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TÂCHES TROP ONÉREUSES?
ORGANISATIONS TROP COMPLIQUÉES à METTRE EN PLACE?

Ou peut-être encore "MISSION [réputée] IMPOSSIBLE"?
(Les difficultés présentes à surmonter en premier pour vraiment débloquer les choses)

Dans les divers dossiers et articles figurant sur ce site depuis ses débuts (en 2001), je n'ai cessé d'insister sur une évidence qui commence aujourd'hui (en 2010!) à être enfin admise par la plupart des gens raisonnables: par des biologistes, par des médecins et aussi par une fraction déjà importante du grand public (et même parmi ces personnes-là du public dont souvent et avec suffisance on veut se distinguer et implicitement persuader les autres de sa propre "supériorité", et dire qu'elles seraient majoritairement "peu instruites" ou "peu cultivées" et par conséquent crédules, c.à.d. faciles à duper; d'où certains à leur tour s'autorisent de cette assertion de crédulité pour s'imaginer pouvoir en profiter et faire accepter n'importe quel discours creux à un public naïf).

L'évidence est admise aussi par des professionnels "psy" chaque jour un peu moins rares (mais combien d'entre eux sont-ils déjà bien convaincus?). Cette timide reconnaissance de l'évidence par une minorité d'experts "psys" passe pourtant presque inaperçue à côté de la notoire, persistante et nostalgique prédilection d'une majorité des membres de cette profession pour les hypothèses intuitives (ou devrait-on dire plutôt les intuitions inventives?), à cause aussi de l'imprégnation profonde de cette majorité par les mythes et légendes et spéculations pseudo-philosophico-psychologiques invérifiables qui, parfois dès l'enfance, leur ont été enseignés (inculqués est le terme qui conviendrait mieux) avec autorité et dogmatisme pendant des décennies (depuis la fin du XIXème siècle jusqu'à aujourd'hui encore). L'évidence qui tend à s'imposer enfin est cependant encore ignorée et occultée, voire délibérément bannie de leurs pratiques thérapeutiques actuelles chez beaucoup de professionnels de la "santé mentale". Chez eux, les traditionalistes, les conformistes conservateurs et autres moutons de Panurge s'obstinent aveuglément dans les anciennes certitudes inculquées auxquelles ils s'accrochent désespérément. En francophonie et pays latins entre autres, ils sont toujours bien trop nombreux en comparaison des rares praticiens qui par contre s'efforcent d'être vraiment progressistes en s'instruisant de nos acquis [plus ou moins] récents en neurosciences et qui tentent de s'en inspirer dans leur pratique quotidienne.

L'évidence dont il est question, bien que déjà rappelée et répétée à l'envi sur le présent site, mérite pourtant d'être à nouveau évoquée ici:

les troubles mentaux psychotiques sont, (désormais sans conteste), la conséquence d'altérations biochimiques et structurelles qui, atteignant notre cerveau dès avant même la naissance, l'empêchent de se construire et de se développer normalement ensuite et qui, par conséquent, rendent le cerveau devenu adulte incapable de fonctionner comme il est censé en être habituellement capable chez l'immense majorité des personnes dites bien-portantes.

Peut-être un peu plus encore que notre système immunitaire, notre cerveau est l'organe qui, dans son développement, puis dans sa structure de base une fois formée et dans les fonctions rendues possibles par cette structure, est tout à la fois le plus complexe, le plus divers et le plus hiérarchiquement structuré de tous les organes constituant notre corps. C'est par conséquent aussi la machine biologique dont les différents "rouages" et circuits aux multiples relations réciproques sont les plus intriqués, difficiles à identifier, à délimiter et à démêler les uns des autres. Bien que, de plus en plus, les innombrables pièces et "engrenages" de cette immense machine cérébrale se découvrent progressivement à nous chaque jour, les rôles précis et spécifiques joués par chacun d'eux dans les manifestations globales "visibles" du fonctionnement de la machine (en gros, la conscience, la/les mémoire(s), la pensée, les sentiments, les "états d'humeur", le comportement, qu'ils soient "normaux" ou altérés) sont encore fort loin de nous apparaître clairement.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'indispensable tâche de "déconstruction" du cerveau humain, tellement nécessaire parce qu'elle seule permettra d'en comprendre le fonctionnement (et autorisera d'espérer pouvoir le corriger ou de le suppléer s'il est défaillant), risque d'exiger des chercheurs scientifiques d'encore fort longs et patients efforts. Personne aujourd'hui ne peut dire combien d'années devront s'écouler encore avant que cette immense tâche soit menée à son terme.

