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La plupart des psychiatres accordent-ils aux mots dont ils se servent pour leur profession les mêmes significations que celles qui ont cours dans le grand public ?
Réfléchissent-ils et raisonnent-ils toujours selon une saine et rigoureuse logique et un bon sens pratique quotidien qu'ils partageraient avec le public?

Emploient-ils les mots de "guérison", "rétablissement", "rémission", "stabilisation", "récidive", "rechute" en leur donnant les mêmes sens que ceux du langage usuel de tout le monde, ou se réfugient-ils derrière une polysémie spécialement choisie pour cultiver l'ambiguïté et ainsi mieux entretenir dans le public - et chez leurs patients - la foi et la confiance inconditionnelle en leur "savoir" ?

"A detailed evaluation of a progressive change in a patient's personality and situation, best done with help of other informants such as family members or friends, should be made before a clinical presentation and set of symptoms are confidently diagnosed as manifestation of schizophrenia. Sometimes a longitudinal assessment in a hospital is required."
P.R. McHugh & P.R. Slavney: The Perspectives of Psychiatry p. 89

("Une évaluation détaillée d'un changement progressif de la personnalité et de la situation d'un patient, obtenue de préférence avec l'aide d'autres informateurs tels que des membres de la famille ou des amis, devrait être faite avant qu'un diagnostic assuré de manifestation d'une schizophrénie, basé sur le dossier/rapport clinique et un ensemble de symptômes, puisse être avancé en confiance. Parfois, une évaluation longitudinale en milieu hospitalier s'avère nécessaire.")
(Est-ce généralement ainsi qu'habituellement les choses se passent en Belgique?)

(Ces questions méritent d'être posées: en effet les réponses qu'on y apportera devraient peut-être permettre à plus de personnes intéressées de mieux comprendre les significations véritables des discours habituellement tenus par les psychiatres - car ce sont des discours souvent ambigus - et on pourrait parfois en retirer - à tort ou à raison? - l'impression qu'ils le sont à dessein.)

Précédemment, je n'ai qu'effleuré en passant le problème que se posent certains psychiatres, qui se demandent s'il ne serait pas souhaitable: a) soit d'arrêter complètement la médication, b) soit parfois peut-être de seulement l'interrompre temporairement, c) ou encore d'au moins diminuer sensiblement la posologie des traitements par neuroleptiques chez les patients schizophrènes psychotiques une fois qu'ils seraient, selon l'expression particulière chère aux psychiatres, "entrés en rémission" consécutivement à la prise de ces médicaments, et ce même dès les débuts de l'affection, déjà lors du premier "épisode" de celle-ci.

(Certains, à mon avis plutôt téméraires, vont jusqu'à sauter le pas, et répondent par l'affirmative à cette question, interprétant hâtivement certaines de leurs observations qui les amènent à croire que l'évolution et le pronostic final de l'affection seraient souvent plus favorables dans les cas où on réduirait ou même on arrêterait les médications "antipsychotiques"; certains, à l'inverse, ce qui revient pourtant à une déduction équivalente d'une validité tout aussi douteuse, discutable et probablement erronée, disent que le pronostic à long terme serait d'autant plus défavorable que la prise d'antipsychotiques serait continue et indéfiniment prolongée - [pour comprendre l'erreur, voyez "Va-et-Vient"]).

Ces interrogations sont le reflet du souci des thérapeutes, bien compréhensible et somme toute très louable en apparence (témoignant de leurs bonnes intentions), d'épargner autant que possible à leurs malades les inconvénients des effets parasites dits "secondaires" gênants propres à tous les médicaments antipsychotiques (et que certains suspectent, voire accusent de toxicité). De plus, nombre d'entre ces thérapeutes [à mon humble avis peut-être trop] bien intentionnés [mais sans doute aussi quelque peu irréfléchis] imaginent que les éventuels effets toxiques des médicaments "antipsychotiques", toujours possibles, risquent d'autant plus de finir par se développer à la longue, dès lors que - ou parce que - les traitements pharmacologiques seraient - peut-être "inutilement"(?) - prolongés dans le temps (croyance sans doute entretenue par une analogie instinctive et "subconsciente" avec ce qu'ils ont appris, c.-à d. ce qu'on leur a enseigné, voire avec ce qu'ils ont entendu dire autour d'eux par leurs anciens, et parce qu'ils extrapolent et transposent à la psychiatrie les effets observés d'autres substances thérapeutiques ou addictives préconisées et mises en oeuvre pour des indications médicales cette fois distinctes des affections mentales, bien que ces comparaisons ne soient ni appropriées ni valables).

