SCIENCE et CROYANCES, RAISON et IMAGINATION (suite et fin)
"Culture is crucial, but culture could not exist without mental faculties that allow humans to create and learn culture to begin with."
Steven Pinker: "The Blank Slate",
pp. viii, ix Penguin Books, London 2003, ISBN 0-140-27605-X
L'importance de la culture est cruciale, mais elle n'aurait pu exister en l'absence des facultés mentales permettant aux humains de tout d'abord créer cette culture pour ensuite l'apprendre.
Il n'y a pas beaucoup plus d'un an, le professeur J-P. Olié, psychiatre
bien connu (Hop. Sainte Anne, Paris) constatait la confusion et semblait la
regretter: "Pourquoi laisser perdurer la confusion
entre psychologie et maladie, au point d'ignorer la réalité
de la maladie psychiatrique?" (Le Monde, 10/01/2005). Curieusement,
quelques mois plus tard, c'était pourtant le même psychiatre
qui déclarait, mais cette fois à un autre quotidien français
(Le Figaro, 06/05/2006): "La référence
à la théorie freudienne et son utilisation sont des outils pertinents
dans l'accompagnement et la prise en charge de la souffrance mentale, cela
va de soi". On sait que Sigmund Freud avait fini par reconnaître
que l'utilisation de sa psychanalyse, qu'il recommandait pour le traitement
des névrosés, n'était cependant pas indiquée pour
le traitement de maladies psychiatriques graves telles que la schizophrénie.
L'affirmation du professeur Olié, énoncée peut-être
pour ne froisser ni les tenants des interprétations "psychologiques"
ni ceux de la vision biologique des troubles mentaux, n'est-elle pas précisément
une malencontreuse incitation à cette confusion entre psychologie et
maladie psychiatrique que lui-même il déplorait précédemment?
Dans ce même deuxième quotidien et à la même date,
le Dr F. Caroli, lui aussi psychiatre bien connu exerçant également
à Sainte Anne, n'avouait-il pas que "Les
notions (sic) héritées
de la psychanalyse sont toujours en vigueur. Nous avons complètement
intégré à notre pratique [psychiatrique,
ndlr] les données
(sic) de la psychanalyse" [je
souligne]. Mais la psychanalyse nous a-t-elle vraiment légué
de légitimes notions et de véritables données, ou bien
n'a-t-elle fait que nous asséner pendant des décennies ce qu'il
serait assurément au moins aussi (sinon plus?) légitime
d'appeler des mythes, des légendes et des croyances de nature quasi
religieuse (à la manière d'un catéchisme selon St Sigmund,
p.ex.), ou encore des fabrications imaginaires et des slogans de nature idéologique,
comparables en cela à ceux contenus dans certain petit livre rouge
(lors d'une certaine "révolution culturelle")?
Et qui donc peut sincèrement prétendre soigner et guérir les psychoses grâce à un endoctrinement basé sur des croyances non fondées et par la seule suggestion, sinon l'un ou l'autre prophète (ou ses disciples), à coup sûr aussi allumé que ses patients et adeptes sont eux-mêmes perturbés, ou un gourou intéressé et avide d'ascendant sans partage sur ses ouailles, ou peut-être pire encore, un dictateur, un autocrate seul inventeur et détenteur du dogme que non seulement il autorise mais qu'il impose à son pays? Tous ceux qui prétendent "intégrer" de prétendues "notions" et "données" inventées et imaginaires à leur pratique thérapeutique, ne donnent-ils pas l'exemple (pour le moins détestable) d'un amalgame contre nature (et aux ingrédients en proportions très inégales): celui qu'ils font, d'une part de la crédulité et de la soumission au dogme, de la révérence sans limites pour l'argument d'autorité, du mépris (du rejet!) de la raison qui entraîne l'incapacité à penser logiquement, c.-à-d. la démission de fait de l'intelligence et le déni de l'esprit critique, avec, d'autre part et à l'opposé, le devoir de doute raisonné, la rationalité et la reconnaissance rationnelle de faits bien établis: celle des altérations cérébrales bien organiques, c.-à-d. bien concrètes et avérées aujourd'hui?
