V. Le TRAITEMENT de la SCHIZOPHRÉNIE


"Ces maîtres icy, comme Platon dit des sophistes, leurs germains, sont de tous les hommes ceux qui promettent d'être les plus utiles aux hommes et, seuls entre tous les hommes, qui non seulement n'amendent point ce qu'on leur commet, comme fait un charpentier et un masson, mais l'empirent et se font payer de l'avoir empiré."
Montaigne, Essais, Livre I, chap. XXV

Tant que les causes de la maladie ne seront pas connues, nous n'aurons aucun moyen sûr de prévenir 1 l'apparition de la maladie ni de la guérir réellement.

Il ne faut pas non plus se laisser aller à croire que, si dans 10% des cas, la maladie n'aura jamais qu'un épisode aigu unique 2, ou encore que, puisque les symptômes aigus s'atténuent avec l'âge 3, la maladie serait déjà effectivement guérissable.

Plus exactement, en fait,

la vie du patient et celle de ses proches ne peut être que rendue moins insupportable: par l'emploi adéquat des médicaments, par les "soins" adaptés à chaque cas et par une assistance et un encadrement prodigués à bon escient.

Les symptômes psychotiques aigus qui assaillent le malade et l'effrayent lui et son entourage, ne se laissent influencer que par des médicaments. Il faut fournir l'information correcte au patient, à sa famille, aux familiers et autres personnes proches, au sujet de la maladie, de ses manifestations, de son traitement, des médicaments, des attitudes à adopter - ou à éviter - par et avec le malade: c'est la seule aide valable qu'aujourd'hui on puisse, mais aussi qu'on doive leur apporter pour leur permettre d'affronter une maladie pour le moment incurable. C'est seulement ainsi qu'on peut espérer réduire quelque peu la fréquence des séjours à l'hôpital et en raccourcir la durée.

On dispose à ce jour des moyens suivants:

V-1. Médicaments

Les neuroleptiques, même les plus récents, semblent n'influencer significativement la manifestation que des "symptômes" survenant pendant les crises (symptômes dits "positifs"), tels l'angoisse, l'agitation, les hallucinations et les idées délirantes. Les symptômes dits "résiduels" ou "négatifs", c.à.d. ceux qui éventuellement persistent entre les "crises florides" ou "crises productives", soit donc l'apathie, l'indifférence, le manque de motivation, la passivité, le manque d'initiative, la froideur des sentiments, l'indécision, le repli sur soi et le retrait social semblent beaucoup plus rebelles à la plupart des médicaments disponibles aujourd'hui. La médication doit être individuellement adaptée à chaque cas 4, tant en ce qui concerne le type de médicament que pour la posologie (la quantité, la dose). Ceci requiert donc des essais préalables, qui peuvent être plus ou moins nombreux. Autrement dit:

Il n'est jamais possible de prédire si, chez tel malade, tel ou tel médicament sera efficace. Il faut d'abord l'essayer.

Beaucoup de temps et de patience peuvent donc être nécessaires avant de trouver la médication efficace, et pour la doser convenablement. L'efficacité du traitement médicamenteux dépend en grande partie des connaissances approfondies en neuropharmacologie du médecin traitant et de son expérience pratique. Elle dépend aussi de la coopération du patient qui doit accepter de prendre son médicament, et des soignants qui doivent veiller à ce qu'il le prenne malgré sa répugnance éventuelle.

Les médicaments "neuroleptiques" 5 disponibles actuellement sur le marché belge sont multiples. La majorité d'entre eux, sinon tous, ont, en plus de leurs effets favorables sur les signes et symptômes de la maladie, des effets dits "secondaires" (c'est-à dire parasites ou indésirables) gênants ou désagréables.

De manière très simplifiée et schématique, on distingue deux grandes catégories de médicaments neuroleptiques: d'une part les neuroleptiques dits "typiques", et d'autre part les neuroleptiques dits "atypiques" 6.

Les premiers ("typiques") sont les plus anciens (parfois dits "de première génération"). Parmi leurs caractéristiques notons que, dans les cas où ils s'avèrent efficaces, ils influencent surtout la manifestation des symptômes "positifs" et n'ont que peu ou pas d'effets sur les signes "négatifs" de la maladie. Par ailleurs, un de leurs effets secondaires très gênant est l'apparition de signes "extrapyramidaux" (SEP) pour des doses de médicament parfois trop proches des doses efficaces.

Ces SEP, dont l'ampleur varie individuellement selon les cas, sont la rigidité musculaire, les tremblements plus ou moins marqués des membres, le ralentissement moteur, l'aspect figé de la face, la sensation que le malade éprouve de ne pouvoir rester en place (l'acathisie [ou akathisie], c'est-à dire une sorte de gêne dans les jambes - des "fourmis" - forçant le malade à se déplacer en permanence ou à faire trembler ses jambes, rappelant un peu la manière de se relaxer des joueurs de tennis sur leur chaise pendant un pause entre deux jeux). La plupart de ces signes rappellent ceux qu'on peut observer dans la maladie de Parkinson, c'est pourquoi les médecins parlent parfois, à ce propos, de "syndrome parkinsonien".

