LES PIÈGES
DU LANGAGE ET L'OUBLI DE LA SÉMANTIQUE
font passer à tort les mots pour les phénomènes
qu'ils désignent.
C'est une erreur qui favorise la survie et encourage la persistance (la
stagnation) des idées reçues, des idées fausses
et des superstitions. Cette erreur freine aussi les progrès de la psychiatrie,
car elle rend ses praticiens aveugles et sourds au besoin urgent et permanent
d'entreprendre les changements, d'améliorer les aménagements
qu'on devrait apporter, activement et concrètement
plutôt que par seulement des mots, aux actuelles conditions de traitement
et de vie, généralement misérables, des malades mentaux
psychotiques chroniques.
Je me doute bien que ni mon peu d'estime pour les soins, les traitements
et l'aide pratique (tels qu'on croit les apporter de nos jours) aux
malades mentaux chroniques, ni mon opinion désabusée sur les
pratiques diagnostiques et thérapeutiques de la psychiatrie (telles
que pratiquées dans mon pays) n'ont pu passer inaperçus
des visiteurs du site Mens Sana, eux qui, depuis bientôt sept années,
ont pris la peine de lire les articles parus sur ce site. Devrais-je m'abstenir
de les dire et de les écrire pour ne pas déplaire à ceux
qui prétendent soigner les malades mentaux psychotiques chroniques
sans toutefois jamais apporter de preuves convaincantes de l'efficacité
thérapeutique dont pourtant ils se targuent?
J'ai souvent entendu des rêveurs mais aussi des dogmatiques qualifier
mon scepticisme de négatif et de destructeur. Mais comment pourrais-je
croire qu'on puisse jamais construire quoi que ce soit de solide et d'utile
sur des fondations faites d'erreurs accumulées? Mon sentiment critique
naît de la conscience que j'ai de l'énormité et de la
complexité des tâches à entreprendre et à accomplir
- et des connaissances à acquérir encore! - pour espérer
un jour vaincre ou seulement surmonter, ne serait-ce que les conséquences
des affections mentales. Mais il est aussi le reflet de mon attente beaucoup
trop souvent déçue des nécessaires démarches (de
recherche médicale) et des mesures (sociales) à
prendre, qui seraient enfin vraiment volontaristes et se montreraient peut-être
efficaces mais qui, c'est le cas de le dire, se font en effet bien trop attendre.
Car, aux déjà très grandes difficultés rencontrées
d'emblée pour entreprendre ces multiples tâches indispensables
et les mener à bien, s'ajoutent encore (est-ce vraiment admissible?)
l'aveuglement et l'inertie intellectuelle, voire parfois l'indifférence
de tous ceux qui se disent à la fois penseurs et acteurs de la "santé
mentale": ceux-là qui refusent obstinément - consciemment
ou non - la remise en question, pourtant finalement inévitable, des
croyances et convictions superstitieuses auxquelles ils se cramponnent depuis
la nuit des temps (et aujourd'hui encore, désespérément).
Ces "acteurs présumés" et penseurs professionnels
d'une "santé mentale" abstraite, indéfinissable, confuse
et de convention toute arbitraire et artificielle, préfèrent
encore toujours se complaire et s'enliser dans d'interminables gloses sur
des noms qui ne sont que des mots, eux aussi mal
définis: l'esprit
(et "l'âme"),
la conscience, par exemple.
Ils insistent sur ce qu'ils jugent être bon ou mauvais pour la bonne
santé (encore
un mot!) de ce qu'avec une consternante irréflexion obstinée
ils appellent "entités immatérielles", qu'en
plus ils décrètent immortelles: entités inventées,
créées par nos très lointains ancêtres, sans doute
peu après qu'ils se furent enfin dressés sur leurs pattes de
derrière. La plupart de nos "psys" actuels cultivent et se
nourrissent de mythes dont, aujourd'hui encore, ils ne parviennent pas à
admettre la nature mythique, et ils refusent de les réexaminer. Il
faut donc bien qu'ils paraissent justifier ces ruminations aux yeux de leurs
contemporains - et aux leurs propres - en y revenant sans cesse et en les
répétant inlassablement, telle une rengaine rendue apaisante
par l'habitude prise de s'en bercer, berceuse auto-hypnotique et soigneusement
entretenue.
