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LES QUESTIONS QU'ON OUBLIE DE (se) POSER

"Tel est l'esprit d'incrédulité, qui n'est que l'esprit tout court. Et avouez que si l'incrédule se croyait tenu de croire toutes les fois qu'il ignore, l'incrédulité serait de nul usage."
..."Tout le mal des querelles vient de cette complaisance et même lâcheté à croire ce qui plaît."

Alain: Propos (21 décembre 1933 et 21 juillet 1934)

"Schizophrenic symptoms are psychological events without explanations, and without is the operative word. It is clear that the ascription of a symptom as schizophrenic is an opinion based on exclusion rather than on positive evidence"
P.R. McHugh & P.R. Slavney: The Perspectives of Psychiatry, p.89
("Les symptômes schizophréniques sont des phénomènes psychologiques sans explications, et "sans" est le mot clef. Il est clair que dire d'un symptôme qu' "il est schizophrénique" [n']est [qu']une opinion à laquelle on arrive par élimination plutôt qu'elle n'est basée sur une preuve positive.")

Dès qu'on évoque des problèmes touchant, de près ou de loin, à la "santé mentale", aux maladies mentales, à la psychiatrie, aux traitements psychiatriques, aux "psychothérapies" pour malades mentaux, chaque citoyen a d'ordinaire ses opinions bien arrêtées sur ces sujets et croit pouvoir en discuter, au pied levé et à longueur de journée s'il le faut, avec assurance, comme en toute connaissance de cause, comme s'il s'agissait du temps qu'il fait, des effets irritants de la pollution de l'air sur les yeux, sur le nez ou sur la respiration, comme on parle du prix du pain qui va croissant tandis que son goût et sa qualité vont décroissant (sans jeux de mots), etc., etc., (et il en va souvent de même pour tout ce qui a trait à l'instruction, à l'enseignement et à l'éducation des enfants et des "jeunes").

Ces opinions sont le reflet d'idées reçues, de rumeurs qui circulent, de convictions qui s'apparentent souvent bien plus à des croyances, voire à des superstitions, plutôt qu'elles ne s'appuieraient sur un véritable savoir qui aurait été acquis grâce à un effort délibéré d'information et d'instruction. Mais ces croyances sont à tel point répandues et font semble-t-il tellement partie de "l'air du temps" que, même si elles sont souvent contradictoires, les contradictions qu'elles recèlent ne semblent pas provoquer l'étonnement ni le malaise, et encore moins susciter la réflexion ni encourager la remise en question de ces idées, aussi contradictoires et discutables soient-elles.

Nos professionnels de la "santé mentale" semblent eux-mêmes fort souvent n'être pas très au fait des progrès de la neuroscience et de la psychologie scientifique, sans doute parce que ces acquis scientifiques seraient trop récents pour qu'ils aient pris le temps, sinon, peut-être, pour avoir éprouvé le désir de s'en informer, ou encore parce qu'ils n'en percevraient pas l'importance ni la pertinence pour leur propre discipline. Pourtant, ces acquis devraient les inciter à réviser nombre de leurs croyances invétérées sur lesquelles ils se fondent encore aujourd'hui pour poser leurs "diagnostics", pour prescrire des "traitements" et "thérapies", pour émettre des "pronostics".
Ces professionnels se posent aussi en "experts" que les politiques consultent et à qui ces derniers se réfèrent chaque fois qu'ils décident de mesures politiques visant à aménager le fonctionnement de la "santé mentale". On ne s'étonnera donc pas si les dispositions préconisées dans leurs programmes électoraux, et qu'ils promettent de mettre en place au cas où ils accèderaient au pouvoir sont, à leur tour elles aussi, d'avance périmées, voire incohérentes et souvent contre-productives.

Relever et mettre en lumière quelques unes des contradictions ou incohérences, que ce soit entre différentes croyances incompatibles entre elles mais persistant néanmoins côte-à-côte, ou que ce soit entre théories déjà anciennes et connaissances nouvelles contredisant les premières, c'est une démarche rationnelle élémentaire. C'est se "remettre à jour". C'est la démarche permanente, non seulement de tout scientifique et de tout professionnel dans l'exercice de son métier, mais c'est souvent aussi (ce devrait être toujours!) celle de tout un chacun - à son propre niveau - face à tous les événements de la vie courante. C'est grâce à pareille démarche qu'il est possible de [se] poser les bonnes questions, et ce n'est qu'en posant les bonnes questions qu'on peut valablement y rechercher - et peut-être espérer trouver - les bonnes réponses, c'est-à-dire entrevoir des solutions possibles aux problèmes rencontrés, qu'ils se posent quotidiennement et à chacun en particulier, ou qu'ils soient plus généraux et de tous les temps, pour autant que ces problèmes soient correctement posés.