Parmi les psychiatres francophones, même les
plus médiatisés et les plus souvent cités pour leur "autorité"
semblent ne pouvoir s'empêcher de cultiver la confusion, en égrenant,
au fil du temps, de multiples propositions des plus contradictoires. Un exemple
caractéristique de cette remarquable versatilité nous est fourni
par le Professeur Edouard Zarifian (Les Jardiniers de la Folie, Ed. Seuil,
Points, Paris 1994). Il y écrivait "Une autre
revendication de la psychanalyse est d'être un outil thérapeutique.
C'est là que le bât blesse le plus. Si c'était vrai, depuis
plus de cent ans, cela finirait par se savoir... Objectivement, il vaut mieux
ne pas être malade pour entreprendre une analyse...".
C'est le même psychiatre (auquel certains pourtant attribuaient le mérite
- et d'autres peut-être le lui reprochaient - d'avoir, au moins un temps,
soutenu l'approche "biologique" de la psychiatrie) qui déclarait
aussi (Le Monde, 13/04/04): "Seul l'échange
intersubjectif par la parole permet de soulager durablement la souffrance
psychique", semblant à présent oublier que
les psychothérapies par la parole auxquelles il se référait
sont toutes, de près ou de loin, apparentées à la psychanalyse.
C'est encore à ce psychiatre qu'on doit l'affirmation selon laquelle
"Aucun résultat utile au quotidien pour le
diagnostic ou pour les soins n'a été obtenu [par la psychiatrie
biologique]".
Et, selon certains (Coupechoux, op. cit., p. 313), ce professeur
faisant autorité dans le monde de la psychiatrie, disait aussi, dans
une allusion aux médicaments psychotropes et à l'industrie pharmaceutique:
"L'industrie de la santé ne guérit
pas; sinon elle périrait". Cet éminent psychiatre
ne semblait pas réaliser que sa belle formule rhétorique pouvait
tout aussi bien, et peut-être encore bien mieux qu'on ne le croit, s'appliquer
à la psychiatrie elle-même toute entière telle qu'il la
préconisait et telle qu'elle est majoritairement mise en pratique chez
nous. Mais sans doute pourraît-elle encore avantageusement être
amendée en: "Notre pratique de la
psychiatrie ne guérit pas; mais tant qu'on n'en saura rien, elle ne
périra pas".
Aujourd'hui, c'est notre ministre fédéral de la Santé Publique lui-même, lui qui pourtant se flatte d'être d'abord (de n'être que?) ministre et pas technicien (v. Quatre Ans), qui veut rendre désormais officielle et reconnue la confusion entre une psychiatrie se consacrant au traitement et aux soins des malades mentaux chroniques, et une "Santé Mentale" pseudo-psychologique et pseudo-sociale se souciant surtout de distraire les défavorisés sociaux de leurs petits et gros problèmes quotidiens et les malheureux de leurs malheurs socioéconomiques récurrents en leur faisant suivre des (psycho)thérapies et des stages de "formation" ou "occupationnels" divers au lieu de leur donner: les véritables moyens de vivre, ce qui peut-être et par surcroît, leur donnerait aussi le temps pour trouver par eux-mêmes leurs raisons personnelles de vivre.
En introduction à un "colloque"
qu'il organisait récemment à Bruxelles à l'intention
des divers représentants d'associations de psychothérapeutes
(v. squiggle.be),
il annonçait et justifiait son avant-projet de loi réglementant
l'accès au titre et la reconnaissance officiellement autorisée
de l'exercice de la profession de psychothérapeute.
Les "techniciens" entourant et conseillant le ministre et qui lui
ont peut-être rédigé son texte de présentation
n'y ont pas vraiment mis beaucoup de nuances ni les précautions oratoires
qu'on aurait pu espérer. Qu'on en juge plutôt par ces deux courts
extraits, exemples qui suffisent à se faire une opinion sur le niveau
d'expertise, la hauteur de(s) vue(s) et la profondeur des réflexions
[des conseillers] du ministre en matière de "santé
mentale". (Je traduis du néerlandais):
"Depuis quelques années, on sait, en médecine
contemporaine, qu'il est possible d'être malade sans souffrir. [On sait
que] Par contre, il est tout autant possible de souffrir sans être malade
ou, plus précisément, de souffrir d'autre chose que d'une maladie.