Pour penser à
l'esprit, à
la conscience, aux
troubles mentaux, ils utilisent et ne se fient qu'à un vocabulaire
consacré par un usage très ancien qui se suffit à lui-même,
et à des métaphores qui passent pour des raisonnements grâce
à la magie trompeuse et la séduction - ou le prestige - de leurs
"beaux" mots détournés de leur sens (et qui ont
en fait perdu tout sens). Les origines de ce bric-à-brac poétique
et rhétorique se perdent dans la nuit des âges préhistoriques
et, malheureusement, les faux raisonnements auxquels ces mots et ces mirages
servent de supports et de points de départ n'ont pas vraiment évolué
avec le temps, malgré l'acquisition progressive et l'accumulation de
nos connaissances scientifiques plus récentes. Leurs utilisateurs ne
veulent pas reconnaître qu'en plus d'être inconséquents,
leurs propos sont stériles, n'apportent ni réel savoir nouveau
ni progrès pratique, et ne sont certainement pas "thérapeutiques".
Il leur suffirait pourtant d'ouvrir les yeux et de regarder autour d'eux pour
s'apercevoir de l'inanité de leur(s) gesticulation(s) verbale(s).
Le grand public croit généralement que la psychiatrie, qu'il
perçoit comme une branche de la médecine, se base sur des théories
"scientifiques" (puisque la médecine se fonde sur la
biologie et que cette dernière est bien "scientifique").
Cette croyance est encouragée et propagée (comment pourrait-il
en être autrement?) par une majorité de nos professionnels
de la psychiatrie. Mais le public, cible de ces théories, souvent se
fait de "la science" une idée fausse, quelque peu hybride
et surannée, qu'il imagine sous la forme d'une sorte de mélange
un peu mystérieux dans lequel prédominerait une première
attitude qu'on devrait qualifier d'aristotélicienne, c'est-à
dire une approche philosophique contemplative, imaginative mais toute spéculative
(la logique formelle pure). Dans cette représentation de la
science, la deuxième part qui revient à l'attitude cette fois
galiléenne plus réaliste, plus matérialiste,
pragmatique, empirique et expérimentale est souvent bien plus réduite,
voire ignorée de nombreux profanes.
Dans nos pays francophones et latins, de très nombreux praticiens
et enseignants "psys" eux-mêmes paraissent considérer
leur discipline comme un prolongement de la philosophie, ils empruntent à
celle-ci ses traditions et en adoptent les méthodes de raisonnement.
Ils semblent ne pas trop se soucier de savoir si, en sciences, les méthodes
uniquement spéculatives empruntées à la philosophie,
à elles seules et en ne partant que de concepts a priori faisant
fi de la réalité matérielle pourtant déjà
connue, peuvent aboutir à des conséquences pratiques (c.à
d. susceptibles d'être mises utilement en pratique). En un mot,
ils créent, uniquement par l'esprit,
des structures et des systèmes hypothétiques qui, selon toutes
apparences, ne sont basés que sur l'imagination et la seule logique,
et dont l'existence réelle n'est pas vérifiable(testable)
ni par l'expérience ni par la confrontation avec la réalité
(et peut même être contredite par cette dernière, ce
qu'ils ont souvent tendance à ignorer ou même à refuser
de reconnaître).
Ces dernières années, malgré les réticences
et les tendances conservatrices de nombreux "psys", l'importance
de la biologie dans l'origine et le développement des affections psychotiques
chroniques commence à faire son chemin dans les consciences, de même
que son utilité pour leur traitement est progressivement admise. On
pourrait dire qu'en quelque sorte, les sciences physiques et la biologie sont
en train de remettre les spéculations philosophiques sur la nature
de l'esprit de la première à la seconde place, celle qui leur
revient. Cette nécessaire évolution des mentalités est
malheureusement encore bien trop lente.
