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"Les comportements ne sont pas des produits de la culture. Ce ne sont pas des artefacts créés par le langage, non plus que des entités culturelles".
Pierre Roubertoux: "Existe-t-il des gènes du comportement?", p.14. Odile Jacob, Paris, 2004. ISBN: 2-7381-1545-4

FOLKLORES

De nombreux psys (médecins ou non) jouent au "pompier-philosophe": Ils dissertent du feu. Mais les uns se bornent à contempler l'incendie et spéculent sur la nature des matériaux inflammables; d'autres pensent l'étouffer ou le noyer en l'inondant, n'importe comment. Ils réfléchissent aux diverses méthodes possibles d'extinction; d'autres encore attisent le feu et l'alimentent; tous en vivent! Quand les uns et les autres (parfois) se rencontrent sur le terrain, ils s'invectivent et en oublient de mettre les lances en batterie, ils se disputent sur les emplacements où peut-être il serait bon de déployer les échelles. Quant aux victimes humaines du feu, elles comptent peu; d'ailleurs, d'autres sans doute n'auront qu'à s'en occuper! Dans les "institutions" ou dans les rues, qu'importe à ces purs penseurs philosophant...

Pour des médecins, des psychiatres (médecins), des psychologues, des sociologues, des philosophes, des juristes, et plus encore pour tous ceux qui, se faisant passer pour intellectuels et "maîtres à penser", prétendent enseigner ces disciplines et parfois les exercent, ne se baser aveuglément que sur l'une ou l'autre idéologie ou rêverie dénuée de fondement démontré, c'est trahir leur fonction, c'est abuser de leurs rôles social et humanitaire qu'ils pervertissent et, les vidant de toute signification, c'est finir par les dévaloriser totalement et se discréditer.

Ils laissent transparaître leur mépris à peine voilé, non seulement des personnes en difficulté qui ont recours à eux, mais ils proclament en plus leur déni de l'intelligence de tous ceux qui seraient portés à leur faire confiance sur la foi de diplômes plus ou moins officiels et de titres à réputation plus ou moins prestigieuse.

Mais, très médiocres artistes - poètes et saltimbanques imbus d'eux-mêmes - tentant de se faire passer pour des "scientifiques", ils s'efforcent en vain de dissimuler leurs ignorances et leur impuissance face aux troubles mentaux. En effet, bien souvent, ne sachant pas eux-mêmes si leurs ignorances sont légitimes ou non, ils préfèrent ne pas se les avouer, ils sont ou deviennent incapables de les reconnaître. Ils s'aveuglent eux-mêmes et, pour maintenir ce qu'ils croient être leur "image", n'hésitent pas à tromper délibérément et grossièrement le grand public. Ils l'empêtrent sans cesse dans les astuces de langage, les sophismes, les paradoxes, les pétitions de principes, les vérités partielles, les omissions, les amalgames tendancieux, les insinuations, les faux concepts, les non sequitur, bref, les mensonges déguisés.

Mieux (pire) encore, cette élite autoproclamée, suffisante et satisfaite de soi en arrive, peut-être sans s'en rendre compte, à se nier ainsi soi-même. Les discours creux qui deviennent son unique langage et verbiage, son seul outil, cette musique dont elle s'étourdit et à quoi elle finit peut-être par elle-même attribuer du sens (et y croire!), elle suffit à l'élite pour s'imaginer "s'élever" au dessus du commun des mortels dont elle oublie qu'elle est pourtant issue, et dont elle ne se distingue en rien sinon par la haute opinion de soi qu'elle s'évertue à cultiver et à répandre. En réalité l'élite s'exclut du vulgum pecus en croyant le survoler, elle cesse d'être le prestataire de services qu'elle prétend être, elle ne rend plus service mais devient une coterie. Nécessairement, à la longue, son inefficacité de fait ne peut qu'engendrer la méfiance, souvent provoquer l'hilarité, voire inciter à la dérision. En s'obstinant à parler et faire parler de soi, ne faire que semblant d'écouter bien plus qu'elle ne s'efforce de satisfaire et d'aider vraiment sa clientèle, la caste ainsi créée se perd en vaines et interminables polémiques stériles, qui dégénèrent en schismes, elle éclate en clans et en chapelles. Ce sont les patients/clients qui font les frais de cette stérilité et d'une cacophonie dont ils ne peuvent espérer retirer aucun soulagement ni compensations, mais seulement confusion et difficultés accrues, déceptions et, finalement, rancoeurs, colères et désespoir.

