Note 1
Des causes génétiques et développementales.
Pour se faire une représentation des causes génétiques,
on pourrait comparer la formation et le développement du cerveau
avec le chantier résultant des plans d'un architecte ou d'un ingénieur:
ce sont les indications qui figurent dans notre code génétique
(les plans) qui seront suivies pour le développement du cerveau (la
construction du bâtiment ou de la machine).
Les facteurs ou causes génétiques "fautifs" correspondent
en quelque sorte aux "coquilles" d'imprimerie qui se seraient
glissées dans les plans.
Les causes développementales, si nous gardons
la même comparaison du chantier de construction, seraient, cette fois,
l'équivalent non pas d'erreurs dans les plans eux-mêmes, mais
d'erreurs de lecture ou d'interprétation lors de la réalisation
des plans par les "exécutants sur le chantier" (le développement
et la maturation du cerveau): les équivalents de la pluie sur les
lunettes de l'ingénieur ou de l'architecte, de l'emploi, en cours
de construction, d'un matériau de moins bonne qualité, etc.
Causes génétiques et développementales ne sont pas
mutuellement exclusives mais se combinent, s'influencent mutuellement (elles
sont interdépendantes).
Les causes développementales sont celles qui interviennent, par exemple,
pendant la vie in utero, pendant la grossesse. Certains , se basant sur
le calendrier du développement embryonnaire du cerveau, imaginent
qu'elles surviendraient dès le 4ème mois de la vie foetale,
mais pourraient se poursuivre encore pendant l'enfance et l'adolescence
jusqu'à 20 ans passés. En fait, ces causes pourraient être
encore bien plus précoces, comme l'ont bien montré les observations
très probantes (bien qu'habituellement passées sous silence
par les tenants de la "psychogénèse") de l'embryologiste
américaine P.M. Rodier et ses collaborateurs, sur le rôle de
la thalidomide (le Softénon) dans l'incidence de l'autisme (Rodier,
P.M. & al., J.Comp. Neurol. 370 (2), 247-261, 1996. voyez aussi
Sci.
Am. 282 (2), 38-45, février 2000). La précocité
des atteintes dans le cas de l'autisme prouve que la possibilité
de pareilles lésions (du tronc cérébral), qui nécessairement
retentissent sur le développement ultérieur du cortex, n'est
pas non plus à exclure dans le développement consécutif
et "tardif" d'anomalies corticales (dans les schizophrénies),
par exemple dans les lobes préfontaux et temporaux.
Les facteurs génétiques sont parfois encore (mais de plus
en plus rarement) mis en doute par quelques obstinés qui, en dépit
des preuves contraires, veulent absolument croire, par idéologie
bien plus que par savoir, aux influences néfastes de la culture,
de l'éducation et de la "société",
et qui contestent la validité des diagnostics sur lesquels les statistiques
ont été établies pour déterminer les fréquences
observées de cas de schizophrénies.
Mais l'influence génétique bien réelle est encore plus
visible dans des études (portant sur la population islandaise, p.
ex. ) regroupant tous les troubles psychotiques en faisant abstraction des
distinctions habituelles entre psychoses (qui ne sont basées, rappelons-le,
que très arbitrairement sur leurs manifestations apparentes, non
sur leurs causes ni sur leurs mécanismes!) (Horrobin,
D.F.: Schizophrenia: The illness that made us human. Med. Hypotheses
1998, 50,269-288).
A la différence des indications et instructions sur plans que nous
fournissons à nos architectes et à nos ingénieurs,
celles que notre code génétique dicte pour la construction
du cerveau comportent une certaine part "d'imprécision",
c'est-à-dire que du "jeu" est permis dans l'exécution,
qui explique une certaine variabilité, dans des limites assez étroites,
il est vrai, en fonction des conditions "ambiantes" dans lesquelles
la construction progresse. Ce "jeu", ou ce qu'on pourrait
appeler ces "tolérances" par rapport aux spécifications
du plan de construction, expliquent que même des jumeaux vrais, qui
ont donc le même génome, puissent néanmoins, au terme
de leur développement, d'abord in utero puis néonatal
et infantile, présenter de discrètes différences dans
leurs architectures cérébrales fines; des jumeaux vrais, qui
ont des génomes identiques, ne sont donc pas parfaitement identiques
entre eux, comme souvent on aurait tendance à le croire (même
des clones, même soumis à des conditions "extérieures"
ou "ambiantes" aussi proches que possible ne seraient pas nécessairement
parfaitement identiques). Cette possibilité de variation montre bien
aussi que, contrairement aux idées habituellement reçues,
génétique n'est nullement synonyme de prédestination.
"Les gènes, ce n'est pas la destinée. Les
effets des gènes représentent des tendances probabilistes
et non pas une programmation préétablie."
(PLOMIN, R. & al.: Behavioral Genetics,
p. 278. 3ème édition. W.H. Freeman &Co., New York 1997,
ISBN 07167-2624-9).