De nombreuses études - mais ce n'est guère ici la place de les énumérer - ont suggéré que la plupart des symptômes et signes de schizophrénie répondent mieux aux traitements par neuroleptiques, qui alors sont aussi plus facilement acceptés, si ils sont mis en oeuvre précocement. Elles ont également permis d'observer que la relative efficacité apparente de ces médicaments souvent semble diminuer au fil du temps, ou encore être moins marquée, surtout si on ne se décide à enfin les administrer qu'après avoir hésité trop longtemps à prendre la décision de les mettre en oeuvre, c'est-à dire si on a eu besoin de délais trop longs pour se résoudre à finalement poser le diagnostic d'une vraisemblable ou probable schizophrénie. Cependant, n'oublions quand même pas que ce sont là des conclusions tirées de généralisations très discutables et de statistiques globales, dont bien évidemment la globalité masque et, si on n'y prend pas garde, risque de faire oublier la réalité de la diversité des cas et la variabilité individuelle de chaque cas particulier qu'on peut être amené à rencontrer.

Il faut garder constamment à l'esprit le fait fondamental suivant très important, et rappeler à nouveau un constat reconnu aujourd'hui par la quasi totalité des professionnels de la psychiatrie: les causes (bien biologiques, c.-à d. "organiques", matérielles, physiques plutôt que "psychologiques"!) à l'origine des affections mentales chroniques et psychotiques n'étant pas encore réellement connues, on est contraint, de nos jours encore, de se résigner à n'en combattre, tant bien que mal, que les conséquences cliniques observables, c'est-à dire ce qu'on appellera les "signes" et les "symptômes". Ce qui signifie forcément que les causes encore inconnues ne sont elles-mêmes pas éliminées ni même combattues par les traitements et soins purement symptomatiques qui sont les seuls dont on dipose actuellement. C'est là une déduction logique simple, évidente et qui s'impose sans discussion ni doutes possibles à la réflexion de tout un chacun. Cette absence d'action des médicaments antipsychotiques sur les causes "premières" à l'origine des troubles psychotiques est fort lourde de conséquences pour le choix et l'organisation de la poursuite des traitements, et on ne peut échapper à ce constat ni le négliger, bien qu'on semble généralement ne pas trop s'en soucier. Et cet oubli ou cette insouciance, pour le moins quelque peu désinvoltes à première vue, me paraissent fort surprenants voire inquiétants, et mériter qu'on s'y intéresse et qu'on s'interroge sur leurs motifs. Mais combien rares sont les professionnels qui admettent ouvertement être bien conscients de ces conséquences et affirment en tenir effectivement compte en pratique (et dans leur pratique)?

Un autre fait fondamental que j'ai, lui aussi, mentionné ailleurs à plusieurs reprises, c'est que le diagnostic de la psychose se base sur des critères descriptifs (qui décident de la classification et du type de psychose à laquelle on est confronté). Le diagnostic correct, dans la mesure où cette notion peut prendre un sens simple et précis en psychiatrie, et si on veut qu'il soit raisonnablement assuré, est par conséquent nécessairement toujours rétrospectif (posé a posteriori) puisqu'il dépend de l'observation de l'évolution chronologique très variable et a priori peu prévisible des signes et symptômes.

