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"We need to rethink our understandable dread of state mental hospitals. Despite their horrific past, asylums are not intrinsically evil. They are buildings of bricks and steel. They became giant warehouses because of neglect, ignorance, prejudice and wanton indifference. But they didn't have to be that way. They shouldn't have been that way."
Pete Earley: Crazy, p. 361
("Nous devons revoir notre répulsion bien compréhensible envers les hôpitaux d'état pour malades mentaux. En dépit de leur horrible passé, les asiles psychiatriques ne sont pas le mal en soi. Ce [ne] sont [que] des bâtiments faits de brique et d'acier. Par la faute de l'abandon, par ignorance, à cause des préjugés et par indifférence éhontée, ils étaient devenus de gigantesques entrepôts. Mais cela n'était pas inéluctable. Ils n'auraient pas dû devenir cela.")


"Truly rational treatments, that is, treatments that do more thant ameliorate symptoms, can emerge only with the complete understanding of the cause (etiology) of the pathological process."
P.R. McHugh & P.R. Slavney: The Perspectives of Psychiatry, p. 50
("Des traitements vraiment rationnels, c'est-à dire des traitements qui font plus que [seulement] atténuer les symptômes, ne peuvent devenir disponibles que quand on a entièrement compris la cause (l'étiologie) du processus pathologique.")

DÉFINIR et SÉRIER les PRIORITÉS

Améliorer le sort des malades mentaux chroniques, leur rendre la vie meilleure, plus supportable, digne d'être vécue ("améliorer leur qualité de vie", comme disent les technocrates de la "socio-bienfaisance"), trouver des traitements d'efficacité plus généralement prévisible et fiable des affections mentales, tout cela constitue une tâche à ce point infinie que ceux qui s'y acharnent ont souvent l'impression qu'elle n'est pourtant même pas entamée.

La tâche est à ce point démesurée et multiple que, souvent aujourd'hui encore, on ne sait par quel bout l'aborder ni comment s'y atteler utilement. On imagine devoir tout entreprendre en même temps et on croit d'abord pouvoir y arriver.
Le résultat le plus fréquent de cette illusion est l'inefficacité des actions isolées entreprises plus ou moins bénévolement pour combler les énormes lacunes laissées par les pouvoirs publics. Quand la pauvreté du rendement des efforts consentis devient perceptible à ceux qui ne cessent d'espérer pour leurs proches malades, quand leurs déceptions répétées se sont accumulées, leurs bonnes volontés finissent par s'épuiser, le découragement s'installe parmi eux: ils laissent tomber les bras.
Ils s'aperçoivent que les maigres ressources que, parfois peut-être, ils sont péniblement arrivés à réunir, seront loin de suffire à démarrer les quelques rares projets et initiatives auxquelles ils avaient rêvé pour aider leurs malades, et ils prennent conscience que, faute de soutien matériel officiel et public, ils pourraient encore moins les maintenir dans la durée.

Faute de disposer des compétences professionnelles spécifiques indispensables qui coûtent cher (organisation et gestion, etc.), et en l'absence d'une information objective solide sur les maladies mentales chroniques (toujours d'accès fort malaisé aux profanes), les initiatives privées, plus ou moins individuelles, peut-être généreuses dans leurs intentions, sont habituellement ponctuelles, souvent mal justifiées, mal adaptées, mal pensées, ou encore mal ciblées, de portée et de durée de vie dérisoirement réduites en regard des objectifs poursuivis. Bien souvent, quoiqu'ils s'en défendent, leurs initiateurs finissent par ne plus rien tenter du tout et s'installent dans une routine toute d'apparences: consacrée à la rédaction de projets de belle allure sur le papier, mais impraticables et condamnés à dormir éternellement dans quelque archive poussiéreuse; ou encore passée en réunions de comités divers, groupes de "travail" et de "réflexion", toutes activités aussi stériles que mangeuses de temps et de salive.