Malgré que bien peu le fassent, chacun devrait donc constamment garder à l'esprit ces évidences: [se] poser les bonnes questions revient à correctement identifier les données des problèmes, c'est aussi correctement poser les problèmes, et c'est la seule manière pour trouver des solutions à ces problèmes.

Premier exemple d'énigme et d'incohérences qui devrait se rappeler à nous, si l'actualité ne s'en chargeait déjà: de multiples affaires judiciaires retentissantes ont récemment bénéficié d'une médiatisation particulièrement tapageuse, tant en Belgique qu'en France. Elles ont fait état de l'avis d' "experts psychiatriques auprès des tribunaux" et d' "experts psychologues".
Dans ces affaires, le public a pu constater que les participants à l'appareil judiciaire, magistrats, juges, procureurs, avocats, etc., (toutes personnes qu'on peut à bon droit supposer avoir bénéficié d'un niveau d'éducation et d'instruction supérieur à la moyenne générale de la population) attendent des "experts" psy qu'après un ou quelques entretiens de durée très limitée avec la personne à "expertiser", ces experts soient, par exemple:

Et ces "experts", le plus souvent, ne semblent pas mécontents qu'on leur attribue toutes ces capacités véritablement de prescience et de voyance extra-lucide; en tous cas ils ne paraissent pas se livrer à de grands efforts pour détromper ceux qui ont recours à eux ni pour les éclairer sur leurs "compétences" réelles... Car, très manifestement, ils tiennent beaucoup au prestige (et aux avantages?) que leur confèrerait leur qualité et leur autorité d' "experts" reconnus.

Par contre, tous les parents et proches de malades mentaux affligés, par exemple de schizophrénie, ou de psychose maniacodépressive, ou encore de dépression unipolaire, ici et maintenant et parfois depuis longtemps, savent bien, eux:

Ici, la question, pourtant évidente, qu'on oublie habituellement de poser est: comment se fait-il que, généralement admis et reconnus par le judiciaire et le politique, les pouvoirs divinatoires et quasi surnaturels que tous attribuent aux experts psy ne doivent se manifester - et s'imposer sans discussion à notre crédulité - que dans les prétoires ou face au juge, mais puissent néanmoins littéralement s'évanouir en des circonstances pourtant beaucoup plus fréquentes comme, par exemple, lors de la "relation privilégiée" avec un malade, à la suite du "colloque singulier" avec leur patient?

Mais il y a bien d'autres questions non résolues, peut-être parce qu'on ne les aborde jamais. Quant à savoir pourquoi on ne les aborde pas, c'est une question supplémentaire, plus générale et plus fondamentale encore que toutes les autres. On y reviendra, mais seulement après avoir évoqué d'autres exemples.

Voici un deuxième exemple bien actuel d'incohérence, qui nous est donné cette fois par les politiques (avec le soutien de leurs "conseillers techniques"). Nous avions déjà mentionné sur ce site la conférence de presse pré-électorale du CdH (en date du 27 février 2004). Les ténors de ce parti politique belge ( pour ne pas mécontenter les féministes, devrions-nous ajouter: et ses divas? ) annonçaient avec le plus grand sérieux que, dans le cadre de leur politique prévue de santé publique (et plus particulièrement de santé mentale), ils s'apprêtaient à proposer aux médias une "Charte de communication sur les pathologies mentales".

Selon ce projet de charte annoncée, les journalistes s'engageraient désormais à ne relater les cas de suicide qu'avec les "précautions oratoires requises" car, paraît-il et sans doute d'après les "experts psy" consultés par le CdH, les récits de pareils événements risqueraient d'entraîner "un effet incitatif". Les "experts psy" (peut-être surmenés, privés de sommeil ou carencés en phosphore?) responsables de cette théorie seraient bien en peine de produire la moindre référence publiée d'étude scientifique sérieuse et indiscutable à l'appui du fantasme de "l'influence incitative" (et pourquoi pas "séduisante", tant qu'on y est?) de la relation des suicides par la presse, la radio, la télé.

