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"In the main, errors made by psychiatric theorists are fairly obvious because, all too often, ordinary common sense was lacking when the theory was written." ("En gros, les erreurs commises par les théoriciens de la psychiatrie sont assez évidentes parce que, bien trop souvent, le bon sens commun faisait défaut au moment où la théorie était rédigée.")
[Pourtant, dans le même ouvrage, l'auteur fait-il lui-même preuve, dans ce qui suit, de ce "bon sens commun"?]:
nul"While materialism has been outstandingly successful in fields such as particle physics, molecular biology and astronomy, it has never been able to give an adequate account of the persistent notion that minds exist as immaterial entities with causal significance in the material realm." ("Alors que le materialisme s'est montré remarquablement fructueux dans des domaines tels que la physique des particules, la biologie moléculaire et l'astronomie, il n'a jamais été capable de rendre compte de manière satisfaisante de la notion persistante selon laquelle les esprits existent en tant qu'entités immatérielles [dotées] d'importance causale dans le domaine matériel.")


Niall McLaren, M.D.: Humanizing Madness. Psychiatry and the cognitive neurosciences,
pp. x & 9-10. Future Psychiatry Press - Loving Healing Press, Ann Arbor, 2007 MI 48105 ISBN- 10: 1-932690-40-9

nul "Posons d'abord comme principe que tout être humain possède un appareil psychique, c'est-à-dire un ensemble structuré et organisé qui lui permet de construire des représentations de lui-même et de ses congénères, d'utiliser ces représentations pour interagir et communiquer avec d'autres individus, de gérer les émotions et les affects qui naissent de ces interactions. Ce système a été décrit... "

Prof. Marc Jeannerod (Université Claude Bernard, Lyon), 22 novembre 2004:
"Neurosciences et psychiatrie. Attirance ou répulsion?"
(http://www.sens-public.org/spip.php?article107)

bien "Dans toutes les sciences, mais dans les sciences physiologiques plus que dans toutes les autres, on est exposé à se faire illusion sur les mots."
"...ils simplifient trop et raisonnent sur les phénomènes tels qu'ils les font dans leur esprit, mais non tels qu'ils sont dans la nature."
"Quand l'hypothèse est soumise à la méthode expérimentale, elle devient une théorie; tandis que, si elle est soumise à la logique seule, elle devient un système."
"...il faut toujours s'attacher aux phénomènes et ne voir dans le mot qu'une expression vide de sens si les phénomènes qu'il doit représenter ne sont pas déterminés ou viennent à manquer."


Claude Bernard: Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris 1865 (!)
(je suis responsable des soulignements - J.D.).

LES PIÈGES DU LANGAGE ET L'OUBLI DE LA SÉMANTIQUE
font passer à tort les mots pour les phénomènes qu'ils désignent.

C'est une erreur qui favorise la survie et encourage la persistance (la stagnation) des idées reçues, des idées fausses et des superstitions. Cette erreur freine aussi les progrès de la psychiatrie, car elle rend ses praticiens aveugles et sourds au besoin urgent et permanent d'entreprendre les changements, d'améliorer les aménagements qu'on devrait apporter, activement et concrètement plutôt que par seulement des mots, aux actuelles conditions de traitement et de vie, généralement misérables, des malades mentaux psychotiques chroniques.

Je me doute bien que ni mon peu d'estime pour les soins, les traitements et l'aide pratique (tels qu'on croit les apporter de nos jours) aux malades mentaux chroniques, ni mon opinion désabusée sur les pratiques diagnostiques et thérapeutiques de la psychiatrie (telles que pratiquées dans mon pays) n'ont pu passer inaperçus des visiteurs du site Mens Sana, eux qui, depuis bientôt sept années, ont pris la peine de lire les articles parus sur ce site. Devrais-je m'abstenir de les dire et de les écrire pour ne pas déplaire à ceux qui prétendent soigner les malades mentaux psychotiques chroniques sans toutefois jamais apporter de preuves convaincantes de l'efficacité thérapeutique dont pourtant ils se targuent?

