VIII. La RECHERCHE sur la schizophrénie


"Neither anguish nor the elation that love or art can bring about are devalued by understanding some of the myriad biological processes that make them what they are. Precisely the opposite should be true: our sense of wonder should increase before the intricate mechanisms that make such magic possible."
Antonio Damasio, Descartes' Error
"Ni l'angoisse ni la joie que peuvent apporter l'amour ou l'art ne sont dépréciés par la compréhension de quelques uns de la myriade des processus biologiques qui en font ce qu'ils sont. C'est précisément le contraire qui devrait être vrai: notre sentiment d'émerveillement devrait s'accentuer face aux mécanismes qui rendent possible cette magie."

La recherche sur la schizophrénie se poursuit dans de nombreux pays, dans de nombreuses directions différentes qu'on peut regrouper en trois ou quatre grandes catégories qui se recouvrent quelque peu les unes et les autres:

Les trois premiers points sont ceux qui font partie d'une recherche plus "fondamentale", dont on sait qu'elle risque de s'étendre sur de longues périodes dont la durée est difficilement prévisible. Cette recherche "fondamentale" se poursuit dans de nombreux pays, elle implique des équipes internationales de chercheurs de nombreuses disciplines différentes, recrutés parmi des cliniciens aussi bien que chez les "neuroscientistes" fondamentaux (mais je crains qu'en Belgique, malgré certains "effets d'annonce", les moyens qu'on y consacre ne soient qu'assez insignifiants). Personne ne peut aujourd'hui prévoir et donc encore moins prédire quand une percée nouvelle et décisive (comparable à celle survenue dans les années 1950 avec les neuroleptiques) se produira. On peut supposer que les progrès porteront à la fois sur la détection plus précoce des troubles, une relative prévention devenant par conséquent possible, et sur des traitements plus spécifiques qui permettront de mieux les personnaliser au cas par cas pour chaque malade. 3

La recherche fondamentale

La recherche "fondamentale" s'efforce, par exemple et entre autres multiples approches, de repérer les groupes de gènes intervenant dans les manifestations des troubles mentaux, grâce aux techniques de génétique moléculaire appliquées à l'ADN des malades et des membres de leurs familles, et à celui des couples de jumeaux, mono- ou dizygotes (vrais et faux jumeaux) atteints d'une forme de schizophrénie. Cette approche, c'est ce dont le grand public entend fréquemment parler sous le nom de génétique à quoi, bien souvent, s'associent dans son esprit des idées de racisme, d'eugénique, et de "totalitarisme", répandues erronément dans ce contexte par des gens qui n'ont pas la moindre connaissance réelle de ce dont ils parlent et qui sont eux-mêmes des dogmatiques et des idéologues, sinon presque toujours des "romantiques" fanatiques.

Un des meilleurs exemples bien connus de cette recherche génétique: s'il faut évidemment proscrire (et se l'interdire) de "manipuler" les gènes des individus pour les rendre "conformes" à une "norme idéologique" (ce qui, de toutes façons, est un fantasme de science-fiction), par contre, connaître les gènes intervenant dans l'apparition d'une maladie mentale a déjà permis d'identifier l'un ou l'autre acide aminé à proscrire de l'alimentation tant que le cerveau n'est pas encore totalement développé (c'est le cas de la phénylalanine pour les personnes atteintes de phénylcétonurie, maladie génétique responsable de retard mental grave, évitable cependant grâce à un régime appauvri en phénylalanine et suivi pendant l'enfance).

L'imagerie cérébrale et l'électroencéphalographie de potentiels évoqués (assistée par ordinateur) permet d'identifier les territoires cérébraux dont l'activité est modifiée chez les malades que l'on compare à des individus sains (de mêmes âges et sexe: les "contrôles" ou "témoins").
On s'efforce ensuite de recueillir des données sur les anomalies ultramicroscopiques et biochimiques (détectées grâce à des méthodes immunocytochimiques elles aussi rendues possibles par la "génétique"!) retrouvées dans les cerveaux de patients décédés dont les familles ont fait don à l'une ou l'autre institution scientifique dans le but de recherches (principalement aux U.S.A.). Ces études devraient permettre de progressivement reconnaître et préciser les circuits nerveux cérébraux altérés (ainsi que les connexions de leurs multiples chaînons) déjà rendus "suspects" par l'imagerie et de corréler ces altérations avec les manifestations cliniques observées du vivant des malades.

Le neurocytologiste que j'ai été ne peut que se réjouir qu'enfin, aux U.S.A., plusieurs grandes équipes multidisciplinaires émanant de diverses universités, avec le soutien du mécénat privé et celui des organisations de santé publique, se soient résolument attelées à cette tâche minutieuse, immense mais combien indispensable, combien attendue, de microdissection fonctionnelle du cerveau humain.

Comme j'y ai déjà insisté précédemment, la machine cérébrale humaine étant l'organe le plus complexe auquel la science s'est jamais attaquée, cette recherche "fondamentale" est nécessairement de très longue haleine. Elle n'est pas non plus directement à la portée des praticiens et cliniciens privés. Ce sont cependant les cliniciens, parce qu'ils sont en contact avec les malades et devraient donc chacun bien connaître les signes et symptômes individuels, particuliers à chacun de leurs patients, qui devraient travailler en étroite collaboration avec les chercheurs universitaires et les instituts de recherche en leur faisant part de leur expérience de terrain. Ce sont eux qui devraient encourager leur patientèle à volontairement participer et collaborer à la recherche scientifique sur les maladies mentales pour en accélérer les progrès: tout le monde ne peut qu'y gagner, même si tous doivent s'armer de beaucoup de patience.

En retour, les chercheurs devraient tenir les praticiens "de terrain" au courant des résultats de leurs recherches et leur en expliquer les conséquences pratiques pour la compréhension des affections mentales et de leurs traitements: c'est cela, la formation continue dont aucune profession ne peut plus se passer de nos jours.

Il faut constater, malheureusement, que, jusqu'à présent chez nous, une majorité de nos psychiatres se sont accoutumés à considérer leur discipline plus comme une branche de la philosophie (platonicienne), voire comme une théologie spéculative et contemplative (donc immuable), plutôt que comme une science expérimentale cherchant à valider ou infirmer ses hypothèses.
Cette conception a pour conséquence que nos praticiens s'enferment dans des "explications" superficielles des troubles mentaux dont ils se satisfont. Ils font appel pour cela à de vieux mythes et légendes qui, en plus de conférer à ceux qui les évoquent et qui s'en servent une apparence de vernis d'érudition culturelle, parfois présentent un attrait poétique et peut-être artistique ou esthétique qui peut séduire certains dans l'instant. Mais ce n'est, somme toute, que de la "littérature" qui ne peut tout au plus que distraire (divertir) de leurs préoccupations morbides les bien-portants qui se croient malades, mais est impuissante à soulager les vrais malades.

L'attachement à ces mythes et légendes les entretient et est tout à l'opposé d'une véritable formation continue basée sur l'acquisition de nouvelles connaissances bien établies; pareille rumination quasi rituelle (on ne peut guère l'appeler d'un autre nom) ne peut que stériliser notre psychiatrie et retarder un peu plus encore la modernisation pourtant bien nécessaire des connaissances et moyens à mettre en oeuvre pour aider concrètement nos malades mentaux chroniques à vivre plus confortablement parmi nous malgré leurs handicaps.


SUITE du Chapitre VIII : la recherche pharmaceutique

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