On essaye d'éviter les SEP en se limitant à la dose minimale de médicament encore efficace pour atténuer les symptômes. Parfois, cependant, l'efficacité du médicament ne se manifeste qu'aux doses où apparaissent les SEP. Dans d'autres cas encore, ces signes parkinsoniens se développent avant même qu'un effet favorable de la médication sur les symptômes de la schizophrénie ne soit constaté. Dès lors, plutôt que d'augmenter les doses de ce neuroleptique - qu'il soit "typique" ou "atypique", d'ailleurs - dans l'espoir de voir apparaître un hypothétique effet favorable, il ne faut pas s'entêter, mais plutôt tenter de changer de médicament, sous peine de prendre le risque de séquelles neurologiques tardives encore plus difficile à maîtriser.

Il faut aussi éviter de prescrire plusieurs neuroleptiques différents sous le fallacieux prétexte que leurs effets secondaires se dilueraient tandis que leurs effets "principaux" s'additionneraient:

la règle doit être ce que les médecins appellent la "monothérapie" (un neuroleptique unique).

(mais l'expérience, en Belgique, montre que bien peu de nos psychiatres en ont compris la justification pharmacologique et fonctionnelle et s'y tiennent!)

Si les neuroleptiques typiques sont inefficaces ou s'ils provoquent des effets secondaires trop importants, on s'adressera aux neuroleptiques plus récents, ceux qu'on appelle "atypiques" parce qu'ils ne provoqueraient pas ou peu de SEP. Ces nouveaux neuroleptiques, dont le nombre s'accroît heureusement sans cesse, sont plus maniables que les anciens puisqu'ils n'entraînent pas de SEP (ou certains seulement à doses plus élevées). Ils ne sont pourtant pas la panacée: pas plus que pour les neuroleptiques typiques il n'est possible de prédire si, dans le cas particulier de votre parent ou de votre proche malade, tel plutôt que tel autre neuroleptique atypique sera efficace. De nouveau, seul l'essai permettra d'en décider.

D'autres effets secondaires 7 que les SEP résultent des traitements par les neuroleptiques, tant les "typiques" que les "atypiques". Parmi ces effets secondaires (qui ne sont pas nécessairement tous ni toujours présents simultanément), citons: la bouche sèche ou, au contraire, la salivation exagérée, les nausées, la somnolence, la difficulté d'accommodation visuelle, la diminution de la libido, une prise de poids plus ou moins importante, l'irrégularité ou même l'absence de règles chez les femmes. Ces effets secondaires représentent des inconvénients qu'on peut, à la rigueur, considérer comme mineurs si on les compare aux symptômes de la schizophrénie. Cependant, malgré les possibilité élargies de choix parmi les neuroleptiques, il faut savoir qu'il subsiste toujours une proportion non négligeable de cas de schizophrénie ne réagissant que de manière décevante ou même nulle à toutes les médications entreprises.

Dans ces cas ou les autres neuroleptiques ont échoué, il est alors justifié de recourir à un neuroleptique atypique spécifique, non encore essayé (la clozapine - nom de marque Leponex en Europe, Clozaril aux USA) parce que présentant potentiellement un risque d'effet secondaire plus grave (sur la fabrication des globules blancs par la moelle osseuse). Ce risque, dont la prise est justifiée par la gravité des symptômes schizophréniques et par leur résistance aux autres neuroleptiques, diminue d'ailleurs significativement au cours du temps (en début de traitement, on le prévient par des contrôles hématologiques réguliers qui pourront ensuite s'espacer graduellement).

De nos jours, peu de nos psychiatres pourraient encore se permettre de s'opposer à la prescription d'une médication neuroleptique que, désormais, tous savent indispensable au traitement des schizophrénies, pour lui préférer une thérapeutique de seule "psychothérapie". En effet, ce serait renoncer, sur la base de théories psychiatriques ou autres idéologies totalement hypothétiques et non vérifiées, au traitement médicamenteux reconnu par tous comme indispensable pour les "psychoses", et ce serait un choix barbare contraire à l'éthique médicale.

On rencontre pourtant encore trop souvent des personnes ayant pouvoir de décision sur le sort des malades mentaux (des juges, des avocats, etc., mais parfois même des "psys") qui dénigrent les traitements médicamenteux qui leur sont prescrits, et qui parlent, à leur propos, de "camisole chimique" 8 , ce qui n'est qu'une formule purement verbale, peut-être imagée mais fausse, dont ils ne comprennent pas eux-même l'absurdité.

On dispose aujourd'hui de suffisamment d'indices concordants tendant à montrer qu'un traitement médicamenteux rationnel et approprié diminuerait sensiblement le nombre de "rechutes" nécessitant la ré-hospitalisation.

