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L'ACCÈS AUX SOINS, LE SUIVI et l'ACCOMPAGNEMENT DES MALADES

À quand les "fameux" réseaux de soutien et de sécurité toujours projetés mais jamais mis en œuvre?
A part la volonté, que nous manque-t-il encore pour enfin passer à leur concrétisation?

Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne:
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne.

(Jean de la Fontaine: Conseil tenu par les rats.)

Dans tous les pays sans exception, quand elles sont confrontées aux besoins des malades atteints d'affections psychiatriques chroniques, toutes les institutions de soins, toutes les administrations concernées de près ou de loin par la santé (publique), mais aussi tous les psychiatres et psychothérapeutes tant hospitaliers qu'en privé, mais encore les infirmières, infirmiers et les travailleurs sociaux, (et ne devrait-on pas aussi inclure dans cette liste les fonctionnaires responsables publics du "maintien de l'ordre"?), tous, en principe, affirment très officiellement être responsables d'un certain nombre de tâches, parmi lesquelles figurent:

1) identifier et reconnaître le besoin immédiat voire urgent de soins requis par l'état de personnes présumées malades mentales;
2) établir avec le plus de précision possible quels sont les soins et les traitements les mieux adaptés au cas de chaque malade en particulier;
3) ensuite (pour les patients une fois qu'ils sont sortis de l'hôpital, c.à.d. après avoir été effectivement soignés et "stabilisés"), assurer la continuité des soins (l'indispensable suivi régulier et ininterrompu) des patients, ce qui devrait aussi s'appeler plus justement "l'accompagnement", de manière à éviter:
a) que l'abandon du traitement médicamenteux et des soins ou leur négligence n'entraînent la réapparition des symptômes et leur éventuelle (possible, voire probable) aggravation;
b) que des circonstances diverses, fortuites ou non (mais le plus souvent à forte charge émotionnelle), survenant dans l'environnement d'un(e) malade ne provoquent sa "déstabilisation", nécessitant alors une intervention rapide pour modification et adaptation du traitement à ces circonstances imprévues (et peut-être, voire sans doute, imprévisibles).
4) bien souvent, l'accompagnement des malades suppose aussi leur hébergement.

S'acquitter consciencieusement et correctement de ces tâches se heurte inexorablement à de multiples difficultés et obstacles majeurs, (qui sont, pour une part importante, des difficultés d'organisation):

1) puisque les causes véritables, biologiques, à l'origine des maladies mentales nous sont encore inconnues, ce ne sont que les manifestations des maladies mentales, c.à.d. leurs conséquences directes (ou immédiates) qui peuvent et doivent être combattues mais elles sont particulièrement difficiles à combattre. Ce sont les "symptômes" de ces maladies (mais c'est aussi la représentation erronée ainsi que les interprétations fantaisistes que beaucoup se font de celles-ci!); ce sont les handicaps que ces maladies infligent directement à leurs victimes dont il faut tenir compte, ce sont les particularités uniques, propres aux maladies mentales chroniques elles-mêmes, qui affectent très diversement chacun de ceux qui en sont atteints. Ces handicaps empêchent ceux qui en sont affligés de s'intégrer normalement à la société et les privent de leur autonomie, c.à.d. de leur liberté.
Ainsi, les malades bien souvent sont en quelque sorte transformés intérieurement en petits enfants irresponsables et peu prévisibles, alors que leur aspect extérieur est (heureusement) celui d'adultes comme tous les autres et, au seul regard, ne permet pas de les distinguer (heureusement et/ou malheureusement?) des bien-portants.

Comme s'ils étaient encore des enfants, leurs handicaps les rendent en grande partie ou même totalement dépendants (les mettent à la merci) du bon vouloir (ou du "bon plaisir") de ceux qui ont l'autorité et le pouvoir politiques et prétendent (ou daignent?) se soucier de "santé mentale" (seulement parce que leurs responsabilités officielles leur en font une obligation), alors qu'en fait, ces "décideurs" ne connaissent personnellement pas grand-chose des problèmes qui se posent aux malades, et ils n'ont guère le temps ni, semble-t-il, une réelle envie de s'en instruire sérieusement.

