Chap. VII
Note 6

Les entrevues ou consultations chez le psychiatre.

Les entrevues ou consultations chez le psychiatre devraient pouvoir s'organiser aussi bien pour le malade séparément que pour ses proches en dehors de lui, mais aussi, d'un commun accord de tous, pour tous ensemble.

Bien souvent, surtout dans les débuts de l'affection, les malentendus entre membres de la famille et le (la) malade dominent le tableau des rapports familiaux perturbés: on se dispute et on s'accuse éventuellement de multiples méfaits, tout cela par la faute de la maladie pour le malade, et à cause de l'incompréhension de cette maladie par les autres. Contrairement à ce qui se passe très souvent, le psychiatre ne devrait jouer ni à l'arbitre entre les parties, présentes simultanément et qui ne peuvent qu'avoir des points de vue incompatibles et s'entre-déchirer, ni à l'avocat de la défense de l'une ou l'autre des parties en présence (il n'est pas avocat, il est soignant!). Si, superficiellement, la situation peut en effet présenter quelqu'analogie avec celle d'époux en instance de divorce qu'un conseiller conjugal tente de réconcilier, elle en est pourtant fondamentalement différente: l'une des parties est malade mentale et est incapable, bien malgré elle et même si elle parvient en apparence à garder son calme, de raisonner sainement et "d'entendre raison"; l'autre partie (les parents, le conjoint, etc.) ne comprend souvent pas que l' obstination et les fantasmes du malade ne sont pas délibérés mais la conséquence de la maladie.

Ceci conduit à des dialogues de sourds où, au lieu de la sérénité nécessaire, les passions s'exacerbent rapidement et le ton ne peut que monter. La présence du malade schizophrène rend très souvent impossible l'interprétation correcte des explications fournies par les uns et les autres au professionnel, parce que la maladie empêche le malade de les comprendre et de les accepter.

Le psychiatre qui assiste à ces disputes n'en retire en général comme conclusions que celles privilégiées par ses a priori et par les idées souvent fausses que ses études lui ont appris à retenir. Il devrait donc écouter les uns et les autres successivement, séparément, et ne procéder à des "confrontations" que quand il aurait entendu, tout à loisir et sans a priori (si c'est possible!) les différentes "parties".

C'est une tâche trop exigeante que le professionnel estime souvent ne pouvoir entreprendre, faute de temps. Le temps lui manque aussi pour expliquer et justifier, auprès des uns et des autres, en tenant compte de leurs connaissances et de leurs capacités mentales respectives, leurs points de vue réciproques et les raisons (ou les causes) qui en sont les motifs "sous-jacents".

Il préfère bien souvent éluder les questions des proches pour n'y apporter aucune véritable explication, en se retranchant derrière un prétendu "secret médical" (qui n'est en réalité fait que de "cachotteries" plutôt futiles dont il peut bien n'évoquer que ce qu'il veut) et un "contrat de confidentialité et de confiance" entre son patient et lui, tout cela n'étant en réalité qu'une échappatoire pour sa propre facilité: pour masquer ses ignorances et son impuissance thérapeutique.

De nos jours, on rencontre encore chez nous des psychiatres qui ne veulent pas recevoir le malade s'il est amené à sa consultation par un membre de la famille. Ils disent que le malade doit, en venant de lui-même consulter seul, témoigner ainsi de son désir de guérison. C'est la même raison qui est invoquée pour faire payer la consultation même si le malade, empêché de respecter le rendez-vous, ne s'y présente pas: le fait de payer attesterait de la volonté bien affirmée du malade de guérir.

J'aurais personnellement tendance à interpréter autrement cette attitude: les psychiatres expérimentés doivent bien savoir qu'il y a de fortes chances qu'un malade qui refuse de prendre de lui-même rendez-vous chez lui pour s'y rendre seul soit un malade psychotique et anosognosique; ils doivent aussi savoir que la "motivation" de pareils malades n'est pas "stimulée" par les renforcements positifs (le rendez-vous accordé si on paie) ou négatifs (on paie même si on ne se présente pas à la consultation). Par conséquent, refuser de s'occuper d'un patient si celui-ci ne prend pas lui-même l'initiative de s'adresser à lui, ce n'est pas "s'assurer de son indispensable motivation", mais équivaut en fait à écarter d'avance de sa patientèle les malades psychotiques dont le psychiatre se doute bien qu'il n'est pas vraiment armé pour les soigner utilement par la seule écoute dans son cabinet. Cette impuissance de fait n'a rien de honteux. Pourtant, la plupart de nos psychiatres se gardent bien de l'admettre ouvertement, je soupçonne qu'ils préfèrent habituellement passer pour le sauveur auquel rien n'est impossible.


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