Q16 - Comment se comporter avec son proche, malade schizophrène, comment lui parler de son affection, comment en éviter (prévenir?) au mieux les exacerbations?

Ces questions sont posées par tous ceux qui vivent avec un malade schizophrène. On peut y trouver des réponses sur différents sites et elles ont aussi été abordées dans notre dossier consacré à la schizophrénie (Chapitre VII et Note 9, correspondant aux pages 105 à 124 du dossier au format pdf).

Sur le site schizophrenia.com, par exemple, on trouve, destinées aux familles et très résumées afin d'être simples et claires, sept recommandations élémentaires principales auxquelles chacun peut souscrire en général (en anglais, émises par les fratries, comme par les fils et filles adultes de malades membres du NAMI: How to avoid relapse).
Il est néanmoins utile de les commenter et de les nuancer, car leur mise en oeuvre particulière demande évidemment d'être adaptée à chaque cas individuel, dont on sait bien que le degré de gravité est extrêmement variable. Il faut aussi se rendre compte que l'attitude à adopter avec le malade peut n'être pas exactement la même selon qu'on se trouve dans les débuts de l'affection ou que celle-ci est déjà installée et traitée depuis un certain temps. Reprenons-les à peu près textuellement ci-après, telles qu'elles ont été énoncées dans les familles U.S. de malades.

1. Aménagez pour votre malade un environnement "structuré", de soutien, de tolérance, le moins "stressant" possible. Il faut se mettre clairement d'accord avec le/la malade sur ce qu'on attend de lui (d'elle) quant à son comportement, et en passer avec lui (elle) les différents éléments soigneusement en revue. Assignez à votre malade des tâches clairement définies, mais restez modeste dans vos attentes. Apprenez à vous attendre à certains écarts de comportement du malade par rapport à ce qui était convenu, et à les tolérer. Etablissez une routine bien réglée des activités de la maisonnée: les heures fixes pour les repas, les diverses tâches quotidiennes, les autres activités.

Commentaire: au début, c'est-à dire aussi au retour de l'hôpital ou de la clinique, il faut s'attendre à ce que, inévitablement, des entorses aux horaires surviennent, et que les accords conclus entre les membres de la famille et le (la) malade ne soient pas toujours strictement respectés. Ces écarts doivent être relevés et signalés au malade, systématiquement mais sans harcèlement. Tout doit être dit avec le moins de coloration émotionnelle possible (avec "autant de sérénité que de fermeté bienveillantes" ) et sans jamais hausser le ton. La routine de la maisonnée doit être bien prévisible, quasi monotone: ceci afin que le/la malade puisse progressivement réacquérir des automatismes (des réactions aux circonstances auxquelles il ne faut plus penser expressément) et soit, le moins possible, confronté(e) à des événements inattendus, imprévus. En effet, ceux-ci, s'ils peuvent paraître anodins à une personne en bonne santé, ils peuvent par contre, par la surprise qu'ils provoquent chez votre malade, entraîner chez lui (elle) des émotions qu'il (elle) risque de ne contrôler qu'à grand-peine et qui pourront à leur tour provoquer des réactions, par exemple d'angoisse et de fuite, ou de colère et d'affrontement difficiles à maîtriser.

2. L'ambiance de la maison doit être aussi calme et paisible que possible. Chaque membre de la famille ne doit parler qu'en exprimant ses propres opinions et doit pouvoir aller au bout de ce qu'il a à dire sans être interrompu. N'essayez pas de dire à la place d'un autre membre de la famille ce que vous croyez qu'il pense ou qu'il éprouve. Permettez à chaque membre de la famille de communiquer avec les autres de la manière qu'il choisit. Ne déléguez pas à un frère ou à une soeur ce que vous auriez à dire à l'un ou l'autre, mais dites le vous-même à l'intéressé(e). Rappelez à tous cette règle générale.