Pour connaître et définir cette évolution, qui est un critère très important et nécessaire parmi ceux sur lesquels se basent le diagnostic et sa classification, on ne peut pas ne se fier qu'à un premier aperçu forcément sommaire et superficiel, limité au temps d'une consultation. Pourrait-on se permettre et se contenter ensuite de ne renouveler cette dernière que de temps à autre, de loin en loin, soit à chaque fois n'obtenir qu'une sorte de "cliché photographique instantané" périodiquement pris par le psychiatre, pourrait-on dire? De tels aperçus superficiels sont habituellement d'abord récoltés ou obtenus au début (?) du premier "accès ou épisode psychotique" alertant sur la possibilité d'existence de l'affection, puis ils sont répétés à intervalles variablement espacés, éventuellement selon les disponibilités de l'agenda et des diverses activités pouvant plus ou moins accaparer l'emploi du temps du professionnel "psy" auquel le "malade" s'est adressé.

Ainsi, ce qu'on pourrait appeler les différentes "variétés" ou "modalités" de schizophrénie ont toutes été très logiquement et par nécessité définies et classées d'après leurs signes et symptômes variés tels qu'ils apparaissent et fluctuent diversement en apparente intensité et en durée au fil du temps, pour évoluer avec l'âge et les circonstances de vie des malades, plus ou moins favorablement - ou non, selon les cas. Et ce sera sous forme de véritables "historiographies psychiatriques" (c.-à d. par essence des récapitulations mais forcément ce ne pourront jamais être des prédictions!), amalgamées, recombinées entre elles, reconstruites et collationnées a posteriori (c.-à d. donc des narrations "générales" conjuguées au passé) que l'on retrouvera ces descriptions et classifications dans les traités professionnels encyclopédiques ou pédagogiques de psychiatrie destinés, entre autres, aux étudiants.

N'ayant moi-même aucun désir ni la prétention de me faire passer pour psychiatre, je ne m'aventurerai pas ici sur la validité ni sur le bien-fondé ou non des diverses classifications descriptives de ces psychoses qui sans doute ne sont utiles à peu près exclusivement qu'aux psychiatres cliniciens parce qu'elles leur permettent de se mettre d'accord entre eux lorsqu'ils décrivent et discutent des cas et des traitements de leurs patients.

Pour mieux faire prendre conscience de l'importance qu'on devrait accorder aux questions qui vont suivre (et dont j'ai délibérément limité le nombre), j'éviterai de me perdre - et d'égarer le lecteur - dans une jungle de multiples descriptions particulières des nombreuses et diverses "modalités" possibles de psychoses qui, dans le présent article, auraient risqué d'être excessivement détaillées et d'inutilement alourdir et embrouiller l'exposé.
Je me bornerai donc à simplifier en ne distinguant et ne retenant ici, d'une part que les schizophrénies qui paraissent évoluer par des successions de "crises" souvent agitées, entrecoupées d'apparentes accalmies de durées variables, et d'autre part des formes de psychoses qui prennent des aspects moins chaotiques et plus "continus" et qui, bien que semblant plus calmes, peuvent être, elles aussi, plus ou moins sévères et sont au moins tout aussi handicapantes que les formes peut-être plus spectaculaires et impressionnantes par leurs épisodes "agités" s'accompagnant parfois d'actes de violence incontrôlée.

Certains des problèmes abordés ci-après avaient précédemment été très brièvement mentionnés sur ce site dans deux articles déjà anciens (voyez "Difficultés Fondamentales" et "Deux ans").

Le "psychiatre praticien", lorsqu'il reçoit dans son cabinet de consultation un client dont il constate qu'il est plus ou moins agité, plus ou moins anxieux voire paniqué, qu'il se montre plus ou moins incohérent dans ses propos peut-être absurdes ou délirants et aussi dans son comportement, qu'il "s'énerve" et peut-être se met à crier dès qu'on lui adresse la parole (ou qu'au contraire il s'enferme dans un mutisme obstiné), que pourrait-il ou devrait-il faire s'il ne parvient pas rapidement à rassurer, à calmer et à "raisonner" ce "patient", tout cela rien qu'en se contentant de l'écouter et de lui parler ?

