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"The inability of psychiatry to frame psychosis as multidimensional syndromal variation of largely unpredictable course and outcome - within and between individuals - hampers research and recovery-oriented practice."
S.Guloksuz & J. van Os: The slow death of the concept of schizophrenia and the painful birth of the psychosis spectrum.
(La lente agonie du concept de schizophrénie et la pénible naissance de «l'éventail» des psychoses)
Psychological Medicine, pp. 1-16. Cambridge University Press 2017. doi:10.1017/S0033291717001775

(L'incapacité de la psychiatrie à représenter la psychose comme une variation/variété d'un syndrome multidimentionnel de trajet et de pronostic en général imprévisibles - individuellement comme chez différentes personnes atteintes [en apparence de mêmes symptômes] - est une entrave à la recherche et à une pratique thérapeutique s'efforçant d'obtenir la guérison.)

DE NOUVELLES CHANCES DE PROGRÈS S'ANNONCERAIENT-ELLES
ENFIN ?

Alors que maintenant nous sommes arrivés en 2018, si je relis ce que j'écrivais sur ce site depuis 2001 (18 ans déjà!), je constate avec quelque espoir et, l'avouerais-je? un léger sentiment de soulagement prudemment optimiste que les propos enfin tenus aujourd'hui par différents professionnels internationaux de la psychiatrie témoignent à présent de leur actuelle prise de conscience naissante [mais tardive J.D.] des faiblesses conceptuelles inhérentes aux idées et croyances sur lesquelles ils ont pendant bien trop longtemps basé leurs théories (c.-à d. de pures hypothèses souvent devenues des dogmes) et leurs thérapeutiques (de natures plutôt arbitraires et aléatoirement fantaisistes pour le moins).

À ces « théories » et thérapeutiques, et à défaut de preuves véritablement pertinentes disponibles pour les étayer, mais avec une autorité fermement revendiquée et assumée bien qu'elle ne serve souvent qu'à compenser une connaissance encore bien trop fragmentaire du cerveau humain et de son fonctionnement (ou peut-être à parfois s'efforcer d'en masquer les lacunes subsistant dans nos savoirs?), une large majorité de "psys" ont longtemps accordé plutôt aveuglément toute leur «naïve» confiance sans assez douter de leur validité voire de leur vraisemblance, sans non plus réellement les analyser de façon tout à la fois constructive et assez critique pour s'assurer autant que possible et cette fois empiriquement, tant de leur validité que de l'efficacité réelle et constatée (c.-à.d. publiquement démontrée) des traitements entrepris en conséquence de leurs idées.

Ce dont ils finissent aujourd'hui par prendre conscience et qu'ils admettent, sinon ouvertement, du moins à demi-mots bien que peut-être avec encore çà et là quelques réticences, c'est ce que, depuis que j'ai entrepris la rédaction des articles de ce site, j'ai appelé la nature essentiellement hypothétique et d'imagination (jusqu'à il y a peu non testable en général) de la plupart des imputations de causes et de mécanismes à l'origine des troubles psychotiques, dont surtout – mais pas seulement – cette très profonde, inébranlable et fort répandue conviction de leur prétendue non matérialité à laquelle une grande partie des "psys" s'obstinaient à croire malgré les évidences bien documentées, accumulées et toujours régulièrement enrichies en nombres, et confirmées par des années de recherche scientifique infirmant ces croyances.

[L'espoir que je persiste à nourrir, celui des nécessaires (indispensables) progrès d' une « science psychiatrique » devenant enfin véritablement « science » en tous points, cet espoir est toutefois encore plutôt timide, car je pense que, maheureusement pour moi, les conséquences et perspectives inéluctables de mon âge s'avançant ne me permettront très vraisemblablement pas d'assister de mon vivant à sa concrétisation. N'empêche, le bon sens, la logique correcte et le rationalisme des scientifiques finiront bien par triompher des idéologies partisanes, des croyances infondées et des superstitions comme de l'imagination débridée des philosophes amateurs, les personnes psychotiques pourront alors, enfin! en profiter.]