Enfin, en plus des traitements médicamenteux, il faut encore mentionner, quasi pour mémoire, les traitements par électrochocs ("électroconvulsivothérapie", ou ECT). Ils ne sont plus pratiqués que très exceptionnellement. Pourtant, ils peuvent encore être indiqués et se montrer efficaces dans les cas avec signes de dépression profonde où tous les autres traitements ont échoué (et où les risques de suicide paraissent suffisamment élevés pour devoir recourir à ce traitement exceptionnel). Leur mise en oeuvre, de nos jours, se fait sous anesthésie générale (et curarisation comme pour d'autres interventions, chirurgicales générales, p.ex.), de manière beaucoup plus brève, douce et mieux contrôlée qu'autrefois. Les récits d'horreur que pourtant on en fait encore sont de sinistres fictions, bonnes tout au plus pour les films d'épouvante (série "Z") et les mauvais romans.

D'autres traitements "biologiques" sont actuellement expérimentés un peu partout dans le monde (pas tellement chez nous en Belgique) mais, pour la plupart ils n'en sont encore qu'aux stades de la recherche. Cela signifie que, même s'ils ont déjà donné lieu à publications scientifiques faisant état de résultats prometteurs, leur confirmation - ou leur réfutation - prennent des temps forts longs pour obtenir et réunir des résultats portant sur des nombres suffisants de malades. Tant le public que les praticiens de terrain n'en sont guère tenus au courant et nos "psys" ne semblent pas non plus s'en soucier outre mesure, ce qui n'est malheureusement pas fait pour encourager ni soutenir - moralement et matériellement - les chercheurs. Ceux qui, médecins ou proches de patients, en ont entendu parler ne savent le plus souvent pas où s'adresser pour s'informer si leur malade pourrait en bénéficier, ou même s'il pourrait, pourquoi pas? proposer sa participation à la recherche pour en accélérer les progrès (c'est pourtant pratique courante aux U.S.A., mais les U.S.A. n'ont pas bonne presse chez la plupart de nos "psys" francophones).

A notre époque où un déluge d'informations de toutes sortes et souvent de peu d'intérêt risque de nous submerger, ce désintérêt général pour les progrès véritables des thérapeutiques en psychiatrie (qui sont enfin en marche!), contrastant avec les multiples effets d'annonce de nos responsables politiques clamant leur souci de ce qu'ils appellent la "santé mentale", constitue un paradoxe qui ne peut que nous plonger, au mieux dans une grande perplexité, au pire dans une profonde colère.

Ces nouveaux traitements, dont on peut espérer que nos malades pourront bénéficier dans un avenir pas trop lointain, reposent, par exemple sur de nouvelles techniques: la stimulation par des micro-électrodes implantées à demeure dans certains territoires cérébraux (p.ex. à la manière des électrodes déjà mises en oeuvre avec succès pour le traitement de la maladie de Parkinson), la stimulation magnétique transcranienne (SMT, parfaitement non invasive), par exemple du cortex cérébral temporo-pariétal gauche permettant d'atténuer ou même de supprimer, au moins pendant des périodes relativement longues, les hallucinations auditives résistant aux traitements par neuroleptiques.

D'autres pistes sont également explorées 9 : l'adjonction, aux traitements neuroleptiques, d'une supplémentation, soit par la DHEA (la déhydro-épiandrostérone, stéroïde métabolite naturel de notre métabolisme normal, un temps préconisé en France par le Professeur Beaulieu comme traitement de confort du vieillissement) soit par l'administration, à très faibles doses (moindres que dans la "pilule" contraceptive), d'hormones sexuelles oestrogènes qui pourraient améliorer l'efficacité des neuroleptiques (mais ne semblent pas prolonger cette efficacité dans le temps, c.-à-d. qu'elles ne paraissent pas retarder la survenue éventuelle d'une nouvelle crise).

D'autres traitements adjuvants des neuroleptiques s'annoncent: certains acides aminés (les précurseurs obligés de nos protéines) parfaitement naturels et inoffensifs qu'on pourrait donc qualifier de "bio", comme la sérine et le glycocolle (glycin), dont nous savons qu'ils interviennent dans le fonctionnement de certains récepteurs neuronaux synaptiques (les récepteurs NMDA) eux-mêmes importants pour le bon fonctionnement d'autres récepteurs synaptiques.

Aux deux acides aminés précédents, ajoutons encore les acides gras essentiels dont nous avons aujourd'hui tous entendu parler, ces "oméga-3" dont certains se préoccupaient déjà depuis quelques années et qui sont importants pour le maintien de l'intégrité des membranes cellulaires mais dont la vogue ne nous a atteints que récemment (sans doute plutôt grâce à des motivations au départ plus commerciales que thérapeutiques). - les omega-3 sont des acides gras essentiels, ce qui veut dire qu'ils nous sont indispensables, mais que notre machinerie biochimique n'est pas capable de les synthétiser; nous devons donc les trouver tout faits dans notre alimentation -


SUITE du Chapitre V: Traitement hospitalier, "post-cure", réinsertion

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