Comment ce psychiatre ne serait-il pas tenté de recommander à ce client, pour le calmer, un anxiolytique (une benzodiazépine, p.ex.), voire d'y adjoindre le médicament neuroleptique qui lui paraîtrait sans doute indiqué ? (surtout si le patient lui-même espère et réclame que lui soit prescrit un médicament qui le soulagera!).
Qu'il lui prescrive ou non un médicament, comment le psychiatre peut-il être sûr, en le renvoyant ensuite simplement chez lui, qu'il ne lui arrivera rien de fâcheux sur son trajet du retour ?
Le psychiatre est-il vraiment assuré qu'en sortant de son cabinet de consultation, le patient se rendra bien chez le pharmacien, s'y procurera le ou les médicaments prescrits et les prendra désormais en suivant les recommandations qui s'y rapportent (celles que le psychiatre lui a sans doute griffonnées sur un feuillet de papier distinct de l'ordonnance proprement dite) ?
Même si le patient commence par prendre ses médicaments et si ceux-ci peut-être s'avèreront efficaces dans son cas, on sait d'autre part fort bien que les médicaments neuroleptiques peuvent (et c'est le cas peut-être le plus fréquent) ne commencer à faire la preuve de leur efficacité qu'après avoir été pris avec assiduité pendant plusieurs semaines (et parfois même plus!). Par contre, ils peuvent dès le début et tout d'abord produire divers effets d'emblée peu agréables, mal ressentis et encore plus mal supportés qui, on peut du moins l'espérer, s'estomperont sans doute progressivement (si la posologie n'est pas inutilement excessive). Le psychiatre peut-il avoir une totale confiance dans les assurances de son patient qui lui promet formellement qu'il aura la volonté de s'efforcer et de continuer à les prendre malgré les inconvénients que cela pourrait comporter ?

A ces premières questions qui viennent d'être formulées, on ne peut répondre qu'en recommandant de toujours prévoir et de mettre en place d'élémentaires mais indispensables mesures de précaution: on n'est en effet jamais tout à fait sûr de pouvoir prendre pour argent comptant les dires, souvent de pure complaisance ou de simple politesse, de nombreux malades qui affirment sur le moment et avec beaucoup de conviction et même de sincérité vraie qu'ils accepteront sans réserves de suivre et de respecter scrupuleusement le traitement proposé, mais qui, le moment d'après, décident tout aussi "sincèrement" de s'empresser d'oublier leur précédente promesse aussitôt que le prescripteur leur "aurait tourné le dos" (sans pour cela qu'ils pensent à se reprocher leur manque de cohérence et de sincérité qui sans doute n'apparaît pas à leur conscience). Il faudra donc, par précaution, étroitement surveiller chaque patient pour s'assurer qu'il se conforme à son traitement, et cette surveillance stricte impose, au moins dans les débuts de la mise en oeuvre de la thérapeutique, une hospitalisation permanente. De plus, seule cette hospitalisation permettra aux soignants professionnels de bien observer, sans interruptions et en toute sécurité, la réaction et l'évolution, (plus ou moins favorable ou non), des symptômes et signes pathologiques en réponse à la thérapeutique entreprise - et de peut-être moduler rapidement cette dernière en fonction des besoins peut-être impératifs ou urgents du moment. Mais le psychiatre traitant aura-t-il toujours l'autorité voulue, la constance et la longue patience indispensable pour s'employer à convaincre son client de donner son accord sincère ? Car ce genre de client est bien souvent réticent et renâcle à la perspective du nécessaire bien que peu séduisant voire inquiétant séjour (d'une durée le plus souvent prudemment laissée imprécisée, parce qu'imprécisable à l'avance!) à l'hôpital ou à la clinique (et c'est là, de sa part, une attitude que personne ne devrait éprouver trop de mal à comprendre).

Quand il se trouve devant un patient qui en est au début des manifestations "visibles" de l'affection psychotique, le "psychiatre praticien" devrait, lui aussi, être amené à se poser quelques importantes questions et peut-être devrait-il plus souvent être conscient qu'à nombre de ces questions, il n'existe pas encore de réponse(s) concluante(s) ni unanimes, ni même vraiment satisfaisante(s) fournie(s) par la recherche scientifique, pas plus d'ailleurs que par un large consensus émanant "d'experts professionnels" universellement reconnus auquel se référer et sur quoi s'appuyer.