Le comble de la supercherie est atteint quand certains ténors parviennent à convaincre les patients eux-mêmes de prendre publiquement parti dans ces disputes, quand d'éminents "spécialistes" réussissent à leur faire croire que les polémiques entre "professionnels" n'ont pour seul enjeu que d'améliorer le sort des malades, ces malades qui, bien souvent, ne se sentent ni ne se croient malades, mais qui pourtant ne parviennent pas à vivre comme les autres ni comme tous ceux qu'on dit "bien-portants".
Ces "grands professionnels" exploitent alors l'ignorance et la crédulité des "patients" pour les enrôler dans leur parti et combattre, avec eux, les factions "dissidentes", c'est-à-dire celles qui sont en désaccord avec la leur: ils tentent de faire croire que les échecs thérapeutiques trop évidents subis par les malades sont la faute aux autres psys, les mauvais, ceux d'en face. (Les échecs évidents sont nombreux au point qu'on n'ose désormais plus les passer sous silence, mais on ose quand même nous dire que les efforts déployés pour endiguer la "montée" des troubles mentaux ne parviennent pas à l'empêcher tout en étant efficaces!)

Certains vont même plus loin dans la récupération perfide des frustrations des patients: ils proclament que ce sont les psys qui fabriquent des malades en inventant les maladies imaginaires et inexistantes qu'ensuite ils leur prêtent (mais alors, ceux qui pensent cela, pourquoi continuent-ils à prétendre enseigner et à pratiquer la psychiatrie?)
Rien de tel que la confusion générale pour entretenir, accroître et fidéliser la patientèle des uns et des autres, dont les seuls clients toujours satisfaits ne seront que ceux qui, dès le départ, auraient pu faire la salutaire économie d'un recours aux psys, parce qu'ils se portaient bien sans le savoir (mais, depuis, rassurez-vous, on les a détrompés!)

Quand donc un nouveau Jules Romains se manifestera-t-il, qui nous offrirait une tragi-comédie intitulée cette fois, "Knock II., ou le triomphe de la psychiatrie", par exemple? Nous en aurions bien besoin pour apporter un peu d'air frais dans l'atmosphère méphitique sciemment entretenue autour des troubles mentaux et de leurs victimes!

La diversité de la clientèle des "psys" a déjà été évoquée dans d'autres articles de ce site (v. entre autres, les fictions, politique 3). Sur ce site, on s'en tient à ceux que les psychiatres appellent les malades "psychotiques" et "chroniques" (principalement les "schizophrènes", les "dépressifs majeurs", les "bipolaires" ou "maniaco-dépressifs"): les malades atteints d'une affection très "sérieuse".

(De très nombreux autres troubles mentaux "chroniques" sont décrits et répertoriés dans les traités de psychiatrie et dans le fort décrié DSMIV, mais comme, en psychiatrie, il ne s'agit jamais que de "syndromes" [v. le dossier schizophrénie pour l'explication de ce mot] constitués du regroupement arbitraire de signes et symptômes et de leurs combinaisons et permutations, leur nombre possible n'est limité que par les règles de l'analyse combinatoire et par le nombre des fonctions mentales humaines distinctes que chaque psychologue et psychiatre est prêt à reconnaître, voire à inventer selon son imagination éventuellement surchauffée. On se gardera bien de s'aventurer à les suivre sur ce terrain de fantasmes).

