III. Comment la schizophrénie se manifeste-t-elle?
     Comment cela commence-t-il?

III-1. Les signes et symptômes de la schizophrénie

Comme pour toutes les maladies, on reconnaît la schizophrénie aux "signes" et aux "symptômes" par lesquels elle se manifeste 1. Cependant, une des particularités distinctives de cette affection, c'est la variabilité des signes et symptômes d'un patient à l'autre (en réalité, cette variabilité se retrouve dans une certaine mesure, pour pas mal de "troubles mentaux chroniques" autres que "la" schizophrénie).

Les signes et symptômes peuvent aussi varier chez le même malade d'une semaine à l'autre, ou d'un jour à l'autre, ou même d'une heure à l'autre, ou encore en fonction des circonstances dans lesquelles le malade se trouve. Cette variabilité rend le diagnostic très difficile à établir lors d'un premier "examen psychiatrique" de durée habituellement brève (en une heure, par exemple). Le besoin effectif, réel d'un traitement est très difficile à évaluer, le choix du traitement le mieux approprié est aussi très malaisé.

En effet, la consultation chez le médecin a lieu sur rendez-vous. Son temps prévu est limité, pendant lequel le comportement du patient peut ne plus présenter aucune anomalie immédiatement apparente, contrastant éventuellement du tout au tout avec le comportement manifesté l'heure précédente à domicile. (voir Questionnaire)

Altérations du comportement et de l'humeur

Le malade se désintéresse de tout et perd toute motivation, il évite le contact avec les autres, se replie sur soi-même, s'isole dans sa chambre où il s'enferme. La nuit, il peut être insomniaque et exagérément actif, tandis que le jour il se cache sous les couvertures et ne bouge plus. Ses réactions affectives sont incongrues. Il peut se comporter avec froideur et insensibilité. Il peut rire dans les situations tristes ou pleurer quand on plaisante. Il peut être excessivement irritable et crier, être déprimé, abattu et même parler de suicide, ou au contraire déborder d'une activité extrême, mais désordonnée, inadéquate et improductive.

Souvent le malade se fait remarquer par une arrogance inhabituelle, une ergoterie revendicatrice, un comportement puéril, d'une vulgarité ou d'une grossièreté qu'on ne lui connaissait pas (auparavant). Il peut se mettre à dépenser sans rime ni raison et sans compter; il peut négliger son hygiène corporelle et son habillement. Il peut se montrer agressif et accusateur envers les membres de sa famille.

La très grande versatilité des attitudes et du comportement, l'incapacité d'adaptation du comportement aux situations même graves ou d'urgence, (ces situations où, d'habitude , chacun doit prendre sur soi , se dominer, admettre d'éventuellement postposer ce qu'on s'apprêtait à faire ou se raviser, où chacun tente de faire de son mieux pour parer au plus pressé du moment, c'est-à-dire, en bref: quand chacun établit des priorités), sont parmi les traits les plus caractéristiques de la maladie.

On ne peut tenir rigueur au malade de ses sautes d'humeur, de son comportement inadéquat aux situations et aux circonstances, de son apathie ou de sa négligence pour l'hygiène, les horaires, etc. : ce sont les signes de sa maladie, indépendants de sa volonté.

Troubles du raisonnement, idées délirantes

Les pensées semblent ne plus parvenir à s'enchaîner logiquement et le raisonnement peut devenir tout à fait confus et incompréhensible. Il peut être ralenti ou procéder par bonds en sautant des étapes, ou complètement "dérailler". Les relations logiques (du bon sens commun) disparaissent. Le malade peut avoir des idées fixes, des convictions fausses, éventuellement tout à fait aberrantes ou absurdes, auxquelles il s'accroche avec un entêtement inébranlable, même face à l'évidence, résistant à toute argumentation rationnelle (type de raisonnement parfois qualifié d'"autiste"): ce sont les idées et convictions délirantes 2.

Il peut être persuadé qu'on le persécute, qu'on l'épie, qu'il est suivi, qu'on l'espionne, qu'il est la victime ou l'objet d'un complot (paranoia). Il perd alors toute confiance dans les soignants et même en ses proches et parents, il peut devenir excessivement méfiant et soupçonneux envers tous. Il peut aussi se prendre pour un personnage tout-puissant, invincible, à qui rien n'est impossible. Ou alors il peut aussi se prendre pour un émissaire divin, investi d'une mission divine ou prophétique.

Des sentiments de culpabilité peuvent aussi habiter et obséder le malade, sentiments dont, le plus souvent, il n'est pas capable d'indiquer l'origine qu'il leur attribuerait.

Dans de nombreux cas, il est cependant possible de prouver que, masqué par le trouble de la pensée, un processus sain de raisonnement peut encore exister et se poursuivre (ceci peut se constater surtout quand les conversations avec le malade ne portent que sur des sujets "neutres" ou indifférents au malade, quand ces sujets ne s'associent pas pour lui à ses idées et convictions délirantes ou n'éveillent pas des émotions fortes).

Il faut savoir que les idées délirantes sont une manifestation de la maladie et non pas, malgré les apparences, le résultat d'un entêtement volontaire et borné. Les essais de dissuasion entrepris par des personnes pleines de bonne volonté mais non prévenues sont toujours voués à l'échec et il faut les éviter. Malgré la frustration éventuelle que cette obstination du malade peut provoquer chez ses interlocuteurs, ces derniers ne doivent pas lui en tenir rigueur ni lui en faire reproche: il n'en est pas responsable.