Il devra donc s'armer et faire preuve d'un certain courage en acceptant de prendre, seul et "en âme et conscience" ses propres décisions du choix d'une thérapeutique, tout en sachant que ces décisions comportent au moins un risque: celui de n'avoir pas pris les meilleures ni même toujours les bonnes décisions. Par la suite, il pourra s'avérer (parfois? Souvent?) que ses choix n'étaient sans doute pas les bons et que, par malchance ils n'ont pas aidé, voire ils ont pu porter dommage à l'état mental de son patient, et en retarder la possible rémission escomptée du traitement. Dans cette éventualité, ces choix pourront aussi, dans l'opinion de l'entourage du patient, porter un certain préjudice à l'image du traitant professionnel lui-même, quoique ce préjudice-là ne pourrait tout au plus constituer qu'une atteinte au "ressenti" et à l'amour propre plus ou moins chatouilleux du thérapeute (ce qu'on peut toutefois estimer - ce n'est qu'une opinion toute personnelle - être moins gênant ou moins grave que le préjudice involontairement causé à son patient, et peut facilement se corriger par la pédagogie du "psy" auprès des proches - pour autant qu'il veuille bien entreprendre cette tâche chronophage qui demande beaucoup de doigté...).

On devrait cependant éviter de systématiquement prendre la trop habituelle et facile attitude générale de dénigrement de la psychiatrie consistant à ranger, comme par réflexe, pareils "choix malheureux " parmi les "erreurs de traitement" à dénoncer sans nuances. On devrait plutôt les appeler plus justement des "erreurs regrettables mais difficilement évitables", ou mieux encore des "prises de risque obligées". En effet, comme on ne peut de nos jours encore prévoir avec la moindre certitude les effets (nuls, bons, médiocres ou mauvais) de tel neuroleptique plutôt que de tel autre médicament psychotrope sur les "symptômes" d'un malade en particulier à qui on les prescrit pour la première fois, le choix qu'on fait de ces médicaments s'apparente bien plus à un pari qu'à un choix raisonné basé sur une expérience empiriquement bien établie. Et comme pour bien d'autres paris engagés en pratique psychiatrique, les chances de tomber juste ou de se tromper en faisant pareil pari devraient probablement être approximativement égales, c.-à d. d'à peu près 50/50 en %.
Tout en attendant mieux des perspectives de l'avenir, les nombreuses lacunes dont nos connaissances de la biologie fonctionnelle détaillée de notre cerveau sont aujourd'hui encore toujours littéralement criblées obligent les psychiatres à procéder "par essais et erreurs" (et à continuer à parier en espérant qu'on aura de la chance "au prochain coup" et qu'on finira par gagner le prochain pari), et elles nous obligent, nous les parents et proches de ces pauvres cobayes d'expérimentation psychiatrique que sont de fait nos malades, à nous accommoder de cette fichue incertitude.

Par deux fois déjà, j'ai utilisé ici le mot de rémission. Les psychiatres tant anglophones que francophones (et les diverses personnes s'impliquant dans les services de "Santé Mentale") se servent de ce mot quand ils parlent des épisodes pendant lesquels l'intensité apparente des symptômes survenant au cours de l'évolution de l'affection semble diminuer, les signes et symptômes peuvent même sembler disparaître. Ces atténuations, temporaires et d'une durée variable peu prévisible pour chaque cas, sont bien sûr ressenties avec soulagement par les malades eux-mêmes. De plus, elles sont considérées par leur entourage comme une véritable "amélioration de la maladie", voire interprétées comme une étape annonçant peut-être la guérison prochaine (ce dont de nombreux "psy" ont plutôt tendance à ne pas prendre l'initiative de les détromper, sans doute par compassion dite "charitable"). Les rémissions surviennent le plus souvent grâce sans doute aux neuroleptiques, mais parfois aussi spontanément, comme par hasard, c.-à d. en l'absence de toute médication antipsychotique (et dans ces derniers cas, des psychiatres affirment qu'il s'agirait plutôt de psychoses dites "cycloïdes", à meilleur pronostic que les autres types de schizophrénies).