Quant aux professionnels de la psychiatrie, il est possible de les répartir en trois camps principaux, dont les importances (numériques) relatives ont surtout varié dans le temps (et cela continue...) Le temps ne semblant pas s'écouler à la même vitesse partout dans le monde (ni pour tout le monde), on peut parfois en retirer l'impression (fausse) que les conceptions psychiatriques varieraient également avec la géographie et la langue, ce qui ajoute aux confusions déjà nombreuses celle des soi-disant exceptions culturelles, toutes confusions aussi parfaitement néfastes les unes et les autres (sauf, sans doute, pour justifier l'existence, par exemple, de cette nouvelle venue baptisée "ethnopsychiatrie"; mais pourquoi arrêterait-on les apparences de progrès, même (ou surtout?) si ce ne sont que des apparences?)
Mais les confusions présentent l'avantage, non négligeable pour ceux qui les créent - et qui s'en servent - , qu'elles donnent prétextes à rectifications, clarifications, récriminations et disputes, etc., etc., donc aussi à analyses, critiques et exégèses multiples qui, à leur tour, pourront faire l'objet de rencontres, confrontations, débats, "conférences de consensus" qui, toutes, soigneusement médiatisées, seront présentées sous l'étiquette parfaitement trompeuse mais très flatteuse et gratifiante d'événements "scientifiques" témoignant du "progrès de la science psychiatrique" dans l'intérêt général de l'humanité souffrante...

Les psychiatres du premier camp sont ceux que leurs détracteurs appellent les "psychiatres biologiques". Ils sont ceux qu'on pourrait aussi dénommer pratiques ou praticiens, car ils sont les seuls à "faire" quelque chose de matériel, quelque chose de réellement tangible pour combattre les troubles mentaux, ils mettent la main à la pâte, en quelque sorte. En administrant aux malades des médicaments dits "psychotropes", ils tentent d'appliquer à la psychiatrie les notions lentement, patiemment mais sûrement acquises (bien que par d'autres) en neurosciences fondamentales. Leurs efforts peuvent être méritoires et assez souvent couronnés de succès. Mais ils essuient aussi de fréquents échecs. On y reviendra plus loin.

Les efforts des "biologiques" ne se soldant souvent que par des succès seulement partiels, parfois aussi par des échecs, ils exposent ces psychiatres à de multiples critiques émises par leurs concurrents. Quelques unes de ces critiques peuvent être justifiées mais, même dans ces cas et la plupart du temps, elles se trompent de cible et elles n'ont souvent d'autre fondement que l'inertie des esprits et l'obstination dans des croyances obsolètes mais reçues de temps immémorial; parfois même, tenant plus du sarcasme que d'une critique réfléchie, elles peuvent n'être, tout banalement et simplement, que le reflet d'une certaine médiocrité et de l'acrimonie de leurs auteurs.

Le deuxième camp compte les psychiatres, psychothérapeutes et psychologues que j'appellerais contemplatifs et spéculatifs. Ils sont ceux qui proclament accorder la primauté de leurs préoccupations au "psychisme". Ils prétendent rechercher dans le "psychisme" même des patients psychotiques (dans l'histoire reconstruite de leur mémoire) les origines et les causes des anomalies de leur "psychisme". Bien entendu, ils ne peuvent manquer de toujours exhumer ces causes à coup sûr: d'abord parce que les résultats "positifs" de cette recherche sont un postulat (un dogme, une obligation) préalable, ensuite parce que leur recherche est rétrospective et, enfin, parce que l'identification de ces "causes" est laissée à l'interprétation (à l'imagination) de précisément ceux qui désirent et ont décidé de les trouver (ils "savent" d'avance qu'ils les trouveront).
Qui plus est, tout en ne disant surtout jamais ce que, pour eux, le mot "psychisme" recouvre (par hasard, ne serait-ce pas ce qu'on appelle communément "l'esprit"?), ces fervents défenseurs du "psychisme" semblent ne pas s'apercevoir que leur démarche place la cause du "psychisme" dans le "psychisme" lui-même, ce qui, soit ressuscite le vitalisme qu'on croyait pourtant définitivement enterré et fossilisé, soit nous plonge dans une théologie simpliste et d'une logique toute circulaire et absurde.

Mais nos psychiatres contemplatifs semblent peu s'embarrasser de logique car, sans paraître s'en inquiéter le moins du monde, ils écartent définitivement toute possibilité de thérapeutique effective (en effet, qui donc aujourd'hui imaginerait, sérieusement, soigner, par exemple, la surdité congénitale ou celle des imprudents qui ont abusé des décibels, uniquement par l'audition "thérapeutique" de musique cette fois discrètement feutrée, forcément nulle et non avenue pour les sourds eux-mêmes mais simulacre gratifiant pour l'imagination infantile de leurs thérapeutes "bien entendants", et pour le public crédule qu'ils parviendraient à mystifier?)