J'ai souvent entendu des rêveurs mais aussi des dogmatiques qualifier mon scepticisme de négatif et de destructeur. Mais comment pourrais-je croire qu'on puisse jamais construire quoi que ce soit de solide et d'utile sur des fondations faites d'erreurs accumulées? Mon sentiment critique naît de la conscience que j'ai de l'énormité et de la complexité des tâches à entreprendre et à accomplir - et des connaissances à acquérir encore! - pour espérer un jour vaincre ou seulement surmonter, ne serait-ce que les conséquences des affections mentales. Mais il est aussi le reflet de mon attente beaucoup trop souvent déçue des nécessaires démarches (de recherche médicale) et des mesures (sociales) à prendre, qui seraient enfin vraiment volontaristes et se montreraient peut-être efficaces mais qui, c'est le cas de le dire, se font en effet bien trop attendre. Car, aux déjà très grandes difficultés rencontrées d'emblée pour entreprendre ces multiples tâches indispensables et les mener à bien, s'ajoutent encore (est-ce vraiment admissible?) l'aveuglement et l'inertie intellectuelle, voire parfois l'indifférence de tous ceux qui se disent à la fois penseurs et acteurs de la "santé mentale": ceux-là qui refusent obstinément - consciemment ou non - la remise en question, pourtant finalement inévitable, des croyances et convictions superstitieuses auxquelles ils se cramponnent depuis la nuit des temps (et aujourd'hui encore, désespérément).

Ces "acteurs présumés" et penseurs professionnels d'une "santé mentale" abstraite, indéfinissable, confuse et de convention toute arbitraire et artificielle, préfèrent encore toujours se complaire et s'enliser dans d'interminables gloses sur des noms qui ne sont que des mots, eux aussi mal définis: l'esprit (et "l'âme"), la conscience, par exemple. Ils insistent sur ce qu'ils jugent être bon ou mauvais pour la bonne santé (encore un mot!) de ce qu'avec une consternante irréflexion obstinée ils appellent "entités immatérielles", qu'en plus ils décrètent immortelles: entités inventées, créées par nos très lointains ancêtres, sans doute peu après qu'ils se furent enfin dressés sur leurs pattes de derrière. La plupart de nos "psys" actuels cultivent et se nourrissent de mythes dont, aujourd'hui encore, ils ne parviennent pas à admettre la nature mythique, et ils refusent de les réexaminer. Il faut donc bien qu'ils paraissent justifier ces ruminations aux yeux de leurs contemporains - et aux leurs propres - en y revenant sans cesse et en les répétant inlassablement, telle une rengaine rendue apaisante par l'habitude prise de s'en bercer, berceuse auto-hypnotique et soigneusement entretenue.

Pour penser à l'esprit, à la conscience, aux troubles mentaux, ils utilisent et ne se fient qu'à un vocabulaire consacré par un usage très ancien qui se suffit à lui-même, et à des métaphores qui passent pour des raisonnements grâce à la magie trompeuse et la séduction - ou le prestige - de leurs "beaux" mots détournés de leur sens (et qui ont en fait perdu tout sens). Les origines de ce bric-à-brac poétique et rhétorique se perdent dans la nuit des âges préhistoriques et, malheureusement, les faux raisonnements auxquels ces mots et ces mirages servent de supports et de points de départ n'ont pas vraiment évolué avec le temps, malgré l'acquisition progressive et l'accumulation de nos connaissances scientifiques plus récentes. Leurs utilisateurs ne veulent pas reconnaître qu'en plus d'être inconséquents, leurs propos sont stériles, n'apportent ni réel savoir nouveau ni progrès pratique, et ne sont certainement pas "thérapeutiques". Il leur suffirait pourtant d'ouvrir les yeux et de regarder autour d'eux pour s'apercevoir de l'inanité de leur(s) gesticulation(s) verbale(s).

Le grand public croit généralement que la psychiatrie, qu'il perçoit comme une branche de la médecine, se base sur des théories "scientifiques" (puisque la médecine se fonde sur la biologie et que cette dernière est bien "scientifique"). Cette croyance est encouragée et propagée (comment pourrait-il en être autrement?) par une majorité de nos professionnels de la psychiatrie. Mais le public, cible de ces théories, souvent se fait de "la science" une idée fausse, quelque peu hybride et surannée, qu'il imagine sous la forme d'une sorte de mélange un peu mystérieux dans lequel prédominerait une première attitude qu'on devrait qualifier d'aristotélicienne, c'est-à dire une approche philosophique contemplative, imaginative mais toute spéculative (la logique formelle pure). Dans cette représentation de la science, la deuxième part qui revient à l'attitude cette fois galiléenne plus réaliste, plus matérialiste, pragmatique, empirique et expérimentale est souvent bien plus réduite, voire ignorée de nombreux profanes.