Par conséquent, si l'on voulait aujourd'hui vraiment appliquer et faire respecter les élémentaires règles d'éthique et d'humanité qui devraient s'imposer moralement à tous, ni la société, ni les proches des malades, ni les "soignants" ne devraient se contenter d'attendre passivement que cette déconstruction du cerveau (son déchiffrement par ce qu'on appelle l'approche ascendante ou "bottom-up") soit enfin complète (achevée). Si ceux qui disent posséder le savoir et ceux qui prétendent exercer le pouvoir prenaient réellement conscience de l'urgence de leurs obligations envers ceux de leurs semblables qui croient pouvoir leur faire confiance, alors peut-être se mettrait-on, enfin! à "soigner" efficacement les malades mentaux chroniques, à les "prendre en charge" en temps utile (c.à.d. sans attendre d'improbables certitudes!), à les aider et à en prendre réellement soin dans la durée et sans interruptions.

Quoiqu'inévitablement forcés d'attendre que l'objectif sans doute lointain de connaissance scientifique suffisante du cerveau soit atteint, tous devraient néanmoins [et dès à présent, tout en espérant mieux de l'avenir!] tenter d'apporter aux malades les soins et aides rationnels qui, s'ils ne sont, de nos jours encore, que des palliatifs ne permettant pas de les guérir, leur donnent néanmoins les moyens de vivre dans une relative autonomie et de mener une existence décente qui leur soit supportable.

En principe et par la force des choses, ce sont tout d'abord les membres des familles et les proches des malades qui, dès les débuts de l'apparition de la maladie, se retrouvent en "première ligne" pour dispenser cette aide et ces soins. Mais, comme tout un chacun de nous, ils n'y sont aucunement préparés et ne sont pas formés à ces tâches nouvelles pour eux. Dans leur situation de citoyens lambda, comment d'ailleurs pourraient-ils l'être, et qui d'autre qu'eux pourrait-il l'être à leur place? Qui donc (sinon des illuminés peut-être de bonne foi mais ignorants, ou parfois des charlatans probablement intéressés, peu scrupuleux mais à coup sûr tout aussi ignorants) peut prétendre savoir [et peut-être s'être soi-même persuadé de posséder ce savoir], et par conséquent se croire capable de dire comment en permanence on se préparerait à tout l'imprévisible et à tout l'improbable possibles qui nous guettent?

Certains de ceux qui n'auraient peut-etre réfléchi à ces questions que pour la première fois, pourraient être tentés de répondre assez naïvement que, puisque les professionnels de la "santé mentale" et les psychiatres existent bien, et que les problèmes de prise en charge et de soins à apporter aux malades mentaux font partie de leurs compétences non seulement traditionnellement admises mais aussi officiellement reconnues (et ils ne manquent pas d'en revendiquer le monopole!), c'est à ces professionnels qu'il faut s'adresser et les poser.

Seulement, voilà: sans toutefois être préparées à la maladie d'un des leurs, mais toujours à cause de circonstances tout aussi naturelles et universelles qu'inévitables, seules les familles de malades peuvent connaître leur malade depuis sa naissance. C'est ce qui très naturellement les distingue des médecins "psys" qui auront peut-être à s'occuper de ce malade. De son temps déjà Montaigne disait des enseignants professionnels: "Ils connaissent bien Galien, mais nullement le malade" (Essais I, XXV). Ce constat lucide et désabusé date certes d'il y a plusieurs siècles! Mais n'est-il pas, trop souvent, d'une vérité et d'une actualité brûlantes aujourd'hui encore, et à propos cette fois non plus de nos enseignants (quoique?) mais peut-être bien de nos psychiatres, comme y fait opportunément penser la référence à Galien?

J'ai déjà dit ailleurs que "la psychose" n'est pas une chose (et il arrive parfois que des médecins psychiatres le reconnaissent aussi), on ne peut la définir ni la soigner par d'abstraites considérations philosophiques a priori (c.à.d. basées sur la seule imagination incontrôlée). Elle n'est qu'un mot galvaudé désignant et résumant, sans jamais parvenir à en décrire assez clairement le contenu, un concept très brumeux, voire indéfinissable. Mais dans le monde réel (qui n'est pas celui des concepts!), on ne rencontre en réalité que de bien concrètes personnes individuelles dites "psychotiques" dont chaque cas est particulier et sans doute unique.

