Q13 - La prise de neuroleptiques pendant la grossesse n'est-elle pas dangereuse pour le développement du foetus, ou pour l'enfant, ou encore pour l'adulte que celui-ci deviendra?

La réponse à cette question n'est pas simple. On ne devrait pas y répondre en faisant simplement abstraction du contexte plus large du problème de l'opportunité, pour une malade schizophrène (ou maniaco-dépressive), d'avoir une grossesse qui pourrait avoir une incidence sur l'évolution de son affection; on devrait aussi se soucier de savoir si cette personne a la capacité ("mentale") d'élever un enfant et si elle pourra subvenir aux besoins - matériels et affectifs - de cet enfant. Cette question ne peut donc pas être dissociée de multiples problèmes éthiques que je ne voudrais pas aborder ici, puisqu'ils ne peuvent recevoir de réponse générale valable en toutes circonstances, mais que leur solution doit tenir compte des conditions et circonstances particulières propres à chaque cas individuel: sévérité de l'affection, comparaison des risques peut-être encourus par la mère, d'une part, et des risques encourus par l'individu à naître, d'autre part, situation matérielle et de famille, etc., etc.

Cependant, et pour s'en tenir strictement à la question posée, disons que les éventuels effets nocifs des médications neuroleptiques sur le développement foetal ne sont encore, actuellement, ni clairement établis ni totalement écartés. On ne dispose pas encore, ni d'un nombre suffisant de cas sur lesquels baser des statistiques, ni d'un recul suffisant dans le temps permettant d'observer les enfants "à risques" sortant de l'adolescence, au moment où les risques de développer l'affection sont les plus grands. Si on a déjà le recul nécessaire pour les neuroleptiques de première génération (dits "typiques"), il n'en va pas de même pour les neuroleptiques dits "atypiques" plus récents qui sont plutôt "à la mode" de nos jours, et il faut de plus ne pas oublier que la diversité de ces médicaments va croissant, ce qui ne peut que multiplier les risques potentiels qu'ils présentent et, partant, le nombre d'études à consacrer aux effets, à bref et à long termes, de chacune de ces molécules.

Actuellement, il semble bien que la grande majorité de ces neuroleptiques, administrés à la dose minimum efficace pendant la grossesse, n'aient pas d'effet tératogène (n'induisent pas de malformation décelable) ni sur le cerveau ni sur d'autres organes de l'embryon, mais les diverses études entreprises sont dispersées et comportent chacune, encore trop souvent, de trop petits nombres de cas assez homogènes pour en tirer des conclusions indiscutables. Quant à d'éventuels effets sur les fonctions mentales des enfants de mères traitées par neuroleptiques pendant la gestation, le recul est non seulement insuffisant, mais les nombres de cas dont on dispose ne permettent pas encore de faire (statistiquement) la part de ce qui reviendrait à la maladie de la mère, d'une part, et à son traitement, d'autre part.
Une longue recherche sur la toile ne m'a pas permis de trouver de publications d'études portant sur les effets possibles, apparaissant à l'adolescence des enfants, d'un traitement neuroleptique de leur mère schizophrène pendant la grossesse (on sait que les antipsychotiques sont susceptibles de traverser la barrière placentaire et pourraient, au moins en principe, influencer le développement cérébral foetal, sans pour autant entraîner de tératogénèse manifeste dès la naissance). On aurait pourtant aujourd'hui, puisqu'on est en 2014, le recul suffisant pour mener une telle recherche (les premiers neuroleptiques datent des années 1950!), mais sans doute cela demanderait-il une collaboration plus étroite entre obstétriciens, pédiatres et psychiatres, et une mémoire plus longue - ou peut-être des archives plus détaillées tenues et conservées sur de plus longues périodes - au sujet de leurs patients...

Selon moi, mais sans doute aussi pour ceux qui invoquent assez (trop) facilement le fameux "principe de précaution", compte tenu de notre ignorance actuelle, la prise de neuroleptiques, si elle s'avère indispensable, signifie ipso facto l'exclusion de la grossesse, c'est-à-dire qu'elle devrait s'accompagner de mesures contraceptives (ceci n'est qu'une opinion personnelle que je revendique mais n'impose évidemment à personne!)


On peut aussi consulter le site:
ansm.sante.fr/dossiers/médicaments-et-grossesse
fort détaillé et peut-être un peu trop touffu pour être de consultation pratique et rapide. Il a remplacé en 2012 le site de l'AFSSAPS (disparu depuis) qui comportait un "livret" plus limité, aujourd'hui devenu inaccessible mais plus simple et plus clair, datant de 2007. Pour les lecteurs intéressés, ce fichier .PDF a été conservé ici à l'adresse: livret_psy.pdf
(bien sûr, ses recommandations ne sont plus à jour)


Menu Articles