Dans nos pays francophones et latins, de très nombreux praticiens et enseignants "psys" eux-mêmes paraissent considérer leur discipline comme un prolongement de la philosophie, ils empruntent à celle-ci ses traditions et en adoptent les méthodes de raisonnement. Ils semblent ne pas trop se soucier de savoir si, en sciences, les méthodes uniquement spéculatives empruntées à la philosophie, à elles seules et en ne partant que de concepts a priori faisant fi de la réalité matérielle pourtant déjà connue, peuvent aboutir à des conséquences pratiques (c.à d. susceptibles d'être mises utilement en pratique). En un mot, ils créent, uniquement par l'esprit, des structures et des systèmes hypothétiques qui, selon toutes apparences, ne sont basés que sur l'imagination et la seule logique, et dont l'existence réelle n'est pas vérifiable(testable) ni par l'expérience ni par la confrontation avec la réalité (et peut même être contredite par cette dernière, ce qu'ils ont souvent tendance à ignorer ou même à refuser de reconnaître).

Ces dernières années, malgré les réticences et les tendances conservatrices de nombreux "psys", l'importance de la biologie dans l'origine et le développement des affections psychotiques chroniques commence à faire son chemin dans les consciences, de même que son utilité pour leur traitement est progressivement admise. On pourrait dire qu'en quelque sorte, les sciences physiques et la biologie sont en train de remettre les spéculations philosophiques sur la nature de l'esprit de la première à la seconde place, celle qui leur revient. Cette nécessaire évolution des mentalités est malheureusement encore bien trop lente.

Un professionnel comme, par exemple, le psychiatre australien Niall McLaren (mis en exergue du présent article), se risque avec intrépidité à se distinguer de ses collègues en affirmant de manière fort iconoclaste (pour un psychiatre) que toutes les théories actuelles dites "scientifiques" sur lesquelles une majorité de "psys" tentent encore aujourd'hui d'asseoir la psychiatrie sont défectueuses et non scientifiques. Bien que je sois tenté de partager cette opinion en grande partie, car l'argumentation du Dr McLaren comporte beaucoup de points forts, je ne pense par contre pas pouvoir épouser les vues de cet auteur sur "l'esprit" - tant "normal" que "malade", ni sur ce que devrait être, d'après lui, une "bonne psychiatrie".

Car ce psychiatre de terrain croit malgré tout en l'existence "des esprits, entités immatérielles" influençant la matière, ce qui est du plus pur fantasme littéraire. Tout en semblant accorder une importance prépondérante au son des mots employés, il nous rappelle pourtant assez justement qu'on ne peut réifier l'esprit, car l'esprit, ce sont des processus se déroulant dans le cerveau qui les produit, ce n'est pas une chose. Le prix Nobel Gerald M. Edelman, partisan inconditionnel de la biologie, - c'est pourquoi sans doute le Dr McLaren prend bien soin de ne pas le citer - , avait déjà dit cela beaucoup mieux, dès 1992 (Bright Air, Brilliant Fire: On the Matter of the Mind). Mais le psychiatre australien, quant à lui, ajoute aussitôt: «Les processus peuvent accomplir des choses, sans qu'il soit besoin de la présence d'aucune chose pour ce faire. Les processus sont juste des "actions"» ("Processes can get things done without there being any thing to do the doing. Processes just are "doings", op.cit., p.110). Voilà bien le genre de sophisme "philosophique" erroné, absurde, avancé pour rejeter le rôle de la biologie, et qui nous fait retomber dans une philosophie encore plus proche de la pataphysique d'Alfred Jarry que de la philosophie même de Platon, alors qu'il serait plus indiqué de se référer à Galilée.
Tel qu'employé ici, l'argument serait aisément transposé, par exemple en physique et en mécanique: alors, on dirait de la même façon que le mouvement (la loi du mouvement) existe en soi, sans qu'aucune chose ne doive être présente pour se mouvoir et sans obligation de présence pour d'autres choses servant de repères (de référentiel). Sans doute qu'ensuite certains affirmeraient aussi que la vitesse existerait en soi? Une fois de plus et sans devoir remonter dans le temps jusqu'à Zénon d'Elée, constatons que trop de "philosophie" purement rhétorique doublée d'un rejet délibéré de la biologie (et de la réalité physique tangible!) peut à coup sûr nous conduire à des aberrations, voire sans doute à une théologie, peut-être aussi à une certaine psychiatrie. Et pareille psychiatrie ne nous apporte rien que du vent plus ou moins sonore: des mots vidés de leur sens premier sans en avoir acquis un nouveau.

