II. QU'EST-CE QUE LA SCHIZOPHRÉNIE ?

"Il semblerait donc que la schizophrénie est une maladie qui n'a pas de symptômes particuliers, qui n'a pas de pronostic propre, qui ne répond pas à un traitement particulier."
Richard Bentall: Why there will never be a theory of schizophrenia
in Steven Rose (édit.), From Brains to Consciousness? p. 122
Penguin Books, London 1999

II-1. Caractéristiques

Sous le nom de SCHIZOPHRÉNIE, on regroupe un nombre indéterminé de "maladies" 1 ayant en commun des symptômes mentaux psychiatriques. "La" schizophrénie est donc ce que les médecins appellent un "syndrome". Le nombre et la gravité variables de ces symptômes, ainsi que la personnalité du malade peuvent le handicaper plus ou moins fortement.

C'est le psychiatre suisse Eugène Bleuler qui, en 1911 inventa le nom de l'affection d'après les racines grecques de "schizo" (coupure) et "phrénie" (de l'esprit): il voulait indiquer ainsi que la maladie se caractérise par une rupture de l'esprit du patient d'avec la réalité. Aujourd'hui, il serait préférable de dire que les différents processus de pensée, de raisonnement, de perception sensorielle et de représentation intuitive de soi-même, d'association des idées entre elles et avec les sentiments sont désarticulés, décousus, hachés, comme coupés les uns des autres, ce qui justifie de conserver le nom de schizophrénie, même si sa signification a quelque peu changé par rapport à la définition d'origine. La majorité des professionnels s'accordent désormais à reconnaître que cette définition et l'appellation de "schizophrénie" correspondent à des concepts beaucoup moins précis qu'on ne se les représentait à l'origine, si bien que l'utilité, tant clinique que théorique de ce diagnostic fait l'objet, entre psychiatres, de discussions interminables.

La schizophrénie est une affection dont l'origine et les mécanismes sont encore inconnus. Elle affecte l'organisation, la structure, la composition biochimique et le fonctionnement du cerveau. On pense qu'elle est répandue à peu près uniformément dans le monde entier, toutes les ethnies, cultures et couches sociales 2.

Contrairement à ce que parfois l'usage courant du langage laisserait croire, le malade schizophrène n'a pas de dédoublement de la personnalité, ce n'est ni un débile mental, ni un attardé mental, ni une personne mentalement "mauvaise" 3, il n'est pas plus violent que la moyenne des gens de la société dans laquelle il vit.

Les malades atteints de schizophrénie sont des personnes qui, avant l'apparition de la maladie, passent le plus souvent inaperçues (c.à.d. que rien ne les distingue habituellement des autres) et sont dotées, tout comme le restant de la population, d'intelligence et de talents à des degrés variables, comme vous et moi, pourrait-on dire. La maladie les frappe de manière imprévisible, modifiant alors leurs comportements et leur infligeant de multiples handicaps dans de très nombreux domaines.


II-2. La schizophrénie est-elle fréquente?

On estime à 1% de la population le nombre de personnes qui, à un moment ou à un autre de leur vie, présenteront des symptômes de schizophrénie 4. Mais il faut aussi se rendre compte que, pour chaque malade directement atteint, il y a en outre plusieurs membres de la famille et les proches qui subissent les contrecoups de la maladie: par conséquent, on peut porter à 5% la proportion de la population dont la qualité de vie sera, à un moment ou à un autre, dégradée par la maladie.

S'il est certes tragique d'être victime, par exemple d'un cancer encore incurable, dans la majorité des cas il ne survient que tard dans la vie et ne dure pas longtemps. Par contre, les manifestations de la schizophrénie débutent entre 15 et 40 ans et persistent presque toujours la vie durant. Chez 3/4 des malades, l'affection survient entre 16 et 25 ans. C'est, par conséquent, la maladie qui, survenant chez les gens jeunes, compromet le plus gravement l'épanouissement personnel et le développement professionnel(et par conséquent aussi, l'insertion sociale).

Les hommes et les femmes sont atteints avec la même fréquence, mais la maladie apparaît en général plus précocement chez les hommes que chez les femmes: il y a plus d'hommes dans le groupe d'âge de 16 à 20 ans, plus de femmes dans le groupe d'âge de 25 à 40 ans. Ce décalage des âges explique qu'on rencontre aussi plus d'hommes que de femmes malades restés célibataires et sans enfants car, statistiquement, les femmes tombant malades plus tard, elles ont eu plus d'occasions de se marier avant que l'affection ne devienne manifeste.


II-3. Retombées psychosociales de la schizophrénie

Les conséquences psychosociales défavorables de la schizophrénie sont plus sévères que pour n'importe quelle autre maladie. Le nombre de lits d'hôpitaux occupés par les malades schizophrènes dépasse celui des malades de n'importe quelle autre maladie. Les frais qu'entraînent l'hospitalisation, la perte des emplois et des salaires ou autres rentrées d'argent, les programmes de réadaptation, les allocations d'incapacité, d'invalidité ou de "remplacement" sont plus élevés que pour toutes les autres maladies. La schizophrénie pèse plus lourd que toute autre maladie: par la diminution des prestations scolaires, et/ou professionnelles, et du rendement des activités, par la perte de l'emploi, par le rejet et l'isolement de la personne malade; cette affection constitue pour la famille un fardeau bien plus écrasant que celui dû à n'importe quelle autre maladie.

Malgré cette situation, les moyens mis à la disposition des hôpitaux psychiatriques et engagés dans la recherche scientifique dans le domaine de la schizophrénie sont très inférieurs, voire dérisoires, si on les compare aux investissements consentis pour d'autres maladies de moindre durée et aux conséquences marquant et éprouvant moins leurs victimes.


SUITE: Chapitre III - Comment cela commence-t-il?

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