Paradoxalement, la calamité que sont les affections mentales graves a, de tous temps, constitué un problème humain individuel aigu, très urgent et impérieux, mais sa permanence et l'absence de vrais moyens thérapeutiques pour s'y attaquer efficacement l'ont transformé en problème social chronique, ressenti comme honteux par beaucoup de ceux chargés de le résoudre, parce que sans solution qui soit immédiatement visible à leurs yeux, ni accessible, ni satisfaisante. Pendant longtemps et par commodité, il a donc été ignoré de la grande majorité et volontairement passé sous silence par les responsables politiques. Les "professionnels" du secteur psychiatrique eux-mêmes l'ont discrètement maintenu dans la confidentialité, sans doute peu désireux qu'ils étaient d'étaler sur la place publique l'étendue réelle de leurs impuissances et de leurs ignorances (malgré qu'au départ, ils n'en fussent pas réellement responsables; aujourd'hui, par contre, on pourrait, sans doute on devrait même, en discuter...).

L'ampleur, la multiplicité et la diversité des aspects de l'éternel et universel problème humain des affections mentales ont poussé à s'y intéresser des médecins, des biologistes, des scientifiques de toutes disciplines, des psychologues, des sociologues, des philosophes, l'homme de la rue, le politique. Tous et chacun depuis leurs points de vue particuliers et partiels, selon leur discipline ou activité professionnelle, ils ont, à de multiples reprises et avec plus ou moins de pertinence, fait connaître leurs opinions sur l'un ou l'autre aspect partiel, et surtout théorique et abstrait de ce très vaste sujet.

Compte tenu de la pauvreté, voire souvent de l'absence de données scientifiques solides concernant les fonctions mentales, ils ne pouvaient toutefois s'empêcher de compenser leurs lacunes en se laissant guider par leurs convictions philosophiques, religieuses et politiques. Quoi de plus naturel, en effet, si l'on songe que le sujet touche aux fondements, au sens que chacun donne à la vie, à sa vie et à celle des autres.
Au mieux leurs avis ne pouvaient que refléter, non seulement leurs croyances personnelles, mais aussi leurs ignorances, c'est-à-dire les lacunes dans leurs connaissances. Nombre d'entre eux s'estimèrent en droit d'échafauder une représentation imaginaire des fonctions mentales (du "psychisme") les supposant totalement indépendantes des contraintes matérielles, biologiques, du corps qui leur donne naissance: restes d'une conception animiste d'un monde surnaturel, faisant de surcroît bon marché de la réalité concrète même quand celle-ci se rappelle à vous sans ménagement.

Aussi n'est-il pas étonnant que certains aient pu imaginer que les problèmes humains soulevés par les affections mentales chroniques n'étaient du ressort que de la philosophie et que, par conséquent, ils pouvaient être embrassés dans leur ensemble et dominés par le premier "philosophe" venu, fût-il amateur accoudé par exemple au comptoir de l'un ou l'autre "Café du Commerce" ou encore, participant à une réunion de ces "Cafés philosophiques" actuellement très "tendance". En effet, le droit de philosopher n'appartient-il pas à chacun?

On semble souvent oublier que, de nos jours, philosopher ne peut plus être, simplement, synonyme de savoir ou de connaître, par la réflexion, ce qu'on imagine ou ce à quoi on rêve, mais signifie interpréter, donner du sens à ce qu'on sait, à ce qu'on connaît, tout en tenant compte des limites de nos connaissances (de ce qu'on ne connaît pas). Et cet oubli entraîne ceux qui le commettent à "philosopher" sur l'imaginaire qu'ils ont inventé, sans aucunement tenir compte de la réalité des faits connus: cela, ce n'est plus philosopher; en termes polis cela s'appelle fantasmer (en termes plus triviaux, certains diraient "déconner"). Mais, à nouveau, le droit de fantasmer n'appartient-il pas à chacun?

Par contre, sur la foi de quelle croyance, par quelle opération littéralement magique, des fantasmes qui sont nécessairement personnels à ceux qui y croient exerceraient-ils des vertus thérapeutiques sur le "psychisme" des autres, alors même que ces autres sont incapables de les entendre et encore moins en état de les apprécier? Et sur base de quoi pareils fantasmes confèreraient-ils, à ceux qui les élaborent et qui s'y complaisent, une compétence thérapeutique quelconque et le droit de "traiter" ce qu'ils appellent les "troubles du psychisme" d'autres êtres humains, alors que jamais ne sont fournies, ni les preuves de cette compétence ni la démonstration vérifiable de l'efficacité thérapeutique de leurs pratiques?