Un professionnel comme, par exemple, le psychiatre australien Niall McLaren
(mis en exergue du présent article), se risque avec intrépidité
à se distinguer de ses collègues en affirmant de manière
fort iconoclaste (pour un psychiatre) que toutes les théories
actuelles dites "scientifiques" sur lesquelles une majorité
de "psys" tentent encore aujourd'hui d'asseoir la psychiatrie sont
défectueuses et non scientifiques. Bien que je sois tenté de
partager cette opinion en grande partie, car l'argumentation du Dr McLaren
comporte beaucoup de points forts, je ne pense par contre pas pouvoir épouser
les vues de cet auteur sur "l'esprit" - tant "normal"
que "malade", ni sur ce que devrait être, d'après lui,
une "bonne psychiatrie".
Car ce psychiatre de terrain croit malgré tout en l'existence "des
esprits, entités immatérielles" influençant
la matière, ce qui est du plus pur fantasme littéraire. Tout
en semblant accorder une importance prépondérante au son des
mots employés, il nous rappelle pourtant assez justement qu'on ne peut
réifier l'esprit, car l'esprit, ce sont des processus se déroulant
dans le cerveau qui les produit, ce n'est pas une chose.
Le prix Nobel Gerald M. Edelman, partisan inconditionnel de la biologie, -
c'est pourquoi sans doute le Dr McLaren prend bien soin de ne pas le citer
- , avait déjà dit cela beaucoup mieux, dès 1992 (Bright
Air, Brilliant Fire: On the Matter of the Mind). Mais le psychiatre australien,
quant à lui, ajoute aussitôt: «Les processus peuvent
accomplir des choses, sans qu'il soit besoin de la présence
d'aucune chose pour ce faire. Les processus sont juste des
"actions"» ("Processes can get things
done without there being any thing to do the doing. Processes
just are "doings", op.cit., p.110). Voilà bien
le genre de sophisme "philosophique" erroné, absurde, avancé
pour rejeter le rôle de la biologie, et qui nous fait retomber dans
une philosophie encore plus proche de la pataphysique d'Alfred Jarry que de
la philosophie même de Platon, alors qu'il serait plus indiqué
de se référer à Galilée.
Tel qu'employé ici, l'argument serait aisément transposé,
par exemple en physique et en mécanique: alors, on dirait de la même
façon que le mouvement (la loi du mouvement) existe en soi,
sans qu'aucune chose ne doive être présente
pour se mouvoir et sans obligation de présence pour d'autres choses
servant de repères (de référentiel). Sans doute
qu'ensuite certains affirmeraient aussi que la vitesse existerait en soi?
Une fois de plus et sans devoir remonter dans le temps jusqu'à Zénon
d'Elée, constatons que trop de "philosophie" purement rhétorique
doublée d'un rejet délibéré de la biologie (et
de la réalité physique tangible!) peut à coup sûr
nous conduire à des aberrations, voire sans doute à une théologie,
peut-être aussi à une certaine psychiatrie. Et pareille psychiatrie
ne nous apporte rien que du vent plus ou moins sonore: des mots vidés
de leur sens premier sans en avoir acquis un nouveau.
L'emploi et le choix des mots par amour de leur seule sonorité en
oubliant (par inadvertance ou délibérément?)
leur signification, quand on s'est habitué à les utiliser sans
tenir compte de leur contexte réel, autorisent alors à construire,
par l'esprit, des "concepts impossibles"
purement verbaux dépourvus de correspondance dans le monde physique
dont nous faisons partie. Qu'est-il donc besoin d'imaginer un "appareil
psychique, c'est-à-dire un ensemble structuré et organisé
qui permet etc., etc." ? Car on serait bien en peine de dire
en quoi consiste effectivement cet hypothétique
"ensemble structuré et organisé" mais seulement
imaginé qu'on décide de postuler et de poser en
principe. Et aussi, en quoi ce principe nous est-il nécessaire et utile
pour comprendre ce que nous appelons "l'esprit"? Ne devrait-on pas
appeler plutôt ce principe de son vrai nom: une pétition
de principe, et celle-ci n'est-elle pas superfétatoire,
voire encombrante?