La solitude, les échecs répétés, la culpabilité,
l'angoisse... entraîneront souvent une souffrance psychique plus ou
moins aiguë, envahissante, socialement invalidante."
("depuis quelques années" [enkele jaren]: ces "derniers
temps", ses conseillers semblent lui en avoir appris, des choses, à
Mr le Ministre, non?)
Pour justifier le contenu de sa proposition d'avant-projet de loi devant
un parterre de "psys" convoqués pour
l'occasion (et pour prendre le vent...), Mr Rudy Demotte, une fois
de plus et comme on pouvait s'y attendre, a évoqué "l'accroissement
de la demande faite aux acteurs de la santé mentale".
Parmi les causes qui, selon lui, "expliqueraient" cet accroissement,
il cite : "un changement global de la représentation
de la santé mentale par l'ensemble du corps social".
C'est là un parfait exemple d'affirmation gratuite quoique pas si désintéressée
que cela. En réalité, la représentation de la Santé
mentale que se ferait "l'ensemble du corps social"
d'après Mr le Ministre, c'est la représentation tendancieuse
que notre ministre lui-même, ainsi que certains "intervenants"
de la "Santé Mentale", voudraient accréditer dans
l'opinion publique: le premier croit sans doute pouvoir ainsi diminuer les
dépenses proprement médicales qui grèvent son budget,
tout en désarmant quelque peu les bruyantes revendications de plus
en plus pressantes des seconds; ces derniers, pour leur part, en criant à
la surcharge de travail, espèrent obtenir du pouvoir politique plus
de moyens et d'avantages pour les membres de leurs diverses corporations devenues
pléthoriques et se concurrençant inégalement entre elles.
A cause du vieillissement de la population (l'allongement de la durée
de vie) et des progrès de la médecine permettant de soigner
un nombre de plus en plus grand de pathologies auparavant rebelles, les dépenses
de "soins de santé" ne peuvent aller qu'en s'accroissant.
Il est donc facile d'accuser, très régulièrement et très
ouvertement les médecins de pousser à la surconsommation
médicale et médicamenteuse, et de ne pas veiller
à faire des économies. Les ministres de la Santé publique
successifs ne se privent pas de lancer ces accusations, même quand eux-mêmes
ou d'autres ministres profitent personnellement (et parfois très
médiatiquement) des "progrès médicaux techniques"
(mais ce sont des Ministres, bien sûr). Les accusations de
surconsommation sont très généralement
fausses, mais elles sont de bonne démagogie en proposant des boucs
émissaires (la méthode en est ancienne et bien rodée,
elle marche toujours).
Chez les médecins aussi, la demande augmente, nous dira-t-on, et pas
seulement chez les psychothérapeutes. Toutefois, les résultats
et succès thérapeutiques des médecins sont eux-aussi
proportionnellement en progrès, comme le prouvent, dans le monde entier,
les statistiques indiscutables dont nous disposons pour diverses pathologies.
Et ces progrès doivent-ils être refusés à ceux
qui pourraient en bénéficier?
En va-t-il de même des progrès pour les résultats thérapeutiques
des soins des affections mentales chroniques? Les statistiques de la "Santé
Mentale" (pour autant qu'il en existe de fiables
dans notre pays) font-elles état, elles aussi, d'une progression
favorable des succès thérapeutiques et sociaux dûment
constatés, qui croîtraient parallèlement ou proportionnellement
à "l'accroissement de la demande des psychothérapies"?