Résultat de la diversité génétique (qui favorise et contribue au succès et à la continuité de l'espèce à l'échelle des temps géologiques), le caractère (la personnalité) ou l'originalité unique de chacun est le lot de tous les humains sans exceptions, qu'ils soient bien-portants ou non. Mais, en plus des bien-portants, chaque malade mental chronique a, lui aussi, en quelque sorte "en supplément", ce qu'on pourrait appeler son "originalité morbide" personnelle, tout aussi diverse et pour ainsi dire unique dans ses manifestations observables (et donc forcément, quoiqu'on veuille depuis toujours et trop souvent nous persuader du contraire, cette originalité n'est que très peu , voire pas du tout généralisable et ne peut permettre d'arbitrairement en fabriquer une catégorie psychiatrique diagnostique homogène).

Cette diversité est en même temps aussi bien une rançon qu'un bénéfice, à la fois de l'exceptionnel développement du cerveau humain et de la complexité extrême de son organisation, qui à eux deux amplifient heureusement la diversité des individus, mais aussi multiplient dangereusement les risques de fragiliser à l'extrême cette merveilleuse machine biologique.

En même temps aussi, comme il baigne dans l'océan illimité de circonstances variées et de conditions ambiantes que chacun rencontre à chaque instant de sa vie (les contingences), le cerveau humain est inévitablement forcé d'y réagir et de s'y adapter (en se modifiant: c'est alors l'épigénèse), à sa façon (c'est d'ailleurs à cela qu'il sert!), d'abord à ses propres perceptions du milieu et, ensuite, aux conséquences mêmes de ses propres réactions à ce milieu, conséquences dont il subit en retour les contrecoups. Il trahit alors en les extériorisant, mais seulement fort indirectement, - p.ex. par le comportement inapproprié dont il est le pilote obligé - son originalité intrinsèque et ses faiblesses dues à ses éventuelles fragilités "innées" particulières (bien physiques et "organiques" c.à.d. matérielles!). Ces fragilités, invisibles en elles-mêmes, demeurent enfouies au plus profond du labyrinthe organique de la machine cérébrale, elles sont dissimulées et inaccessibles bien plus encore à son hôte lui-même qu'à ses observateurs qui l'entourent.

Depuis toujours, ce sont les familles et les proches qui seuls peuvent être les témoins attentifs, permanents et au long cours, aussi bien des comportements et discours déconcertants, inquiétants voire absurdes et inadéquats de leur malade, que des circonstances et situations pourtant souvent banales dans lesquels ils surviennent. Des "psys" encore nombreux voudraient nous faire croire (faussement et sans aucune preuve démonstrative jamais fournie!) que ces circonstances et situations, ou encore de supposés "évènements" malheureux (peut-être encore à exhumer d'une mémoire qu'on prétend reconstituer?) sont la cause des "symptômes", alors que l'émotion naturellement provoquée par des circonstances fortuites ne fait seulement que fournir aux "symptômes" l'occasion de sortir de leur latence et d'ainsi devenir manifestes.

Au départ, les proches des malades ne sont pas armés pour comprendre la nature ni l'origine des "signes et symptômes" (c.à.d. leurs causes, pas les supposées "raisons" toujours mises en avant mais qui n'existent en réalité plus, car précisément, la "raison" des malades, la "raison" telle que se la représentent les bien-portants, elle a disparu en tout ou partie avec l'apparition de la maladie!). Par conséquent, les incompréhensions et malentendus s'installent entre malades et bien-portants et se transforment progressivement en affrontements d'abord verbaux, puis éventuellement physiques.

Désorienté et se trouvant désarmé, l'entourage des malades éprouve un impérieux besoin de comprendre ce qu'on sait mais aussi ce qu'on ne sait pas des causes de la maladie, tout d'abord sans doute pour se rassurer devant l'inattendu et l'incompréhensible, mais, bientôt ensuite, afin d'éviter autant que possible de créer les situations et d'adopter des attitudes qui favorisent la manifestation indésirable des conséquences de ces causes.
Il éprouve donc le besoin très naturel et légitime qu'on lui fournisse, dans un langage assez simple pour qu'il lui soit accessible, des explications rationnelles sur [tout] ce qui touche de près et de loin aux maladies mentales chroniques.