Ne serait-il pas plus simple (scientifiquement plus acceptable et respectueux
du souci de parcimonie de la méthode scientifique), sans
présumer d'un "appareil psychique" en quelque sorte surnaturel
parce que non observable directement, de d'abord constater
simplement ce que tout un chacun peut voir de ses propres yeux: tout être
humain est un animal capable de se construire des représentations de
lui-même et de ses congénères, d'y réagir, de s'y
adapter. Pareille constatation résulte directement de l'observation.
Par contre, poser au préalable et en principe
l'existence d'un "appareil psychique"
insaisissable, nécessairement imaginaire et de constitution inconnue
pour, ensuite, en "expliquer" les manifestations,
qui elles-mêmes, justifieront à leur tour d'ajouter de nouveaux
"rouages" hypothétiques au toujours aussi imaginaire "appareil
psychique", c'est une démarche qui tient bien plus d'une théologie
qu'elle ne s'apparente à une science (et certainement pas à
de la physiologie!).
Ce n'est pas en "posant le principe" que les animaux (dont l'homme)
possèdent, par exemple, un "appareil moteur, appareil structuré
et organisé lui permettant de se mouvoir et d'interagir avec son milieu",
et s'ils ne s'étaient que contentés de cette affirmation sans
le moins du monde s'inquiéter de la nature matérielle
de cet "appareil", que les physiologistes (les Huxley, Hanson et
autres au siècle dernier) seraient jamais parvenus à comprendre
comment les muscles sont structurés, fonctionnent et nous permettent
de faire ce que nous observons qu'ils nous aident à faire.
Mais on nous parle encore toujours de "l'esprit" en nous disant
qu'il consiste en la "juxtaposition d'instances
virtuelles qui interagissent entre elles de façon dynamique",
ce qui n'est jamais qu'une phraséologie au vocabulaire emprunté
à la psychanalyse, et qui n'est que du plus pur jargon creux destiné
à masquer l'ignorance qu'on se refuse à avouer. On nous parle
encore d' "états mentaux",
d' "états cérébraux",
ce qui en fait ne veut rien dire, car ceux qui emploient ces termes ne sont
pas capables de nous donner de réponse compréhensible à
la question: "quelles sont donc ces choses qui prennent des
états divers et variés?", question qu'on
ne peut pourtant éviter de se (et de leur) poser si on ne
veut pas mourir idiot.
On nous parle aussi de "hiérarchie des instances",
de "désorganisation intra-psychique",
de "niveaux de causalité"
(Jeannerod,
ibid). Mais tous ces mots ne sont en réalité jamais
vraiment ni clairement définis. En fait, on observe des phénomènes
qui sont les conséquences de causes inconnues qu'on invente
et auxquelles, arbitrairement et pour la facilité du discours, on attribue
des noms. Par là même on crée ces causes, on les réifie,
on leur confère une existence factice en oubliant qu'il ne s'agit que
de mots. Ces mots sont des raccourcis qui permettent de parler des phénomènes,
qu'ils résument plutôt mal que bien. Et puis on se met à
utiliser ces mots comme si ils étaient des choses. C'est ce que Claude
Bernard appelait la scolastique... C'est ce qu'aujourd'hui on pourrait appeler
tourner en rond, une longue expérience nous a montré que cela
ne mène nulle part: pourquoi l'oublions-nous systématiquement?
