IV. LES CAUSES de la SCHIZOPHRÉNIE
"Nombreuses sont les explications du comportement qui ont comme un petit air imaginaire et fantaisiste, parce qu'elles expliquent les phénomènes psychologiques par d'autres phénomènes psychologiques tout aussi mystérieux. [...] Ces explications sont des arnaques."
Steven Pinker, How the Mind Works, p. 85
On dit actuellement de la schizophrénie que c'est une "affection multifactorielle". C'est une manière, parmi d'autres possibles, de quelque peu masquer notre ignorance et, tout simplement, de ne pas avouer que ces causes nous sont en réalité encore inconnues (printemps 2006).
De nos jours, une très large majorité des professionnels orientent leurs hypothèses les plus plausibles et probables vers des causes génétiques et des causes développementales 1 qui, d'ailleurs, peuvent être liées. Elles peuvent provoquer des altérations biochimiques et structurelles dans notre organisme, et nous commençons seulement à détecter quelques unes de ces altérations. Celles-ci, à leur tour, entraînent des anomalies du développement à la fois structurel et fonctionnel de notre cerveau, qui se manifesteront par des troubles du fonctionnement de celui-ci.
Les altérations fonctionnelles du cerveau ne se manifestent que par des troubles des perceptions sensorielles dont les patients parfois (mais pas toujours) se plaignent, ou encore par des troubles de la pensée, de l'humeur et du comportement, mais ne produisent pas de "signes" matériels directement observables ni mesurables, comme on pourrait les observer à la suite d'altérations de n'importe lequel de nos autres organes.
Par conséquent, faute de disposer des moyens techniques d'investigation qui auraient permis "d'aller voir" ce qui se passe sous notre crâne quand nous percevons, éprouvons, pensons, agissons, etc., la psychiatrie, à ses débuts et pendant encore longtemps ensuite, en a été réduite à construire des concepts purement hypothétiques tentant d'expliquer nos fonctions mentales tout aussi bien "normales" que "pathologiques". Ce manque de moyens semblait autoriser et encourageait les psychiatres de tendance "spiritualiste" (ceux qui font du cerveau et de l'esprit des entités, des "choses" distinctes) à ne voir dans les "maladies" mentales que des "désordres de l'âme" ou des "troubles de l'esprit" dépourvus de tout support matériel, et à récuser obstinément toute possibilité d'anomalies cérébrales matérielles (dites "organiques") à l'origine de ces troubles. Pareille attitude est encore largement répandue, non seulement dans le grand public des profanes, mais aussi chez de nombreux professionnels de la "santé mentale".
Une des difficultés auxquelles on se heurte pour identifier les
gènes responsables, c'est que d'une part ils sont multiples, d'autre
part "la" schizophrénie n'est pas une maladie mais un syndrome,
c'est-à dire une construction artificielle à partir de pièces
détachées regroupées plus ou moins arbitrairement (les
signes et les symptômes), on ne sait jamais si "la" schizophrénie
observée chez un malade donné est bien la même que celle
observée chez un autre. Schizophrénie: une seule maladie?
Une psychose distincte des autres, aux gènes toujours les mêmes,
eux aussi, et distincts?
D'éminents psychiatres ont admis le côté aléatoire
des distinctions entre psychoses décrétées différentes.
En effet, ces distinctions ne sont basées que sur l'intuition généralement
répandue, qui voudrait que des altérations de l'humeur, comme
par exemple la maniaco-dépression (les troubles bipolaires), soient
d'origine très différente de celles des "altérations
de la pensée" telle la schizophrénie: parce que, en effet,
ces affections se manifestent à nous de manières que nous
ressentons comme différentes. N'oublions surtout jamais que les différences
observées sont subjectives, elles ne portent en fait que sur les
manifestations apparentes, extérieures, finales pourrait-on dire,
celles qui nous sont accessibles. Rien de tangible, rien d'objectif ne peut
en être sérieusement déduit quant aux origines véritables
et à la nature des troubles mentaux constatés. Rappelons ici
ce que disaient des dysfonctionnements cérébraux les psychologues
U.S. Sally P. Springer et Georg Deutsch: «To
assume that similar symptoms always result from the same cause is to grossly
oversimplify the intricacies of human brain-behavior relationships.»
("Left Brain, Right Brain",
W.H. Freeman & Co, New York 1998, p. 288. ISBN 07167-3110-X):
"Croire que des symptômes semblables ont toujours pour origine
les mêmes causes est une simplification excessive des relations entre
le cerveau humain et le comportement." Autrement dit, il n'est
pas encore possible aujourd'hui de remonter à coup sûr des
troubles observés (de pensée, d'humeur, de comportement, etc.)
aux défauts biologiques cérébraux qui leur ont donné
naissance.