Malgré l'accumulation des progrès récents des sciences, de la biologie et des techniques, les attitudes de "philosophie" spéculative simpliste, face aux affections mentales pourtant bien concrètes, sont fort lentes à disparaître, à cause de l'inertie que constitue l'attachement aux idées reçues; celles-ci s'opposent à la mise en oeuvre de solutions rationnelles que le savoir actuel pourtant imposerait. Les idées reçues représentent, pour ceux qui s'y accrochent obstinément, les balises rassurantes auxquelles ils se repèrent dans un monde perçu comme hostile en raison de son perpétuel changement trop rapide pour eux.
Les idées reçues sont tenaces et prépondérantes dans le domaine des troubles mentaux plus encore que dans n'importe quel autre. Elles ont la vie d'autant plus dure que ceux qui les reçoivent et les propagent s'en croient, automatiquement et avantageusement, dispensés de tout effort intellectuel d'esprit critique, voire dégagés du besoin véritable d'information correcte, de savoir (donc, de l'obligation d'apprendre).

Là où les connaissances font défaut, les croyances en tiennent lieu, l'argument d'autorité fait office de preuves: toutes les opinions, même totalement dépourvues de support prouvé, passent pour du savoir dès lors qu'elles émanent de "notables"(et la notoriété dans un domaine d'activité n'implique nullement le savoir dans un autre domaine!)
Les opinions que ces personnes émettent semblent alors acquérir un vernis de légitimité et de respectabilité qu'on ne peut se risquer à mettre en doute, sous peine d'encourir l'excommunication des pontifes de tous les conformismes (et même certains anticonformismes de façade, à la mode pendant un temps, n'en sont souvent que le contre-pied ou des faire-valoir sans plus de validité réelle que celui qu'ils prétendent remplacer n'en a lui-même).

Blaise Pascal disait déjà: "Lorsqu'on est accoutumé à se servir de mauvaises raisons pour prouver des effets de la nature, on ne veut plus recevoir les bonnes lorsqu'elles sont découvertes." Tous ceux qui font profession de s'occuper de "santé mentale" auraient intérêt à longuement méditer cette parole et à s'en imprégner.

Les neurosciences apportent chaque jour des arguments et des éléments supplémentaires de preuves montrant que les origines et mécanismes des affections "mentales" sont de nature tout aussi "physique" (c.à.d. matérielle, organique) que celles et ceux des autres affections ou maladies dites "somatiques" ou "biologiques" ou "organiques".

Personne aujourd'hui ne peut plus ignorer ni ne devrait s'obstiner à nier cette conclusion qui repose sur d'innombrables observations scientifiques indépendantes et convergentes.
Par conséquent, comme cela a été éprouvé et s'est jusqu'à présent toujours vérifié pour toutes les affections et maladies humaines (et tous sont bien forcés d'admettre qu'on les prévient, guérit, soulage de mieux en mieux et de plus en plus souvent), la prévention, le traitement et le soulagement, et si possible la guérison de toutes affections, y compris celles qu'on appelle "mentales", passent obligatoirement par la connaissance préalable et la compréhension, rationnelles, de la machine biologique humaine, et par la compréhension des mécanismes qui en assurent le développement et le fonctionnement.

(Cette affirmation n'est pas du "scientisme", comme certains parfois le prétendent imprudemment et avec la condescendance conférée par l'ignorance! Elle est la constatation que seule la méthode scientifique et l'attitude rationnelle permettent d'accroître, d'accumuler, donc de faire progresser nos connaissances de manière fiable et utile. Tandis que le "scientisme" n'est jamais que l'illusion que la "science" permettrait à l'espèce humaine de se perfectionner elle-même d'un point de vue moral, éthique et spirituel, donc social et de "civilisation". L'idée de progrès, social et de civilisation, est basée sur des jugements de valeur. La science, elle, ne "progresse" pas à partir de jugements de valeur, pas plus d'ailleurs qu'elle n'en porte. Elle accumule du savoir, c'est cela son "progrès" et, dans ce sens, c'est la seule activité humaine qui soit "progressiste" ou, plus exactement, progressive, parce que la seule qui soit cumulative.)