Les contemplatifs accusent leurs concurrents "biologiques" de "déni du psychisme", c'est-à-dire de déni de l'esprit. Ils prétendent que "la représentation exclusivement biologique de l'homme évacue l'existence du psychisme", et qu'ainsi "l'homme est réduit à un ordinateur et son fonctionnement à la cybernétique." (v., p. ex. E. Zarifian, 1999).
Pareilles affirmations caricaturales, manifestement partisanes, fausses de manière flagrante au point de confiner au ridicule, ne plaident guère en faveur ni de l'objectivité, ni des connaissances scientifiques supposées de ceux qui les profèrent - ici, nous ne jugeons même pas d'intelligence ni de "bonne foi" - , et on ne s'étonnera donc pas si beaucoup les ressentent comme une insulte à l'intelligence et au bon sens de tous ceux à qui elles prétendent s'adresser.
Nous préférons rappeler certaines évidences qui devraient s'imposer à tous, et qui ont été fort bien exprimées par le Prof. Dr. Antonio Damasio dans son livre "L'Erreur de Descartes" (textes repris en épigrammes dans le dossier sur la schizophrénie):

"L'âme respire par le corps, et la souffrance, qu'elle naisse dans la peau ou dans une représentation mentale, réside dans la chair."

"Ni l'angoisse ni la joie que peuvent apporter l'amour ou l'art ne sont dépréciés par la compréhension de quelques uns de la myriade des processus biologiques qui en font ce qu'ils sont. C'est précisément le contraire qui devrait être vrai: notre sentiment d'émerveillement devrait s'accentuer face aux mécanismes compliqués qui rendent possible cette magie."

La biologie et le "rationalisme matérialiste des nord-américains" (sic!) mis en cause par certains psychiatres francophones sont donc bien loin "d'évacuer l'existence du psychisme", contrairement à ce qu'affirment, pour le moins hâtivement - sans trop réfléchir - ces distingués psychiatres. La biologie est à la fois l'origine et le support obligé du vivant et de l'esprit qu'elle crée, qui l'habite et qui s'en dégage. C'est aussi pourquoi, pour les êtres de chair et de sang que nous sommes, et en dehors de toutes considérations religieuses et de théologie dont nous pensons qu'elles n'ont que faire ici, l'esprit (le "psychisme") ne peut exister et se manifester que dans le cadre de la biologie. En dehors du vivant forcément biologique (c'est un pléonasme et une tautologie), point d'esprit, point de "psychisme".

On pourrait parfois être tenté de se laisser effleurer par un soupçon: celui que beaucoup rejetteraient le rôle de la biologie parce qu'ils aimeraient surtout le bercement et la facilité des rêveries, cette passivité sans efforts qui précisément confère aux rêveries ("balançoires" ou berceuses qu'on ennoblirait en "savantes intuitions"?) la séduction de certains mirages et une fausse élégance qualifiée de poétique; par contre, ils éviteraient le fastidieux apprentissage du réel et du concret, tâche trop aride, prosaïque et exigeant d'eux une rigueur trop contraignante. Peut-être aussi, par l'emploi du seul mot "psychisme", sésame qui se suffirait à lui-même et fort opportunément expliquerait tout (sans toutefois rien expliquer), croiraient-ils pouvoir s'épargner l'étude indispensable mais sans doute devenue trop longue des neurosciences, matières trop compliquées et rebutantes pour leurs natures de poètes philosophant, fourvoyés dans ce monde terre-à-terre de la médecine moderne.

Quoi qu'il en soit des motivations qui animent les psychiatres contemplatifs et malgré leur rejet (ou seulement leur méconnaissance?) du rôle de la biologie dans le "psychisme" (et de son utilité pour l'influencer, c.à.d. les traitements), eux-mêmes sont gagnés par elle (sans toutefois l'admettre, reconnaissons-le), puisqu'ils se laissent aller à parler de phénotypes [l'expression finale visible des gènes] à propos des manifestations des affections mentales (Zarifian, ibid.), ce qui suppose nécessairement l'existence de génotypes correspondants [les groupes de gènes responsables], et cela, si ce n'est pas de la biologie...