Sans se lancer dans des considérations philosophiques ou métaphysiques, on peut dire aujourd'hui que les altérations du fonctionnement du cerveau des malades schizophrènes sont un fait scientifiquement bien établi et bien documenté grâce aux techniques actuelles, parmi lesquelles l'imagerie médicale et les techniques sophistiquées d'électroencéphalographie par potentiels évoqués (électroencéphalographie assistée par ordinateur). On sait aussi que ces troubles fonctionnels s'accompagnent d'anomalies cérébrales bien matérielles, c'est-à-dire concrètes, qui touchent de préférence certains territoires du cortex cérébral.
Il est bien établi à présent et on peut donc affirmer avec force que, contrairement à ce qui a été soutenu pendant près d'un siècle, la maladie n'est due ni à des mauvais traitements pendant l'enfance, ni à une mère "schizophrénogène", trop permissive ou, au contraire, trop autoritaire, ni à l'absence du père ou, au contraire, à son autorité excessive. Des conflits psychologiques, parentaux ou autres, au sein de la famille ne sont pas non plus responsables de la maladie. Rien n'autorise donc à accuser les parents d'un comportement fautif prétendument responsable de la maladie.
Des lésions cérébrales, les amphétamines, le
LSD, le cannabis et d'autres substances chimiques peuvent provoquer l'apparition
de signes et symptômes dont certains se retrouvent dans la schizophrénie.
On devrait rappeler aussi qu'à l'époque de la mode "psychédélique"
aux U.S.A. dans les années 1950 et 1960, une drogue chimique y a
connu une certaine vogue: c'était la phéncyclidine ou "angel
dust" ("poussière d'ange"), qui conduisait
à un syndrome rappelant, par beaucoup d'aspects, certaines formes
de schizophrénie. Ces observations démontrent à suffisance
l'importance des influences matérielles (pas "psychologiques"),
toxiques et biochimiques sur le fonctionnement de notre cerveau et donc
sur nos fonctions mentales.
De même, on sait qu'on retrouve, en moyenne, 5 fois plus de malades
schizophrènes parmi les consommateurs chroniques de doses importantes
de cannabis que dans le restant de la population
(et deux études récentes, l'une anglaise, [Henquet,
C. & al., BMJ., doi:101136/bmj.38267.664086.63], l'autre
néo-zélandaise [D.M. Ferguson &
al., Addiction 100 (3), p.354, 2005], ont bien démontré
le rôle favorisant de la consommation de cannabis sur l'apparition
ultérieure d'une schizophrénie).
Certains "professionnels" nous présentent aujourd'hui ce qu'ils appellent une "théorie nouvelle" qui donnerait les "causes" et expliquerait la schizophrénie: c'est ce qu'ils dénomment pompeusement le modèle "vulnérabilité-stress" 2. Ce ne sont en réalité que deux mots accolés qui n'apprennent rien à personne.
Aucune des nombreuses "théories psychologiques" 3 élaborées jusqu'à présent pour "expliquer" la schizophrénie n'a jamais abouti à un traitement couronné de succès et n'a jamais pu recevoir ne fut-ce qu'un début de confirmation scientifique. Par contre, beaucoup de ces théories ont d'abord fait naître de faux espoirs chez les malades et leurs proches, à qui il a fallu ensuite déchanter. D'autres parmi ces théories ont encore aggravé les détresses qu'elles prétendaient soulager, en voulant à toute force trouver des responsables ("coupables") au sein des familles.
Nous disposons de preuves scientifiques irréfutables que la schizophrénie comporte des causes en partie génétiques:
- alors que la prévalence (la fréquence) de la schizophrénie dans la population générale est de l'ordre de 1%, par contre lorsqu'un parent au premier degré est atteint de la maladie, - père, mère, frère, soeur -, le risque 4 pour les autres frères et soeurs monte à 10%
- Lorsque les deux parents sont malades, le risque encouru par leurs enfants est de 40 à 45%
- Lorsqu'un faux jumeau est atteint de la maladie, l'autre jumeau encourt un risque de 10 à 15%
- Quand une tante, un oncle, un neveu ou une nièce est atteint, le risque pour les autres membres de la famille n'est plus que de 3%.
- Quand un jumeau vrai (univitellin) est malade, l'autre encourt un risque qui monte à 30-50% (ce qu'on appelle la concordance). Le fait que ce risque ne se transforme pas, dans ce cas, en certitude (n'est pas de 100%) montre que le facteur génétique, s'il est bien nécessaire pour que la maladie se manifeste, ne constitue pourtant pas à lui seul une cause suffisante de la maladie. La constitution génique n'est pas un facteur déterminant rigide et inéluctable. D'autres facteurs, environnementaux cette fois-ci, devront être présents également pour que, sur ce terrain génétiquement prédisposé, la maladie puisse apparaître.
Les mêmes valeurs statistiques ont été retrouvées dans les études où les jumeaux vrais (issus d'un même ovule) ou bien les frères et soeurs tant atteints que sains, issus de parents malades étaient séparés et élevés dans des familles d'adoption (en bonne santé mentale, cela va de soi), montrant ainsi que l'influence des facteurs psychologiques familiaux sur la fréquence de la maladie était négligeable et qu'ils ne pouvaient être tenus pour une cause de la maladie.