Q8 - Les malades schizophrènes peuvent-ils
conduire un véhicule?
a) L'obtention du permis de conduire en Belgique;
b) L'assurance automobile ...
Il n'est pas possible de répondre à ces questions d'une manière
globale qui serait valable pour l'ensemble des cas pouvant survenir.
Ne sera envisagé ici que le permis de conduire catégorie A (de
véhicules automobiles pour transport de personnes à usage personnel
et privé). Nous rappellerons d'abord ce que la législation a prévu,
et les problèmes posés par la mise en pratique de cette législation.
Ensuite, nous parlerons "bon sens". Nous verrons que cela n'est pas
exactement la même chose.
a) Un arrêté
royal pris le 23 mars 1998 (entré en vigueur le
1er octobre 1998 - voir le Moniteur
belge), dans son annexe n° 6, définit les normes minimales concernant
"l'aptitude physique et psychique à la conduite d'un véhicule
à moteur".
Dans son article 41, l'arrêté royal stipule que le candidat au
permis de conduire signe, sur le formulaire de demande qui lui est présenté,
une "déclaration sur l'honneur aux termes de
laquelle il atteste qu'à sa connaissance, il n'est pas atteint d'un des
défauts physiques ou d'une des affections mentionnés dans l'annexe
6, prévus pour le groupe 1. [...] Le
candidat qui ne s'estime pas autorisé à signer la partie de la
déclaration relative à l'aptitude physique et psychique générale
subit un examen effectué par un médecin de son choix.
Le médecin demande, le cas échéant, le rapport d'un médecin
spécialiste conformément aux dispositions de l'annexe 6 "
(ce médecin demande l'avis d'un psychiatre à qui il a adressé
le "candidat").
"La" schizophrénie est explicitement mentionnée dans
cette annexe 6: "Le candidat [au permis de
conduire] atteint de schizophrénie
peut être déclaré apte à la conduite s'il n'a pas
eu de récidive depuis au moins deux ans, s'il est pleinement conscient
de son affection et si la déficience est légère. La durée
de validité de l'aptitude ne peut excéder trois ans".
Dans notre dossier sur la schizophrénie, comme aussi dans les autres
articles de ce site, on a insisté sur plusieurs des caractéristiques
des affections schizophréniques qui confèrent au texte de cette
"annexe 6" de l'arrêté royal des accents quelque peu
surréalistes (totalement irréalistes).
En effet, nous avons vu qu'une proportion importante des malades ne se considèrent
pas comme tels. Par conséquent, pourquoi hésiteraient-ils à
déclarer sur l'honneur être exempts de maladie mentale, puisqu'ils
n'ont pas conscience de cette maladie, même si pareil diagnostic a été
précédemment posé, parfois même sans qu'il ne soit
communiqué au malade ni à ses proches? (Comme cela arrive
trop souvent, de nos jours encore).
En supposant même qu'un malade s'adresse à un médecin généraliste,
parce que, dans un moment de lucidité exceptionnelle, il ne "s'estimerait
pas autorisé à signer la déclaration sur l'honneur...etc.,
etc.", et que ce médecin l'adresserait à un psychiatre, comment
croire que ce dernier pourrait, en toutes circonstances et en quelques dizaines
de minutes d'entretien, poser un diagnostic de schizophrénie ou l'exclure
(et, par-dessus le marché, lui, un psychiatre, évaluer l'aptitude
à la conduite?) alors que nous savons que, dans notre pays, pareil
diagnostic n'est souvent posé qu'avec hésitation et beaucoup de
réticence, parfois seulement après plusieurs années de
consultations de multiples psychiatres, souvent évasifs ou, au contraire
péremptoires mais d'opinions contradictoires?
De plus, le médecin auquel le candidat au permis de conduire s'adresserait
se trouverait confronté à des problèmes éthiques
et de déontologie fort épineux: il se trouverait tiraillé
entre une fonction de médecin traitant - tenu au secret médical
- et un rôle d'expert, mais à la demande de son "client"!