Mais alors qu'en même temps tous les bien-pensants et conformistes traditionnels de tout poil, les juges et arbitres autoproclamés du Bien et du Mal, s'indignent dans nos journaux, à longueur d'articles "d'opinion", de "société" et de "phénomènes culturels", et dénoncent l'influence néfaste et perverse (quoique seulement supposée) exercée sur nos "jeunes": par des scènes érotiques, ou pornographiques, ou de "violence" passant, par exemple sur le petit écran, personne pourtant ne semble imaginer que le matraquage médiatique et ad nauseam à propos des enlèvements et des abus sexuels d'enfants, des exploits sordides et effrayants de meurtriers pédophiles et incestueux, des meurtriers en série, des meurtres terroristes par attentat suicide, etc., etc., que tout cela puisse mériter la moindre retenue journalistique, sans doute parce que dans ces cas-là, les "experts", eux-mêmes fascinés, n'ont, pour une fois, pas assez sollicité leur imagination pour penser à un "effet incitatif" ou "banalisant" possible de toutes ces horreurs étalées et détaillées avec une complaisance morbide?

Que voulez-vous, nos "experts psy" sont débordés, ils sont en nombre insuffisant, eux-mêmes semblent ne plus savoir où donner de la tête ni être capables de se poser les questions évidentes et indispensables qui éviteraient peut-être aux politiques d'énoncer des bourdes contradictoires. Mais on peut aussi penser qu'en période pré-électorale, les politiques n'ont d'autre préoccupation que de se rendre intéressants pour se faire élire, et veuillent profiter de l'occasion pour, de surcroît, se donner bonne conscience à peu de frais. Cependant, une fois parvenus aux affaires, leur discours risque de se faire plus discret, sinon plus cohérent...

La question que, dans le cas de ce deuxième exemple, personne ne semble vouloir se poser, pourrait être formulée ainsi:
comment se fait-il que, sur base d'arguments totalement non fondés, on veuille faire passer une censure portant sur les cas de suicide de malheureux (car, même ainsi déguisée et si elle était volontairement consentie, ce n'en serait pas moins une censure!) pour une mesure de "promotion-prévention de santé mentale publique", alors qu'en même temps, par la publicité qui leur est faite, on semblerait presque glorifier les exploits monstrueux de criminels pervers, sans jamais se demander si pareille publicité ne pourrait pas constituer un encouragement adressé aux velléitaires inconnus à passer à l'acte?

Un troisième exemple d'incohérence est celui de la métaphore du modèle hydraulique prétendant expliquer les troubles mentaux, métaphore pourtant en contradiction avec l'expérience quotidienne de chacun (comme on le verra dans un instant). La métaphore tire son origine des théories freudiennes - ou dérivées - selon lesquelles un traumatisme psychique ancien (ou une expérience vécue fort pénible c.à.d. empreinte d'une forte émotion), "refoulé" dans les profondeurs de "l'inconscient" freudien, entrerait en conflit avec le "psychisme conscient" et exercerait sur ce dernier une pression pathogène (le "trop-plein") que seule l'exhumation (la reconstitution forcée d'hypothétiques souvenirs réprimés et enfouis) permettrait de soulager, voire de supprimer (littéralement: il faut que cela sorte, ne gardez pas cela en vous, "lâchez la bonde").

Pourtant, chez l'immense majorité des gens, quel souhait formulent-ils quand on leur demande quel sort ils voudraient réserver aux souvenirs pénibles qui les indisposent et parfois peuvent les obséder au point de les priver de sommeil et d'appétit? Ils disent vouloir les oublier ou, à défaut, ils souhaitent que l'émotion qui s'y associe disparaisse ou s'émousse.

Or, nous savons tous fort bien que ce n'est pas en procédant à la révision de ses souvenirs (en les "revisitant") et en tentant de les préciser dans tous leurs détails (en les "revivant") qu'on favorise leur oubli. On ne se débarrasse pas de ses souvenirs en les évoquant mais, tout au contraire, c'est ainsi (par la "rumination") qu'on les fixe encore mieux en mémoire (tout en risquant de surcroît d'involontairement les "enjoliver" au passage). Pour s'en convaincre si nécessaire, il n'est que de demander leur avis là-dessus, par exemple aux étudiants préparant leurs examens, ou aux acteurs apprenant leurs rôles. D'ailleurs, s'il suffisait d'évoquer (ou d'exhumer) ses souvenirs (ceux qui n'auraient pas encore disparu!) pour faire qu'ensuite ils s'effacent ou qu'ils laissent indifférent et "en paix", comment alors choisir parmi eux: ceux des mauvais moments qu'on désire oublier, ou ceux des moments heureux qu'on désirerait conserver mais auxquels sans doute, oh! paradoxe et absurdité, on n'oserait désormais plus penser de peur que leur évocation ne les dissipe plus vite?