Lorsqu'on donne ces explications (ET COMMENT JUSTIFIERAIT-ON DE NE PAS LES DONNER?), on doit impérativement attirer l'attention (et insister!) sur la distinction à tracer le plus nettement possible entre ce qui est d'une part le savoir "scientifique" et logique avéré (reposant sur des preuves testables et testées, c.à.d. accessibles à la vérification/falsification expérimentale et éprouvées par elle) et ce qui, d'autre part, ne sont que des intuitions, des croyances ou des superstitions ne reposant en dernière analyse que sur la seule parole d' "autorités de notoriété" ou d'autorités réputées "morales" ou "spirituelles", autorités qui jamais pourtant ne se sont sérieusement souciées de chercher ni d'apporter les preuves empiriques de la vérité de leurs convictions ou croyances, mais qu'à force de répéter celles-ci, elles ont fini par les ériger en dogmes d'apparence respectable et définitivement tabous. (En science comme d'ailleurs en justice, on dirait qu'il faut clairement distinguer les faits objectivement observés de leurs interprétations qui, si elles peuvent éventuellement n'être pas toujours fantaisistes, cependant risquent trop souvent d'être au moins influencées, voire faussées par les préjugés des témoins qui les rapportent).

Ne pas insister sur cette nécessaire distinction entre les faits et leur interprétation (leur(s) signification(s) véritable(s) ou erronée(s) possible(s)), voire l'ignorer ou la négliger, c'est laisser le champ libre à l'accumulation de craintes et de reproches injustifiés, et aux divagations de l'imagination inquiète des familles, c'est susciter et nourrir leur éventuelle crédulité en faisant la part belle aux discours de tous les charlatans et de toutes les organisations sectaires et individus plus ou moins cupides ou intéressés, dont la principale voire la seule ambition est d'exploiter à leur profit personnel la faiblesse de personnes souvent naïves par ignorance et rendues vulnérables par le malheur et la douleur, qui ne demandent qu'à se raccrocher à la moindre lueur d'espoir qu'on leur fait entrevoir, aussi fallacieuse soit-elle.

MISSION [vraiment?] IMPOSSIBLE ?

Telle qu'elle se présente de nos jours, la distribution des protagonistes (le casting) de la tragédie des affections psychotiques peut se résumer et se schématiser à peu près comme suit:

1) D'abord viennent les malades eux-mêmes (p.ex. les "schizophrènes") dont une majorité (± 60%) sont incapables de se reconnaître malades (ou de se souvenir qu'ils sont malades assez longtemps pour en tenir compte). Les signes de l'affection, plus ou moins sévères selon les individus, se développent principalement chez les gens jeunes vers la fin de l'adolescence, c.à.d. à un âge où apparaît naturellement le besoin de s'affranchir de ses parents, d'assumer ses différences (donc aussi de se confronter à l'ordre établi et peut-être d'en contester les "normes" admises), de se former culturellement et professionnellement, de s'affirmer socialement: bref, c'est l'âge où l'on se transforme en adulte et où l'on conquiert son indépendance. Les nombreuses difficultés habituellement et très naturellement rencontrées à cet âge sont, toutes, anormalement exacerbées à l'extrême voire caricaturalement déformées par l'affection mentale. Les usuelles solutions et compromis de bons sens convenant aux bien-portants ne suffisent plus (le "bon sens" n'a plus de prise sur les malades) pour venir à bout de ces difficultés qui dégénèrent plus souvent qu'à leur tour en affrontements absurdes, se terminant bien trop souvent plus ou moins tragiquement pour les malades et pour leur entourage.
Même si, de nos jours, l'habitude s'est généralisée pour nombre de nos enfants actuels devenus "grands" de continuer à habiter chez leurs parents bien plus longtemps qu'ils ne le faisaient pendant la première moitié du siècle passé, n'oublions quand même pas que les enfants particuliers dont on parle ici, c.-à.-d. les "malades", ne sont pas des bien-portants qui n'auraient besoin d'aucune surveillance, d'aucun encadrement, n'imaginons pas qu'on pourrait tranquillement les laisser à eux-mêmes pendant que les parents seraient absents (p.ex. au boulot ou à faire les nécessaires courses quotidiennes, etc.);