On peut habituellement déduire des déclarations ministérielles
sur le sujet que, bien au contraire, les succès thérapeutiques
des psychothérapies seraient loin de s'accroître en proportion
de la prétendue croissance de la demande. Comment se fait-il alors
que, en "Santé Mentale psy", contrairement à ce qui
se passe pour la soi-disant "médecine somatique" où
les médecins sont montrés du doigt et accusés de favoriser
la surconsommation, on n'accuse jamais les psychothérapeutes
de délibérément et inutilement gonfler la demande et
d'ainsi inciter, eux aussi, à la surconsommation?
Un peu plus loin dans sa présentation, se laissant surprendre à
malgré tout parler de "maladie mentale"
(celle dont sans doute on souffrirait sans qu'elle soit une maladie bien qu'elle
en serait une tout de même, on ne sait pas trop?), Mr le Ministre nous
dit: "La maladie mentale a ceci de particulier qu'une
réponse uniquement sanitaire ne suffit pas." (mais
gardons-nous bien, Mr le Ministre, de dire ce qu'est "une réponse
uniquement sanitaire", et n'en disons pas davantage non plus pour préciser
en quoi devrait consister le complément "non sanitaire" nécessaire
pour rendre la réponse suffisante!)
Et, dans la foulée de ce qui précède, Mr Rudy Demotte
nous affirme, sans le moins du monde se départir de cette assurance
imperturbable dont il semble coutumier (pensez donc, il est Mr le Ministre!):
"Ainsi, les pratiques relatives au psychisme ne
prennent leur point de départ que dans la demande du patient et il
est essentiel que celui-ci puisse choisir lui-même son thérapeute
et son orientation." (ceci est une affirmation bien inexacte
qui trahit, de manière éclatante, la profonde méconnaissance
des maladies mentales et de leurs victimes dans laquelle
les conseillers de Mr Rudy Demotte maintiennent leur ministre; il est vrai
qu'il n'est pas un technicien, mais un Ministre qui peut planer loin
au-dessus des détails techniques et se reposer pour cela sur ses propres
experts conseillers [aux compétences et diplômes officiellement
reconnus d'avance?]).
Nous nageons en pleine confusion, dans l'ambiguïté délibérée:
dans le mal-vivre qu'on fait passer pour maladie mentale, et vice-versa. Toute
cette souffrance que nos politiques ont mis tant d'années à
découvrir et sur laquelle ils affectent depuis peu de verser de tardives
larmes (de crocodile?), ils lui donnent un seul nom: la "souffrance
psychique", et ils ne se soucient surtout pas de savoir si elle résulte
des conditions défavorables de vie ou si elle est la conséquence
de la constitution physique (c.-à-d. biologique) des personnes en souffrance.
Ainsi, ils peuvent commodément croire et laisser croire que les mêmes
moyens pour la soulager s'appliqueront indifféremment à tous
ceux dont on dira qu'ils "souffrent psychiquement", quelles que
soient les origines, les causes et les mécanismes de leur "souffrance".
Il est plus facile de tout englober en désordre dans la "Santé
Mentale" que de distinguer entre psychologie et maladie
psychiatrique. D'ailleurs, bien des "experts" qui espèrent
la reconnaissance de leur "diplôme" et la protection de leur
pratique par la loi, en dépit de leur expertise proclamée se
refusent à faire cette distinction car, une fois poussés dans
leurs derniers retranchements, souvent ils avouent en être incapables
(c'est un aveu constaté au cours d'une émission déjà
ancienne passée à la RTBF - voir Politique
3). Désormais, tous les diplômes de psychothérapeutes
qui se réclameront de cette "Santé Mentale" qu'on
nous propose, cette institution enveloppée d'un brouillard protecteur
toujours aussi épais, pourront recevoir la bénédiction
[du projet de loi] de Mr le Ministre.
Les "clients" et "patients souffrant d'autre chose que d'une
maladie" y verront-ils plus clair qu'aujourd'hui pour faire leur choix?
Auront-ils plus de chances qu'aujourd'hui de trouver le "thérapeute"
qui leur convient? Les charlatans dont nos ministres voulaient nous protéger
(nous, les patients et les autres "thérapeutes", ces
seuls bons thérapeutes qu'on voulait préserver de la "concurrence
déloyale" des charlatans!) seront-ils effectivement écartés
des psychothérapies? Comme on dit, seul l'avenir nous le dira (ce
qui signifie qu'on n'en sait absolument rien).
