Note 4
2 La médication doit être individuellement adaptée.
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Action sur les neurones, pas sur les symptômes
La médication individuellement adaptée à chaque cas, c'est celle qui, chez un malade donné, donne les meilleurs (ou, si on préfère, les moins mauvais) résultats. Elle comprend toujours un neuroleptique. Les neuroleptiques (que certains psychiatres préfèrent appeler antipsychotiques) sont des molécules dont la structure chimique ressemble à celle de nos médiateurs synaptiques naturels, ces substances fabriquées par nos cellules nerveuses et émises par leurs extrémités (les signaux au niveau des synapses ou points de contact d'un neurone au suivant) pour communiquer entre elles.
Cette ressemblance est suffisamment proche pour que les neuroleptiques administrés soient confondus par l'organisme avec les médiateurs synaptiques correspondants qu'ils imitent et dont ils prennent la place. Etant toutefois inactifs, ils s'opposent ainsi à l'action des médiateurs physiologiques dont ils usurpent les emplacements qui leur sont normalement réservés. On a souvent comparé ces molécules neuroleptiques à des sortes de clefs passe-partout défectueuses qui, une fois introduites dans la serrure qu'elles sont censées ouvrir, au contraire s'y coincent et la bloquent, empêchant la clef légitime (le médiateur physiologique) de s'y placer.
Les profanes que sont le grand public et la famille, ont en général beaucoup de mal à comprendre pourquoi il semble si difficile et si long de trouver "le bon" médicament, et pourquoi tant de temps est parfois nécessaire pour en déterminer la dose adéquate. Dans leur désarroi, ils en arrivent parfois à croire que le nombre des tentatives médicamenteuses plus ou moins heureuses serait inversement proportionnel à la compétence des psychiatres et soignants (ce n'est heureusement pas la règle générale!)
Rappelons à nouveau une vérité élémentaire bien connue des neurophysiologistes et des neuropharmacologues, mais trop souvent oubliée de nos cliniciens: les médicaments agissent sur des neurones, c.-à-d. des cellules nerveuses bien précises (ou, plus exactement, sur certaines connexions nerveuses entre neurones), ils n'agissent pas directement sur les symptômes eux-mêmes.
On ne connaît pas encore assez bien quels sont, dans le cerveau des malades, les ensembles (les réseaux, les circuits) de cellules nerveuses qui participent à la genèse des signes et symptômes. Pour compliquer encore les choses, l'étendue des anomalies neuronales donnant naissance aux manifestations des schizophrénies varie certainement fort d'un malade à l'autre. D'autre part, si on sait très exactement avec quels médiateurs chimiques synaptiques (les signaux chimiques émis par les cellules nerveuses) les médicaments psychotropes (neuroleptiques) interfèrent directement, on n'a des connaissances que très fragmentaires encore sur les détours extrêmement nombreux et complexes par lesquels les conséquences de ces interférences provoquées se propagent ensuite et se répercutent dans l'immense labyrinthe des connexions neuronales de notre cerveau.
Ce qui précède explique qu'il faut, le plus souvent,
tâtonner avant de choisir, dans la panoplie chaque jour plus large
de médicaments neuroleptiques disponibles, celui qui s'avérera,
à l'essai, le plus favorable.
Mais cela explique aussi que, malheureusement, pour choisir un neuroleptique
de préférence à un autre pour un patient donné,
on ne puisse nullement se baser sur une prévision de ses
effets et, contrairement à ce que pourtant suggèrent
encore de faire certains psychiatres suisses (Calanca,
A. et al.: "Vade-Mecum de thérapeutique psychiatrique",
Editions Médecine et Hygiène S. A., Genève, Suisse,
2002. ISBN 2-88049-154-1) on ne peut pas se baser pour cela sur une
classification de ces neuroleptiques établie d'après leurs
propriétés cliniques supposées. Ces classifications
(et représentations graphiques parfois appelées par certains
"étoiles de Liège") sont sans valeur réelle:
elles ont été construites sur base de critères bien
trop subjectifs mal mesurables, et surtout sans tenir compte de l'hétérogénéité
des schizophrénies, tout en oubliant ce que je disais plus haut:
les médicaments neuroleptiques n'agissent pas sur les symptômes
des schizophrénies (qui, insistons-y, ne sont pas des "objets"
ni des "choses" qu'on puisse modifier directement, en tant que
tels), ils agissent sur des neurones, ces "maillons"
ou "chaînons" dispersés au sein de réseaux
de neurones (des chaînes de mécanismes). Les rôles exacts
de ces chaînons et leurs parts respectives dans la genèse des
multiples symptômes ne sont pas encore précisés (cette
critique est connue depuis longtemps: Ellenbroek,
B.A., Pharmac. Ther., 57, 1-78, 1993).
