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LES PROBLÈMES FONDAMENTAUX QU'ON N'OSE PAS OU QU'ON NE SAIT PAS ENCORE COMMENT ABORDER

« A patient can have almost any combination of positive and negative symptoms. Each symptom is a devastating disturbance of mental life and behavior. Pertinently, the diagnosis of schizophrenia must be reserved to those patients with these symptoms but without evidence of brain disease or of affective disorder. It is thus a clinical syndrome diagnosed by exclusion.»
(Un patient peut présenter presque n'importe quelle combinaison de symptômes positifs et négatifs. Chaque symptôme constitue une perturbation dévastatrice de la vie mentale et du comportement. Il faut donc, pour rester pertinent, réserver le diagnostic de schizophrénie aux patients présentant ces symptômes mais qui n'ont pas de signes d'affection cérébrale ou de trouble affectif. C'est donc un syndrôme clinique dont le diagnostic est posé par exclusion.)
Paul R. McHugh & Phillip R. Slavney, "The Perspectives of Psychiatry", p. 84

Précédemment, j'ai déjà fréquemment fait référence à diverses affirmations parfois assez discutables (surtout celles exposées en langue française) qu'on peut rencontrer au sujet de "la" ou plutôt "des" schizophrénies. C'étaient en général des affirmations énoncées par des professionnels reconnus de la psychiatrie ou des personnes actives dans des groupements et organisations dites de « Santé mentale », qui habituellement écrivent, en les signant de leur nom, des articles dans des revues spécialisées ou rédigent des ouvrages dont ils sont les auteurs, et leur(s) nom(s) bien visible(s) figure(nt) en tête de leur(s) article(s) et s'affichent souvent en grands caractères sur la couverture de leur(s) livre(s).

Parfois encore, il pouvait s'agir de contributeurs à divers textes de l'encyclopédie francophone en ligne Wikipedia - mais cette fois par contre ces auteurs-là s'abritent derrière un anonymat protecteur (et on peut alors se demander, selon les cas, si on lit la prose de professionnels reconnus et qualifiés sur les sujets qu'ils abordent, ou s'il s'agit plutôt de textes d'amateurs autodidactes plus ou moins éclairés et/ou d'étudiants personnellement passionnés par ces mêmes sujets et désireux d'en approfondir et préciser leurs connaissances tout en les soumettant à une critique qu'ils espèrent peut-être constructive de leurs lecteurs, à moins qu' au contraire ils ne redoutent d'en essuyer les commentaires éventuellement défavorables dont ils préfèrent protéger leur réputation personnelle et qu'ils choisissent d'épargner à leur amour-propre).

Un seul exemple (parmi pourtant bien d'autres possibles!) pourrait servir de préambule à la suite du présent texte: dans l'article Génétique 2 , j'ai cité la phrase étonnante suivante, qui figure dans l'article de Wikipedia francophone consacré à la schizophrénie: «La schizophrénie n'est pas une maladie génétique, mais la conséquence physiologique d'un dysfonctionnement établi durant la crise psychotique.» (sic; il ne faut pas croire, bien que la tournure de cette phrase pourrait le laisser penser, que la crise psychotique serait la cause du dysfonctionnement. Elle n'en est en réalité que la conséquence et la manifestation clinique. Et les causes originelles de l'affection, quant à elles, ont ici été [délibérément?] oubliées - tout comme la cause du «dysfonctionnement établi...»).
On sait fort bien aussi que, même en dehors de ce que certains ont pris l'habitude d'appeler la « crise psychotique » [c.-à-d. en dehors de seules ces crises-là qui sont manifestes, flagrantes, et attirent par conséquent l'attention de la plupart des "psy" eux-mêmes, (J.D.)], des troubles caractéristiques, mémoriels ainsi que des altérations des fonctions exécutives peuvent être présents et sont « établis » (??), sans toutefois qu'on sache quand ce soi-disant « établissement » se serait mis en place.