Ce qui rend la situation actuelle des malades plus pénible encore, c'est que, jusqu'à présent et contrairement à une opinion généralement répandue dans le public (par d'impénitents et peu conscients béni-oui-oui), les traitements et soins psychiatriques dont on dispose aujourd'hui ne permettent toujours pas de véritable guérison des maladies mentales chroniques (les psychoses).
Plus souvent que les "responsables" officiels n'acceptent de l'admettre ouvertement, ces traitements et soins ne conduisent que de façon peu prévisible et seulement très partiellement ou très imparfaitement, à une amélioration des manifestations de ces "maladies" qu'on puisse juger 'suffisante', 'satisfaisante' ou seulement 'acceptable' (en fait, bien des choses dépendent du sens attribué en l'occurrence à ces qualificatifs, et aussi de l'usage qu'en font ceux, venant de divers horizons, qui s'en servent en fonction de leurs espérances, convictions et croyances personnelles bien plus qu'avec le respect des réalités!), et les traitements existants ne sont en eux-mêmes jamais dépourvus de divers inconvénients qui, selon les cas et leur importance, en limitent l'application;

2) mais il y a aussi des facteurs aggravants qu'on pourrait qualifier d'indirects (ou circonstanciels), résultant cette fois de l'incapacité (ou d'un manque de véritable volonté politique?) de la société à trouver dans l'immédiat, ne fût-ce "qu'en attendant mieux"(?), et à mettre en place des palliatifs et des solutions humainement et socialement acceptables à apporter aux manifestations morbides directes (tout "en attendant", en se berçant de l'espoir de trouver, dans un avenir qu'on présente comme étant proche, des traitements médicaux plus efficaces et spécifiques que ceux actuellement disponibles).
Ces facteurs aggravants "indirects" ou "secondaires" surajoutés devraient être, en théorie et du moins si on respectait la logique, plus aisément combattus que les symptomes morbides eux-mêmes, puisqu'on devrait pouvoir leur opposer des mesures sociales et d'encadrement médical qui ne dépendraient principalement que de la volonté politique et non de la recherche scientifique à long terme (cette dernière dont on sait que personne ne peut jamais prédire quand se produira la prochaine percée décisive que pourtant elle finira nécessairement - on l'espère - par obtenir un jour).

Les facteurs aggravants sont multiples mais très généraux. Ce sont les qualités - je ne voudrais pas être obligé de ne jamais parler que de défauts - de formation, de compétences et d'organisation [toutes choses très variables et inégalement réparties] des personnels professionnels de santé, leur disponibilité numérique et les capacités d'accueil des infrastructures de santé, ainsi que les dispositions de sécurité sociale existant (ou n'existant pas!) dans les différentes régions où vivent les malades.
Pour répondre aux vrais besoins élémentaires des malades mentaux chroniques, les modifications et améliorations indispensables à apporter à ces divers facteurs nécessiteraient des investissements publics sans doute aujourd'hui encore jugés non prioritaires (peut-être parce qu'estimés trop onéreux financièrement au goût du politique).

Ces difficultés, si on voulait vraiment s'y attaquer pour les surmonter efficacement, de toute évidence exigeraient de mobiliser sans discontinuer - et sans limite prévisible dans le temps - des moyens matériels et des ressources humaines considérables (et par suite entraîneraient une charge financière bien plus lourde encore que celle jusqu'à présent et généralement consentie pour la "gestion" des maladies mentales). Nos professionnels belges de la "Santé Mentale" et nos politiques ne semblent habituellement pas trop pressés d'en reconnaître - sauf parfois peut-être dans leurs discours de "bonnes" intentions - l'impérieuse nécessité, ni l'urgence permanente, et ils ne me paraissent pas non plus fort désireux d'en mesurer assez justement l'ampleur véritable.