Il n'y a pas non plus à proprement parler des "niveaux
de causalité". En neurosciences et en psychiatrie,
les causes et leurs conséquences s'enchaînent, forment donc des
chaines. Ces chaînes s'entrecroisent, se referment sur elles-mêmes
en boucles de rétroaction positive ou négative et des
"réseaux d'influences" qui, dans leur ensemble, dépassent
nos capacités intellectuelles individuelles d'analyse, nous obligeant,
pour tenter de les décrire, à des simplifications souvent excessives
qui oublient le monde physique dont elles ne se distinguent pourtant pas.
Mais il y a bien par contre des niveaux
[presque] obligés de connaissance et
d'ignorance qu'on refuse de reconnaître. Ils tiennent
à la complexité extraordinaire de la machine cerveau et de son
fonctionnement, ainsi qu'à la complexité du milieu "social"
dans lequel l'individu est plongé, qui s'y surajoute, qui l'influence
et à quoi il ne peut que réagir. Les innombrables relations
et processus qui en résultent (le "psychisme", les comportements,
etc.,) ne peuvent être embrassés dans leur totalité
par une seule discipline, et encore moins par un individu à lui seul,
même s'il consacre à leur étude tout son temps, sa vie
entière.
"Le savoir scientifique accumulé au cours des quelque cent
dernières années nous suggère que la biologie, dans toute
sa stupéfiante complexité, ne diffère en rien de quoi
que ce soit d'autre obéissant aux lois de la physique. La conscience
devrait donc pouvoir se réaliser dans un organisme physique et, dans
le cas qui nous occupe, il se fait que nous appelons cela un système
biologique." ("The scientific knowledge
gathered over the last hundred years or so suggests that biology, in all its
amazing complexity, is no different from anything else that obeys the laws
of physics. Thus it should be possible for consciousness to be implemented
by a physical organism, which in our case happens to be what we call a biological
system." Rodolfo Llinás:
"I of the Vortex. From Neurons to Self.",
p. 262. MIT Press 2002, ISBN 0-262-12233-2)
Les choses (matérielles) sans
lesquelles ces processus (les reliant entre elles) ne se produiraient pas
(ne pourraient exister), ce sont des molécules qui s'agencent
en structures; puis ces structures à leur tour se combinent
et s'organisent en cellules (pas seulement des neurones), celles-ci
en organes (dont le cerveau), ces derniers se regroupent en organismes
qui agissent et réagissent avec le milieu au sein duquel ils vivent,
c'est-à-dire aussi avec d'autres organismes en formant, par exemple,
des sociétés. Ce sont les choses
(matérielles) qui, lorsqu'elles sont altérées, donnent
naissance à des processus défectueux
qui se répercutent ensuite sur d'autres choses
(matérielles aussi), et ainsi de suite: dans les cellules (dont
les neurones) d'abord, puis au sein de groupes de cellules, ce qui finit par
apparaître dans les manifestations extérieures de l'activité
cérébrale: le sommeil, l'attention, les émotions, la
mémoire, la parole; dans la compréhension des autres: de leurs
actions, de leurs intentions, de leurs sentiments et émotions, et que
sais-je encore...
Tous ces "degrés" de complexité qui en quelque sorte
s'empilent les uns sur les autres tout en dépendant les uns des autres
sont à ce point multiples qu'ils requièrent, pour être
chacun compris, les travaux de recherche de nombreux spécialistes:
les biochimistes et les pharmacologues qui s'occuperont des molécules;
les neuroanatomistes, neurophysiologistes, histologistes et cytologistes,
etc., etc., qui s'occuperont des neurones, de leurs synapses et des "cellules
de soutien" qui les entourent; les psychologues et les psychiatres qui
étudieront les manifestations extérieures,
finales, visibles, de toutes ces activités cellulaires invisibles parce
que cachées à l'intérieur de notre
corps et de notre cerveau. Et enfin, les travailleurs sociaux et les sociologues
se pencheront sur les rapports des gens entre eux.