Mais, dans tout cela, avez-vous remarqué qu'il n'est
jamais question de ceux qui souffrent de ce qui est vraiment
"une maladie"? Tout ce remue-ménage ministériel et
"psy" laisse en réalité les vrais malades mentaux
en carafe. Ces malades-là, personne ne semble en avoir cure
(sans doute parce que chez ces vrais malades-là, tous les "psys"
héritiers de Freud, grands amateurs de calembours et autres jeux de
mots et lapsus "révélateurs", savent depuis longtemps
- depuis Freud et Lacan - mais sans plus l'admettre ouvertement de nos jours,
que la "cure" psychanalytique est, d'avance, vouée à
l'échec).
Il n'y a que peu d'années encore, tout un chacun savait que la souffrance
morale, celle qui n'est pas la manifestation d'une maladie, celle où,
comme dirait le ministre, on souffre d'autre chose que d'une maladie, cette
douleur ou cette souffrance est une composante normale de la vie de chacun
dont elle ne peut jamais être complètement absente. Personne
n'a jamais pu s'attendre à vivre sa vie durant et à tout instant
dans une béatitude permanente, tout en étant capable d'apprécier
vraiment cet état comparable à une sorte de sérénité
stupide (à part peut-être de rares "débiles mentaux").
Et tout le monde a toujours su que cette souffrance purement morale (qu'aujourd'hui
il est de bon ton d'appeler "psychique"), quand elle survenait,
on la surmontait le mieux en en parlant avec une personne qu'on choisissait
soi-même parmi celles qu'on connaissait ou que parfois même on
rencontrait par hasard: parce qu'on savait (ou on sentait) qu'on en serait
écouté, parce qu'on savait qu'on n'en serait pas jugé,
parce qu'on sentait qu'il/elle écoutait avec empathie.On savait aussi
que, désintéressée, cette personne n'éprouvait
pas nécessairement le besoin de se faire payer en retour de son écoute
et du temps qu'elle y aurait passé. Quand pareille personne de confiance
n'était pourtant pas disponible, les croyants pouvaient quand même
encore se tourner vers le prêtre de leur religion.
Quelle est donc cette époque que nous vivons, dans une société que nous avons pourtant construite (mais l'aurions-nous donc rendue généralement impossible à vivre sans tous ces divers psychothérapeutes?), que sommes-nous tous devenus pour n'être plus capables (ni avoir le droit?) de parler en confiance de nos problèmes purement "psychologiques" et moraux à qui nous plaît et quand nous en éprouvons l'envie, voire le besoin? Ne pouvons-nous plus nous confier à nos semblables et à nos proches et amis, à moins qu'ils ne soient porteurs d'un diplôme qui les habilite officiellement et les autorise très légalement à nous écouter et à parfois nous conseiller, de telle sorte qu'ils puissent se faire payer pour cela et que l'Etat (la sécurité sociale) nous en rembourse la dépense? Faudrait-il donc qu'à chaque survenue d'une difficulté, chaque "échec", la "solitude", la "culpabilité" (??) etc., ces maux "psychiques" que Mr le Ministre énumère tel un bon écolier à qui on en aurait dicté la liste, il n'y ait plus comme seuls recours que "l'aide" qu'on achète à des étrangers, des inconnus, aux "psys" professionnels autorisés par un diplôme légalement reconnu, ou celle des "équipes de soutien psychologique" qui surgissent un peu partout à la moindre alerte, ces fonctionnaires "psy" anonymes pleins d'une empathie standard visiblement de commande mais en réalité indifférents, peu "concernés"? (des "professionnels" et techniciens du psychisme, quoi!)
