VII. Comment se comporter avec le malade et sa maladie

VII-2. Trouver de l'aide en cas de crise?

Par l'intermédiaire du médecin et des associations des familles de malades 1, les proches devraient pouvoir s'informer sur les institutions et structures d'accueil existant à proximité de leur domicile, noter les adresses et les numéros de téléphone, afin de ne pas être pris au dépourvu en cas de crise;

cela, c'est valable quand on a déjà acquis une certaine expérience, quand ce n'est pas la première crise à laquelle on est confronté. Lors d'une première crise, tout le monde est toujours pris au dépourvu, et la plupart des "manuels" d'aide ou des livres de vulgarisation n'osent souffler mot de cette réalité: personne, en effet, ne peut prévoir l'imprévisible, personne ne peut, en permanence, se préparer à une infinité de malheurs possibles, tous aussi peu probables les uns que les autres mais, dans les livres on fait pourtant "comme si". On ne voit guère quels parents, lors d'une première crise de leur enfant, bien portant jusque là, auraient pris d'avance la décision de fréquenter une association d'entraide, pourquoi ils auraient, à tout hasard, noté les coordonnées d'un service psychiatrique à proximité, etc., etc., simplement pour le "cas où"? Quels sont donc aussi les proches de personnes bien-portantes qui se mettraient à lire, sinon par pure curiosité morbide, le présent texte sans avoir, par exemple au moins parmi leurs amis, connaissance de l'un ou l'autre malade?

Quand une crise menace ou éclate, les parents "organisés et prévoyants", si possible devraient coucher sur papier une description de tous les signes et symptômes avant-coureurs qui ont attiré leur attention et sur lesquels ils fondent leurs inquiétudes. Ceci sera utile au médecin qu'ils consulteront et lui permettra de mieux apprécier l'opportunité d'une hospitalisation.

Après avoir discuté avec votre médecin de famille (ou le psychiatre) des problèmes liés à la maladie, faites-vous prescrire pour vous-même des tranquillisants ou des calmants. Ils pourraient s'avérer utiles: le sommeil qu'ils vous procureront pourra apporter une détente qui, désamorçant ou émoussant la crise imminente, aidera à calmer la situation.

Si le malade est agité, évitez toutes voies de fait et violences physiques. Gardez vos distances, et laissez toujours au malade une possibilité de retraite en attendant l'arrivée de l'aide et du secours. Une hospitalisation devrait toujours se dérouler le plus calmement possible, en douceur, sans recours à la force. Elle ne devrait pas causer des sentiments d'abandon, de rejet, de haine ni de punition, ni chez les proches ni chez le malade. Un discours bienveillant envers la psychiatrie (plutôt que des récriminations en présence du malade) favorise un climat de confiance entre le malade et les soignants. Il faut toujours bien se rappeler que les disputes qui viennent de se passer sont la conséquence de la maladie, elles ne résultent pas d'une volonté délibérée des protagonistes et, surtout, pas de celle du malade.

En dépit de ces querelles qu'il faut s'efforcer d'oublier aussitôt, le malade doit savoir qu'il peut compter sur ses proches, qu'ils ne l'abandonneront pas à lui-même.

Si le patient refuse l'hospitalisation que son état cependant exige, il est possible de l'y contraindre. La loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux, qui a remplacé en Belgique l'ancienne loi sur la "collocation" (hospitalisation forcée pour maladie mentale), le permet. En général, on n'y recourt qu'en cas d'urgence et d'absolue nécessité (p.ex.: le malade est incontrôlable par sa famille, il est violent, il casse tout, il menace tout le monde, il veut se défenestrer, etc.). Sur certificat médical "circonstancié" (d'un médecin appelé par la famille, par un voisin ou des amis, etc., ou désigné par le procureur du Roi auquel on s'est adressé dans l'urgence), le procureur du Roi décide de la mise en observation dans un service psychiatrique (le procureur du Roi en informe le Juge de Paix qui a sous sa juridiction le lieu des faits). Cette mise en observation ne peut dépasser 40 jours mais le Juge de Paix peut ensuite décider du maintien de l'hospitalisation forcée qui ne peut cependant pas dépasser 2 ans (mais, sur avis du "médecin-chef" psychiatre, le maintien de l'hospitalisation peut être renouvelé).

Souvent, si on s'adresse d'emblée au procureur du Roi, c'est parce que les circonstances sont graves, l'urgence extrême, et qu'il a fallu faire appel aux services de police. Dans des circonstances moins dramatiques, on peut s'adresser, par requête écrite au Juge de Paix du lieu de résidence du malade.

