Chap. V-5 Note 3

La (les) "psychothérapie(s)" (3/8)

Les accumulations de contradictions que j'ai relevées plus haut résultent des habitudes de pensée à ce point enracinées dans l'esprit des gens, qu'ils soient simples soignants de terrain ou "distingués psychiatres, universitaires ou non", qu'ils ne parviennent pas, dans leur grande majorité, à voir l'erreur de raisonnement qu'ils commettent quand ils prétendent comprendre les malades et même les "soigner" surtout par l'écoute et la parole.

Cette erreur, universellement répandue mais qui semble généralement passer inaperçue, est très innocemment révélée par deux mots d'une phrase figurant en 4ème de couverture d'un petit livre témoignage paru récemment, récit d' un malade ("Moi, Martin Bélanger, 34 ans, Schizophrène", 2005, Les Editions de l'Homme, Québec, Canada. ISBN 2-7619-1993-9). Cette phrase non signée (de l'éditeur ou du psychiatre préfacier?) nous dit: "Dans ses mots, l'auteur explique les mécanismes psychiques sous-jacents à la maladie [...]" (je souligne "sous-jacents").

Mais les "mécanismes psychiques" anormaux qui seraient ici "expliqués", justement, ils ne sont pas "sous-jacents" à la maladie (au sens qu'ils "l'expliqueraient" ou qu'ils en seraient la "cause"). Bien au contraire et plus exactement, ils font partie de la maladie, ils sont la maladie et ils en sont aussi une partie de la manifestation observable.

Les "mécanismes psychiques" ne sont pas non plus vraiment "expliqués", mais seulement observés et peut-être décrits - par les malades d'après ce qu'ils s'en imaginent ou croient en avoir retenu sur la foi - rétrospective! - de leur introspection. Les résultats de cette introspection, ils se les disent à soi-même et les expriment pour les autres dans un langage qui leur est propre, dont nous ne savons pas s'il est aussi le nôtre ou ne fait que l'imiter superficiellement, ni même dans quelle mesure il reflète assez fidèlement l'introspection elle-même. Comme c'est le cas pour nous tous, ce sont aussi ces seuls "mécanismes psychiques", mais cette fois-ci anormaux, dont les malades disposent et doivent se servir s'il veulent se remémorer ce dont ils nous parlent.

Nous avons là un nouvel exemple de l'erreur habituelle de nombre de nos "psys": l'inversion de l'ordre des causes et des conséquences, la confusion des "raisons" psychologiques avec les "causes" biologiques (ce sont ces dernières qui sont véritablement "sous-jacentes", pourquoi vouloir toujours les oublier?)

Les "raisons psychologiques" d'une personne bien portante, vous et moi qui sommes bien portants, nous pouvons en effet les imaginer avec quelque vraisemblance pour "expliquer" son discours et son comportement. Car, en cas de doute, nous sommes capables, cette personne bien portante et nous, de vérifier ensemble que nous accordons bien aux mots et aux phrases échangés le même sens (nous nous assurons du consensus, de notre accord sur les conventions qui régissent le dialogue), nous pouvons mutuellement nous assurer que notre interprétation (notre traduction personnelle) du discours et du comportement de notre interlocuteur est correcte: il nous suffit pour cela de la lui soumettre pour accord ou pour rectification.

Soit dit en passant, comment les "psys" peuvent-ils prétendre se fier à l'introspection d'un malade mental chronique alors que, même chez les bien-portants et depuis Descartes déjà, on en connaît et on en a dénoncé les faiblesses et les pièges?

A fortiori, comment oser affirmer la validité de cette introspection chez un malade psychotique alors que, précisément les "mécanismes psychologiques" de l'introspection sont, chez lui et de toute évidence, eux aussi parmi ceux qui sont altérés, c'est-à dire que leur organisation, l'articulation entre eux des différents "mécanismes psychologiques" d'un malade nous est étrangère - non superposable à la nôtre - et donc incompréhensible car s'exprimant dans un langage qui n'est pas (ou qui n'est plus) le nôtre et que nous n'avons aucun moyen d'apprendre?

Je n'ai rappelé tout ce qui précède que pour montrer que les psychothérapies, basées essentiellement sur l'écoute et la parole du malade et du thérapeute supposées réciproquement comprises ("l'échange intersubjectif"!), pourtant ne peuvent être, la plupart du temps, que des dialogues de sourds ou prêter à malentendus.

Une majorité de nos thérapeutes et psychiatres s'obstinent néanmoins à préconiser ces psychothérapies et beaucoup d'entre eux s'y adonnent avec complaisance, même quand ils prétendent soigner les malades de schizophrénie. Peut-être se disent-ils: "que pourrions-nous bien faire d'autre"?

A leur décharge, reconnaissons que, bien souvent, la schizophrénie fluctuant au fil du temps et ses manifestations pouvant par moments sembler s'atténuer, lors d'un examen superficiel ou peu attentif elle pourrait parfois passer pour une névrose, c'est-à-dire ce qu'on pourrait aussi appeler des "difficultés psychologiques". Ces dernières peuvent répondre aux psychothérapies, parce qu'elles ne résultent pas d'altérations biologiques irréversibles de la machine cérébrale. Par contre, il n'en va pas du tout de même pour les troubles schizophréniques, mais dans le doute, peut-être les thérapeutes se disent-ils "pourquoi ne pas essayer quand même?"


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