois sous la présidence grecque de l'Union européenne de 2003, le "Conseil" a adopté des "conclusions sur la lutte contre la stigmatisation et la discrimination liées à la maladie mentale" qui ne sont en rien plus vraisemblables, plus effectives, plus concrètes, ni surtout plus utiles que ce dont nos eurocrates avaient déjà laborieusement accouché précédemment, comme dit ci-dessus (voyez http://europa.eu.int/ - PDF - 274 K)


ET LE RONRON CONTINUE! (imperturbablement, comme en provenance d'une lointaine Olympe satisfaite de soi, mais sourde et aveugle à ce qui se passe réellement sur la terre des mortels...)

Les considérations qui suivent auraient tout aussi bien pu figurer à la suite de l'article "New-Age". Si elles ont été placées arbitrairement ici, cela ne doit cependant pas empêcher le visiteur de les remettre en perspective en allant voir (dans New-Age) ce que nous disions des mélopées et autres turlutaines entonnées en choeur depuis des années déjà par nos ministres, députés et fonctionnaires belges et européens à propos des "plans d'action", des "actions", que celles-ci soient seulement "envisagées" ou seulement "projetées", etc., etc., de l'Union Européenne dans le domaine de ce qu'ils appellent la "Santé Mentale" (sans toutefois connaître cette dernière ni vraiment comprendre en quoi elle devrait consister).

Sur le site web de l'Union européenne (voyez ici), le ton, l'attitude "philosophique" et la connaissance (approfondie? la compétence?) du sujet par les rédacteurs des textes sautent aux yeux dans toute leur éblouissante splendeur et montrent qu'en 2005, on n'a toujours pas fort progressé intellectuellement:
"Les étroites relations qui unissent la santé mentale et la santé physique sont de mieux en mieux connues: par exemple, les maux de dos sont souvent la conséquence de troubles mentaux; quant à la dépression, elle représente un facteur de risque des maladies cardiaques. [...] etc., etc."
(Soit dit en passant, ceux qui, aujourd'hui, continuent à répandre de façon irresponsable la croyance selon laquelle "les maux de dos sont souvent la conséquence de troubles mentaux", et autres stupidités, feraient bien de s'instruire à de meilleures sources que celles qu'ils semblent habituellement consulter! (pourquoi pas l'excellent article de Ellen Goudsmit, par exemple?).

Sans doute soucieux aussi de faire admirer leur zèle et leur efficacité (?) aux citoyens européens, nos experts européens de la santé ont de plus accouché (et mis en ligne sur le web vers le 14/10/2005) de ce qu'ils dénomment un "Livre vert" (PDF, 914 KB), long de 26 pages, dont la vocation annoncée en sous-titre est de nous informer du travail à quoi nos eurocrates intellos de la santé prétendent passer leur temps: "Améliorer la santé mentale de la population: vers une stratégie sur la santé mentale pour l'Union européenne" (sic, et souligné par moi).
Comme bien souvent en ce qui concerne les nombreux "documents" encombrant le labyrinthe - difficilement navigable - du site www.eu.int, les rédacteurs de cette anthologie d'idées reçues, de lieux communs et d'annonces d'intentions hypothétiques, semblent avoir préféré garder (par modestie?) un prudent anonymat collectif plutôt que d'assumer nommément en signant, la responsabilité de leur prose (disponible tant en "français" qu'en "anglais", mais qui ne vaut guère mieux dans l'un de leurs baragouins que dans l'autre). Après lecture, on comprend pourquoi. Nous nous permettons de suggérer aux visiteurs de mens-sana, éventuellement curieux des réalisations concrètes en "Santé mentale" de l'Union européenne (très imaginatives quoique plutôt administrativement imaginaires et, de ce fait, en tous points dignes d'admiration virtuelle?), de s'armer de courage et de patience avant de s'attaquer à la lecture de cette très édifiante entreprise de fort médiocre mais pure publicité de type "électoral".