La psychologie scientifique a, aujourd'hui et depuis quelques années déjà, démontré que ce n'est pas ainsi que la mémoire fonctionne (pour un aperçu clair et simple, voyez le chapitre 7 du dernier livre de Jacques Van Rillaer). Malheureusement, certains psychologues spéculatifs, apparemment imperméables aux arguments d'expérimentation scientifique, continuent à affirmer, par exemple et en contradiction avec les vieux adages, que "Bien souvent, ce n'est pas ce qu'on sait qui rend malade, mais ce qu'on ignore", ce qu'on ignore étant, bien entendu, ce qu'on aurait oublié et "refoulé" et qu'on prétend pouvoir rappeler, par exemple sous hypnose! C'est le même qui nous dit: "En thérapie, il est reconnu par à peu près tout le monde que même si elle n'est pas négligeable, ce n'est pas la vérité historique qui importe, mais la vérité subjective du client." ( voir Jean Côté ).

S'il est en effet concevable qu'une personne puisse moralement souffrir autant du souvenir imaginé d'un événement traumatisant (imaginaire) - ou d'un délire - que s'il s'était réellement produit, cela n'autorise nullement le thérapeute à proclamer l'équivalence de la réalité historique et de la "vérité subjective du client", voire la suprématie de cette dernière.
Pareille attitude permet, absurdement, de postuler et de fabriquer, en quelque sorte de novo, une nouvelle mais fausse vérité (réalité): par exemple, celle de la participation d'acteurs extérieurs réels à un événement peut-être imaginaire (et la tentation de réécrire et de recréer l'histoire à leur convenance a toujours été une des caractéristiques de la tournure d'esprit des dirigeants de régimes totalitaires, des révisionnistes, de certains idéologues, mais aussi de nombreux psychanalystes prenant exemple sur leur "Père Fondateur" et plus soucieux de leur image que de logique et de vérité historique).

Ne doit-on pas aussi s'interroger: un thérapeute n'est-il pas irresponsable s'il néglige la distinction qu'il devrait pourtant s'efforcer de faire entre la vérité historique et la "vérité subjective du client", ne serait-ce que parce que le diagnostic des troubles de son client ne peut pas être indépendant de cette distinction, tout comme en dépendra, nécessairement, le choix de la thérapie la plus appropriée à son cas?
Mais encore, croire que c'est la "vérité subjective du client" qui importe surtout, n'est-ce pas un encouragement à peine voilé à s'obstiner dans cette "vérité subjective"? N'est-ce pas la tentation de reporter, peut-être indéfiniment à plus tard le retour du client dans la "vérité historique", n'est-ce donc pas sans cesse différer sa "guérison", et cela ne pourrait-il pas ressembler fort à une théorie séduisante élaborée sur mesure ("sur commande") au bénéfice, non des "clients", mais plutôt de leurs "fournisseurs" de services, thérapeutes nécessiteux et fatigués qui doivent bien vivre, eux aussi?

comment se fait-il que toutes ces thérapies par la parole, d'une durée souvent indéterminée et interminable, basées sur l'exhumation des souvenirs souvent sollicités et suggérés, dont leurs praticiens vantent les bons résultats sur les malades mentaux sans jamais en apporter de preuves vérifiables ni évidentes ni concluantes, en dépit de toutes les évidences contraires et des connaissances scientifiques bien avérées, continuent à être prônées par nos officiels et à obtenir le soutien financier de notre Sécurité Sociale (pourtant en difficulté), tandis que, de plus en plus, pour raisons d'économie, il est question de supprimer les remboursements de médicaments dont on décide qu'ils seraient inefficaces, alors que les thérapies par la parole, tant par leur prix à la minute que par leurs résultats à l'année, pour le moins ne semblent guère plus avantageuses ni plus "compétitives"?

comment se fait-il que nos groupements professionnels de "psys" de diverses mouvances poussent des cris de gorets qu'on écorche dès qu'il est question de règlementer l'exercice de leur profession, mais qu'on ne les entend guère revendiquer de meilleures et plus crédibles mesures sociales et de santé pour, par exemple, assurer l'hébergement, la qualité de vie, les traitements médicaux médicamenteux, le soutien et le suivi des malades mentaux qui en ont un besoin impérieux et continu?

Et enfin, comment se fait-il que ces différentes questions qui viennent d'être posées, personne ne semble jamais les aborder ouvertement?
Je crains fort que la raison n'en soit donnée par la deuxième phrase d'Alain mise en épigramme en haut de cette page. Je pense aussi que cette phrase si juste pourrait, ici, être encore complétée: une majorité de gens préfèrent croire plutôt que savoir, car l'effort est moindre et ils peuvent aussi choisir de ne croire que ce qui leur plaît. Une fois que les gens ont choisi ce qu'il leur plaît de croire, ils ne veulent surtout plus savoir ce qui risquerait de remettre en cause leurs croyances confortables. Mais est-ce ainsi qu'on progresse?


