Chap. III
Note 6

Symptômes dits "chroniques", ou "résiduels", ou encore "négatifs".

Les "signes chroniques", ou "signes résiduels", ou encore "signes négatifs", sont des dénominations souvent équivalentes employées pour désigner les signes de l'affection qui persistent entre les épisodes dits "aigus" où les "signes positifs" monopolisent l'attention.

Ces dénominations puisent leurs origines dans d'anciennes descriptions psychiatriques et trahissent les conditions dans lesquelles elles avaient été obtenues: par des observateurs intermittents, ayant des a priori et en tirant des interprétations hâtives, voire prématurées. En effet, on ne faisait de préférence appel aux professionnels qu'au moment des crises "aiguës" - et cette tendance est toujours d'actualité - puis, une fois ces crises passées, les signes aigus laissaient la place à d'autres signes, forcément "résiduels" auxquels on attribuait la qualité de "chroniques", puisqu'ils persistaient longtemps, en fait d'une "crise" à la suivante.

En réalité, "signes aigus ou positifs" et "signes chroniques ou négatifs" ou encore "résiduels" souvent coexistent, les signes dits "résiduels" sont déjà présents pendant les "crises" mais peuvent alors passer inaperçus.

Signes "positifs" et "négatifs" sont des appellations purement descriptives devant être prises dans un sens métaphorique qui n'a rien d'une appréciation morale; ici, positif ne signifie pas "bon", négatif ne prend pas le sens de "mauvais": les signes positifs sont ceux qu'on ressent intuitivement comme "l'exagération excessive"- si on peut s'exprimer ainsi - de traits normaux, ou encore l'apparition de phénomènes nouveaux (qui viennent "en plus"): agitation, idées délirantes, hallucinations, p.ex.

Les "signes négatifs" sont ceux qui sont intuitivement interprétés comme une "diminution", un affaiblissement de traits psychologiques "normaux": l'apathie, l'indifférence, le manque de volonté, l'inactivité, etc. Cette dénomination est quelque peu malheureuse, puisque, au signe "négatif", elle associe le jugement du manque d'une qualité souhaitable et, par conséquent elle tend à justifier le préjugé défavorable que les gens ont, par exemple pour l'apathie et l'inactivité qui, pour eux, deviennent facilement de l'indolence ou de la paresse, l'indifférence apparente qui passe pour l'absence de sentiments, etc.

Quand ils sont présents, les signes "positifs" sont évidents d'emblée aux familiers des malades. Ils masquent les signes négatifs, ceux qui, se distribuant sur un continuum, ne seront reconnus que par les proches, seuls à même d'en juger par comparaison avec l'état antérieur du malade. C'est pourquoi les "signes négatifs" ont été longtemps oubliés ou même ignorés, même par les professionnels: quand les parents de malades s'en plaignaient, le neuroleptique était incriminé. Beaucoup de nos psychiatres ont ainsi confondu "signes négatifs" de la schizophrénie et effets secondaires des neuroleptiques. C'est aussi pourquoi, une fois les seuls signes "positifs" étouffés par des doses initiales excessives de neuroleptiques, on prétendait souvent avoir soigné avec succès un épisode de la maladie, et le malade étant dès lors considéré comme "stabilisé" (mais en réalité souvent plutôt "assommé") - jusqu'au prochain épisode "aigu" - il devait sortir de l'hôpital. Les signes négatifs réapparaissant passaient alors pour un corollaire malheureux du traitement. N'étant désormais plus occultés par la présence des signes "positifs" spectaculaires (s'accompagnant d'agitation et souvent d'exaltation), les signes "négatifs", bien plus discrets mais plus durables, mais aussi les plus invalidants sur le long terme, redeviennent évidents mais ne s'imposent qu'à l'entourage, dont, trop souvent, les observations sont négligées ou ignorées par une majorité de nos psychiatres (qui, encore aujourd'hui, bien souvent s'estiment trop occupés pour pouvoir prendre le temps de rencontrer les familles, écouter leurs descriptions et doléances, leur parler et leur expliquer ce dont souffre leur malade, et ne se rendent que très exceptionnellement au domicile du malade ou de la famille).

(Ce sont principalement les travaux de la psychiatre américaine Nancy Andreasen qui, dès les années 1970, ont ré-attiré l'attention sur les signes "négatifs" qui ont fini par "retraverser" l'Atlantique).


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