Q1 - Handicap mental et Maladie mentale: quelle différence?

La différence entre "handicap mental" et "maladie mentale" n'est que rarement expliquée en termes simples, c'est pourquoi les représentations que s'en font les gens sont empoisonnées par les confusions inutilement entretenues grâce à un vocabulaire pseudo-scientifique volontairement abscons.
Les "handicapés mentaux" sont, dès la naissance ou très tôt dans l'enfance, affligés de déficits neurologiques (résultant de lésions cérébrales contractées pendant la gestation ou lors de l'accouchement). Ces déficits (qui peuvent comporter aussi des composantes sensorielles et motrices) interfèrent, soit directement avec la suite du développement psychomoteur, soit indirectement avec ce développement en faisant obstacle aux mécanismes de l'apprentissage nécessaire au développement "normal". Les mécanismes directs et indirects souvent coexistent et leurs effets s'additionnent.
Par conséquent, des déficits intellectuels et affectifs s'installent, qui sont apparents ("visibles") d'emblée ou très précocement, et qui ne seront jamais entièrement récupérables (car dès que le calendrier de développement précoce du cerveau est altéré, si peu que ce soit, les conséquences en sont toujours défavorables et irréversibles). Deux exemples bien connus sont l'autisme et le syndrôme de Down (la trisomie 21), mais il y en a beaucoup d'autres.
Des méthodes spéciales d'éducation et d'enseignement, mises en oeuvre très tôt, peuvent permettre, non une récupération complète des aptitudes optimales, mais plutôt leur compensation, plus ou moins effective, par l'acquisition de mécanismes de substitution ("vicariants"), et permettent ainsi de limiter les dégâts liés à un déficit d'apprentissage qui, sinon, serait encore accentué par l'enseignement "standard" mal adapté à chacun de ces cas particuliers.

Les "maladies mentales", par contre, parce que leurs manifestations semblent n'apparaître que plus tardivement (mais il y a des exceptions à cette règle!), donnent l'illusion d'être provoquées par des événements extérieurs à la personne malade. Les gens s'imaginent qu'on "tombe malade" au moment où les signes et symptômes anormaux deviennent manifestes. C'est une illusion. En réalité, les anomalies de constitution de la "machinerie cérébrale" sont déjà présentes, le plus souvent sans doute déjà in utero, mais leurs conséquences, leurs manifestations visibles n'apparaîtront qu'après un temps plus ou moins long, qu'on pourraît comparer à une sorte de période d'incubation (le temps nécessaire au développement complet des structures cérébrales abîmées ou de celles qui en dépendent). Plus longue aura été cette période d'incubation, plus la personne considérée aura eu de temps et de chances (d'occasions) pour se développer personnellement: physiquement, mentalement, émotionnellement, professionnellement, et pour établir des relations sociales avec son environnement.
Cependant, en fonction de l'étendue et des localisations de territoires cérébraux atteints (c'est-à-dire aussi et surtout en fonction de l'âge du foetus au moment de "l'accident" - qu'il soit d'origine génétique ou environnementale), des déficits plus ou moins importants, comme aussi des anomalies de la pensée, des fonctions cognitives, de l'humeur et de l'affectivité, feront ensuite leur apparition (se développeront), qui constitueront, en eux-mêmes, des handicaps pour la personne atteinte: des obstacles pour penser, pour gérer sa vie quotidienne, ses relations non seulement avec les autres, mais aussi avec soi-même (interpréter ses propres perceptions sensorielles, planifier ses activités et en évaluer les résultats, comprendre ses émotions et les contrôler). On ne fera pas aux visiteurs de ce site l'injure de les croire incapables d'imaginer les multiples conséquences de ces handicaps sur les plans individuel, professionnel, familial, social. La logique en est évidente et implacable, un peu de réflexion suffit pour s'en rendre compte.

Les confusions et erreurs à propos des "handicaps mentaux" et des "maladies mentales" perdurent parce que les parents et proches de malades mentaux s'accrochent désespérément, et c'est bien compréhensible, à l'idée que leur malade conserve, "cachées quelque part derrière la maladie", ses capacités fonctionnelles, mentales, intellectuelles et affectives "normales" d'origine, celles dont il avait fait preuve avant que la "maladie" ne se "déclare". Les psychiatres le leur laissent souvent croire, entretenant ainsi leur espoir d'une guérison (la réapparition de la personne "normale" disparue) grâce au traitement psychiatrique. Ils leur disent: "Votre enfant - ou parent, ou proche - est intelligent, sensible, etc., ce n'est pas un handicapé mental, il y a toujours de l'espoir, les choses peuvent s'arranger." Et il est vrai qu'avec "beaucoup de chance", une récupération, plus ou moins importante, des facultés mentales détériorées est possible, chez un certain nombre de malades mentaux soignés. Cette récupération, quoiqu' imprévisible chez un malade donné en particulier, est cependant statistiquement plus plausible que chez les handicapés mentaux. Pour ces derniers, il ne peut être question de "récupérer" des fonctions qui n'étaient jamais même parvenues à se développer. Il n'empêche que les maladies mentales sont toujours une détérioration des fonctions et capacités mentales de leurs victimes, et elles constituent par conséquent pour ceux qu'elles atteignent un handicap manifeste en comparaison de ce qu'ils auraient pu espérer s'ils avaient été en bonne santé.