Ceci serait à éviter absolument par tout médecin! Par conséquent,
on peut prédire que tout malade schizophrène qui, "raisonnablement",
s'adresserait à un "médecin de son choix" en lui disant
"j'ai (eu) une schizophrénie", et voudrait se faire délivrer
par lui une attestation d'aptitude "physique ou psychique" à
la conduite, risquerait fort de se voir éconduire sous les prétextes
les plus divers. On peut aussi prévoir que nombre d'entre eux finiraient
alors par décider de se passer d'attestation et signeraient (le plus
souvent en toute bonne foi) la "déclaration sur l'honneur".
La perplexité est grande aussi quand on s'interroge sur ce qu'on entend
réellement par "pas de récidive depuis
au moins deux ans" (qu'entend-on par récidive?),
et quand on doit définir et quantifier la "déficience
légère" (!! Déficience de quoi, s.v.p.?)
Quant à "être pleinement conscient
de son affection", croit-on que c'est l'expert
psy (extérieur, non traitant!) qui va en donner l'assurance,
la garantie écrite à la suite de son "examen"?
On peut donc dire que ceux qui ont participé et contribué à
la rédaction de cet arrêté royal, s'ils s'attendaient à
ce que les malades schizophrènes aillent d'eux-mêmes au devant
de ses dispositions, c'est qu'ils ne devaient probablement pas avoir de notions
bien précises sur les troubles schizophréniques, à moins
qu'ils n'aient eu d'autre souci que de simplement réglementer pour paraître
combler un vide juridique, possibilité que nous ne penserions même
pas envisager...
(Dans cette même "annexe 6 ", dépression et maniaco-dépression
entraînent l'inaptitude à la conduite automobile, sauf absence
de "récidive" depuis au moins six mois...)
b)Supposons le permis de conduire obtenu. Reste encore l'assurance automobile...
Même lorsqu'elles y sont invitées, l'immense majorité des
compagnies d'assurances présentes ou représentées dans
notre pays ne témoignent en général d'aucun empressement
à rencontrer les familles de malades mentaux pour s'expliquer devant
elles sur les raisons de leur habituel refus d'assurer
les malades mentaux.
A l'opposé, face aux familles de malades confrontées aux difficultés
rencontrées pour assurer leur proche atteint de schizophrénie,
certains juristes "sympathisants" se prétendent leurs "défenseurs"
et peuvent alors adopter une attitude démagogique, leur laissant croire
que les réticences des assureurs sont injustifiées. En réalité,
les choses ne sont pas aussi simples qu'il pourrait y paraître à
première vue.
Tout d'abord, nous savons bien qu'il n'y a pas deux malades pareils quant
à la mosaïque des signes et des symptômes dont ils sont affectés.
Nous savons que leurs capacités d'attention (ou leur distraction),
de vigilance (ou leur somnolence), de perception de la réalité
(ou leurs hallucinations), de contrôle des émotions (ou
leur impulsivité), sont extrêmement variables chez les uns
et les autres, tant en intensité qu'en durée et en fréquence.
Sans vouloir choquer qui que ce soit, je serais tenté de suggérer
aux proches d'un malade qu'ils se posent les questions suivantes:
vous qui connaissez le mieux votre malade,
seriez-vous prêts à le laisser prendre seul le volant
pour reconduire chez elles des connaissances qui vous avaient rendu visite?
Seriez-vous totalement rassurés à l'idée que votre parent
malade se retrouve, seul derrière son volant ou accompagné de
passagers dont il aurait la responsabilité, dans les encombrements de
la circulation en ville?