Dans un article précédent (voyez «Epistémologie»), j'ai mentionné l'existence d'une vidéo – datée du (21.12.2016) – et mise en ligne par des chercheurs de l'Université de Strasbourg. Cette vidéo plaide pour que soit entreprise une réévaluation épistémologique des classifications des psychoses actuellement en usage. Il me semble qu'on pourrait interpréter cette initiative comme la traduction du besoin que ressentent aujourd'hui certains psychiatres universitaires français (et j'espère qu'il y en aura bientôt de nombreux autres, dans tous les pays, à manifester le même besoin) d'adapter les définitions des caractéristiques des divers syndromes psychotiques en tenant mieux compte de l' éclairage que leur ont apporté les neurosciences, en particulier et principalement ce qu'on pourrait appeler la « neuro-génétique » de ces quelques dernières années. Une telle révision des définitions des critères des symptômes devrait évidemment entraîner à son tour des remaniements significatifs des actuelles et « classiques » classifications des affections psychotiques (chroniques).

Pareille évolution souhaitable avait déjà été évoquée précédemment (voyez aussi Progrès), mais les « projets » des éventuelles réformes telles qu'envisagées par ses éventuels partisans psychiatres (européens) sont, quant à eux (et s'ils existent?), par contre beaucoup plus discrets et restent jusqu'à présent muets quant aux moyens à mettre cette fois en œuvre pour les rendre possibles et peut-être efficaces. Cette discrétion (voire le mutisme à ce sujet) peut être interprétée comme un signe plausible d'une prudence bien compréhensible? mais sans doute exagérée parce que peut-être un peu timorée ou hésitante face à la perspective fort peu invraisemblable de devoir affronter et bousculer des traditions et des modes de pensée plutôt majoritaires encore largement et trop confortablement établis depuis longtemps.

Ainsi, dans la vidéo strasbourgeoise que je viens d'évoquer plus haut, le présentateur et commentateur (le Docteur Jack Foucher) nous dit, à propos des classifications psychiatriques, à peu de chose près ce qui suit, [du moins d'après ce que j'ai cru en comprendre, car n'étant pas moi-même psychiatre ni devin extralucide voire extrasensible..., j'éprouve parfois des difficultés pour interpréter de façon plausible les spécificités particulières propres aux discours «psy» – surtout en l'absence d'exemples concrets et pertinents susceptibles de les illustrer]:

«Pour classer, nous cherchons et identifions des 'règles' et des 'invariants', [implicitement: parmi les signes et symptômes, et ces invariants deviennent alors, paraît-il, des « objets mentaux » (sic - J.D.)]. Les objets mentaux que nous avons ainsi créés nous paraissent exister et devenir réels. C'est vrai qu'ils sont assez commodes et pratiques parce que nous pouvons les manipuler; [je me suis permis de souligner ici les termes les plus évocateurs d'un type de raisonnement auquel le biologiste, chercheur et expérimentateur, médecin, le matérialiste et rationaliste que j'ai été (et m'efforce d'être encore!) s'est toujours interdit de recourir dans son métier de scientifique.]

Personnellement, j'avoue sans trop de honte et sans détours ne pas connaître et, surtout, ne pas comprendre ce que sont les soi-disant « objets mentaux » évoqués ici et je ne sais pas non plus comment, par quel procédé de prestidigitation (mentale?) on parvient à les créer en les dotant en plus d'une «existence réelle», sauf peut-être que celle-ci résiderait (?) dans la tête de seuls ceux qui les imaginent; ensuite, quant à les manipuler de surcroît (sans doute cette fois dans la tête de leurs patients?...), cela reste pour moi un mystère. Je serais tenté de ranger ces «objets mentaux» insaisissables dans la catégorie des rêves ou des hallucinations. Dans pareille circonstance, je me rappelle immanquablement une phrase très clairvoyante d'Henri Bosco que j'ai déjà citée ailleurs (v. Béquilles Psy): "Un songe aussi n'a d'existence que fictive, de sens qu'absurde, et seulement en celui qui le songe. Il n'en est pas moins vrai qu'il s'est produit... Ce qui risque, seul, d'être imaginaire, c'est l'explication qu'on en peut offrir." (Je me suis permis de souligner).