En résumé, la différence entre les handicapés mentaux (qu'autrefois on appelait aussi "arriérés" ou "débiles" mentaux, désignations devenues malsonnantes aujourd'hui) et les malades mentaux ne réside pas dans une différence de nature des "pathologies". Elle réside principalement dans le moment où "l'accident" causal survient, elle est liée aussi à l'étendue et à la localisation des territoires cérébraux atteints, et elle dépend de la vitesse à laquelle les conséquences cérébrales de cet accident se développent. Les manifestations extérieures du "handicap mental" sont plus précocement visibles; elles-mêmes, tout comme leurs causes, ont des conséquences néfastes sur le développement intellectuel et affectif encore inachevé, conséquences qui sont immédiatement et intuitivement comprises par l'entourage, ce qui n'est pas le cas pour les "maladies mentales", dans lesquelles ce développement s'est d'abord, en apparence, bien effectué mais où, ensuite, la détérioration latente mais bien présente s'est manifestée, sans cause apparente encore connue.


Mise à jour, corrections et précisions apportées au texte ci-dessus (en novembre 2018)

Les explications figurant plus haut datent de novembre 2001, il y a donc déjà 17 ans ! Elles étaient une première et rapide réaction — abrégée et plutôt mal "ficelée" (pour écourter et tenter de simplifier) — aux discussions et questions posées par les parents et proches d'enfants et adultes atteints de schizophrénies, membres d'une association d'entraide que je fréquentais alors, et dont on m'avait, pendant un temps et avec de probables arrière-pensées ± intéressées, confié une "présidence". Cette fonction, qu'en tant que scientifique libre exaministe et agnostique (ancien enseignant et chercheur à la Faculté de Médecine de l'Université Libre de Bruxelles U.L.B.), j'avais longuement hésité d'accepter d'en assurer la responsabilité, puisque de surcroît je n'étais pas psychiatre de profession, — ce dont je me défends tout autant aujourd'hui encore, car je ne le suis pas plus devenu depuis [par hasard sans doute ai-je pu l'éviter et m'en préserver!]. — Je m'estimais par conséquent moins officiellement qualifié ou "crédible" à pareil poste que le médecin et professeur psychiatre (Université Catholique de Louvain U.C.L) présidant cette association, qui me précédait à ce poste et dans cette fonction avant qu'il décide de s'en retirer.

De plus, si malgré mes réticences, j'acceptais l'offre qui m'en était faite (ce à quoi j'ai fini par me résoudre), je ne désirais cependant pas particulièrement exercer une telle présidence à moins d'espérer raisonnablement pouvoir proposer aux membres de l'association: a) d'organiser des débats pour promouvoir l'information à contenu scientifique et médical dont les parents de "malades" étaient demandeurs et se sentaient frustrés; b) d'envisager avec les parents des buts et des actions diverses aussi souhaitables, efficaces et utiles que possible; c) à mettre sur pied avec eux tous et d) à mener activement et pratiquement les actions ainsi décidées en faveur de l'aide à leurs "malades mentaux" chroniques. J'estimais que cela devait et pouvait se faire dans des limites et termes philosophiquement neutres, tout en respectant et en évitant d'antagoniser (d'offenser ou d'outrager) les croyances philosophiques et les convictions de tous, de manière autant que possible dépassionnée et empreinte de la nécessaire empathie avec et parmi une majorité des membres de cette a.s.b.l. Il s'avérait que ceux-ci, tous cruellement et ± également touchés par le malheur de la longue et sévère affection chronique frappant un être cher, ils étaient aussi, par le hasard des circonstances, en large majorité plutôt traditionnellement croyants et socialement catholiques et/ou religieusement convaincus, et en général fort peu enclins à supporter et à tolérer, fût-ce chez autrui, ma conception — divergente de la leur — de la nature de "l'esprit" (qu'il soit dit "normal" ou estimé "atteint" par une "pathologie").