Selon les cas, ces personnes s'interrogeant, après mûre réflexion et si elles sont honnêtes avec elles-mêmes et se répondent franchement, elles sauront si, oui ou non, il est raisonnable de laisser conduire leur malade. Il n'est guère nécessaire ni utile d'interroger des psychiatres sur une telle question en général: ils ne pourraient dire que des généralités basées sur des statistiques contestables, alors qu'il n'y a ici que des cas particuliers: telle ou telle personne individuelle, plus ou moins sérieusement atteinte par les troubles mentaux.
Pour ceux qui estimeraient tout de même, après pareille réflexion, que leur malade serait capable, en toute sécurité, de conduire un véhicule motorisé, une étape pourrait être tentée: celle de l'épreuve du permis de conduire (théorie et pratique). Les résultats de cette épreuve pourraient, soit conforter la confiance des proches dans les capacités de leur malade à la conduite, soit, au contraire, les dissuader de se lancer dans l'aventure (et, sans doute avec une certaine naïveté, ne pourrait-on pas imaginer que ce serait, en l'occurrence, un test d'aptitude peut-être aussi fiable que l'examen psychiatrique?) Cependant, même si le permis était obtenu, cette obtention ne garantirait aucunement la possibilité d'ensuite s'assurer auprès de l'une ou l'autre compagnie d'assurances (ce qui, chez nous, est une obligation légale). Le plus souvent, les dépenses importantes déjà consenties (auto-école etc.,) risqueraient fort d'avoir été engagées en pure perte.
Le deuxième obstacle à franchir est donc celui de l'assurance
automobile obligatoire. La plupart des contrats d'assurance
automobile prévoient que le preneur d'assurance déclare les affections
médicales dont il est atteint, ceci afin d'éventuellement ajuster
en conséquence le montant des primes (proportionnellement aux risques
accrus statistiquement encourus - selon des tables actuarielles). Ces contrats
comportent généralement aussi une clause de nullité s'il
s'avère que l'assuré aurait omis de signaler les affections médicales
dont il se serait su atteint.
La quasi-totalité des compagnies d'assurances refusent d'assurer les
personnes qui reconnaissent souffrir d'une affection mentale chronique appelée,
par exemple, "schizophrénie". Ceci explique la tentation, pour
certains, de taire l'existence de leur affection dans les formulaires et questionnaires
fournis par l'assureur. Nous ne pouvons évidemment que déconseiller
formellement pareille pratique peu honnête qui, à plus ou moins
brève échéance, ne peut que se retourner contre l'assuré.
Mais les malades, eux, comme on l'a déjà dit dans les paragraphes
précédents, ils ne reconnaissent pas nécessairement leur
maladie, tout en étant de bonne foi!
Certains proches imaginent que le psychiatre traitant de leur malade pourrait
lui fournir une sorte "d'attestation" de capacité qui lui permettrait
d'obtenir l'accord de l'assureur. Ceci n'est pas possible. Il y a deux raisons
à cette impossibilité.
La première raison est officielle
et de nature formelle. C'est celle qui est toujours donnée à l'exclusion
de la seconde que nous évoquerons plus loin. Pour le psychiatre traitant,
remettre pareil "certificat" constitue une violation inadmissible
du secret médical concernant son patient. Même si, un instant,
nous supposions possible la rédaction et la remise d'un tel document
- parce qu'il ne divulguerait pas le diagnostic et se bornerait à déclarer
estimer le patient apte à la conduite -, le simple fait que l'attestation
soit rédigée par un psychiatre ne pourrait qu'amener celui qui
en prendrait connaissance à se poser des questions et émettre
des suppositions peut-être "stigmatisantes" sur la nature de
l'affection du candidat à l'assurance.
Une deuxième raison n'est
en général pas évoquée car, tout à la fois,
elle résulte des incertitudes dans lesquelles la psychiatrie baigne encore
toujours, et en faire état pourrait éclairer la psychiatrie et
les psychiatres d'un jour qu'ils croient peu favorable à l'image qu'ils
veulent donner d'eux. Cette raison profonde est valable pour le psychiatre traitant,
mais plus encore pour un expert que désignerait l'assureur. Elle peut
se résumer par la question suivante: quel est donc le psychiatre qui
se risquerait à affirmer et à garantir (certifier) que l'affection
dont souffre son patient ne sera pas à
l'origine d'un accident? Comment s'attendre à ce qu'un psychiatre prenne
le risque de voir l'assureur (et l'assuré) lui intenter un procès
au cas, nullement invraisemblable, où ses prédictions optimistes
ne se vérifieraient pas?