2) participe aussi à cette pièce tragique l'entourage (la famille) des malades, qui ne reconnaît pas immédiatement la présence d'une affection mentale, ou qui ne l'accepte pas; la nature n'en est pas comprise, et les moyens d'atténuer les effets et de limiter les conséquences de l'affection ne sont pas connus des parents. Au bout d'un temps variable selon les cas, ils finissent par prendre conscience qu'ils doivent s'en instruire: ils font appel aux "professionnels";

3) entrent alors en scène les professionnels praticiens de la psychiatrie et de la "santé mentale" de chez nous dont beaucoup malheureusement semblent ne posséder des affections psychotiques qu'une vision toute intuitive, théorisée et systématisée, à la fois très parcellaire, arbitrairement conceptualisée et, pourrait-on dire, en quelque sorte désincarnée puisqu'elle n'est jamais apprise ni acquise qu'indirectement, à partir d'un enseignement ex cathedra ou livresque et abstrait, sans autre lien visible avec son objet ni son véritable contexte quotidien vécu que ce qu'on veut bien leur en réciter (que ce soit par l'imprimé ou dans de beaux discours);

4) dans les coulisses distantes de ce théatre, c.à.d. n'apparaissant que rarement sur la scène, les chercheurs en neurosciences s'efforcent de petit à petit et laborieusement déconstruire le cerveau en ses composantes structurelles et fonctionnelles et tentent de découvrir, aussi exactement que possible, les relations plus étroites et précises qui nécessairement existent entre les altérations de la structure cérébrale (et, par suite, du fonctionnement) avec la genèse de symptômes mieux définis et circonscrits (que jusqu'à présent). On espère ainsi pouvoir mettre au point à l'avenir des molécules médicamenteuses capables de corriger, en les ciblant mieux qu'on ne peut le faire actuellement, les mécanismes altérés conduisant à la production des symptômes.

Les acteurs sont en place, la représentation tragique peut commencer...
Les rôles attribués à chacun sont-ils bien choisis et utilement remplis?

Contrairement à ce qu'on entend encore trop souvent dire (p.ex. par des travailleurs sociaux prenant leurs désirs et ce qu'on leur enseigne pour la réalité), de nombreux malades mentaux chroniques et psychotiques ne sont que peu capables de "se prendre eux-mêmes en charge" [au moins] pendant de longues périodes, car c'est précisément leur affection qui les prive de cette capacité. Seuls les "cas" assez légers ou dits "favorables" parviennent à se maintenir dans une relative autonomie dans la durée. Ils ne sont pourtant jamais tout à fait à l'abri d'une exacerbation de leurs "symptômes" - ce que certains appellent alors improprement une "récidive" - souvent liée à leur incapacité d'anticiper la survenue, par exemple de situations à forte (pour eux) charge émotionnelle ou de surprise (ce que d'autres appellent le "stress"). Ce sont leurs capacités d'anticipation (de prévision) et d'adaptation rapide au(x) changement(s) de situations et à l'inattendu des évènements qui sont systématiquement affaiblies.
Ils éprouvent des difficultés pour organiser leur quotidien (quelques exemples triviaux: conscience et respect des horaires, les courses à faire, la vaisselle à laver et à ranger, assurer un minimum d'ordre et de propreté du ménage, etc.), et la planification de toutes les tâches est souvent très aléatoire: les obligations hebdomadaires (autres exemples triviaux: les lessives à faire, etc.) ou l'élaboration et la contrainte du respect d'un calendrier à peine plus lointain (p.ex. régler les factures mensuelles, le loyer, aller aux rendez-vous, gérer ses dépenses et leurs priorités, etc. Cette énumération est loin d'être exhaustive).

Certains affirment que les parents n'ont qu'à suppléer ces carences, puisqu'ils sont bien évidemment responsables d'avoir fait leurs enfants. Ce serait donc à eux qu'il reviendrait de soigner et d'aider leur(s) malade(s). Et, quoiqu'on dise, c'est bien ce qu'en effet ils s'efforcent de faire. Ces efforts (et leurs nombreux échecs qu'eux-mêmes préfèrent souvent passer sous silence) ne sont toutefois pas compris ni reconnus comme tels par ceux qui, dans le public en général mais aussi immédiatement autour d'eux (et aussi parmi certains "professionnels"), en discutent à perdre haleine sans jamais réfléchir sérieusement à la multitude et à l'ampleur des problèmes pratiques posés par les affections mentales chroniques.