Identifier, c.à.d. "diagnostiquer" l'existence d'une maladie mentale psychotique chronique débutante chez quelqu'un qu'on rencontre pour la première fois, j'ai déjà répété à diverses reprises dans d'autres articles de ce site que, sauf rares exceptions, cela demande une réelle observation du malade, attentive et permanente, maintenue et ininterrompue, parfois pendant au moins plusieurs semaines dès le début de la rencontre.
Etayer le diagnostic, c'est aussi soigneusement s'informer auprès de toutes les personnes de l'entourage proche du malade, celles qui le connaissent bien (et si possible même depuis avant qu'il ne devienne "bizarre"), pour savoir quels sont les signes et les comportements de celui-ci qui les ont intriguées, inquiétées et, finalement, les ont incitées à faire appel au psychiatre.

Aucun psychiatre, même s'il le voulait (mais pourquoi le voudrait-il? Rassurez-vous, ceci n'est qu'une délirante hypothèse "de travail"!) et même s'il en avait la possibilité (encore une hypothèse guère plus vraisemblable que la première: si le malade et ses proches l'acceptaient!), aucun "psy" ne pourrait s'inviter au domicile d'un malade supposé, pour s'y incruster à demeure et pour ainsi dire le squatter pendant tout le temps nécessaire dans le but de se faire une opinion et étayer valablement et solidement son diagnostic psychiatrique du "présumé" malade psychotique. Ce n'est pourtant seulement qu'en vivant longtemps au côté du malade qu'un diagnostic correct peut être posé avec le moins possible d'incertitude (mais, sans hospitaliser le "malade", comment s'y prendre en pratique?)

Préférant en général la facilité et sans doute un certain confort personnel (reconnaissons que c'est là un 'petit' travers considéré comme "humain" et habituellement jugé avec un certain "assentiment indulgent" par leurs pairs), de nombreux psychiatres trouvent suffisant de donner des rendez-vous périodiques au "patient" à leur cabinet de consultation, une fois par semaine (parfois moins souvent), pendant par exemple 45 à 60 minutes à chaque "séance" de consultation (parfois moins longtemps), pour "écouter" le patient leur exposer ses "problèmes"; (c'est là une vieille mode, une tradition qui s'est développée à l'époque des "pionniers" de la psychothérapie par la parole, qui tiraient leurs moyens d'existence surtout de l'écoute et de l'exploitation de la crédulité des "névrosés" plutôt nantis).

Bien évidemment, cette façon habituelle de procéder ne permet pas vraiment de "sentir venir" ni par conséquent de prévenir à temps les "déstabilisations" et "crises" survenant à l'improviste dans l'intervalle entre les rendez-vous... Surtout si ces "déstabilisations" font oublier au patient la date de son prochain rendez-vous et que le "psy", constatant l'absence de son client à cette occasion, se borne à l'interpréter comme étant le signe que son patient n'a, pour le moment, pas besoin de lui, donc qu'il ne peut que bien se porter et qu'il ne faut pas s'inquiéter de son manquement au R.V., ...(pas de nouvelles? Bonne nouvelle!). Et par conséquent, habituellement, on n'interviendra pas à temps si le patient ne se manifeste pas (on attendra plutôt qu'il donne lui-même de ses nouvelles - s'il en a l'envie -, on ne cherchera pas à en obtenir... Ah! s'il fallait courir derrière chaque patient, combien de personnes ne devraient-elles pas chacune y passer combien de temps? )

Mais pendant cet intervalle, le malade peut avoir arrêté de prendre sa médication, il peut avoir fugué au loin, il peut avoir "provoqué du désordre sur la voie publique", être accidenté, il a pu atterrir dans un commissariat de police, on l'a éventuellement amené manu militari à l'accueil (à la garde) de l'un ou l'autre hôpital. Dans toutes ces éventualités, tous ceux (pas nécessairement des médecins ni des infirmiers) qui tentent de "dialoguer" avec un malade qui leur est inconnu, étranger, désorienté et peu coopératif, ne sont pas au courant du fait que cette personne suit (ou serait censée suivre) un "traitement" psychiatrique. Si toutefois cette idée les effleure, ils ne connaissent cependant pas la nature ni les modalités des "soins", ils ne savent pas si un traitement a été suivi, ni depuis combien de temps il a probablement été interrompu. Très souvent, il s'écoulera un certain temps (trop long) avant qu'on ne parvienne (si on y pense!), à identifier et à localiser le psychiatre traitant (pour autant qu'il y en ait un!), pour se mettre en rapport avec lui (et pour qu'il réagisse en se manifestant...). Il s'écoulera par conséquent aussi un certain temps (trop long) avant qu'on puisse remettre en route l'éventuel traitement initialement prescrit. Dans l'urgence, et "en attendant", un éventuel nouveau "psy" ne pourra s'empêcher d'en prescrire un ou plusieurs autres (plus ou moins arbitrairement) qui s'avèreront peut-être inadéquats (ce qu'on ne découvrira à nouveau qu'après un temps trop long).

