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EN FÉVRIER 2007, MENS SANA SOUFFLE SES SIX BOUGIES

"Qui veut la fin veut les moyens", dit un proverbe. Mais il semble qu'aujourd'hui encore, en attendant que soient enfin découverts des médicaments réellement spécifiques des troubles mentaux, les moyens qui permettraient d'assurer une vie décemment supportable aux malades mentaux psychotiques chroniques restent très insuffisants ou même sont à peu près inexistants. Devrions-nous en déduire que la fin si souvent promise, l'objectif réellement espéré ne serait en réalité pas celui des promesses des discours officiels? Pour la "Santé mentale", le proverbe se serait-il insensiblement, subrepticement transformé en son inverse et faudrait-il dire plutôt: "Qui ne recherche pas vraiment les moyens renonce délibérément à la fin"?

On dit de nos prisons qu'elles sont trop peu nombreuses, parce qu'elles sont surpeuplées; on sait aussi qu'elles sont vétustes, que l'hygiène y est déplorable et qu'on ne peut y assurer correctement les soins médicaux les plus élémentaires.

On nous informe périodiquement que des adolescents délinquants passent devant les juges de la jeunesse et devraient séjourner dans des lieux spécialement destinés à les rééduquer (les IPPJ), mais dans bien des cas pareils lieux sont trop peu nombreux, les places disponibles y manquent, sans parler des carences en personnes très qualifiées aux compétences très diverses, dont on aurait besoin pour répondre à leurs missions de rééducation, de resocialisation et de réinsertion.

On nous apprend qu'on envoie (par erreur? Par facilité? Par manque de structures d'accueil adaptées?) dans ces "IPPJ" des personnes au comportement et à l'état mental relevant de la psychiatrie, qui sèment le désordre et la perturbation dans ces institutions dont le personnel spécialisé, lui aussi trop peu nombreux, n'est, de plus, aucunement formé à la confrontation avec des malades mentaux psychotiques ni même à leur accompagnement. (voyez l'article de la Libre Belgique)

Il y a longtemps aussi qu'on sait que la population carcérale (dans de nombreux pays "développés") comprend une proportion de malades mentaux chroniques bien plus élevée que celle qu'on recense à l'extérieur, dans la population générale. On se doute tout aussi bien que le milieu carcéral n'offre pas, c'est le moins qu'on puisse dire, les conditions minimales requises pour dispenser aux malades mentaux les "soins psychiatriques" nécessaires à la "stabilisation" de leurs troubles mentaux. Ces conditions de détention fort peu "thérapeutiques" sont certainement beaucoup plus favorables à l'aggravation de leur état mental qu'à l'éventuelle "rémission" de ces troubles qu'on prétend pourtant "soigner", malgré qu'on affecte de croire que pareille rémission (et durable, encore!) puisse être obtenue avant la sortie de prison.

Tout récemment encore, (cela peut nous paraître récent à nous, qui ne la subissons pas directement, mais combien cette torture insupportable doit-elle paraître interminable à ceux qui la vivent!) un jeune montois (voyez le blog pourfabrizio) , atteint de schizophrénie depuis l'âge de 18 ans (il en a 30 aujourd'hui), s'est vu transféré, de l'institution psychiatrique où il était "soigné", en prison pour avoir tenu envers son "psychiatre traitant" des propos menaçants. Quel bel exemple de thérapeutique et de compétence psychiatriques! Espère-t-on nous faire croire qu'après lui avoir, pendant 12 ans, prodigué des "soins" psychiatriques, on ne soit pas parvenu à trouver mieux que de transférer un malade psychotique (schizophrène) à l'annexe psychiatrique d'une prison? Veut-on nous faire croire qu'il y sera soigné de manière plus humaine et y recevra, selon la récente loi sur les droits du patient, les soins "de qualité" auxquels il a droit, alors qu'en 12 ans de "soins" dans des lieux réputés pour être entièrement consacrés à pareille tâche, on semblerait n'y être pas parvenu et on préfère se débarrasser d'un patient "encombrant" en l'envoyant se "faire voir" ailleurs?

On sait pourtant que les médecins psychiatres ne se bousculent certainement pas aux portillons des prisons, et que ceux qui s'y rendent ne peuvent, même s'ils en avaient le désir, consacrer à chacun de leurs "patients", dans de bonnes conditions, le temps qu'ils estimeraient pourtant nécessaire en d'autres circonstances, par exemple s'il s'agissait de clients de patientèle privée... Quant à la psychothérapie tant vantée par nos responsables politiques qui disent s'y intéresser et s'occupent à en règlementer la pratique, comment oser prétendre qu'on puisse décemment la mettre en oeuvre dans notre milieu carcéral actuel?

Tout ce qui précède montre que si, en 2007, on parle beaucoup plus de "Santé Mentale" qu'il y a une ou deux décennies, on ne se préoccupe néanmoins pas plus des malades mentaux psychotiques chroniques que dans le temps. On ne consacre guère de moyens financiers à la formation en nombres suffisants de médecins psychiatres compétents, comme on ne donne pas non plus aux instituts psychiatriques les moyens en soignants et en personnel hautement spécialisé qui leur sont indispensables pour pouvoir faire leur difficile travail et pour que celui-ci puisse se montrer parfois gratifiant.

Comment peut-on espérer que je tienne des propos optimistes et "constructifs" au sujet de la psychiatrie, alors qu'on peut constater que nos responsables ne tiennent que des discours creux sur ce qu'ils nomment la "santé mentale" et qu'ils ne tiennent aucun compte des remarques que les instances européennes leur font sur les prisons, mais aussi sur les soins psychiatriques, et qu'ils semblent ignorer que les malades mentaux chroniques sont bien des malades ayant droit aux soins?


Première publication: 19 Février 2007 (J.D.) Dernière modification: 19 Février 2007

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