Contrairement aux affirmations de certains, la recherche scientifique biologique, rationnelle de la connaissance du cerveau ne pousse nullement ceux qui s'engagent dans cette voie à ignorer la personnalité humaine de ceux qu'ils s'efforcent d'aider. Ils savent fort bien que, tout en tentant de trouver les vraies raisons de leurs difficultés pour pouvoir y apporter les vrais remèdes, ils doivent aussi tenter de comprendre les êtres humains que sont ces malades, comprendre leurs perceptions et leurs représentations du monde (y compris d'eux-mêmes), ce que certains appellent leur "psychisme". Cette compréhension, si imparfaite et souvent illusoire soit-elle, fait partie du soutien et de l'aide qu'on doit apporter à toute personne pour atténuer ses handicaps, ou pour les rendre plus supportables en attendant d'être capable d'y porter remède.

La connaissance que nous avons de notre cerveau (entre autres, son plan, c.à.d. sa carte géographique détaillée, sa carte routière, son développement depuis l'état embryonnaire jusqu'à l'âge adulte, les conditions et facteurs qui régissent ce développement et le fonctionnement de cette machine d'une extraordinaire complexité) a remarquablement progressé en quelques soixante à soixante-dix ans. Mais elle est encore bien réduite par rapport à tout ce que nous devrions en connaître pour bien comprendre cet organe à tout faire, notre "chef d'orchestre" intérieur.

Faire progresser la connaissance du cerveau en "mettant le paquet" sur les neurosciences (recherche et enseignement) est donc une priorité absolue.
Bien que - comme c'est toujours le cas en recherche fondamentale - il ne soit pas possible de prédire combien de temps sera nécessaire encore avant d'avoir effectué une percée décisive dans le domaine des maladies mentales chroniques, nous savons que, quand la volonté politique et les moyens existent à l'échelle planétaire, les choses peuvent aller étonnamment vite: le déchiffrement du génôme humain en est un exemple particulièrement parlant.

Les traitements médicamenteux précoces et personnalisés au mieux pour chaque malade individuellement constituent une autre priorité absolue.
Ceci implique la mise en oeuvre de moyens techniques et de recherche appliquée à plus court terme: l'utilisation systématique de l'imagerie médicale cérébrale chez les malades mentaux en est un exemple. Dans notre pays, on ne semble guère pressé d'y songer.

Un autre exemple est celui de la détection la plus précoce possible des affections mentales chroniques. Comme le rappelle très justement - dans un dossier remarquablement clair et lucide - le Dr Béatrice Laffy-Beaufils (Chef du Service de Psychiatrie à l'hôpital Corentin Celton, AP-HP, France : v. Espace éthique, 7 février 2002), "les troubles cognitifs [de la schizophrénie], présents dès avant les troubles cliniques de la maladie, sont retrouvés chez 80% des patients".
Citons aussi les propos du Dr Marc-Antoine Crocq (psychiatre au CH de Rouffach (68), France) dans "Le Quotidien du Médecin" du 27.06.2002: "La période prémorbide n'est pas tout à fait silencieuse cliniquement. Déjà le Suisse Eugen Bleuler, qui créa le terme de schizophrénie en 1911, remarquait que tous ses camarades de classe qui devinrent par la suite schizophrènes étaient déjà un peu différents de leurs pairs dès l'enfance."