Cette phrase apparaît dans un paragraphe introduit par le sous-titre de « idées reçues ». L'auteur [de cette partie de texte] aurait-il ainsi voulu suggérer, malheureusement sans se soucier le moins du monde de justifier ce qui n'était que son opinion personnelle, qu'il s'agissait là d'une idée fausse? Mais on sait pourtant parfaitement aujourd'hui - et c'est aussi ce qu'on enseigne désormais dans les institutions universitaires (aussi bien françaises que d'autres d'Europe, voire du monde entier) - , c.-à d. que les schizophrénies sont bien des affections génétiques complexes à haute héritabilité.
Il aurait été préférable et plus juste de dire que «Les schizophrénies, bien qu'étant des affections génétiques complexes à haute héritabilité, ne sont toutefois pas des maladies (parfois dites à tort "héréditaires", par raccourci ou simplification de langage facile mais erronée) qui se transmettraient aux descendants de la première génération issue des porteurs de certains gènes "fautifs" en respectant un mode de transmission mendélien simple.»
Il aurait aussi été utile, voire nécessaire, de rappeler l'évidence, qui devrait en principe être bien connue de tous les médecins, que pour toutes les maladies, y compris celles qui ne sont pas d'origine génétique mais sont causées par des facteurs externes comme internes (microbes, virus, intoxications, traumatismes accidentels et lésions physiques, etc., etc.,), les symptômes de ces maladies, eux aussi, sont souvent « des conséquences physiologiques », c.-à d. qu'ils sont les manifestations désagréables d'apparents «dysfonctionnements» d'une ou plusieurs fonctions physiologiques habituellement normales et dormantes mais cette fois exacerbées ("réveillées et devenues apparemment pathologiques") en réponse à ces divers facteurs pathogènes.
Dans le cas des schizophrénies, les dysfonctionnements possibles peuvent rester latents (muets) et ignorés, aussi longtemps que soit les conditions de vie, soit les contingences, même quotidiennes et banales, tant qu'elles ne sollicitent pas spécifiquement l'activité des fonctions génétiquement altérées, n'en déclenchent (= n'en suscitent) par conséquent pas la manifestation (« réactionnelle ») visible et donc ne révèlent pas la menace cachée mais pourtant bien présente (« potentielle ») de l'affection.

Faire ainsi l'impasse sur le rôle et l'importance de la génétique dans la genèse des affections mentales chroniques, dont les schizophrénies ne sont que des exemples particuliers mais très divers, suggère que la pratique et la recherche psychiatriques sont obligées d'affronter des problèmes difficiles à aborder et par conséquent à résoudre, dont de surcroît on est amené à soupçonner qu'ils doivent être particulièrement graves, puisque bien des praticiens paraissent généralement répugner, encore de nos jours, à en reconnaître et à mentionner l'existence. Cette répugnance résulte sans doute du constat que, dans l'état actuel des connaissances scientifiques disponibles, on ne voit pas encore clairement comment déjà attaquer pareils problèmes pour les résoudre de façon satisfaisante. Alors, en attendant d'y avoir trouvé une ou peut-être différentes solutions ou remèdes, comme trop souvent dans pareille situation on préfère les ignorer ou les passer sous silence; peu de personnes, même parmi les professionnels (de toutes les disciplines et métiers en général!), en effet acceptent de gaîté de coeur d'avouer franchement et spontanément leur impuissance (et leur ignorance, même si cette dernière peut être légitime et de bonne foi). On ne peut que souhaiter que les difficultés qui handicapent encore aujourd'hui la compréhension et la pratique de la psychiatrie des psychoses chroniques ne soient que temporaires et seront bientôt surmontées (bien sûr le plus rapidement possible, espérons-le.)

Les problèmes qu'on devrait pouvoir résoudre pour dompter et vaincre les affections psychotiques chroniques peuvent se déduire très logiquement de ce que les chercheurs scientifiques ont déjà démontré au sujet de ces affections, et que j'ai en partie tenté d'évoquer dans les divers articles du présent site.
Ainsi, par exemple on sait que:

• Les affections psychotiques sont des troubles génétiques complexes, dont les « points de départ » sont, peut-être pour la grande majorité des cas, des gènes altérés ou « mutés » présents soit dès la conception, ou apparus pendant l'embryogenèse durant la gestation, c.-à d. très précocement. Seuls certains de ces gènes (dont on sait cependant qu'ils sont multiples) ont jusqu'à présent été identifiés (p.ex. voyez Immunité), mais les nombres effectifs des gènes responsables de troubles neuropsychotiques ne sont pas encore connus;

• Les problèmes se compliquent encore un peu (!) plus par l'éventualité de la participation de mécanismes épigénétiques qui, parfois en fonction des circonstances aléatoires survenant dans le milieu de vie, peuvent modifier défavorablement l'activité normale de certains gènes, et cela pas seulement pendant le développement in utero. (Des revues claires, relativement simples bien qu'assez techniques de biologie moléculaire [mais en anglais] sur ce sujet sont disponibles sur la toile; je les cite ci-dessous à l'intention de ceux qui, dans le grand public et parmi les "praticiens psys", s'estimeront suffisamment motivés et aussi assez instruits de biologie, pour ne peut-être pas reculer devant une lecture de ces importantes notions éclairantes très actuelles) :

=> E.J. Nestler, C.J. Peña, M. Kundakovic, A. Mitchell, S. Akbarian: "Epigenetic Basis of Mental Illness", The Neuroscientist 2016, vol 22(5) 447-463;
=> O. Issler, A. Chen: "Determining the role of microRNAs in psychiatric disorders", Nature Reviews|Neuroscience, Vol 16, 2015, 201-212;
=> NJ Beveridge, E Gardiner, AP Carroll, PA Tooney and MJ Cairns: "Schizophrenia is associated with an increase in cortical microRNA biogenesis", Molecular Psychiatry (2010), 15, 1176-1189.