Pour ma part, je soupçonne que les (soi-disant ou présumés) « invariants » peuvent souvent ne présenter d'invariant que leur apparence superficielle et fallacieuse sous leur forme phénotypique de signe ou symptôme observable. Car ne connaît-on pas d'exemples de signes ou symptômes psychiatriques « pathologiques » similaires (ou comparables) survenant dans différents syndrômes, qui sont en fait les produits de mécanismes biologiques néanmoins différents, distincts? Est-ce qu'alors ce sont bien là encore de véritables « invariants », ou serait-ce peut-être des sortes d'imitations ou de « sous-variétés » diverses de « pseudo-invariants » (des « sosies d'invariants » en quelque sorte) si leurs causes physiopathologiques profondes respectives (que nous n'identifions pas encore) peuvent différer d'un cas à l'autre?

J'imagine qu'on ne pourrait sans doute s'assurer d'une véritable « invariance » d'un symptôme que si on parvenait à identifier la chaîne des endophénotypes qui aboutissent à ces « invariants » (qui ne sont en fait que présumés tels jusqu'à présent). En « remontant » le long de cette chaîne jusqu'au(x) gène(s) qui en est (sont) à l'origine, on aurait ainsi une preuve de l' identité vraiment « invariante » du phénotype observé qui pourrait dès lors être considéré comme effectivement une caractéristique unique et « identifiant » du symptôme à coup sûr.

On n'en est pas encore là. Mais je pense qu'on a là une bonne, voire irrésistible raison d'encourager d'urgence la recherche génétique préalablement même à l'épistémologie des classifications psychiatriques, de telle sorte que ces dernières puissent enfin s'appuyer sur des bases incontestables, c.-à d. plus solides que celles utilisées jusqu'à aujourd'hui, généralement et faute de mieux.

Il me semble que cette recherche des endophénotypes s'impose non seulement pour valider les classifications des affections psychotiques, mais par conséquent pour aussi justifier, sur des critères solides et plus proches d'une réalité biologique et physique avérée, les distinctions que l'on tente depuis toujours avec peu de succès de définir de manière unanime et convaincante entre divers syndromes psychotiques chroniques et pour en prévoir leur éclosion et leur évolution clinique (leur pronostic) dans la durée. Cela rencontrerait sans doute les préoccupations des auteurs cités dans l'encadré en tête d'article (et certainement celles de nombreux autres!).
On crée bien des banques de sperme (et peut-être bientôt d'ovocytes) en faveur des couples dont un des partenaires ne peut pas procréer pour diverses raisons biologiques. Pourquoi ne pourrait-on pas, de manière analogue, créer des banques de sang des femmes enceintes (quelques cm³) et de leur conjoint, ainsi que du sang du cordon placentaire prélevé lors de l'accouchement?
L'analyse génétique de l'ADN pratiquée sur un grand nombre de ces prélèvements (rendus anonymes si nécessaire) devrait fortement accélérer la recherche scientifique de la détection et de l'identification d'endophénotypes de composition « pathogène » éventuelle (et cela n'aurait rien à voir avec la possibilité parfois évoquée de satisfaire le désir de certains parents de choisir, par exemple, la couleur des yeux ou celle des cheveux de leur enfant à naître).
Aux chercheurs de neuropsychiatrie, de concert avec les généticiens, d'y penser sérieusement sans trop tarder!


Première publication: 26 février 2018 (J.D.) Dernière modification: 26 février 2018