N'étant jamais véritablement "guéris", les malades mentaux chroniques et psychotiques, s'ils ne sont pas (au moins périodiquement et assez régulièrement) "surveillés", c.à.d. accompagnés et aidés par des soignants bien au courant de leur "cas", sont toujours à la merci d'une "décompensation", c.à.d. d'une exacerbation des manifestations de leur affection (qu'on parle d'une "crise", d'une "rechute", ou d'une "récidive", ou encore d'une "déstabilisation", toutes ces appellations sont équivalentes). Pareille "crise" peut survenir parfois insidieusement, parfois plus brusquement. On sait depuis longtemps que la surveillance est nécessaire, car on reconnaît que de nombreux malades, même soignés, ne sont pas eux-mêmes bien conscients de l'éventuelle dégradation de leur état mental (qu'elle se produise progressivement et insidieusement, ou qu'elle survienne inopinément et brutalement).

Tout ce qui précède montre bien qu'en l'absence actuelle de "guérison définitive" des affections mentales chroniques, l'accompagnement des malades ne peut pas, lui non plus, jamais s'arrêter. Cet accompagnement à long terme, qu'il s'agisse du traitement médical des "crises" ou de l'encadrement et de l'aide permanents ou semi-permanents par des soignants plus ou moins spécialisés fait appel à de nombreux "intervenants": médecins psychiatres hospitaliers et privés, assistants sociaux, infirmières et infirmiers, psychothérapeutes, institutions de soins et d'hébergement spécialisé, services de police, etc., etc.

En face d'un tel nombre et d'une telle diversité d'acteurs, ce qui devrait nous frapper, c'est que pareille diversité suppose l'étroite coordination de leurs actions. Du moins, si l'on veut que l'ensemble disparate de tous ces gens et structures fasse preuve d'efficacité et d'une indispensable capacité de réaction rapide et immédiatement adéquate dans ses diverses interventions: pour identifier les malades et leurs besoins, pour les prendre en charge, pour atténuer les "crises" et prévenir leurs conséquences, p.ex. . Or, cela n'a jamais été généralement le cas, par manque évident de coordination bien organisée de tous les "intervenants" et structures de la "santé mentale" (en Belgique).

Cet immobilisme et cette carence portent le nom inavouable et trop long de "lourdeurs bureaucratiques, réticences professionnelles, corporatismes et complications administratives multiples sur fond permanent de restrictions budgétaires". C'est le fléau dont nos ministres "de la Santé" et nos "responsables professionnels" de la "Santé Mentale", les uns après les autres et depuis des années et des années, nous annoncent triomphalement et périodiquement qu'ils vont le combattre par la mise en place de "circuits de soins" et de "réseaux de soins", mais, depuis toujours, ils en restent aux mots. Sitôt ces mots seulement prononcés, on s'empresse de les oublier ainsi que ce qu'ils semblaient promettre, et on passe à autre chose.

Pourtant, les bases de données et les réseaux sécurisés dans le cyber espace, cela existe et cela fonctionne, non? (demandez aux banques et aux commerces "en ligne", par exemple).
On a même commencé à en ébaucher dans le domaine médical, voyez
en France: la cnil autorise le deploiement du dossier medical personnel sur lensemble du territoire
en Belgique: Dossier médical global

Qu'est-ce qu'on attend pour s'en inspirer en "Santé Mentale"?

 


Première publication: 7 Février 2011 (J.D.) Dernière modification: 7 Février 2011

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