Ils accusent aussi les tenants de la biologie de "réduire la souffrance psychique d'un être humain aux seuls symptômes qui la rendent visible aux autres..." et ainsi à lui faire "perdre toute capacité à réfléchir sur lui-même donc à être libre..."

D'abord, la souffrance, qu'elle soit physique ou "psychique", elle est individuelle et personnelle, ressentie, vécue, intérieure et non transmissible, et son incommunicabilité vaut pour son absence comme pour sa présence, tout comme le bien-être, ou le sentiment du bonheur, ou la béatitude ne peuvent, eux non plus, ni se prêter ni se transmettre; tout le monde sait cela depuis bien avant que les psys ne s'en mêlent et, selon toutes apparences, beaucoup mieux qu'eux! Qu'ils ne viennent pas nous dire que la souffrance des autres leur serait visible! Cette souffrance nécessairement intérieure (encore un pléonasme!), on ne peut tout au plus que tenter de se l'imaginer, se la représenter, ou encore tenter de se souvenir de sa propre souffrance passée; on ne saurait cependant jamais affirmer que cette représentation ou ce souvenir serait en quoi que ce soit comparable à la souffrance ("visible"?) de l'autre. Faut-il être psy pour ignorer cela?

Ensuite, faut-il être psy et se prétendre "philosophe" pour oser dire et écrire que la "souffrance psychique" des psychotiques laisse à leurs victimes l'entière liberté, "toute capacité" de réfléchir sur elles-mêmes? A ceux-là, on serait tenté de "ne pas envoyer dire", en effet, le très américain, très rationaliste mais aussi très universel et inévitable conseil que s'attire chaque écolier négligent ou paresseux: "do your homework, Mac!" Ce qui, en français, traduit assez librement, donnerait: "déconne pas, rentre donc plutôt chez toi faire tes devoirs et réviser tes leçons, mec!"

D'avoir écumé une abondante littérature "psy", l'impression recueillie qui s'impose avec force est que, en général, les seuls psys parvenant à s'abstenir de proférer des non-sens sur les affections mentales graves sont ceux dont des proches ou des êtres aimés sont ou ont été victimes de ces affections. Eux seuls semblent savoir vraiment de quoi ils parlent.

C'est à juste titre que les psys "contemplatifs" reprochent aux psys "biologiques" leurs erreurs thérapeutiques. Ils ont tort cependant quand ils rendent responsable de ces erreurs l'approche thérapeutique biologique dans son ensemble (ce qu'ils appellent "le tout biologique") et accusent leurs concurrents d'incompétence et d'ignorance du "psychisme".
Par la même occasion ils dévoilent leurs propres lacunes qui sont immenses et difficilement pardonnables, car elles trahissent le refus délibéré d'acquérir les bases indispensables à l'exercice effectif et efficace du métier qu'ils prétendent pratiquer: soigner, soulager, si possible guérir. Ils ne reconnaissent pas lâcher la proie pour l'ombre, mais ils ont décidé que l'ombre est plus à leur portée et ils la peuplent de fantômes qu'ils se font forts d'exorciser plus aisément.

S'il arrive effectivement à des "psys biologiques" de donner des doses trop élevées de médicaments trop nombreux ou multiples, s'ils tâtonnent et en changent trop souvent, c'est, à la fois, parce que les neurosciences ne progressent que lentement et sont encore dans l'enfance, et parce que ce qu'on en sait ou devrait savoir n'est que fort mal assimilé par la plupart de nos psys, même "biologiques" (peut-être les neurosciences leur seraient-elles mal enseignées?)
Mais aussi ces neurosciences sont-elles totalement négligées, voire ignorées ou même méprisées des "psys contemplatifs", dont on a pu très justement dire qu'ils pratiquent une "psychiatrie sans cerveau". Ils osent parfois dire ouvertement que la connaissance des neurosciences ne leur sert à rien dans leur métier (v. mots de psys), mais ont-ils jamais voulu vraiment essayer de s'y intéresser? Ou bien y ont-ils d'avance renoncé après avoir décidé qu'à l'impossible aucun psy ne devrait être tenu?