Ces nombreux professionnels utilisent, chacun dans son domaine spécialisé,
des techniques de travail adaptées à l'ordre de grandeur et
à la nature des phénomènes qu'ils étudient et
que parfois ils tentent de manipuler. Il en va de même pour le jargon
technique qui est propre à chaque spécialité, et dont
les mots, s'ils sont souvent les mêmes que ceux des spécialistes
des autres domaines, changent pourtant de signification d'une spécialité
à l'autre. Les spécialistes d'un ordre de grandeur donné
des "choses" parviennent généralement
à faire la transition avec le domaine d'ordre de grandeur qui le suit
ou le précède immédiatement et à s'en faire une
représentation assez correcte bien qu'approximative.
Mais quand l'écart s'élargit entre ordres de grandeur étudiés,
les interprétations et la compréhension mutuelles des phénomènes
par les professionnels de spécialités distinctes deviennent
rapidement problématiques voire fantaisistes. Par exemple, la vision
d'un malade mental par le sociologue ou par le travailleur social semble n'avoir
aucune relation avec celle du neuropharmacologue ou du biochimiste, et réciproquement.
Les uns, rampant au ras du sol, regardent à la loupe ce qui s'y passe
sur un minuscule territoire. Ils constatent la disparition de certaines espèces
végétales et animales. Les autres, depuis un satellite d'observation,
scrutent les variations d'un certain nombre de paramètres des continents,
des mers et de la planète entière et constatent, par exemple,
des anomalies climatiques. Les descriptions fournies par les uns et par les
autres sont exprimées dans des langages différents et semblent
se rapporter à des mondes totalement étrangers l'un à
l'autre. Et pourtant, même dans ces deux cas extrêmes, il s'agit
d'évènements qui sont liés, qui appartiennent à
la même planète, mais les observateurs depuis l'espace et ceux
qui se trouvent à ras de terre ne se comprennent pas, donc ils s'ignorent.
Par conséquent, les uns comme les autres ils interprètent leurs
observations en leur imaginant, les uns des causes, les autres des conséquences,
nécessairement supposées, parfois "inventées"
et souvent fausses, tant les unes que les autres.
Qu'attend-on pour trouver les moyens de rassembler tous ceux qui, à
divers "niveaux" de savoir et de compétences, s'impliquent
plus ou moins directement dans la "santé mentale", les maladies
mentales, les neurosciences? Tous, depuis les scientifiques des sciences de
base jusqu'aux soignants et même jusqu'aux malades et leurs proches,
en passant par les psychologues, les médecins, les psychiatres, les
sociologues, les enseignants, les assistants sociaux, ils pourraient ainsi
s'informer les uns les autres et se transmettre les uns aux autres un petit
peu de leurs savoirs respectifs. Ils pourraient au moins en traduire les mots
pour que chacun en comprenne le sens, ne serait-ce qu'approximativement. Chacun
alors saurait, au moins à peu près, distinguer les rêves
de la réalité, les "choses"
peut-être abimées chez les malades des "actions"
dont par conséquent ils ne sont plus ou seulement peu capables, et
choisir à bon escient, plutôt que des simulacres et une "philosophie
de l'esprit" désincarnée, les objectifs à poursuivre,
les actions à entreprendre pour rendre aux malades la vie un peu moins
difficile.
Sans doute pareil rassemblement des savoirs, des énergies et des
bonnes volontés demanderait-il trop d'efforts de ceux qui, grâce
à la philosophie qu'ils se sont personnellement forgée de l'esprit
et de la psychiatrie, ont acquis des certitudes: celle surtout de tout savoir
des causes et de toutes les conséquences des "maladies" mentales,
et d'en faire déjà assez de par leur profession telle qu'on
la conçoit aujourd'hui.
Mais comment certains peuvent-ils croire que le "voisinage
entre neurosciences et psychiatrie puisse jamais être trop proche"?
(http://www.sens-public.org/spip.php?article107)
Première publication: 24 Décembre 2007 |
(J.D.) |
Dernière modification:
24 Décembre 2007 |