Note 4
1Un traitement médicamenteux continu (2/2)
L'accès aux soins
Ce qui précède est l'occasion d'évoquer ici un autre problème grave auquel sont confrontés les malades mentaux chroniques tels que les schizophrènes: ce que souvent on appelle le problème de l'accès aux soins. Selon ceux qui emploient ces trois mots, selon qu'il s'agit des responsables politiques ou des professionnels de la "santé mentale" ou encore des administratifs de la sécurité sociale, ou si par contre il s'agit des malades eux-mêmes et de leurs proches, le sens de cette expression n'est pas le même. Cette différence qu'on passe généralement sous silence est une des causes des difficultés persistantes que de nombreux malades schizophrènes rencontrent pour se faire soigner à temps.
Quand nos décideurs politiques parlent de l'accès
aux soins, ils entendent habituellement par là les moyens
financiers dont les malades et leurs familles doivent disposer pour pouvoir
bénéficier des soins psychiatriques que leur état requiert:
ces soins sont généralement fort longs et par conséquent
chers. Ils supposent aussi des séjours hors hôpital de durée
souvent longue, voire indéterminée, dans des logements en
principe spécialement aménagés, surveillés et
gérés pour accueillir des personnes dont l'autonomie est réduite,
la santé précaire, et dont les ressources financières
sont elles aussi très faibles. Dans le discours des politiques, "l'accès
aux soins" signifie donc allocations diverses se substituant aux allocations
de chômage, aide financière au logement, financement des frais
de soins et des équipes soignantes chargées de les dispenser,
etc., etc.
Tant les capacités d'accueil (le nombre de "lits")
que le budget prévu pour tous les postes qu'on vient de mentionner
sont très insuffisants, mais on nous affirme qu'on n'arrête
pas de réfléchir à une solution. Attendons donc et
espérons.
Quand les familles de malades parlent d'accès
aux soins, il s'agit dans leur esprit de problèmes bien
plus immédiats et plus urgents encore. Il s'agit de parvenir à
faire hospitaliser leur malade quand celui-ci ne se reconnaît pas
malade et ne suit pas le traitement qui lui a été prescrit,
si bien que son état s'aggrave et que, par inconscience des situations
qu' involontairement à la fois il crée et dans lesquelles
il se met, il met en danger jusqu'à son intégrité physique:
soit par inconscience de son environnement, soit par suite de ses hallucinations
qui le poussent à une fuite panique ignorant tous les dangers au
point de pouvoir passer pour une volonté de suicide (ou qui sont
réellement des tentatives de suicide beaucoup moins prévisibles
que certains "experts" voudraient nous le faire croire).
Bien souvent dans pareils cas, si le malade n'est, dans l'instant,
ni agressif ni violent en apparence, et si même on est parvenu à
le présenter à un médecin en l'amenant par surprise
à la garde d'un hôpital: le psychiatre de garde décide
que, puisque le malade ne lui paraît pas dangereux (pour autrui) et
ne semble pas troubler l'ordre public, son hospitalisation n'est
pas justifiée. Rentrez chez vous! Ne nous dérangez pas pour
rien! Revenez quand cela en vaudra la peine!
En d'autres termes: ne faites appel à nous que quand il sera
trop tard (quand il se sera pendu, ou défenestré, ou jeté
sous un train, quand par inconscience il aura bouté le feu avec un
mégot mal éteint, oublié le réchaud allumé,
etc., etc., quand ce sera la police ou la gendarmerie qui nous l'amènera
après qu'il ait été emmené sans ménagements
à l'un ou l'autre commissariat). Souvent, on ajoute encore,
comme pour faire "bon poids": "de toutes façons,
ici, il n'y a plus aucune place de libre", et vous voilà
bons pour faire le tour des hôpitaux plus ou moins proches (voire
fort éloignés) avec, à vos côtés, un malade
dont le calme momentané parfois obtenu à grand-peine l'heure
précédente peut, d'un instant à l'autre,
faire place à n'importe quelle explosion. Et si vous avez le
malheur de finir par vous énerver ou par vous impatienter face à
l'immobilisme, à l'indifférence et au désintérêt
des interlocuteurs censés vous accueillir, c'est vous qu'ils
traiteront alors de "malade" qui "s'imagine des
choses" et emm.... son monde, ils iront même jusqu'à
prétendre que c'est vous qui êtes la cause de la maladie
de votre proche.
Alors, en attendant, soit qu'une place ("un lit") devienne
vacante, dont on assure qu'on vous avertira, mais dans des délais
que souvent on ne parvient pas à faire préciser sans revenir
à la charge à de multiples reprises, soit qu'un accident
survienne ou qu'une catastrophe se produise, les membres de la famille
rentrent chez eux avec leur malade en espérant qu'ils parviendront
à lui éviter le pire. C'est ça, pour eux, l'accès
aux soins, ces trois petits mots dont les responsables de la santé
publique n'arrêtent pas de dire qu'ils s'en préoccupent
mais qui ne sont pour eux que des sons de mots sans réelle signification,
tandis que les familles, elles, elles vivent et ressentent ces mots comme
le parcours du combattant sans cesse recommencé qu'ils représentent
en fait, ce parcours dont le récit est une rengaine bien usée
et bien connue des "groupes de parole" qui la réentendent
presqu'à chaque réunion des associations de parents.