Malgré ces pistes possibles qui nous crèvent les yeux et ne datent pas d'aujourd'hui (mais de bientôt un siècle!), il semblerait bien que ni nos psychiatres francophones, ni même nos psychologues francophones n'aient jamais éprouvé un besoin irrésistible de les explorer sérieusement, par exemple en pratiquant, en milieu scolaire (écoles primaires puis lycées et athénées, etc.), des tests "psychotechniques" spécialement adaptés à l'évaluation des aptitudes verbales, de la mémoire verbale, de l'attention, etc., sur des échantillons de populations d'enfants à risques... Cela ne devrait pourtant être ni fort compliqué ni fort coûteux, surtout en comparaison des économies et des bénéfices qui pourraient en découler par la suite.
Faudrait-il donc croire que, pour nos psys, pareille démarche, ne s'adressant qu'aux fonctions cognitives, serait à rejeter parce qu'elle "évacuerait le psychisme" de l'individu? Ou bien, malgré la pléthore de psychologues parfois dénoncée par certains, seraient-ils vraiment débordés au point de ne pouvoir mettre en oeuvre pareille étude parce qu'ils la considèreraient comme titanesque?
On n'ose envisager d'autres hypothèses qui, sans doute, ne pourraient être que désobligeantes pour l'intelligence et la compétence des responsables de notre "Santé Mentale", et on s'en abstiendra donc.

Cependant, n'attendons pas des résultats rapidement (dès demain!) exploitables de la recherche scientifique, qu'elle soit appliquée ou fondamentale. Constatons aussi que la recherche pharmaceutique telle qu'elle est orientée aujourd'hui, et indispensable malgré la méfiance injustifiée que certains éprouvent à son égard, ne pourra, dans un avenir proche, offrir que des solutions imparfaites à un grand nombre des affections mentales chroniques. En effet, même dans un avenir prévisible, la spécificité des médicaments correcteurs des troubles mentaux risque de ne pouvoir être obtenue qu'exceptionnellement. Ceci signifie qu'il est aujourd'hui difficile d'imaginer des médicaments "neuroleptiques" ou "psychotropes" totalement dépourvus d'effets secondaires indésirables.
On peut seulement espérer, en usant de ces médicaments de manière éclairée, minimiser leurs effets non désirés par rapport à leurs effets souhaités.
Connaître et enseigner aux futurs praticiens les modes d'action et le bon usage des médicaments est donc aussi une priorité absolue, puisque nous ne pouvons aujourd'hui nous dispenser d'eux, quoi que s'obstinent à prétendre certains rêveurs.

L'incertitude sur les délais des résultats de la recherche scientifique, de même que les carences et les imperfections des traitements actuels, nous obligent à admettre que, en plus des moyens thérapeutiques déjà évoqués et en les attendant, des aménagements sociaux devraient être mis en place pour assurer, aux malades mentaux chroniques à l'autonomie trop réduite dans notre société, des espaces de vie protégés: ouverts mais surveillés, où les résidents seraient accompagnés. Libre aux prétendus défenseurs des libertés civiles et de l'individu de se récrier, de dénoncer un "retour aux asiles psychiatriques", etc., etc. Laisseraient-ils donc vagabonder, seul et au hasard leur enfant, de 3 à 10 ans par exemple, dans la grande ville ou même seulement à proximité de l'autoroute voisine? Le laisseraient-ils jouer avec les allumettes à côté du bidon d'essence? etc., etc. Ne laissons les philosophes répondre à ces questions que s'ils sont pères de famille.

On ne propose pas ici de recréer des sortes de "prisons" psychiatriques, mais des "domaines" géographiquement assez étendus pour y créer une diversité architecturale et d'activités ou de possibilités suffisamment multiples pour y accueillir une population d'individualités toutes fort différentes les unes des autres (malgré que nos responsables les regroupent sous une même étiquette).
Entourer et accompagner efficacement les malades pour tenter de les faire, chacun, se redévelopper au maximum de ses capacités résiduelles, c'est ce que tous les "programmes" actuels de "revalidation psychiatrique" ("réhabilitation") proclament qu'il faut faire. Multiples, ces "programmes" ont été rédigés avec beaucoup de conviction et dans un style visant à persuader mais, dans notre pays, ils flattent plus l'image de leurs auteurs qu'ils ne servent la mise en oeuvre de leurs recommandations: on peut y rêver, et c'est tellement plus facile que d'agir, surtout pour ces "penseurs" que sont la majorité de nos "psys".
Cette absence de réalisation concrète a aussi d'autres raisons: les infrastructures que ces programmes requièrent, mais surtout les effectifs nécessaires en personnel très qualifié (au moins deux, sinon trois ou peut-être même quatre fois plus nombreux que les patients eux-mêmes) supposent des investissements que personne, parmi les responsables politiques, n'est prêt à envisager.
Pourtant, la création de pareils lieux d'accueil et de revalidation devrait être, elle aussi, une priorité.