De nombreux psys "biologiques" se laissant malgré eux influencer par cette tradition bien connue de paresse intellectuelle, ils éprouvent beaucoup de mal à se dégager des brumes [pseudo-] philosophiques entretenues depuis trop longtemps par leurs confrères contemplatifs; ils n'éprouvent pas encore assez le besoin de connaître et comprendre le cerveau. Par conséquent, beaucoup d'entre eux confondent encore structure, fonctionnement et rôles du cerveau, pourtant extraordinaires et uniques, avec ceux d'un foie, d'une rate, ou d'un autre morceau quelconque de notre méprisable carcasse humaine. D'où l'incompréhension de la "pharmacologie du cerveau" et l'usage inadéquat des médicaments, ce dont s'emparent avidement les contemplatifs, qui semblent pourtant y comprendre encore moins qu'eux.
Mais cela est en train de changer, même si les "psys biologiques" apprennent trop lentement encore. Mais eux, au moins, ils tentent pratiquement de vrais traitements. Inévitablement, ils se tromperont encore, c'est bien sûr regrettable, mais ces erreurs deviendront de plus en plus rares, et eux au moins, ils ne se cantonnent pas dans d'illusoires rituels magiques destinés à distraire les superstitieux et les crédules.

Reste le troisième camp. C'est celui de certains psys - ils se disent tels! - et de soi-disant défenseurs des droits civiques plus démagogiques encore que tous les autres (www.antipsychiatry.org, www.szasz.com): ils sont ceux qui, souvent renégats d'un autre camp, tentent de rallier à eux tous les déçus des deux camps précédents; ils sont ceux qui, par leurs raisonnements spécieux, leurs dénigrements démagogiques et leur mauvaise foi, s'efforcent de récupérer à leur profit tous ceux, malades ou non, qui ont souffert de l'inefficacité, des erreurs et des échecs des deux premiers camps déjà évoqués, en exploitant de façon inqualifiable et inexcusable leurs souffrances et surtout leurs rancunes bien compréhensibles, en profitant de leur fragilité, de leur prédisposition naturelle à la paranoia qu'ils exacerbent et ensuite entretiennent.

Certains d'entre eux disent qu'une maladie, c'est nécessairement de nature physique, et que le mot mental signifie non physique; par conséquent, selon eux, le terme de "maladies mentales" est un non-sens; par conséquent aussi, toujours selon eux, les maladies mentales, cela n'existerait pas (cherchez les deux erreurs élémentaires: dans les prémisses et dans la logique!)
Peu pressés (peu curieux?) de se tenir au courant des connaissances scientifiques actuelles (seraient-ils désireux de les connaître et d'en comprendre la portée, en seraient-ils capables pour autant?), ils prétendent, contre toute évidence, contre vents et marées, que ce qu'ils appellent les "maladies mentales inexistantes" ne comporterait pas d'altérations physiques détectables, qu'il ne s'agit donc que de maladies inventées pour justifier les reproches que la société adresse aux comportements qui ne lui conviennent pas mais qu'elle répugne à sanctionner (punir).

Certains d'entre eux affirment: 'La notion selon laquelle les familles font nécessairement ce qui est le mieux pour "ceux qu'elle aime" n'est qu'un mythe (les guillemets doubles sont d'origine!), car la plupart des personnes qui doivent subir un traitement psychiatrique forcé y ont été contraintes par des membres de leur famille.'
Voilà un flagrant exemple de mensonge très pervers! De manière inqualifiable, il exploite la fragilité de certains malades. Il suscite la paranoïa si elle n'existait pas encore, il l'entretient ensuite! Ce qu'ici, très hypocritement, on se garde bien de dire, c'est qu'une majorité des malades graves ne sont pas conscients de leurs problèmes pourtant bien réels, qu'ils ne vont donc pas consulter de leur propre mouvement, et que ce sont donc les familles qui, face au désastre et en désespoir de cause, doivent prendre les choses en main. Admettons, à la rigueur, que peut-être elles ne feraient pas toujours ni d'emblée "ce qui est le mieux pour ceux qu'elles aiment", mais elles s'efforcent toujours de faire ce que des "professionnels reconnus" leur disent être le mieux pour ceux qu'elles aiment. Que pourraient-elles faire d'autre? Toutes les familles de malades psychotiques chroniques savent bien cela. Seule la maladie empêche la plupart des malades eux-mêmes de se rendre compte de cette vérité, mais leurs "dévoués défenseurs" qui ne peuvent pourtant l'ignorer, eux s'abstiennent soigneusement de le reconnaître. Et si ces preux chevaliers, qui s'affichent défenseurs de la veuve et de l'orphelin, ont, en plus, l'impudence de reprendre à leur compte la vieille question "Cui bono?" (à qui cela profite-t-il?), cela ne peut être que pour prendre les devants et éviter ainsi de se la voir poser à eux-mêmes.