Les compagnies d'assurances peuvent parfois désigner un expert médical pour examiner le candidat à l'assurance: ceci évite les conflits déontologiques et d'intérêt qui pourraient survenir si l'assureur s'adressait au médecin traitant. Cependant, pour cette tâche, les assureurs ne désignent pas de médecin psychiatre, car ils savent bien que ce dernier ne peut guère s'engager à donner un avis valable, favorable à un contrat, sur la base d'un simple et unique entretien ("examen") d'une durée limitée, au mieux, à moins d'une heure, qu'il aurait avec le candidat à l'assurance (on peut, sans grand danger de se tromper, affirmer qu'il ne s'y risquerait pas!).
Pour justifier leur refus d'assurer les conducteurs atteints de schizophrénie,
les assureurs invoquent les risques trop élevés encourus du fait
de la maladie.
Certains pourtant prétendent, statistiques à l'appui, qu'on ne
recenserait pas plus (sinon peut-être moins!) d'accidents de roulage parmi
les automobilistes schizophrènes que chez le restant des conducteurs.
Comment expliquer cette discordance dans l'appréciation des risques?
Elle trouve probablement son origine dans la différence de fiabilité
des statistiques selon qu'il s'agit de tables actuarielles d'affections dites
"physiques" ou d'affections dites "mentales". La précision
des statistiques pour ces dernières est obligatoirement bien moindre
que pour les premières, entraînant ainsi un degré beaucoup
plus important d'incertitude dont les psychiatres ne sont pas toujours avertis,
mais dont les assureurs doivent évidemment tenir compte.
Une deuxième explication, qui n'exclut pas la première, est que
les statistiques ont pris en compte les schizophrènes déjà
conducteurs, c'est-à-dire les "bons cas" sélectionnés
rétrospectivement. Les chiffres d'accidents obtenus dans ces
conditions sont certainement inférieurs à ceux qu'on récolterait
si, prenant un échantillon aléatoire de patients schizophrènes,
on tentait d'en faire des automobilistes et si on dénombrait ensuite
leurs accidents. Or, c'est justement le cas de figure dans lequel se trouveraient
nos compagnies d'assurances si elles changeaient d'attitude. Pourquoi iraient-elles
au-devant de probabilités défavorables pour elles? (si certains
disent que, à nombres égaux de conducteurs atteints de schizophrénie
et de bien-portants, on ne constate pas statistiquement plus d'accidents de
roulage chez les premiers que chez les seconds, ils oublient néanmoins
de signaler que, par contre, à nombres égaux de kilomètres
parcourus, les accidents sont cependant significativement plus nombreux chez
les malades, ce qui incite à la prudence!)
Il n'y a, en Belgique, encore aucune solution satisfaisante au problème. Quoiqu'il y ait sans doute des "bons" cas qui devraient pouvoir conduire s'ils en éprouvent la nécessité - et donc devraient pouvoir s'assurer -, et des "mauvais" cas qui font mieux de s'abstenir, on ne s'est pas donné les moyens de faire le tri. A défaut, appliquant le fameux principe de précaution, les assureurs mettent tous les patients dans le "même sac".
Tout ce qui précède est évidemment valable pour ceux qui sont "tombés" malades avant même d'envisager la conduite automobile. Ce sont les plus nombreux, puisque la schizophrénie se déclare généralement tôt. Quant à ceux qui, déjà automobilistes, deviendraient malades ensuite, à eux mais surtout à leur entourage de juger s'il est sage de les laisser continuer.