Revendication 10 - PSYCHIATRES A DOMICILE

Les familles de malades mentaux chroniques (les associations les regroupant) réclament qu'il puisse être dérogé à la règle interdisant aux médecins psychiatres de se rendre au domicile des malades sauf s'ils y sont appelés en consultation par un confrère généraliste.

Les médecins "généralistes" travaillent "en première ligne". C'est eux qui, après avoir rencontré, entendu, vu et examiné leurs patients, décideront si l'avis d'un médecin spécialiste est nécessaire, et vont faire appel à lui.

Les médecins spécialistes, sauf exceptions, n'étant pas en première ligne, ne se rendent pas au domicile de leurs patients. Par conséquent, les médecins psychiatres, qui sont des spécialistes, ne se déplacent pas pour visiter à domicile leurs patients malades mentaux psychotiques chroniques.

La règle est générale, elle est logique et habituellement bénéfique pour la plupart des malades dits "somatiques", elle incite aussi à un usage raisonnable des deniers de la Sécurité Sociale.

Dans le cas des malades mentaux psychotiques chroniques, cette règle habituellement raisonnable et bénéfique se révèle au contraire très néfaste à tous points de vue. Les psychiatres devraient pouvoir y déroger, pour diverses raisons qui ne semblent pas perçues par les responsables politiques de la "Santé Mentale" ni même, parfois, par certains professionnels de la psychiatrie. (Le détail de ces raisons est exposé ci-dessous).


Le "bon usage" voudrait que tous les malades, quels que soient par ailleurs les troubles ou maux dont ils se plaignent, se rendent d'abord au cabinet du médecin, plutôt que de lui demander de se rendre à leur domicile. Les exceptions à cette règle sont évidentes: les malades incapables de se déplacer appelleront le médecin à venir chez eux.

Le "bon usage" voudrait aussi que les malades s'adressent en premier lieu à un médecin généraliste plutôt qu'à un spécialiste. Le généraliste ayant une vue globale de son patient, il sera le plus compétent pour juger de l'opportunité de consulter un spécialiste et choisir la spécialité la mieux indiquée pour son patient. Si le recours prolongé à un spécialiste s'avère ensuite nécessaire, le malade pourra évidemment continuer de s'adresser directement à lui. Habituellement, le patient se rendra au cabinet de ce spécialiste, sauf si son affection l'en empêche, auquel cas, pour beaucoup de spécialités, ce médecin pourra accepter de se rendre au domicile du patient (les exceptions sont celles où un appareillage non transportable est requis pour les examens).

Que se passe-t-il dans le cas de malades psychotiques?

1) Les malades psychotiques ne se rendent généralement pas spontanément au cabinet du médecin, car ils ne sont pas capables, du fait même de la maladie, de prendre conscience de leurs problèmes.

2) Par conséquent, le médecin est appelé à domicile par la famille ou l'entourage.

3) Les psychiatres étant des spécialistes, ils ne sont pas en première ligne, ils ne vont pas au domicile des malades, même s'ils y sont appelés de manière fort pressante.

4) La famille, en désespoir de cause, se rabat sur un médecin généraliste, qui se rend à domicile. Constatant que le malade souffre peut-être d'une affection psychiatrique que sa formation médicale ne l'a pas vraiment préparé à reconnaître, ce généraliste conseillera donc de se rendre à la consultation d'un confrère psychiatre. On en revient ainsi au point 1.

Ces quatre points ci-dessus constituent une boucle fermée sur elle-même, une situation sans issue: psychiatre et malade mental n'allant pas l'un vers l'autre, ils ne se rencontrent pas. La situation ne se débloquera que dans l'urgence: l'hospitalisation sous contrainte, ou l'accident grave ou même fatal (dans les deux cas avec intervention de la police, des pompiers, du SAMU, etc.)

Ceci n'est que la conséquence immédiate et la plus visible de cette règle suivie par les médecins psychiatres: ne pas se rendre au domicile des malades mentaux psychotiques.

Une autre conséquence est moins immédiate et donc moins évidente, moins perceptible mais au moins aussi pernicieuse:

C'est dans l'urgence que les malades psychotiques font connaissance avec le psychiatre et la psychiatrie: aux admissions d'urgence des hôpitaux ou des cliniques, sous contrainte, dans l'incohérence, l'agitation, voire la violence, après des péripéties très souvent dramatiques touchant au cauchemar pour les malades et les familles.

Ces situations très spectaculaires ne constituent pourtant qu'un aspect très parcellaire et fort minoritaire des psychoses: l'aspect des "crises", qui ne sont que la petite partie émergée d'un iceberg beaucoup plus important. C'est pourtant cet aspect-là auquel se limite, forcément, la vision du psychiatre.

Tout ce qui se passe entre les "crises" est de bien plus longue durée et aussi important, sinon même plus que les crises, pour avoir une représentation correcte de la maladie. Cela, cela se passe à la maison, en famille, pendant des jours, des semaines, des mois. Cela, aucun psychiatre ne le voit, car à l'hôpital on a assommé le malade de médicaments neuroleptiques, il n'est plus le même qu'à domicile. Mais on va l'y renvoyer.

Le psychiatre deviendra un jour enseignant, il formera d'autres psychiatres. Il ne pourra enseigner que ce qu'il a vu: les crises, et ce qu'il croit être le résultat de l'administration des médicaments neuroleptiques. Ses élèves continueront donc à ignorer les caractéristiques les plus importantes et les plus durables des psychoses.

Et c'est ainsi qu'au lieu de promouvoir le savoir, on perpétue l'ignorance.


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