Mais il ne suffit pas non plus de trouver, par essais et erreurs, "le bon" médicament. Il faut encore n'en donner que "juste assez" pour qu'il atténue les signes et symptômes, sans toutefois entraîner l'apparition d'autres symptômes plus gênants encore que ceux qu'il est censé atténuer. C'est là que, souvent, les cliniciens commettent un deuxième oubli: celui de la latence avec laquelle l'activité dans les circuits neuronaux se remanie à la suite des traitements psychotropes. Cette latence s'explique. En effet, même si les neuroleptiques administrés vont très rapidement occuper et "bloquer" les sites récepteurs des médiateurs synaptiques des neurones (les "passe-partout"), il faudra néanmoins un temps nettement plus long à ces neurones - et à tous ceux qu'ils influencent à leur tour - pour adopter une nouvelle "vitesse de croisière" propre, c.-à-d. un nouveau rythme d'activité spontanée (et pour adapter la machinerie métabolique de leur noyau cellulaire à cette activité).
L'inertie apparente de la réponse aux neuroleptiques a souvent été cause d'une réaction instinctive inadéquate des cliniciens, qu'ils partagent souvent avec la plupart d'entre nous. Cette réaction est profondément enracinée dans nos habitudes: quand nous frappons à la porte de quelqu'un qui tarde à nous ouvrir, nous avons tendance à tambouriner de plus en plus fort sur cette porte, imaginant qu'on ne nous entend pas, alors qu'en fait celui que nous appelons ne peut pas, plus vite qu'il ne le fait déjà, dévaler les escaliers à notre rencontre sans risquer de se rompre les os et, à cause de notre propre impatience irréfléchie, de ne jamais atteindre la porte...
De la même façon, puisque la réponse à la médication
semble tarder à venir, on tend à augmenter inconsidérément
les doses, éventuellement à un rythme accéléré.
Ceci conduit alors, obligatoirement, à des doses excessives ("overshoot"),
entraînant des effets secondaires gênants (malades assommés
ou hébétés, signes extrapyramidaux), et empêche
de juger correctement des effets obtenus, qu'ils soient potentiellement
favorables, défavorables ou encore, nuls.
C'est la même réaction instinctive et irréfléchie
qui est responsable, dans un grand nombre de cas aujourd'hui encore,
des méthodes thérapeutiques erronées auxquelles on
recourt dans certains services d'accueil ou de garde de nombreux hôpitaux:
confrontés à un nouvel arrivant qu'ils ne connaissent
pas, qui présente un impressionnant tableau clinique d'urgence
comportant de l'agitation, de l'incohérence, voire de
la violence nécessitant la contention par des infirmiers "balèzes",
de nombreux "psys" de garde ( qui, notons-le en passant, sont
plutôt choisis parmi les novices apprenant leur métier) ont
fâcheusement tendance à lui administrer des doses massives,
excessives de l'un ou l'autre neuroleptique, sans doute parce
qu'ils imaginent que plus la dose est élevée, plus rapidement
et mieux elle agira.
C'est une erreur. En pratiquant ainsi, on ne parvient qu'à assommer le malade, ce qui effectivement peut donner l'impression qu'on l'a"calmé", mais il faudra ensuite attendre, pour qu'il "retrouve ses esprits" et qu'il réponde de manière cohérente aux questions du médecin, bien plus longtemps que si on lui avait administré un sédatif classique. De plus, à la suite de doses d'emblée élevées de neuroleptique, on ne pourra pas, avant longtemps, évaluer correctement si la molécule choisie est bien la mieux adaptée au cas particulier du malade.