Chap. IV
Note 3

Les théories psychologiques explicatives

Les "théories psychologiques explicatives" de la schizophrénie n'ont jamais pu recevoir la moindre confirmation scientifique. Elles n'ont jamais été que le reflet, des croyances, des préjugés, des superstitions et des idées reçues prévalant du temps de leurs auteurs, et elles s'amplifiaient encore grâce à la crédulité d'autres individus ne demandant qu'à s'y conformer en croyant ainsi "être dans le vent". Ceux qui ont imaginé ces théories ont confondu, sans comprendre leur erreur, les causes biologiques inconnues des dysfonctionnements cérébraux avec leurs propres raisons imaginaires, "psychologiques", "d'éducation" , "sociales" et "culturelles" pouvant, selon eux, "expliquer" les anomalies de pensée et d'affect des malades. Ils semblent n'avoir toujours pas compris, même aujourd'hui encore, la distinction fondamentale, nécessaire, entre causes et raisons.

Les raisons sont des arguments, des "explications" superficielles et psychologiques pouvant éventuellement décrire des "difficultés" psychologiques (appelées naguère "névroses") remédiables par l'éducation et des interventions"psychologiques". Les causes biologiques ne sont pas des "raisons" psychologiques que nous imaginons d'après notre logique du raisonnement "normal"; elles sont les causes matérielles profondes à l'origine des défectuosités de notre logique, donc à l'origine des affections mentales (dont les psychoses); notre logique ne peut donc en rendre compte; ces défectuosités ne peuvent être améliorées que par des thérapeutiques biologiques et doivent, en plus, être accompagnées d'une aide pratique individualisée, c'est-à-dire adaptée à chaque cas.

Les bases des théories psychologiques des maladies mentales ne sont qu'imaginaires et calquées, par des analogies, sur une représentation intuitive et superficielle de notre fonctionnement psychologique "normal".
En fonction des époques, ces théories, (ou plutôt ces rêveries) en apparence plus ou moins élaborées, ont invoqué des conflits psychologiques, ouverts ou latents, entre enfants et parents, entre époux, à l'intérieur des familles, conflits engendrés soit par des mauvais traitements infligés pendant l'enfance, soit par la contradiction entre les instincts et les besoins supposés de l'individu et les conventions admises par la société, etc.
Citons, p.ex. le psychologue U.S. S. Pinker, dans son livre How the Mind Works (W.W.Norton 1997, ou London Penguin Books Ltd, 1998, p.48), qui nous rappelle très justement: "Pendant une majeure partie de ce siècle, les mères coupables ont enduré des théories ineptes les réprouvant pour tout trouble ou toute différence survenant chez leurs enfants (les messages contradictoires provoquent la schizophrénie, la froideur entraîne l'autisme, la domination entraîne l'homosexualité, l'absence de limites conduit à l'anorexie, pas assez de babil[lage] maternel bêtifiant engendre des troubles du langage). Les dysménorrhées, les nausées de la grossesse et les douleurs de l'accouchement ont été considérées comme des réactions [d'aversion] des femmes aux conventions culturelles, plutôt que d'être traitées comme de légitimes problèmes de santé".

Ces théories n'ont souvent rien fait de plus que reprendre à leur compte, amalgamés aux mythes de nos religions monothéistes plus récentes, les thèmes de la tragédie grecque antique tout en les compliquant de jargon pour leur donner plus de poids grâce à une apparence savante, ce qui conférait aussi à leurs auteurs une réputation d'érudition et de culture passant pour de la science auprès des profanes et des futurs "clients". A la manière des théoriciens du moyen-âge et des scolastiques, les champions et adeptes de ces théories ont confondu étalage d'érudition artistique ou littéraire et rigueur scientifique.

D'autres encore, envieux peut-être de la célébrité, par exemple d'un Dostoïevski ou d'un Marcel Proust, ces admirables "explorateurs" de l'âme humaine, ont à leur tour voulu s'illustrer dans ce domaine, sans toutefois avoir le talent requis pour acquérir la célébrité en littérature. Ils avaient encore moins les connaissances scientifiques, ni médicales ni de psychologie, ni l'expérience pratique indispensables qui les auraient autorisés à se mêler de soigner les malades mentaux, ce à quoi ni Dostoïevski ni Proust, bien plus raisonnables, n'avaient jamais songé; mais qu'importait à ces "penseurs-rêveurs-autodidactes": en "santé mentale", les croyances, opinions et idéologies concoctées par quelques intellectuels ou artistes réunis en cénacle - pompeusement baptisé depuis, par exemple Ecole de Palo Alto - étaient d'autant plus séduisantes et crédibles qu'elles étaient enrobées d'un vocabulaire d'apparence plus "philosophique" ou provocateur. De plus, tout citoyen a, aujourd'hui encore, dans les domaines de l'éducation et de la morale qu'il associe trop facilement au comportement et au "mental", la conviction qu'il sait tout sur ces sujets et qu'il est sûr de ne pouvoir se tromper dès lors qu'on lui dit qu'il s'agirait du"Bien" et du "Mal".