L'emploi et le choix des mots par amour de leur seule sonorité en oubliant (par inadvertance ou délibérément?) leur signification, quand on s'est habitué à les utiliser sans tenir compte de leur contexte réel, autorisent alors à construire, par l'esprit, des "concepts impossibles" purement verbaux dépourvus de correspondance dans le monde physique dont nous faisons partie. Qu'est-il donc besoin d'imaginer un "appareil psychique, c'est-à-dire un ensemble structuré et organisé qui permet etc., etc." ? Car on serait bien en peine de dire en quoi consiste effectivement cet hypothétique "ensemble structuré et organisé" mais seulement imaginé qu'on décide de postuler et de poser en principe. Et aussi, en quoi ce principe nous est-il nécessaire et utile pour comprendre ce que nous appelons "l'esprit"? Ne devrait-on pas appeler plutôt ce principe de son vrai nom: une pétition de principe, et celle-ci n'est-elle pas superfétatoire, voire encombrante?
Ne serait-il pas plus simple (scientifiquement plus acceptable et respectueux du souci de parcimonie de la méthode scientifique), sans présumer d'un "appareil psychique" en quelque sorte surnaturel parce que non observable directement, de d'abord constater simplement ce que tout un chacun peut voir de ses propres yeux: tout être humain est un animal capable de se construire des représentations de lui-même et de ses congénères, d'y réagir, de s'y adapter. Pareille constatation résulte directement de l'observation.

Par contre, poser au préalable et en principe l'existence d'un "appareil psychique" insaisissable, nécessairement imaginaire et de constitution inconnue pour, ensuite, en "expliquer" les manifestations, qui elles-mêmes, justifieront à leur tour d'ajouter de nouveaux "rouages" hypothétiques au toujours aussi imaginaire "appareil psychique", c'est une démarche qui tient bien plus d'une théologie qu'elle ne s'apparente à une science (et certainement pas à de la physiologie!).

Ce n'est pas en "posant le principe" que les animaux (dont l'homme) possèdent, par exemple, un "appareil moteur, appareil structuré et organisé lui permettant de se mouvoir et d'interagir avec son milieu", et s'ils ne s'étaient que contentés de cette affirmation sans le moins du monde s'inquiéter de la nature matérielle de cet "appareil", que les physiologistes (les Huxley, Hanson et autres au siècle dernier) seraient jamais parvenus à comprendre comment les muscles sont structurés, fonctionnent et nous permettent de faire ce que nous observons qu'ils nous aident à faire.

Mais on nous parle encore toujours de "l'esprit" en nous disant qu'il consiste en la "juxtaposition d'instances virtuelles qui interagissent entre elles de façon dynamique", ce qui n'est jamais qu'une phraséologie au vocabulaire emprunté à la psychanalyse, et qui n'est que du plus pur jargon creux destiné à masquer l'ignorance qu'on se refuse à avouer. On nous parle encore d' "états mentaux", d' "états cérébraux", ce qui en fait ne veut rien dire, car ceux qui emploient ces termes ne sont pas capables de nous donner de réponse compréhensible à la question: "quelles sont donc ces choses qui prennent des états divers et variés?", question qu'on ne peut pourtant éviter de se (et de leur) poser si on ne veut pas mourir idiot.