Commentaire: Les règles édictées ci-dessus ont deux objectifs principaux. 1) Il faut éviter les discussions trop animées ou passionnées. Les émotions peuvent être mal interprétées par le malade, elles peuvent éveiller en lui des émotions excessives qui risquent de lui faire perdre le fil du contenu de la conversation et, ce qui peut-être est encore plus grave, perdre en même temps sa maîtrise de soi. 2) Il faut aussi éviter les interprétations approximatives, voire abusives des propos tenus par les autres (en d'autres temps, en dehors de la présence du malade), alors que le malade peut déjà, de lui-même, avoir tendance à interpréter erronément ce qu'on lui dit ou y voir des intentions "cachées". De plus, les discussions à plusieurs personnes (simultanément présentes) sont souvent difficiles à suivre pour un malade schizophrène et, par la suite, il peut avoir du mal à se souvenir de qui a dit quoi. Chacun doit s'efforcer de prendre l'habitude, avec la personne malade, de n'exprimer, très concrètement, que ses propres opinions sans tenter d'en attribuer d'imaginaires aux autres, fussent-elles vraisemblables ou plausibles (et, ce faisant, avoir recours à un langage involontairement émaillé de métaphores que le malade comprend souvent mal).

3. Evitez de vous laisser aller à des émotions trop manifestes avec votre malade. Laissez-lui "de la marge" psychologique et physique (p.ex. en n'imposant pas de conclusion immédiate à un entretien, mais en laissant le malade se retirer dans sa chambre ou en le laissant faire un tour pour y penser). Limitez à un strict minimum les critiques et les éloges exagérément enthousiastes. Ne soyez pas trop importun au sujet des pensées et des sentiments de votre malade, p.ex. en lui disant: "tu n'aimerais pas cette sorte de travail" ou "tu n'aimes vraiment pas ceci et cela". Attendez-vous à ce que votre malade éprouve le besoin, soit de beaucoup se reposer soit, au contraire, de marcher beaucoup de long en large et puisse se laisser aller à des comportements inusités mais anodins. Tolérez tout cela. Adoptez une attitude d'indifférence bienveillante et ne prêtez qu'une attention en apparence réduite aux détails du comportement de la personne malade (prenez "de la distance").

Commentaire: cette recommandation, à la manière de la précédente, vise à limiter les émotions trop vives que des affrontements ou des discussions trop passionnées pourraient susciter chez le/la malade. Pour toute décision ou choix qui se présente à lui (elle), il faut éviter qu'une décision immédiate lui paraisse imposée d'autorité; on doit lui donner le temps de la réflexion, plus long que chez une personne bien portante. Que le/la malade éprouve des joies ou des frustrations, il faut éviter que ces sentiments ne s'emballent et prennent des dimensions "cataclysmiques". Les manifestations d'émotion des interlocuteurs bien portants du (de la) malade ne font qu'exacerber ses réactions émotives, c'est pourquoi il faut absolument se contrôler pour en tempérer l'expression.

4. Définissez les limites à ne pas dépasser par des comportements hostiles (agressifs) ou incongrus. Souvent, un comportement inadéquat ou des phrases reflétant un délire s'atténueront si on lui représente, sans émotion manifeste, qu'ils ne sont pas convenables, inadéquats. Si votre malade a des idées paranoïdes (p.ex. si il/elle croit être poursuivi(e) par des individus qui lui veulent du mal), ne tentez pas de l'en dissuader. Faites seulement preuve d'empathie, en disant combien vous comprenez à quel point de tels sentiments doivent être désagréables. Soyez très clair(e) mais calme (ferme) sur les conséquences (négatives) qui résulteraient de la persistance d'un comportement perturbateur, hostile ou agressif.

Commentaire: pareille recommandation va de soi. Toutefois, dans quelle mesure sera-t-elle toujours applicable? Tout ici dépendra de l'efficacité de la thérapeutique médicamenteuse qui rendra ou non le/la malade réceptif (réceptive) aux raisonnements et arguments qu'on lui fera valoir pour qu'il (elle) se conforme aux règles d'un comportement acceptable, et pour qu'il/elle s'en souvienne durablement. Il faudra par ailleurs tenter de déterminer quels sont les évènements, les circonstances, les situations dans lesquelles les comportements inacceptables risquent habituellement de se développer, afin de pouvoir, autant que possible, les éviter et ainsi prévenir les incidents et accidents.