Certains de ces médicastres nous disent que tous les médicaments employés par les psys "biologiques" sont mauvais et détruisent le cerveau. C'est vrai aussi de l'eau du robinet et de l'oxygène de l'air.
Ils ne disent surtout pas que les accidents n'arrivent que par la faute de ceux (encore trop nombreux, malheureusement) qui ne connaissent ni ne comprennent l'usage correct de ces substances et s'en servent comme des apprentis cuisiniers assaisonneraient un mauvais potage: Pas assez de goût? Trop de sel? Rajoutons donc un peu de sucre ou de poivre, peut-être du glutamate, à tout hasard, pour voir, peut-être le goût sera-t-il meilleur, déjà même avant que tous les ingrédients rajoutés se soient bien mélangés...
Surtout, ils ne disent pas non plus que, comme beaucoup de malades en ont pourtant déjà témoigné, sans ces détestables médicaments, le sort d'un grand nombre de malades serait encore bien pire qu'il n'est actuellement.

Ils disent aussi que les malades (mais existent-ils, si leurs maladies n'existent pas?) sont des citoyens comme les autres, et c'est évident si on entend par là qu'ils sont des citoyens à part entière. Malheureusement, s'ils sont bien des citoyens à part entière, ils ne sont pourtant pas tout à fait comme les autres, eux-mêmes en conviennent souvent. Mais cela non plus, les médicastres ne le mentionnent surtout pas: n'effarouchons pas la clientèle potentielle!

Pour ces pseudo-défenseurs des droits civiques et des libertés, et pour certains avocats sophistes au dévouement peut-être moins désintéressé qu'il n'y paraît à première vue, ces malades-non-malades seraient aussi libres et aussi responsables de leurs actes que n'importe quel citoyen "ayant toute sa tête".
Ces malades-non-malades, ces "protégés" qu'ils s'approprient d'autorité, dont ils s'arrogent la protection au nom d'une compétence que sans doute ils croient innée mais dont ils n'ont manifestement pas hérité, pas plus qu'ils ne se seraient donné de mal pour l'acquérir réellement, les juristes/médicastres les imaginent disposant pleinement de la capacité et donc du droit, comme tout citoyen sensé ("sain d'esprit"), de refuser les traitements même si cela devait éventuellement les conduire au suicide (et ils font du droit des malades au suicide un droit civique); si ces "faux malades" commettent des actes répréhensibles, ils devraient donc, comme tout un chacun, en assumer toute la responsabilité et en subir toutes les conséquences: en fait et selon cette logique, ils ne pourraient donc jamais être des malades, mais seraient des "inadaptés gênants pour l'Ordre des Familles et de la Société", voire des délinquants et des criminels potentiels.

Circulez! Y a rien à voir! Les maladies mentales n'existant pas, les malades mentaux par conséquent non plus. Il n'est donc pas nécessaire ni même utile de prévoir ni de proposer de traitements ni de soins, et les psys médicastres de ce troisième camp n'y penseraient même pas! (Posent-ils toujours leur chapeau ainsi, directement sur leurs épaules?)
Leur logique est celle de ce vieux piège bien connu des logiciens: Socrate dit que tous les athéniens sont menteurs. Or, Socrate est un athénien; donc...

Actuellement, les différents camps de psys se comportent à la manière de corps de pompiers dont les équipes, envoyées sur le lieu d'un incendie, se contenteraient d'admirer le feu et, à tour de rôle, exécuteraient sur cette scène bien éclairée par les flammes, diverses représentations de pantomimes, danses folkloriques, etc. C'est à qui parviendra à se faire le plus admirer des autres artistes. Pourquoi donc éteindraient-ils le brasier? N'étant plus éclairés par ses lueurs, les acteurs non seulement ne seraient plus visibles, mais ils pourraient craindre de ne plus pouvoir s'apercevoir entre eux et se distinguer les uns des autres! Comment, alors, les jurys issus de leurs rangs pourraient-ils décerner les médailles récompensant l'excellence de la représentation des uns ou des autres? Pendant ce temps, les spectateurs redoutent avec raison que les figurants involontaires, au milieu du spectacle, finissent par rôtir.