En y réfléchissant rien qu'un peu, on pourrait aisément trouver de nombreux exemples supplémentaires de questions qui devraient "crever les yeux" de chacun. Autrement dit, si nous ne nous en préoccupons habituellement pas, si nous ne nous posons pas ces questions, c'est sans doute parce que nous craignons soit n'y avoir pas de réponse, soit que les réponses que nous pourrions y trouver ne dérangent nos certitudes et nos habitudes. Nous préférons compartimenter notre esprit en y créant des cloisons nous épargnant le choc gênant des idées incompatibles entre elles, plutôt que de mettre de l'ordre dans nos incohérences et ainsi les éliminer. Par facilité ou lâcheté, nous préférons souvent ignorer de nombreuses difficultés immédiates plutôt que de les affronter, reportant toujours à plus tard de nous y attaquer, tout en voulant croire qu'entretemps elles se seront résolues d'elles-mêmes.

Ainsi, voici un quatrième exemple à rajouter aux précédents. Nous savons qu'en Belgique, mais aussi ailleurs en Europe sans doute, de nombreux couples, bien portants mentalement et désireux d'avoir des enfants mais ne pouvant en concevoir pour des raisons médicales, tentent d'adopter un bébé orphelin ou abandonné. Nous avons tous en mémoire des articles de presse rapportant les extraordinaires "navigations au long cours" que doivent entreprendre ces parents prospectifs avant que nos administrations compétentes leur concèdent le droit et la capacité d'adopter un enfant. Chez nous en Belgique, pour le bien de l'enfant à adopter, les futurs parents adoptifs doivent répondre à de multiples critères d'âge, de moyens matériels, de moralité, de caractéristiques psychologiques, etc., etc., dont l'évaluation et la "bonne conformité aux normes localement en vigueur", laissées surtout au jugement de travailleurs sociaux, peuvent souvent paraître fort subjectives, voire arbitraires et reposant plus sur les préjugés des évaluateurs, ou parfois même sur des critères administratifs théoriques absurdes.

Par contre, on apprend parfois (cas vécu!) qu'on pourrait, par exemple, envisager de laisser une malade schizophrène, hospitalisée en institution psychiatrique, déjà mère d'enfants précédemment "placés", folâtrer avec d'autres patients (du sexe opposé) de l'institution: sous prétexte de ne pas contrarier son possible désir de maternité et "besoin" d'enfant, et de ne pas entraver ses libres allées et venues dans l'institution, aussi bien chez les hommes que chez les femmes... Tout en refusant de lui administrer des contraceptifs parce que cela constituerait une inadmissible atteinte à sa liberté, paraît-il; tout en redoutant néanmoins (mais pas trop!) les possibilités de déstabilisation liée à la grossesse probable, à la dépression du post-partum et à la possible nécessité de séparer de sa mère l'éventuel nouveau-né ainsi conçu et mis au monde en institution psychiatrique... Vive la cohérence!

Et voici un cinquième exemple de cohérence elle aussi bien [ir]réfléchie: quand un gros chien, un bon gros toutou depuis toujours ami des enfants, soudainement et on ne sait pourquoi, agresse, mord cruellement un passant adulte ou un enfant qui parfois même meurt des suites de ses blessures, à juste raison on en rend responsable le propriétaire du chien: parce qu'il ne l'avait pas enfermé, parce qu'il le laissait courir sans lui avoir mis la muselière, parce qu'il l'avait laissé échapper et ne l'avait pas tenu en laisse. Ce propriétaire imprévoyant du chien, dès lors considéré comme criminel, on le condamne sévèrement, on lui retire son chien qu'on fait euthanasier, et il devra payer réparation en dédommagement des conséquences du comportement de son animal de compagnie. Quoi de plus légitime? nous dira-t-on en effet.

Mais quand une famille tente en vain auprès d'un psychiatre de faire hospitaliser son malade psychotique qui manifeste des tendances suicidaires, et puis qu'en effet le malade passe à l'acte; quand un psychiatre laisse sortir de l'hôpital un de ses patients psychotiques sans s'assurer qu'il continue à prendre correctement la médication qui lui est indispensable, et qu'ensuite le malade halluciné et délirant se met à décapiter toute personne rencontrée dont il se croit menacé... Entend-on souvent parler d'un tribunal qui contraindrait le professionnel à rendre des comptes? Une fois de plus, belle cohérence, en effet!


Première publication: 26 Juillet 2004 (J.D.) Dernière modification: 13 Juin 2016

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