Cette requête doit s'accompagner d'un "rapport médical circonstancié" récent (pas plus de 15 jours) qui décrit l'état du malade et ses symptômes. Par la suite, si les proches avaient des doutes quant à la qualité des soins et du traitement prodigués à leur malade hospitalisé "sous mesure de protection", ils doivent savoir que le médecin personnel du malade peut lui rendre visite, et il peut prendre connaissance du dossier médical en présence d'un médecin du service où le malade est hospitalisé. En principe, le médecin du malade peut, après concertation avec le psychiatre chef de service et s'il l'estime utile, demander l'avis de consultants experts de son choix sur l'état du malade et sur le traitement prescrit. Il est donc très important que le malade ait, dès avant son hospitalisation forcée, un médecin "attitré" ou médecin traitant qui prenne le bien-être de son malade à coeur. C'est lui qui pourra le mieux défendre les intérêts du malade, même pendant l'hospitalisation. En Belgique, des problèmes peuvent cependant surgir si, le malade étant majeur, il "refuse" la visite de son médecin et que le psychiatre local l'encourage dans cette attitude ou se retranche derrière elle.

VII-3. Discrimination des malades schizophrènes

Pour le malade schizophrène qui a suivi un traitement médical en hôpital (et continue en général à être suivi médicalement), le problème le plus important qu'il doit résoudre se pose quand, sortant d'institution et pensant à présent reprendre une vie aussi normale que possible, il est pratiquement ignoré de tous à cause de son "originalité". Il a beaucoup de mal à se faire de nouveaux amis et à les garder, à trouver un logement et un travail correspondant à ses capacités. Les anciens amis et collègues de travail se sont aujourd'hui éloignés. Souvent, il ne se rend pas compte à quel point le temps a passé depuis les débuts de sa maladie, il continue à vivre dans le passé, alors que le monde a évolué autour de lui, et ses amis aussi ont changé (j'ai déjà dit ailleurs que la notion du temps qui passe est souvent altérée chez ces malades). Le convalescent se sent donc isolé, perdu, ce qui n'aide certainement pas au processus de convalescence.

Il peut aussi être la victime de la "discrimination" séculaire à l'égard des malades mentaux. Cette discrimination est due en partie au manque d'information correcte dans le public au sujet des maladies mentales, ce qui se traduit par les idées fausses suivantes:
Les malades schizophrènes font peur aux profanes, parce qu'ils sont "différents", imprévisibles, incompréhensibles, "étranges" (au sens étymologique du terme) pour la plupart d'entre nous. Cette peur qu'ils inspirent est encouragée et entretenue dans les médias au travers de films de fiction parfois remarquables sur le plan artistique (qu'on se rappelle les prestations d'acteur de Jack Nicholson dans "Vol au-dessus d'un nid de coucou" ou dans "Shining"). Ces films exploitent la fascination que l'étrange et le "fantastique" ont toujours exercée sur le public, mais leur valeur d'information est nulle. Ces films, mais aussi des faits divers spectaculaires rapportés à grands renforts de détails sordides ou sanglants dans la presse à sensation, accréditent l'idée que tous les malades schizophrènes sont violents et représentent un véritable danger public.

Bien souvent aussi, le terme de schizophrène ou de schizophrénie est employé à tort et à travers, dans les médias comme dans le langage courant, par des personnes qui n'en connaissent aucunement la signification réelle mais entretiennent ainsi des idées fausses très préjudiciables aux malades. En réalité, la grande majorité des malades schizophrènes sont timides et craintifs, bien moins violents que la moyenne des gens dits "normaux". Souvenons-nous, par contre, que les plus grands criminels de l'histoire, responsables d'atrocités à l'échelle industrielle, ont été considérés comme des personnes saines d'esprit et devant répondre de leurs actes, n'ayant donc rien en commun avec des malades schizophrènes.

D'autre part, sans le moins du monde "penser à mal", les malades schizophrènes ne savent souvent pas "comment se comporter" ou, comme on dit, "comment se conduire" (cela fait partie de leur affection). Ceci entraîne, chez une majorité de gens qui ne peuvent être au courant d'une "maladie" qui ne se "voit" pas, une réprobation instinctive qu'ils justifient par l'idée (fausse) d'une éducation fautive.