Toutes les priorités qui ont été exposées ci-dessus sont connues depuis longtemps des divers "intervenants" de la "Santé Mentale", du secteur psychiatrique, de la sécurité sociale, des responsables politiques, etc., etc. Périodiquement, des changements sont annoncés qui ne changent rien, on dit des attitudes des professionnels qu'elles s'humanisent en même temps qu'elles deviennent plus professionnelles (mais ce ne sont souvent que des on-dit), des améliorations sont promises qu'on attend toujours.
On "modernise" une législation dont les modalités d'application feront que, dans les faits, le sort des malades ne sera réellement changé en rien; on officialise et on règlemente les pratiques magiques (pseudoscientifiques) qui ne peuvent soulager que des malades imaginaires et des gogos.

Comme on dit communément, depuis le temps que cela dure, les parents et familles de malades mentaux devraient commencer à comprendre: on ne rasera jamais gratis, pas plus demain qu'hier. Ils doivent savoir qu'ils n'obtiendront jamais rien pour leurs malades qu'ils ne se soient d'abord battus pour l'arracher à ceux qui peuvent le leur donner mais se gardent bien de se fatiguer à le faire spontanément.

Ce combat, ils ne peuvent le gagner passivement, en espérant naïvement que leur adversaire va, spontanément, généreusement, leur en épargner l'effort, leur accorder la victoire sans combat. S'ils vont à la bataille individuellement ou en ordre dispersé, ils ne pourront gagner. S'ils ne savent pas contre quoi ni pour quoi ni comment se battre, ils ne pourront gagner.

L'union faisant la force (l'aurait-on oublié en Belgique?), ils doivent donc se regrouper, par exemple au sein d'associations. Ainsi réunis, ils constateront qu'ils ne sont pas seuls à subir les épreuves que leur inflige la maladie d'un des leurs. Ce rassemblement les réconfortera et les renforcera. Mais le réconfort, si bienvenu soit-il, ne suffira pas car il sera nécessairement éphémère si rien d'autre ne change.
Quant à leurs forces, ils en auront besoin pour contraindre les professionnels et décideurs à respecter les priorités qu'on vient de passer en revue et, ainsi, provoquer les changements qu'ils espèrent.

Au sein de ces associations, les familles et amis de malades mentaux chroniques, avec l'aide de professionnels compétents et motivés, centraliseront les informations sur les affections mentales pour les mettre à disposition de leurs membres (cfr le Dr Béatrice Laffy-Beaufils: "Plus qu'une contrainte juridique, l'information est donc devenue une obligation thérapeutique, une nouvelle forme de psychothérapie.")

Fortes de leurs expériences, de leurs connaissances et des informations qu'elles se seront efforcées d'acquérir, les associations pourront enfin jouer leur indispensable rôle de lobbies auprès des décideurs politiques, plutôt que de jouer aux assemblées de pleureuses, aux délégations de suppliants et quémandeurs naïfs éternellement éconduits ou menés en bateau par tel ou tel sous-ministre. A quoi leur servirait-il de rédiger de belles "Chartes" en faveur des malades mentaux, si c'est pour ne jamais les voir ratifiées ni adoptées par ceux qui ont le pouvoir de les mettre en application et de les faire respecter?
Comment leurs membres pourraient-ils, individuellement, espérer changer quoi que ce soit au système actuel qu'ils déplorent depuis si longtemps, si ces associations ne les mettent pas en position de militer activement pour leurs objectifs?
Bien qu'elle vienne ici en dernier, voilà pourtant, selon nous, la toute première priorité. La responsabilité en incombe aux associations de familles et amis de malades mentaux. A leurs membres de ne pas l'oublier et, si nécessaire, c'est aussi à eux de le rappeler à leurs responsables.


Première publication: 28 Août 2002 (J.D.) Dernière modification: 13 Juin 2016

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