En fait, toutes les théories "psychogènes" des psychoses ignorent, même encore dans leurs survivances actuelles, délibérément et avec l'arrogante certitude conférée par l'ignorance et la suffisance, les caractéristiques matérielles et fonctionnelles (l'anatomie, la neuroanatomie, la neurohistologie, la neurocytologie, l'embryologie et l'organogenèse, la biochimie, la physiologie, la neurophysiologie) de cette machine merveilleuse et extraordinairement complexe qu'est le cerveau. Certains en ont justement dit, de façon lapidaire, qu'elles sont de la psychiatrie sans cerveau.

En d'autres termes, sous couvert d'une phrase, d'une affirmation péremptoire et non fondée, apparemment belle mais dépourvue de sens véritable car purement dogmatique et erronément exclusive de toute autre, disant que "l'être humain n'est pas une machine", ces théories prétendent expliquer les dysfonctionnements de la machine biologique que nous sommes (en dépit de tout ce qu'ils disent et de leur ignorance) avant même (sans essayer ni attendre) d'en connaître les mécanismes et d'en comprendre le fonctionnement. Ne nous étonnons donc pas de leur inefficacité ni, souvent même, de leur nocivité.

Inventée par S. Freud (neurologue au départ, mais rapidement brouillé par la suite avec la neurologie encore limitée de son temps), la théorie psychanalytique - dont les aspects provocateurs ont séduit tant de personnes crédules, et aux apparentes facilités de laquelle malheureusement tant de psychiatres se sont laissé prendre - , entre pour une bonne part dans toutes les "théories" et explications "psychogènes" des psychoses. Elle est aux neurosciences ce que l'astrologie est à l'astronautique, et ne peut pas plus soigner les psychotiques que l'astrologie ne peut envoyer des cosmonautes sur la lune. Ce n'est pas ici la place d'une vaine polémique sur ce sujet. On ne peut cependant assez répéter qu'aucune de ces théories n'a jamais été étayée scientifiquement (elles ne le peuvent pas), n'a jamais apporté aucun soulagement réel des psychoses, et qu'un certain nombre d'entre celles qui prétendaient expliquer la schizophrénie ont été réfutées.

L'impuissance et la nocivité de la psychanalyse pour le traitement des psychotiques sont actuellement reconnues de la plupart des psychiatres bien au fait de la schizophrénie, dans le monde entier. Les techniques psychanalytiques ne font qu'enfoncer les malades plus profondément dans leurs délires, et elles y entraînent, de surcroît, leur entourage.

Les adeptes de la psychanalyse en psychiatrie attribuent une grande importance et une signification profonde au contenu des rêves. Dans le cas des malades schizophrènes, ils vont même plus loin et étendent cette "théorie" au contenu du délire dont ils vont jusqu'à soutenir qu'il est à l'origine du phénomène délire et qu'il l'entretient. L'idée viendrait-elle à l'esprit de nos contemporains civilisés et éduqués d'appeler le psychiatre psychanalyste au chevet de leur enfant fiévreux et délirant, pour soigner sa pneumonie ou sa méningite, sous prétexte qu'il délire?

Le délire des psychotiques a de nombreux points communs avec le rêve, mais, surtout, c'est un rêve éveillé dont le malade ne parvient pas à sortir ("Ce qui est étonnant, ce n'est pas que la folie soit tellement répandue, c'est qu'il y en ait si peu! La folie et la raison sont les deux faces d'une pièce de monnaie: face, vous n'êtes fou que pendant votre sommeil, et pile, vous êtes fou aussi quand vous veillez." HOBSON, J.A., Consciousness, p. 205. W.H. Freeman & Co., New York 1999. ISBN 07167-5078-3).

La question n'est pas de savoir quel est le contenu du rêve (ni son absurdité ni son étrangeté ne dérangent en général aucun individu bien portant qui rêve pendant son sommeil, même si elles font la fortune des oniromanciens exploitant la crédulité de leurs clients). La vraie, la bonne question est de découvrir comment il se fait qu'un malade ne peut ni s'empêcher ni s'arrêter de rêver malgré qu'il soit à l'état de veille. Cette incapacité lui fait en permanence mélanger la réalité extérieure, ambiante, avec le rêve intérieur, le terrifie et le prive de tout esprit critique qui lui permettrait de séparer ces deux mondes et de ne pas les subir passivement l'un et l'autre à la manière d'une marionnette.

Les raisonnements tenus par ceux qui prétendent trouver, soit dans le contenu des rêves, soit dans le contenu des délires, une indication sur la cause des troubles psychiatriques, pourraient se comparer, pour les besoins de l'explication, au raisonnement qu'on prêterait à d'imaginaires cheminots superstitieux qui attribueraient le déraillement d'un train à la personnalité des voyageurs transportés dans ce train et refuseraient d'envisager que l'état de la voie ferrée ou celui du matériel roulant puisse être mis en cause.


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