Les malades schizophrènes sont soignés dans des cliniques aux portes cadenassées, derrière des fenêtres à barreaux. Parfois, il faut user de la force pour les contraindre à recevoir le traitement médicamenteux dont ils ont besoin, parfois on est obligé de recourir à la police, à la gendarmerie, pour les amener à l'hôpital où ils seront soignés.
D'autre part, les tribunaux obligent parfois des délinquants condamnés à suivre un traitement psychiatrique, les médias leur attribuant souvent et abusivement des diagnostics psychiatriques approximatifs et sommaires ou même fantaisistes, et ce à grand renfort de publicité. D'où l'amalgame qui se crée dans l'opinion publique entre malades schizophrènes et délinquants ou criminels. Rien de plus faux, mais rien de plus parlant ni plus frappant pour l'imagination que les raccourcis faciles et sensationnels d'une image télévisée ou de quelques lignes en gros caractères d'un entrefilet de presse.

De nos jours encore, alors que nous ne devrions plus être à l'ère des sorciers ni de la magie, beaucoup de gens éprouvent encore un malaise indéfinissable face à la maladie, l'hôpital et les médecins. Le malaise est encore plus prononcé quand la maladie est mentale, l'hôpital est psychiatrique, le médecin est un psychiatre. Ce malaise s'explique:
Le raisonnement médical a évolué au cours du temps. Il s'est progressivement dégagé de l'irrationnel et du magique (pratiqué par les chamanes, medicinemen, rebouteux et autres sorciers) pour aller vers la biologie basée sur la méthode scientifique expérimentale.

Pour de nombreuses raisons, cette évolution est normalement bien plus difficile pour la psychiatrie que pour les autres disciplines médicales; la principale de ces raisons, ce sont nos habitudes de pensée ancrées au cours des millénaires, qui se survivent aujourd'hui encore sans que nous nous en rendions bien compte. Elles nous font distinguer "esprit" et "corps" comme entités distinctes et indépendantes l'une de l'autre. Donc, bien sûr sans se l'avouer, certains continuent à imaginer que, tout comme l'esprit aurait quelque chose d'incorporel, d'immatériel et mystérieux, ce qu'ils veulent parfois appeler la médecine de l'esprit (?) n'aurait rien à voir avec la biologie.

Dans cette optique, la psychiatrie serait une discipline à part, un peu inquiétante, magique ou ésotérique, ou encore, pour utiliser un vocabulaire plus respectueux, philosophique, et serait radicalement différente des autres branches de la médecine. Elle utiliserait d'autres techniques que le restant de la médecine, se basant sur des théories et des concepts très alambiqués et un peu mystérieux, voire inquiétants. Elle n'aurait pas ou peu à se soucier de la structure "matérielle", biologique ou "organique" du cerveau 2. Nous savons pourtant tous maintenant que cette structure, très matérielle, toute biologique, très organique, est bien le support obligé, notamment de nos fonctions mentales supérieures.

Malheureusement pour les médecins (et donc pour les malades), le cerveau humain est la machine la plus compliquée de l'univers à laquelle la science se soit jamais attaquée. De nombreux aspects de sa structure et de son fonctionnement nous sont encore inconnus et donc mystérieux.
Pour plus de gens que nous ne l'imaginons, inconnu et mystérieux signifie inquiétant, effrayant, terrifiant. Pallier les lacunes de nos connaissances par des explications simplistes, tenter d'exorciser la peur en cherchant un bouc émissaire facile (l'éducation, p.ex.) sur lequel rejeter la responsabilité de la maladie (on flatte parfois notre besoin inexprimé d'un bouc émissaire), laisser croire qu'on peut soigner cette maladie uniquement par la parole, à la manière d'incantations, ce sont des démarches faciles et fréquentes. Il ne faut pas s'y laisser aller, car elles ne résolvent jamais rien, mais au contraire entretiennent l'ignorance, les superstitions, l'incompréhension, des sentiments de honte et de culpabilité tout à fait injustifiés. A mesure que nous découvrirons les véritables causes de la schizophrénie, la superstition, l'incompréhension, la honte et les accusations de culpabilité de la famille s'évanouiront.

La discrimination des malades schizophrènes, le côté encore toujours "dérangeant" ou "inquiétant" des maladies mentales sont en partie responsables du peu d'intérêt des institutions et pouvoirs publics (dans tous les pays) pour tout ce qui touche à la santé mentale: on préfère ne pas en parler 3. Les subsides pour le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques etc., sont comparativement très faibles, et les fonds alloués à la recherche dans le domaine des maladies mentales sont dérisoires si on les compare à ceux destinés aux autres branches de la médecine.


SUITE - Chapitre VIII : La recherche sur la schizophrénie

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