On nous parle aussi de "hiérarchie des instances", de "désorganisation intra-psychique", de "niveaux de causalité" (Jeannerod, ibid). Mais tous ces mots ne sont en réalité jamais vraiment ni clairement définis. En fait, on observe des phénomènes qui sont les conséquences de causes inconnues qu'on invente et auxquelles, arbitrairement et pour la facilité du discours, on attribue des noms. Par là même on crée ces causes, on les réifie, on leur confère une existence factice en oubliant qu'il ne s'agit que de mots. Ces mots sont des raccourcis qui permettent de parler des phénomènes, qu'ils résument plutôt mal que bien. Et puis on se met à utiliser ces mots comme si ils étaient des choses. C'est ce que Claude Bernard appelait la scolastique... C'est ce qu'aujourd'hui on pourrait appeler tourner en rond, une longue expérience nous a montré que cela ne mène nulle part: pourquoi l'oublions-nous systématiquement?

Il n'y a pas non plus à proprement parler des "niveaux de causalité". En neurosciences et en psychiatrie, les causes et leurs conséquences s'enchaînent, forment donc des chaines. Ces chaînes s'entrecroisent, se referment sur elles-mêmes en boucles de rétroaction positive ou négative et des "réseaux d'influences" qui, dans leur ensemble, dépassent nos capacités intellectuelles individuelles d'analyse, nous obligeant, pour tenter de les décrire, à des simplifications souvent excessives qui oublient le monde physique dont elles ne se distinguent pourtant pas.

Mais il y a bien par contre des niveaux [presque] obligés de connaissance et d'ignorance qu'on refuse de reconnaître. Ils tiennent à la complexité extraordinaire de la machine cerveau et de son fonctionnement, ainsi qu'à la complexité du milieu "social" dans lequel l'individu est plongé, qui s'y surajoute, qui l'influence et à quoi il ne peut que réagir. Les innombrables relations et processus qui en résultent (le "psychisme", les comportements, etc.,) ne peuvent être embrassés dans leur totalité par une seule discipline, et encore moins par un individu à lui seul, même s'il consacre à leur étude tout son temps, sa vie entière.

"Le savoir scientifique accumulé au cours des quelque cent dernières années nous suggère que la biologie, dans toute sa stupéfiante complexité, ne diffère en rien de quoi que ce soit d'autre obéissant aux lois de la physique. La conscience devrait donc pouvoir se réaliser dans un organisme physique et, dans le cas qui nous occupe, il se fait que nous appelons cela un système biologique." ("The scientific knowledge gathered over the last hundred years or so suggests that biology, in all its amazing complexity, is no different from anything else that obeys the laws of physics. Thus it should be possible for consciousness to be implemented by a physical organism, which in our case happens to be what we call a biological system." Rodolfo Llinás: "I of the Vortex. From Neurons to Self.", p. 262. MIT Press 2002, ISBN 0-262-12233-2)

Les choses (matérielles) sans lesquelles ces processus (les reliant entre elles) ne se produiraient pas (ne pourraient exister), ce sont des molécules qui s'agencent en structures; puis ces structures à leur tour se combinent et s'organisent en cellules (pas seulement des neurones), celles-ci en organes (dont le cerveau), ces derniers se regroupent en organismes qui agissent et réagissent avec le milieu au sein duquel ils vivent, c'est-à-dire aussi avec d'autres organismes en formant, par exemple, des sociétés. Ce sont les choses (matérielles) qui, lorsqu'elles sont altérées, donnent naissance à des processus défectueux qui se répercutent ensuite sur d'autres choses (matérielles aussi), et ainsi de suite: dans les cellules (dont les neurones) d'abord, puis au sein de groupes de cellules, ce qui finit par apparaître dans les manifestations extérieures de l'activité cérébrale: le sommeil, l'attention, les émotions, la mémoire, la parole; dans la compréhension des autres: de leurs actions, de leurs intentions, de leurs sentiments et émotions, et que sais-je encore...

Tous ces "degrés" de complexité qui en quelque sorte s'empilent les uns sur les autres tout en dépendant les uns des autres sont à ce point multiples qu'ils requièrent, pour être chacun compris, les travaux de recherche de nombreux spécialistes: les biochimistes et les pharmacologues qui s'occuperont des molécules; les neuroanatomistes, neurophysiologistes, histologistes et cytologistes, etc., etc., qui s'occuperont des neurones, de leurs synapses et des "cellules de soutien" qui les entourent; les psychologues et les psychiatres qui étudieront les manifestations extérieures, finales, visibles, de toutes ces activités cellulaires invisibles parce que cachées à l'intérieur de notre corps et de notre cerveau. Et enfin, les travailleurs sociaux et les sociologues se pencheront sur les rapports des gens entre eux.