C'est à l'occasion de pareilles rémissions que certains psychiatres voudraient tenter d'arrêter la médication antipsychotique qu'ils accusent d'être globalement défavorable au pronostic à long terme de la psychose. Mais comme je le signalais plus haut, ce n'est pas parce qu'ils sont parvenus à empêcher [une partie peut-être des] signes et symptômes de se manifester (ou, moins bien encore si l'on peut ainsi dire, s'ils ne les ont que seulement atténués), que les causes biologiques inconnues qui leur avaient donné naissance auraient elles aussi été supprimées! S'ils arrêtent précocement de combattre les signes et symptômes, les causes biologiques qui sont à leur origine n'ayant quant à elles pas été traitées sont donc toujours présentes, et les signes risquent à coup sûr de réapparaître un jour ou l'autre plus ou moins rapproché.

Comment pourrait-on croire qu'ils ne penseraient jamais à l'éventualité de ce qu'ils appellent une "récidive" ou une "rechute" ? A moins qu'ils ne veuillent eux-mêmes éviter de penser à cette trop vraisemblable et prévisible perspective, comme si la suppression des signes et symptômes devait équivaloir pour eux à l'éradication concomitante des causes de la "maladie", et comme s'il s'agissait en l'occurrence d'une sorte d'article de foi quasi-religieuse, et qu'ils s'imposaient à eux-mêmes à ce sujet une sorte de cécité volontaire pour ne pas perdre la foi en leur excellence thérapeutique? Et peut-être aussi parce qu'ils ne sont pas en mesure de prévoir la date de réapparition des signes et symptômes, ils préfèrent afficher l'optimisme et taire "charitablement" à leur patient la persistance de la menace toujours présente.
Et bien que prudemment ils s'efforcent de ne jamais prononcer le mot de guérison car on sait qu'elle est moins probable et vraisemblable que la possible récidive, ils parlent de rémission ou de rétablissement en laissant imaginer par ceux qui les écoutent - sans toutefois ni le dire ni le nier eux-mêmes! - que ces deux derniers termes pourraient bien être synonymes de guérison.
Mais le patient ne serait-il pas dès lors implicitement encouragé à croire faussement, comme certainement il ne peut que l'espérer, qu'il serait guéri? Et n'aurait-il pas là un argument lui paraissant décisif l'encourageant à abandonner enfin (!) et pour de bon sa médication antipsychotique qui depuis si longtemps rend sa vie quotidienne si terne et inintéressante? Il serait, me semble-t-il, bien plus indiqué de s'efforcer de l'en dissuader et de le convaincre d'encore prendre patience!

Mystère
... mystère (misère, aurait fort probablement ajouté un certain Michel Colucci si on avait pu le consulter à ce propos).
Ce mystère s'explique peut-être en partie par l'histoire du mot déjà très ancien de "rémission" qui, au fil du temps et selon qui s'en servait au départ et qui s'en sert de nos jours, a pris plusieurs sens différents possibles.
Pour décider du sens qu'il convient d'attribuer à ce terme quand il est employé en psychiatrie, il pourra suffire de consulter l'encyclopédie en ligne Wikipedia et de choisir, parmi les quelques domaines d'activités humaines qui figurent à l'article "rémission", celles qui s'approchent au plus près de la psychiatrie telle que nous la connaissons et selon notre expérience de ses praticiens: trois possibilités principales ont été retenues dans l'encyclopédie en ligne:
ce sont: 1) la théologie et la religion, 2) la Justice, 3) la médecine. Wikipedia: Rémission. Le choix qu'on en fera risque évidemment de varier, entre autres selon les convictions philosophiques ou religieuses et la formation professionnelle de ceux qui choisiront. Je ne vous dirai pas mon choix à moi, car je ne veux surtout pas imposer à qui que ce soit mes opinions personnelles qui peuvent bien sûr ne pas plaire à tout le monde.