De nombreuses personnes se récrient pourtant encore quand on leur dit que "la" schizophrénie est en partie d'origine génétique. Pour elles, qui traduisent cela erronément en l'affirmation que "la schizophrénie est une tare héréditaire transmise aux enfants par l'un ou l'autre parent", cela signifie que ce parent serait et devrait se sentir porteur caché mais responsable, voire coupable de l'affection de son enfant, et que lui-même s'imaginerait alors qu'il devrait, en toute justice, être montré du doigt comme propagateur d'une tare honteuse. Pareille croyance devrait être fermement dénoncée par tous les professionnels.
Il faut savoir que les schizophrénies ne dépendent pas d'un seul gène, mais de constellations de multiples gènes dont certaines copies "altérées" sont réparties au hasard dans la population générale, et dont les copies "saines" peuvent, elles aussi, de temps en temps s'altérer spontanément, par mutations survenant au hasard (c'est ainsi que toutes les espèces, tant animales que végétales, évoluent naturellement au fil des générations et des millénaires). L'identification des différents gènes pouvant jouer un rôle dans la susceptibilité aux schizophrénies est encore loin d'aboutir, mais elle ne cesse de progresser.
Il faut aussi se rendre compte que tous nos gènes, à chacun de nous, font partie du patrimoine héréditaire de l'humanité entière, qu'ils se distribuent et se "mélangent" les uns aux autres au hasard des mariages et des naissances, à la manière d'une sorte de donne constamment recommencée d'un jeu de cartes où les cartes, au lieu de ne comporter que les habituelles 52 dénominations différentes, se comptent par milliers. C'est donc le hasard de la donne qui décide de qui héritera d'un jeu de gènes plus ou moins favorable ou défavorable, et aucun de nous ne peut être tenu pour responsable du jeu de gènes dont il est le porteur involontaire et innocent.
Depuis longtemps déjà, on aurait pu (ou dû?) s'interroger sur les différences marquées de personnalité et de comportement qu'on peut observer chez les différents membres (non jumeaux) des fratries au sein des familles. Ces différences surviennent chez des personnes aux patrimoines génétiques différents, malgré des conditions communes de milieu, d'éducation, de mode de vie. Inversement, des ressemblances surprenantes des caractéristiques psychologiques s'observent chez les jumeaux vrais, au patrimoine génétique identique, même lorsqu'ils ont été séparés dès leur naissance pour être élevés dans des familles d'adoption distinctes.
Les programmes actuels d'études poursuivies à l'échelle mondiale sur les jumeaux et les adoptions nous fournissent des statistiques permettant enfin de séparer, dans les influences sur nos traits psychologiques, ce qui revient à l'environnement (au milieu et à l'éducation) de ce qui est dû à nos gènes.
On peut s'étonner que ce soient les mêmes personnes qui, tout en repoussant l'idée de l'influence génétique sur notre personnalité, ne récusent pourtant pas et ne s'offusquent guère du rôle que nos gènes jouent sur de nombreuses de nos autres caractéristiques, parmi lesquelles la taille, p.ex. Cette dernière est manifestement déterminée, elle aussi par de multiples gènes et par des facteurs du milieu.
Sans doute, ce seront également les études génétiques
qui devraient permettre d'identifier tant les facteurs du milieu que les
facteurs génétiques responsables des manifestations de la
schizophrénie, et ce dans un avenir moins improbable que certains
psychiatres pessimistes l'imaginent, dont M. DE HERT & al., ("Si
loin, si proche.", p.22 EPO, Bruxelles 1999. ISBN 2-87262-
1644), "il existe d'ailleurs peu
de chances de le trouver [le code génétique de la schizophrénie],
car la schizophrénie naît d'un phénomène fort
complexe où différents facteurs et autres entrent en jeu."
Cette opinion ne tient pas compte de l'accélération exponentielle
des neurosciences, de la génétique, de la progression des
moyens de calcul, d'analyse et de synthèse des données. L'important
n'est d'ailleurs pas de trouver "le code génétique de
la schizophrénie", qui sans doute n'existe pas comme tel. L'important
est de commencer par identifier quelques allèles de gènes
influençant tel ou tel trait "psychologique" ou "fonction
cognitive" parmi ceux altérés par la psychose. Une fois
saisi ce premier bout de fil, toute la pelote des facteurs, tant génétiques
que du milieu, se dévidera de plus en plus vite. Je suis persuadé
qu'on en est moins loin que certains ne le croient.
Les internautes désireux d'en savoir plus sur les relations de la génétique avec les schizophrénies, et qui ne sont pas intimidés par une lecture comportant parfois des aspects un peu techniques pourront compléter leur information en consultant:
-
F. THIBAUT, T. D'AMATO, D. CAMPION: "Génétique
de la schizophrénie"
publié chez John Libbey Eurotext, Paris 2003. ISBN 27420-0430-0
et -
P. ROUBERTOUX: "Existe-t-il des gènes
du comportement?"
publié chez Odile Jacob, Paris 2004. ISBN 2-7381-1545-4