En effet, pour moi comme d'ailleurs pour l'actuelle immense majorité des chercheurs scientifiques, ce qu'on appelle "l'esprit" est le résultat, la conséquence logique et naturelle de la nature bien physique (c.-à d. matérielle, concrète) et de l'activité biologique du cerveau à l'exclusion de toute quelconque hypothétique et imaginaire transcendance dénuée de preuves démontrées et validées empiriquement.

A l'époque où cette première réponse de la FAQ avait été rédigée, les “neurogénéticiens” n'avaient pas encore assez largement et publiquement popularisé les progrès dûs à leurs travaux scientifiques de neurosciences et de génétique déjà connus, ni forcément leurs résultats accumulés depuis lors et que presque tous, même dans le grand public, reconnaissent et admettent enfin aujourd'hui à la fin de 2018. L'affirmation ouvertement émise, naguère encore, de l'idée voire du constat qui s'impose désormais de façon incontestable que bien des troubles psychiatriques puissent avoir pour origine une ou peut-être même plusieurs causes génétiques distinctes provoquait, encore fort souvent, un rejet spontané et immédiat plutôt horrifié de la part des proches de "malades". Pareille affirmation en effet semblait sonner à leurs oreilles comme une sorte de sacrilège, un blasphème contre l'esprit tout à la fois autonome, immatériel et immortel (c.-à d. contre l'âme).
De plus, fréquemment les parents, fort inquiets des implications et conséquences d'une nuance ou d'une distinction énoncée régulièrement comme par routine bien rodée, quoique presque jamais bien définie ni justifiée entre les appellations de “maladie psychique” et “handicap mental ” qu'ils ne comprenaient pas vraiment, la ressentaient aussi comme représentant une sorte d'insinuation ou de suggestion de très désagréable et imméritée réprobation, implicite quoiqu'à peine voilée, de leur responsabilité génétique personnelle directe dans l'héritage transmis à leur(s) descendant(s), d'une affection psychiatrique (qu'instinctivement bien qu'injustement ils éprouvaient comme stigmatisante autant pour eux-mêmes qu'envers leurs "malades").

Récemment, une lectrice du site de mens-sana.be, personnellement concernée par la question posée et intéressée par la réponse de la FAQ qu'elle avait lue (celle reprise plus haut) m'a très judicieusement fait remarquer que les distinctions entre handicap mental, handicap psychique et maladie mentale n'y apparaissaient pas nettement (elles étaient "floues" [sic]).
Par ailleurs, m'écrivait-elle, un professeur de psychiatrie lui avait affirmé qu'«un handicap psychique?» était un handicap acquis (?? J.D.) se manifestant par un trouble des fonctions exécutives — se développant normalement plus tard — par opposition avec un handicap «mental » où le trouble est présent dès la naissance.» ([sic] je ne cite verbatim qu'à peu près et de seconde main J.D.) (mais je me demande en quoi un soi-disant «handicap», et de plus qualifié d'« acquis » on ne sait comment , d'une fonction n'existant “normalement” pas encore, pourrait-il bien consister? - NDLR J.D.)
Ma correspondante me demandait mon opinion sur cette définition du « handicap psychique », ce qui m'a amené à réviser et à préciser ci-dessous mon ancienne réponse.

Les difficultés de compréhension éprouvées dans le grand public à propos de la distinction presque toujours inopportunément, maladroitement et inutilement rendue compliquée ou que j'appellerais plutôt “pseudo-subtile” entre maladiementale» ou «psychique») et handicap (lui aussi «mental» ou «psychique?») peuvent s'expliquer par tout à la fois les origines et l'histoire de notre langue et l'usage populaire de son vocabulaire, et par l'histoire du développement de nos connaissances médicales scientifiques qui n'ont pas, les uns(/unes) et les autres, tous et toutes évolué ensemble de manière commune et synchrone au fil du temps.

Ainsi tout d'abord, je rappelle à ceux qui pourraient l'ignorer ou par inadvertance l'auraient oublié, que les termes des adjectifs «psychique» et «mental» sont respectivement et étymologiquement dérivés: le premier, du grec et le second du latin, et désignent tous deux un même concept: la psyché ou esprit. Les significations de ces termes sont donc équivalentes, et donc non différentes comme pourtant et souvent ceux des "professionnels psys" qui les utilisent semblent être convaincus du contraire ou peut-être même s'efforcent d'abord de le faire croire aux autres.