Ces nombreux professionnels utilisent, chacun dans son domaine spécialisé, des techniques de travail adaptées à l'ordre de grandeur et à la nature des phénomènes qu'ils étudient et que parfois ils tentent de manipuler. Il en va de même pour le jargon technique qui est propre à chaque spécialité, et dont les mots, s'ils sont souvent les mêmes que ceux des spécialistes des autres domaines, changent pourtant de signification d'une spécialité à l'autre. Les spécialistes d'un ordre de grandeur donné des "choses" parviennent généralement à faire la transition avec le domaine d'ordre de grandeur qui le suit ou le précède immédiatement et à s'en faire une représentation assez correcte bien qu'approximative.

Mais quand l'écart s'élargit entre ordres de grandeur étudiés, les interprétations et la compréhension mutuelles des phénomènes par les professionnels de spécialités distinctes deviennent rapidement problématiques voire fantaisistes. Par exemple, la vision d'un malade mental par le sociologue ou par le travailleur social semble n'avoir aucune relation avec celle du neuropharmacologue ou du biochimiste, et réciproquement.

Les uns, rampant au ras du sol, regardent à la loupe ce qui s'y passe sur un minuscule territoire. Ils constatent la disparition de certaines espèces végétales et animales. Les autres, depuis un satellite d'observation, scrutent les variations d'un certain nombre de paramètres des continents, des mers et de la planète entière et constatent, par exemple, des anomalies climatiques. Les descriptions fournies par les uns et par les autres sont exprimées dans des langages différents et semblent se rapporter à des mondes totalement étrangers l'un à l'autre. Et pourtant, même dans ces deux cas extrêmes, il s'agit d'évènements qui sont liés, qui appartiennent à la même planète, mais les observateurs depuis l'espace et ceux qui se trouvent à ras de terre ne se comprennent pas, donc ils s'ignorent. Par conséquent, les uns comme les autres ils interprètent leurs observations en leur imaginant, les uns des causes, les autres des conséquences, nécessairement supposées, parfois "inventées" et souvent fausses, tant les unes que les autres.

Qu'attend-on pour trouver les moyens de rassembler tous ceux qui, à divers "niveaux" de savoir et de compétences, s'impliquent plus ou moins directement dans la "santé mentale", les maladies mentales, les neurosciences? Tous, depuis les scientifiques des sciences de base jusqu'aux soignants et même jusqu'aux malades et leurs proches, en passant par les psychologues, les médecins, les psychiatres, les sociologues, les enseignants, les assistants sociaux, ils pourraient ainsi s'informer les uns les autres et se transmettre les uns aux autres un petit peu de leurs savoirs respectifs. Ils pourraient au moins en traduire les mots pour que chacun en comprenne le sens, ne serait-ce qu'approximativement. Chacun alors saurait, au moins à peu près, distinguer les rêves de la réalité, les "choses" peut-être abimées chez les malades des "actions" dont par conséquent ils ne sont plus ou seulement peu capables, et choisir à bon escient, plutôt que des simulacres et une "philosophie de l'esprit" désincarnée, les objectifs à poursuivre, les actions à entreprendre pour rendre aux malades la vie un peu moins difficile.

Sans doute pareil rassemblement des savoirs, des énergies et des bonnes volontés demanderait-il trop d'efforts de ceux qui, grâce à la philosophie qu'ils se sont personnellement forgée de l'esprit et de la psychiatrie, ont acquis des certitudes: celle surtout de tout savoir des causes et de toutes les conséquences des "maladies" mentales, et d'en faire déjà assez de par leur profession telle qu'on la conçoit aujourd'hui.

Mais comment certains peuvent-ils croire que le "voisinage entre neurosciences et psychiatrie puisse jamais être trop proche"? (http://www.sens-public.org/spip.php?article107)


Première publication: 24 Décembre 2007 (J.D.) Dernière modification: 24 Décembre 2007

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