La présence de gènes mutés et « pathogènes » (c. à d. inadéquats) peut ne s'exprimer ( = se manifester) que par l'intermédiaire d'endophénotypes se développant plus tardivement, c.-à d. à l'adolescence, par exemple, en entraînant seulement alors, (soit donc avec un certain temps de latence, c.-à d. avec un retard plus ou moins long par rapport à l'existence et à la présence de la cause située en amont), les troubles psychiatriques signalant l'existence d'une affection mentale;

De nos jours encore, ce n'est que par l'apparition des «symptômes», p.ex. vers l'adolescence pour les schizophrénies, qu'on est alerté de la présence des gènes pathogènes. Par conséquent, si on ne met en œuvre un traitement qu' à partir de ce moment-là, on ne peut actuellement que s'efforcer de contrecarrer au mieux les symptômes au moyen de médicaments « antipsychotiques » (les neuroleptiques). Mais ceux-ci ne sont pas toujours (et cela de façon peu prévisible) totalement efficaces et entraînent aussi des effets secondaires gênants dûs à leur absence de spécificité sur les symptômes. De plus, ces médicaments ne sont que symptômatiques, c.-à d. qu'ils n'exercent pas d'action inhibitrice ni correctrice sur les gènes eux-mêmes initialement responsables des troubles. Par conséquent, on ne peut se permettre d'interrompre une médication par « antipsychotique », même partiellement efficace, sans courir de risques mal identifiés et d'ampleur difficilement mesurable à l'avance, annonçant le retour pourtant possible et même vraisemblable des symptômes morbides.

La recherche et l'identification des gènes responsables des affections mentales psychotiques chroniques étaient, il n'y a de cela encore que quelques années, une tâche apparaissant d'une ampleur quasi insurmontable, dont les objectifs pouvaient sembler hors de portée, sauf peut-être dans un avenir supposé tellement lointain que les efforts déployés pour les atteindre paraissaient plutôt chimériques. Aujourd'hui pourtant (2017), grâce aux progrès techniques et à la collaboration d'équipes de chercheurs du monde entier mettant en commun leurs résultats d'analyse détaillée du génome humain ("GWAS" = «genome-wide association study» = «étude d'association pangénomique») regroupés dans de très volumineuses banques de données continuellement mises et remises à jour, il semble bien qu'on peut espérer que ce n'est plus une utopie inaccessible. Les résultats, très importants eux aussi, des recherches sur les couples de jumeaux mono- et hétérozygotes (discordants ou non pour l'affection psychotique), sont également pris en compte.

La détection précoce des gènes « pathogènes » devrait, idéalement, pouvoir se faire systématiquement déjà pendant la gestation. Sa mise en œuvre est déjà théoriquement possible, mais son usage généralisé est encore, en 2017, beaucoup trop onéreux pour pouvoir l'envisager. Peut-être faudrait-il, en attendant que les prix continuent à diminuer, en limiter l'usage à ces personnes-là dont des membres de leur famille sont connus pour avoir été atteints d'affection psychotique chronique. Et comme déjà évoqué ailleurs (voyez Immunité), une prise de sang à la mère enceinte devrait sans doute permettre cette détection.

Résumons: les équipes de chercheurs du monde entier collaborant entre eux, progressivement découvrent et identifient de mieux en mieux de nouveaux mécanismes biologiques et génétiques fondamentaux responsables des affections mentales psychotiques et chroniques: gènes spontanément mutés, gènes dont l'activité est modifiée par la présence de "microRNAS" circulant dans l'organisme (de découverte récente), mécanismes épigénétiques, etc., etc. . Ces découvertes permettent d'espérer la mise au point et la mise en œuvre de traitements plus spécifiques des symptômes individuellement propres à chaque malade particulier, mieux que les « antipsychotiques » actuellement connus et disponibles.

Combien de temps encore? C'est là toute la question à laquelle je n'ai bien évidemment pas de réponse. Pourtant, j'éprouve le sentiment que les choses s'accélèrent et vont dans le bon sens: c'est ce que je souhaite à tous les malades et à leurs proches en ce début d'année 2017.



Première publication: 6 Février 2017 (J.D.) Dernière modification: 6 Février 2017

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