5. Apportez votre aide aux efforts de socialisation et de traitement. Reconnaissez les changements qui se produisent chez le malade et qui indiquent qu'il est prêt à plus d'autonomie ou, au contraire, qu'il a besoin d'une aide accrue s'il va moins bien. Tenez les médecins, les thérapeutes, etc., au courant de ces changements. L'encouragement à la socialisation ne doit pas s'accompagner de stress. Les visites, les sorties, etc., ne sont bonnes que si le/la malade s'y intéresse et peut y fonctionner de manière acceptable. Ceci s'évalue par essais et erreurs. Les familles peuvent aider à explorer les programmes d'activité mis en place par la communauté. Devenez un militant informé et agressif, et votre malade recevra de meilleurs soins et se portera mieux.

Commentaire: ici, tout dépendra bien évidemment de l'état de la personne malade, de son degré d'autonomie et des lieux d'accueil (hôpitaux de jour, etc.) disponibles à proximité du domicile, dont le/la malade acceptera ou non de les fréquenter. Il n'est pas possible ici d'en présumer. Quant à une collaboration étroite entre la famille et les soignants professionnels, elle est, elle aussi, très dépendante des conditions locales et de la personnalité des professionnels présents sur le terrain...

6. Prenez soin de vous-même. La famille doit prendre soin d'elle-même. Elle doit partager ses frustrations avec d'autres parents. Elle doit rejoindre des associations d'entraide (aux USA: AMI/FAMI). Elle doit aussi sortir de chez elle, s'assurer que les besoins de tous ses membres sont rencontrés, et pas seulement ceux de la personne malade.

7. N'oubliez pas que personne ne peut prédire l'avenir. Vivez au présent. N'attendez pas l'impossible de l'avenir. N'en demandez pas non plus trop à la personne malade. Tâchez de trouver un compromis raisonnable entre le réalisme et l'espoir.


8. Certains parents se demandent aussi comment parler de sa maladie avec son fils ou sa fille malade de schizophrénie. Chaque cas étant en quelque sorte unique, chaque famille étant particulière, il est impossible d'apporter ici une réponse, nécessairement générale, qui puisse s'appliquer de manière utile à chaque cas rencontré. Personnellement (mais je reconnais qu'il s'agit d'un sentiment qui m'est personnel, mon opinion ne vaut que ce qu'elle vaut...), je crois que les proches ne doivent parler sérieusement de son affection au malade que si celui-ci en prend l'initiative et en exprime le désir à son entourage. Dans ce cas, souvent mieux vaut laisser cette tâche au psychiatre traitant (en espérant qu'il veuille bien l'entreprendre). Si les proches abordent le sujet avec leur malade, ils doivent au préalable s'être bien documentés, ce qui est loin d'être facile, car j'estime que la littérature de vulgarisation psychiatrique par les professionnels de langue française n'est habituellement pas d'une grande aide pour un public non préparé. C'est dans les associations d'entraide de familles de malades qu'ils pourront acquérir le plus facilement l'information qui leur manque au début, et ils pourront y bénéficier de l'expérience d'autres parents confrontés depuis plus longtemps qu'eux à la schizophénie d'un proche.
Je crois aussi que quand (si) les proches parlent avec le malade de son affection, ils doivent soigneusement éviter d'y chercher des "raisons" et d'en interpréter les manifestations par des "explications" de nature psychologique; pareilles "explications", toujours imaginaires et ne valant que pour les bien-portants, risquent fort d'être en désaccord avec celles du (de la) malade lui-(elle-) même et de provoquer chez lui (elle) des réactions de refus, de colère entraînant des disputes familiales parfaitement inutiles et même "contre-productives". Les proches doivent rester très concrets, voire terre-à-terre, ne dire que ce qu'ils observent et constatent, et laisser le malade donner lui-même, s'il le peut et le veut, ses propres explications et interprétations de ses actes, comportements, pensées et sentiments. De plus, les interprétations énoncées par les proches sont toujours, qu'ils le veuillent ou non, teintées de jugements (ou elles sont perçues comme telles), que ces jugements soient réprobateurs ou parfois même approbateurs. Or, c'est cela qu'il faut absolument éviter.
Il ne faut surtout jamais juger le malade ni lui en donner l'impression!

Enfin, bien que non abordée ici, il faut rappeler la condition préalable essentielle à respecter impérativement pour que tout ce qui précède soit possible: il faut qu'un traitement neuroleptique efficace ait été instauré et qu'il soit scrupuleusement suivi sans interruption. Ceci doit être attentivement surveillé.


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