De quelque camp qu'ils soient, il est plus que temps que tous les psys procèdent à des révisions peut-être déchirantes parfois, certainement toujours difficiles.
Tous, s'ils veulent effectivement vivre dans la société et y "tenir leur rang", si, comme ils le prétendent, ils veulent faire profession d'aider d'autres à y vivre, alors ils ne peuvent plus se contenter de ne faire de cette profession qu'un mauvais simulacre.
Ils doivent accepter de payer le prix de leur place dans la société. Il ne peut y avoir d'exception à cette règle fort générale. Comme pour toutes choses qui se payent, le prix est d'autant plus élevé que la place est "meilleure" ou plus en vue.

Quel est donc ce prix qu'ils ont à payer?

Ils doivent accepter qu'il y a un monde physique réel qui les entoure, dont ils ne se distinguent pas, car ils en font bien entièrement partie (leur esprit aussi).
Il doivent reconnaître que tous les humains sont des êtres matériels faits de chair, d'os et de sang, et que leur esprit n'est pas une chose ni un objet mais un ensemble et une succession d'actions, il est l'expression, la manifestation ultime et globale du fonctionnement de cette extraordinaire et merveilleuse machine qu'est l'ensemble de leur organisme, aboutissement temporaire d'une évolution qui a nécessité des milliers de millénaires.
Il est temps que tous ils comprennent que l'esprit ne peut exister ni se manifester en dehors du corps physique et que, de même, il n'est accessible au monde (et à l'esprit des autres) que par l'intermédiaire de ce corps bien physique.
Les psys ne peuvent plus se contenter, pour leur facilité personnelle, d'inventer eux-mêmes et à bon compte un monde imaginaire dont ils tenteront de convaincre les autres. Cela, qu'ils le laissent à ceux qui le feront mieux qu'eux: aux théologiens et aux poètes, à ceux qui n'ont pas la prétention de "guérir les âmes", mais vocation seulement de les distraire et les enchanter parfois, ou mission de les "sauver", peut-être.
Pour atteindre l'esprit qu'ils prétendent soigner et guérir, les psys doivent d'abord apprendre à connaître le corps qui lui donne naissance, ils doivent comprendre comment ce corps fonctionne et fait apparaître l'esprit. Ils doivent admettre que l'esprit ne peut profondément changer que si le corps dont il émane change, lui aussi.
Pour connaître et comprendre le corps (le cerveau), la tâche paraît interminable et extrêmement ardue. Elle suppose, de la part de ceux qui s'attellent aux neurosciences, un travail constant et acharné, une infinie patience et, surtout, beaucoup de modestie, voire d'humilité: il est tout aussi important de connaître et savoir reconnaître ses lacunes (légitimes) que de pouvoir faire état de son savoir.

Ce savoir est encore insuffisant aujourd'hui pour soigner de manière satisfaisante tous les malades mentaux. Tous les psys doivent le reconnaître et en expliquer les raisons aux profanes pour, dans la mesure du possible, leur faire prendre patience et leur faire accepter les imperfections des traitements actuels.
Les psys ne peuvent se désintéresser des conséquences sociales qui découlent des insuffisances présentes des traitements. Ils doivent collaborer étroitement avec les travailleurs sociaux, ce qui signifie que ces deux professions doivent mutuellement s'instruire et s'écouter sans se payer de mots.

La philosophie, même si elle peut parfois paraître le summum de l'abstraction, n'a de sens que si elle prend son origine dans le concret. Le concret vient donc en premier. Le sort et le bien-être des malades mentaux doivent passer avant les considérations philosophiques que leur état peut inspirer à ceux qui se chargent de les soulager. Voilà le prix à payer. Est-il trop élevé?


Première publication: 9 Août 2002 (J.D.) Dernière modification: 9 Août 2002

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