Dès l'introduction de ce "Livre vert" (ainsi appelé par volonté d'analogie avec une certaine écologie? Ou parce que vert "symboliserait" l'espoir?), on affirme: "La santé mentale de la population européenne est l'un des moyens d'atteindre quelques-uns des objectifs stratégiques de l'Union européenne: le retour de l'Europe sur la voie de la prospérité durable, la concrétisation des engagements de l'Union en faveur de la solidarité et de la justice sociale, ou encore, l'amélioration tangible et concrète de la qualité de la vie des citoyens européens." (souligné par moi).

On peut y lire aussi: "La santé mentale, la mauvaise santé mentale et leurs déterminants
L'OMS définit la santé mentale comme 'un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté'.
La mauvaise santé mentale englobe les troubles mentaux et la psychasthénie, les dysfonctionnements associés au stress, les symptômes de démence et les démences susceptibles de faire l'objet d'un diagnostic, telles que la schizophrénie ou la dépression
[sic]. L'état mental [qu'entendent-ils par là? - ndlr] d'un individu est déterminé par une multiplicité de facteurs dont des facteurs biologiques (par exemple le sexe ou la génétique) [qu'entendent-ils par là? - ndlr], personnels (par exemple la vie privée), familiales et sociales (par exemple l'accompagnement social) [qu'entendent-ils par là? - ndlr], ou encore économiques et existentiels (par exemple, le statut social et les conditions d'existence) [qu'entendent-ils par là? - ndlr].", etc., etc.

Nos eurocrates de la santé mentale continuent donc de mélanger allègrement psychologie et maladies mentales, sans jamais comprendre ce qui distingue la première des secondes. Ils parlent aussi de "démences susceptibles de faire l'objet d'un diagnostic, telles que la schizophrénie ou la dépression", affichant ainsi avec une belle inconscience leur ignorance (leur incompétence) et, par conséquent et tout autant, leur désinvolture voire le mépris dans lequel ils semblent tenir, non seulement leurs éventuels lecteurs, mais sans doute aussi ceux pour qui ils devraient "oeuvrer".

Ils disent que "la santé mentale" serait "un des moyens d'atteindre quelques-uns des objectifs stratégiques de l'Union européenne...". Si c'est vraiment cela qu'ils croient penser, ils devraient sérieusement envisager de se faire soigner, car ils marchent sur la tête: la "bonne santé mentale" n'est jamais un "moyen", c'est évidemment un but et ce but devrait obtenir la priorité sur tous les autres. Et ce but, c'est une des conditions nécessaires préalables qui, si elle est remplie, rend éventuellement possible la poursuite des "objectifs stratégiques" grandioses dont parlent nos eurocrates penseurs. Ceux qui ne sont pas capables de comprendre cela méritent à coup sûr qu'on s'interroge sérieusement sur la maturité de leurs fonctions mentales. Ceux-là perdent aujourd'hui le temps des citoyens, ils dilapident leurs ressources et celles qui pourraient être destinées à aider nos malades, et à quoi donc? A pondre des "comptes rendus", à concocter de multiples "rapports d'activité" (de bavardages stériles), à organiser à grand frais des réunions, à commanditer des études et des enquêtes prétendument "scientifiques" mais creuses dont le seul résultat concret est, en dernière analyse, de contribuer à la déforestation de notre planète.

Pour résumer l' "activité" de nos eurocrates de la santé mentale, leur "Livre vert" dit se diriger (?) ou s'orienter "vers une stratégie sur [sic] la santé mentale...". Nos eurostratèges réfléchissent à une stratégie. Ils étayent leur trentaine de pages sur des "références" qui, dans leur grande majorité, ne font, elles aussi, état que de constatations et de réflexions très platoniciennes et tout sauf pragmatiques.
Résumons à notre tour: si on rêve à une stratégie, on semble ne se préoccuper aucunement de savoir si la volonté politique existe de créer les moyens tactiques permettant de mettre cette stratégie en oeuvre: on se borne donc à tirer des plans sur la comète.
Est-ce ainsi qu'on renforcera la confiance des citoyens dans l'Union européenne? (si vous ne me croyez pas, allez donc voir en cliquant Livre Vert - PDF, 914 KB)


Première publication: 3 Janvier 2002 (J.D.) Dernière modification: 30 Janvier 2006

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