Si telle est "la représentation de la 'Santé
Mentale' " que Mr le Ministre Rudy Demotte et ses conseillers,
techniciens et experts psys veulent attribuer à
"l'ensemble du corps social", je
crains qu'ils ne soient guère en réelle harmonie avec l'ensemble
d'un corps social auquel, selon une habitude bien connue chez les psychanalystes,
ils prêtent plus leurs propres désirs et fantasmes et voudraient
l'en convaincre, qu'ils ne se basent sur ses véritables besoins auxquels,
de toutes façons, ils ne sauraient comment répondre utilement.
Parmi les participants de ce "colloque" (26/04/2006) organisé
par le Ministre Rudy Demotte, un universitaire psychanalyste a manifesté
son approbation pour l'avant-projet de loi annoncé par le ministre.
Il a affirmé, ce dont on ne peut que tomber d'accord avec lui, que
"tout psychothérapeute se devrait d'avoir
une excellente culture générale qui le rende apte à décoder
le monde où lui et ses patients évoluent."
Mais peut-être le moins eût-il alors été de donner
lui-même l'exemple de cette culture qu'il réclamait des psychothérapeutes.
Sa vision personnelle très lacunaire de l'histoire de la médecine
occidentale, et sa compréhension (?) toute superficielle et approximative
de la signification des travaux et des écrits de Claude Bernard - qu'il
aurait certainement mieux fait d'éviter de mentionner - sont pour le
moins et malheureusement, fort peu convaincantes d'une "excellente
culture générale".
Peut-être aurait-il pu aussi se dispenser de faire étalage de
sophismes dépourvus de sens tels que:"Car
l' "organisme", proche parent de l'animal machine" engendré
par le dualisme de Descartes, n'a rien à voir bien entendu avec un
corps, ni avec un patient réel" (sic, et bien
entendu!).
Et si, toujours selon cet enseignant universitaire, "...sur
plusieurs siècles, l'histoire de la médecine se confond surtout
avec celle du placebo...", ce ne serait là qu'une
distortion rétrospective, une allusion à une réécriture
expurgée (freudienne) de l'histoire de la médecine
(et le concept comme le mot de placebo, dans leur acception actuelle,
ne datent que du milieu du XXème siècle!). Que dire alors
de notre histoire bien plus récente du diagnostic et du traitement
des affections mentales, qui n'a qu'à peine plus de cent ans: bien
plus actuelle et moderne que ce pauvre précurseur isolé qu'était
en son temps Ambroise Paré dont on ne voit guère ce que sa mémoire
vient faire dans cette galère (et qu'on ne cite que parce que cela
fait "culture générale"?): cette
histoire-là, elle se confond avec quoi?
Cette Santé Mentale qu'on nous
fignole encore un peu plus aujourd'hui n'est effectivement elle-même
qu'un monstrueux placebo verbal permanent auquel il manque ses indispensables
contrôles concrets (les "témoins"),
elle ne se distingue qu'en peu de chose de la médecine de Diafoirus
père et fils.
Cet universitaire s'est aussi déclaré satisfait que le projet
du ministre "contrairement au DSM, (il) ne se prête
en rien à la médicalisation de la souffrance sociale",
ce que pourtant une lecture consciencieuse du DSM ne permet pas d'y trouver,
alors que par contre, sans l'avouer et à mots détournés,
le projet ministériel (et ses sympathisants de la "santé
mentale"), milite constamment et quasi uniquement pour
la "psychologisation" de cette souffrance sociale.
Parlant de souffrance psychique (elle a bon dos), ils avaient jusqu'à
présent soigneusement évité de mentionner la "souffrance
sociale", mais le mot leur a finalement échappé. Serait-ce
un "lapsus freudien"?
Et les malades mentaux psychotiques et chroniques, que deviennent-ils dans
tout ce verbiage, que fait-on donc pour améliorer leurs conditions
de vie? Comme je l'ai dit plus haut, personne ne semble en avoir cure. Et
cela risque de continuer tant qu'on prétendra ne se préoccuper
que de cette "Santé Mentale"
qui permet d'oublier et de négliger, à la fois le "socioéconomique"
et tout ce qui relève réellement d'une psychiatrie digne de
ce nom.
Première publication: 19 Juin 2006 | (J.D.) | Dernière modification: 11 Décembre 2006 |