Je voudrais seulement user d'une analogie très suggestive que je crois pertinente, et rappeler que, par exemple, une rémission des dettes qu'un créancier consent à son débiteur, ce n'est qu'un report à plus tard du paiement (les dettes sont "remises"), ce n'est toutefois pas "l'effacement de l'ardoise", et en général la dette ainsi "remise" subsiste néanmoins et ses intérêts éventuels continuent de courir! (tandis que la rémission des péchés du croyant obtenue par l'intercession du prêtre est censée accorder l'effacement des péchés par grâce divine ); la rémission de la schizophrénie n'est, elle, aucunement synonyme de guérison (c.-à.d. ni d' "effacement" ni de disparition de l'affection par suppression thérapeutique de sa/ses cause/s) Tout ce qu'on peut en dire c'est: "Pourvu qu'elle dure le plus longtemps possible", et par là elle me semble ressembler plus à celle accordée par le créancier à son débiteur.

Pour que la rémission dure effectivement le plus longtemps possible, par élémentaire prudence et pour respecter le fameux "principe de précaution", (ce "principe" occupant ici pour une fois une de ses rares places légitimes), le "malade" devrait continuer malgré tout de prendre régulièrement la dose minimale efficace d'entretien (celle que recommandent les guides experts internationaux) de l'antipsychotique qui permettait d'obtenir le bon résultat. On sait que, statistiquement, pareille politique retarde la survenue d'une éventuelle prochaine "récidive". Mais insistons bien: c'est là une constatation toute statistique qui ne permet pas, face à un cas individuel de psychose, de prédire de combien de temps on disposera vraiment dans ce cas avant la survenue de cette possible "récidive".

Les termes de "rétablissement" et de "stabilisation" sont, eux aussi, souvent interprétés par les proches et le public comme à peu près synonymes de guérison (parce qu'ils ne cessent d'espérer celle-ci), alors que le "rétablissement" d'une psychose peut fort bien n'être que temporaire et n'être que partiel, c.-à d. ne porter que sur une partie et non sur l'ensemble des troubles. Quant à la "stabilisation", elle n'est que le mot que les psychiatres emploient pour dire que, selon eux, les signes et symptômes heureusement semblent ne plus trop fluctuer. Mais cela signifie tout au plus que si peut-être ils ne s'aggravent plus notablement, ils ne s'amélioreront pas nécessairement non plus, on ne peut guère appeler cela une guérison.

Les psychiatres savent fort bien qu'une rémission peut ne pas se prolonger indéfiniment, mais qu'ils sont toujours incapables d'en prédire, même approximativement, la durée qui peut être brève, surtout si on interrompt trop rapidement la médication. Cette vérité, est-elle vraiment si difficile à apercevoir, à garder en mémoire et à regarder en face? Est-elle à ce point pénible à annoncer à l'entourage qu'il faille indéfiniment la taire ou la masquer derrière un discours sibyllin (voire qui ne serait finalement qu' "hypocritement ou lâchement charitable"?)

Il me semble qu'au contraire, si le malade insiste obstinément pour qu'on arrête les antipsychotiques, on devrait tenter de profiter de ses capacités de compréhension et d'émotion quelque peu restaurées à l'occasion d'une rémission , pour discuter avec lui (et son entourage) des avantages possibles mais aussi des risques encourus suite à une réduction prudente et obligatoirement très progressive de la posologie de ses médicaments. Les explications claires à ce sujet et accessibles à tous seraient fournies à tous, à cette occasion entre autres. Ce qui veut dire qu'il faudrait tenir [enfin!] à tous les "intéressés" le discours de vérité empreint de bon sens mais aussi d'empathie auquel non seulement tous ont droit, mais qui, en les motivant, puisse leur conférer une part de responsabilité qu'ils partageront désormais avec le thérapeute et qui ne pourra qu'aider ce dernier dans sa tâche.

Pourquoi les choses ne se passent-elles ainsi que trop rarement dans la pratique? Mystère, mystère.


Première publication: 21 Avril 2014 (J.D.) Dernière modification: 13 Juin 2016

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