Ensuite, je rappelle aussi que jadis, le terme français de «maladie» n'existait qu'à lui seul dans la "langue française" (c.à.d. qu'il n'y avait pas d'autre mot de signification «voisine ou quelque peu apparenté avec lequel on pût par distraction ou ignorance le confondre), et cela pendant bien longtemps encore avant qu'on n'y adopte et francise (c.à.d. qu'on intègre au français) le mot anglais d'origine, the « handicap ». Par conséquent et déjà au moyen-âge, dès que quelqu'un(e) affichait des signes ou «symptômes», croyances, attitudes et comportements peut-être durables et persistants, bizarres et inhabituels en comparaison de l'«état de santé normal » et des comportements habituels et communs de la population en général, on ne parlait pas encore de handicap, mais on avait l'habitude de dire de lui (ou d'elle) qu'il (ou elle) était malade, c.à.d. qu'il/elle souffrait d'une maladie (« c'est dans la tête ») . Cette habitude s'est généralisée puis a ensuite persisté jusqu'à aujourd'hui dans le langage usuel commun ou vernaculaire.

C'est aussi la raison pour laquelle, dans la plupart des articles de ce site, le terme de maladie (mentale) est employé de préférence, non pas parce qu'il serait le plus adéquat, mais par facilité, pour se conformer à l'usage habituel auquel le grand public est généralement accoutumé, plutôt que d'user de l'expression d'infirmité mentale bien que cette dernière serait assurément plus indiquée car certainement plus exacte mais de compréhension peut-être moins immédiate; — et l' «infirmité» est parfois citée et traitée de façon encore plus "dévalorisante" et interprétée comme étant méprisante ou condescendante pour le moins, par un certain public, souvent plus encore que n'est reçu le terme lui-même de maladie mentale, au moins dans bon nombre des cas d'affection psychiatrique.

Dans mon vieux dictionnaire écorné du Petit Robert (édition certes un peu ancienne: 1994 !), le "handicap" est simplement et sobrement défini comme suit: c'est une déficience pouvant être physique ou mentale.

Tout médecin quelque peu rationnel vous dira qu'une déficience [d'une capacité fonctionnelle, c.-à d. d'une faculté] se détecte et s'apprécie par comparaison avec les mesures moyennes des capacités fonctionnelles correspondantes observées dans une population comparable d'individus de même âge et sexe constatés être en bonne santé. Les mesures de ces caractéristiques physiques et mentales variant en fonction de l'âge et du sexe sont disponibles, pour les enfants depuis leur naissance jusqu'à l'âge adulte, regroupées dans des tableaux et graphiques illustrant le développement humain normal, elles figurent en bonne place dans tous les bons ouvrages de médecine pédiatrique, et aussi dans les traités de psychologie de "l'enfant et de l'adolescent".

On sait donc quand "doivent ou devraient" normalement apparaître, dès la naissance et jusqu'à l'âge adulte,toutes les fonctions dites "mentales". Parmi celles-ci, on distingue les fonctions dites exécutives, qui sont des fonctions complexes, responsables de multiples processus d'attention, de cognition, de volition, de raisonnement, de jugement, etc., etc. Bien que toutes ces fonctions dites "exécutives" soient aussi des fonctions "tout à fait mentales et normales", certaines personnes, (dont surtout des personnes déistes), veulent sans doute en quelque sorte les priviliégier en les dénommant de préférence "psychiques", ce qui crée malencontreusement un risque de distinction abusive, ambivalente, et entraîne assez paradoxalement la confusion dans le vocabulaire au sujet des troubles mentaux.
De plus, beaucoup de ces fonctions exécutives complexes sont soupçonnées d'être tributaires de l'existence et de l'activité de structures cérébrales parfois multiples (dans le cortex cérébral frontal mais aussi dans divers autres territoires cérébraux), structures qui ne sont pas nécessairement déjà toutes identifiées à l'heure actuelle, et dont on pourrait par conséquent ne pas connaître l'âge auquel elles devraient apparaître, ni par conséquent reconnaître leur éventuelle absence anormale.
(on pourra avec profit consulter l'article de Wikipedia anglophone sur le sujet. Il est bien plus clairement et correctement exposé et détaillé que celui qu'on peut trouver sur le site francophone correspondant. Mais il est en anglais!)

Les déficits mentaux des fonctions mentales exécutives ne se manifestent (et donc ne sont détectés) que plus tardivement que ceux responsables des déficits de fonctions réflexes simples (motrices ou des organes sensoriels).
Peut-être faudrait-il quand même signaler que, chez le nourrisson et dès les heures suivant la naissance, l'absence ou l'atténuation signicative du "startle reflex" ou réflexe de sursaut à un bruit répété de claquement des mains fait partie des signes qu'on retrouve chez ceux des bébés qui risquent d'être plus tard affligés de psychose schizophrénique. Peut-être n'est-ce là, du moins à ma connaissance, pas la seule exception à la règle exposée plus haut, il pourraît quand même en exister d'autres, mais je ne les connais pas.
La recherche des endophénotypes défectueux chez les "malades prospectifs " de schizophrénie (voyez Immunité) permettrait probablement d'en débusquer de nombreuses autres, elles aussi très précoces.

novembre 2018


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