Hallucinations, angoisses, terreurs, panique

Surtout pendant les périodes aiguës de la maladie, c.à.d. pendant ce que certains appellent les "crises" - tandis que d'autres parlent, mais à tort, de "rechutes", le fonctionnement cérébral altéré fait que les perceptions visuelles, auditives, olfactives, gustatives, tactiles et cutanées (et parfois aussi, celles qui nous renseignent sur l'état de notre corps: celle de la sensibilité dite "proprioceptive"), peuvent être faussement interprétées par le cerveau. Le malade peut entendre, voir, sentir, éprouver, de manière parfaitement réaliste, des choses qui en réalité n'existent pas: il peut entendre des voix qui lui donnent des ordres ou se moquent de lui, qui conversent entre elles à son sujet.

Ce sont en effet les hallucinations auditives qui sont les plus fréquentes 3, mais il peut aussi voir des personnages étranges ou des monstres grimaçants et menaçants; il peut percevoir des insectes qui lui courent dessus, trouver un goût étrange à la nourriture, percevoir des odeurs ou des parfums qui passent inaperçus aux autres, ne plus délimiter son corps, penser que ses mains (ou d'autres parties de son corps) sont mortes ou ne lui appartiennent plus.

des voix qui se moquentLe malade peut ne plus parvenir à interpréter correctement les expressions des physionomies: des étrangers lui sembleront familiers, des expressions amicales du visage lui sembleront au contraire menaçantes ou moqueuses, il croira qu'un signe s'adresse à lui alors qu'en fait la personne qu'il fixe baillait en regardant ailleurs, par exemple.

Le fonctionnement cérébral défectueux provoque le mélange et la confusion des perceptions sensorielles que le malade ne parvient plus à trier, associer correctement entre elles ni à interpréter, donc identifier correctement. Ceci engendre chez lui, et c'est bien compréhensible, une angoisse qui est l'élément prédominant pendant les périodes de crise. Comme le malade n'est plus en mesure d'identifier ni interpréter ses perceptions sensorielles et, par conséquent, d'évaluer les situations auxquelles il est confronté, il est submergé par une angoisse qui devient ensuite terreur, pouvant se transformer en panique: il voit, entend et sent des dangers, des ennemis qui le cernent: il est traqué, il ne peut échapper, prisonnier d'un monde qu'il ne comprend plus. A ces moments-là, le malade peut avoir les yeux grands ouverts et le regard "d'un animal traqué". Il essaie souvent de cacher ses hallucinations, il évite les gens qui pourraient se rendre compte qu'il en a, il fuit les situations dont il craint qu'elles pourraient les provoquer et les révéler.

Quand il est dans cet état terrible, le malade a surtout besoin de compréhension, de patience ("d'indulgence"). Il ne faut pas tenter de lui imposer une présence qu'il ne recherche pas ou qu même il rejette. Mais on doit s'efforcer d'être disponible s'il le réclame.
Par dessus tout, le malade doit recevoir l'assurance qu'on ne lui fera jamais défaut.

Absence de conscience de la maladie

De nombreux malades (jusqu'à 65-70% d'entre-eux) semblent croire ou sont même persuadés qu'ils se portent bien et qu'ils n'ont besoin d'aucun traitement. Ceci correspond à ce qu'on appelle "l'anosognosie" 4 , terme "savant" signifiant que la maladie rend celui qui en est atteint incapable d'en prendre conscience. Ce phénomène, très déroutant et irritant pour ceux qui, côtoyant le malade, n'en sont pas avertis, est connu depuis longtemps des neurologues ayant parmi leurs patients des personnes souffrant de paralysie du côté gauche à la suite d'un accident vasculaire cérébral ayant provoqué des destructions dans leur cortex cérébral [moteur et] somatosensible droit (hémiplégie): certains de ces patients-là sont inconscients de leur paralysie gauche, ils ne la reconnaissent pas et peuvent même la nier obstinément malgré l'évidence flagrante pour tous.

On s'est pendant longtemps représenté et on a affirmé que le "déni" de l'affection par les malades schizophrènes était de nature "psychologique", qu'il s'agissait d'un "refus" de reconnaître la présence de la maladie. Ce n'est que depuis relativement peu de temps que les psychiatres admettent de parler d'anosognosie chez les malades schizophrènes et reconnaissent qu'elle est la conséquence d'altérations de la structure du cortex cérébral (principalement préfrontal). La sévérité de ces altérations - et, par suite, de l'anosognosie - est variable d'un malade à l'autre, et c'est une des caractéristiques morbides des plus importantes à évaluer: c'est elle, bien plus que tous les "facteurs sociaux" régulièrement incriminés par certains "socio-psychologues", qui oppose aux traitements les obstacles les plus difficiles à surmonter: qui, en effet accepterait de se laisser hospitaliser et traiter alors qu'il serait persuadé de n'être aucunement malade? Qui accepterait de continuer à prendre des médicaments alors qu'il serait intimement convaincu de n'en avoir aucun besoin?


SUITE - Chapitre III-2 : Début de la maladie, signes et symptômes précoces

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