Ce que disent ceux-là revient le plus souvent à insinuer que les parents n'auraient qu'à bénévolement se transformer en médecins, en psychiatres, en psychothérapeutes et autres soignants à temps plein, en travailleurs sociaux, pour avantageusement se substituer à ces professionnels (tout cela toutefois sans pour autant arrêter de vivre normalement, tout en continuant leurs propres activités professionnelles normales, sans aucunement rien changer de leurs habitudes sociales et train de vie).
Encore faudrait-il qu'ils puissent pour cela disposer de journées d'au moins 48 heures ou plus, pendant lesquelles, tout en acquérant les notions et compétences nécessaires à l'exercice quasi-professionnel d'hommes et femmes-orchestres de tous ces nouveaux métiers, ils devraient aussi, simultanément, les mettre effectivement en oeuvre, tout cela sans que cela n'empiète trop sur leurs activités ménagères, familiales et professionnelles habituelles; ces dernières ne pouvant être négligées en aucune manière, puisque ce sont les seules qui assurent les rentrées financières indispensables à leur subsistance et à celle de leur famille.

Quant à nos praticiens de la "Santé mentale", parfois papillonant d'un "malade" à l'autre et d'une famille à l'autre ou, plus souvent, attendant au contraire que les "malades" viennent à eux au gré des circonstances et des besoins contradictoires éprouvés par cette patientèle déboussolée, ils se font de celle-ci une image fragmentée dont ils rassemblent les éclats en une image synthétique ne correspondant en rien à chacun des patients individuels brièvement entrevus à intervalles plus ou moins longs.
Habituellement, la représentation schématique qu'ainsi ils se construisent de la "maladie" (mais pas des malades!) peut être commodément confirmée par le contenu des séminaires de "formation continue" que leur dispensent périodiquement des professionnels peut-être plus soucieux de leur propre image et de leur notoriété personnelle que de la connaissance réelle des malades dont ils ne parlent en réalité pas.
Car - et peut-être ne s'en rendent-ils pas compte -, ces "formateurs" ne parlent pas des malades, mais ils se font connaître d'un certain public en passant seulement en revue, à coups de projections de schémas, graphiques (souvent depuis longtemps controuvés et obsolètes) et autres diapositives commentés, des squelettes hypothétiques de "maladies" théoriques dont ils imaginent qu'une population "statistique" imaginaire composée de malades anonymes et inconnus peut être atteinte en général.

Entre ces "praticiens de terrain" et les chercheurs en neurosciences, il y a un important déficit de communication réciproque. Et bien que ces groupes travaillent tous deux pour un même but final qui est l'amélioration du sort des malades mentaux, ils ont tendance à employer des langages différents propres à leurs domaines particuliers et ne prennent pas le temps d'aller l'un vers l'autre.

Ce manque de communication et d'échanges véritables s'observe entre les quatre groupes de protagonistes mentionnés plus haut. Chacun de ces groupes ne connaît, ne comprend et peut-être ne s'intéresse qu'à une partie limitée (la sienne, bien sûr!) de l'ensemble des problèmes, qu'ils soient théoriques ou pratiques, médicaux ou psychologiques ou encore sociaux et économiques que posent les psychoses chroniques: problèmes posés tout d'abord, bien sûr aux malades eux-mêmes, mais aussitôt ensuite à leur entourage, et enfin à ceux qui, de près ou d'un peu moins près tentent de prendre soin des malades.
A tous ces protagonistes, le temps et les moyens semblent manquer pour combler des carences pourtant évidentes, pour s'informer utilement de ce que les autres protagonistes savent et font.

Je ne peux m'empêcher de croire qu'il devrait être possible de remédier à ces carences pour pouvoir coordonner les efforts: de savoir, de connaissance, de soins, d'amélioration de qualité de vie, tous objectifs qui nécessairement se complètent.
Je suis persuadé que c'est une question de volonté politique qui devrait aller bien au-delà des habituels clivages politiques.


Première publication: 5 Février 2010 (J.D.) Dernière modification: 5 Février 2010

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