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SANTÉ SOCIALE

"Comme l'amour, la beauté ou le bonheur, la santé est une idée métaphysique qui échappe à toute approche objective."
Petr Skrabanek, "La fin de la médecine à visage humain".
(Trad. française: Odile Jacob édit. , Paris 1995)

Santé Mentale n'est pas "Santé Sociale",
pas plus que synonyme de paix sociale ni de maintien de l'ordre social établi.

De nombreuses O.N.Gs et associations (a.s.b.l.) revendiquant un rôle actif dans la "promotion de la santé mentale" cultivent soigneusement l'ambiguïté entre deux objectifs pourtant totalement distincts:

le premier objectif est la mise en place et le développement de mesures et structures sociales destinées à tempérer les imperfections et dérives de notre système de société (liées, surtout, aux disparités économiques), ou du moins à en limiter et atténuer les conséquences sur les conditions de vie des citoyens défavorisés. Ces mesures sociales ont, en principe, pour but égalitariste d'offrir à l'ensemble des citoyens les possibilités de s'épanouir au mieux de leurs capacités individuelles et d'atteindre ainsi à un certain bien-être: le bien-être social, qui est le bien-être général du plus grand nombre; c'est, en résumé, la recherche de la satisfaction générale de la population à propos du fonctionnement du système de société dont elle fait partie.
Les moyens à mettre en oeuvre et structures à mettre en place sont décidés par le pouvoir politique qui les met à la disposition de la communauté dans son ensemble. Ils concernent le logement, les communications et transports ("la mobilité"), l'instruction publique, la santé publique, la sécurité sociale, etc., etc., ils sont destinés à la généralité de tous les citoyens indistinctement. Leur signification est de nature très généralement politique, puisqu'elle touche des problèmes très généraux de société.

le deuxième objectif est la dispensation des soins et l'aménagement des conditions de vie pour les malades mentaux (chroniques). Ceux-ci, en effet, quoiqu'en principe déclarés citoyens à part entière, sont affligés d'infirmités qui, en pratique, leur interdisent d'accéder, sur pied d'égalité avec tous, aux infrastructures mises à la disposition de la population générale des personnes bien portantes. Ces infirmités les empêchent de tirer pleinement parti des moyens auxquels tous les citoyens ont droit. Par conséquent, les malades mentaux chroniques deviennent, à cause de leurs handicaps, des citoyens de seconde zône. Il est naturel qu'eux-mêmes et leurs familles en retirent le sentiment d'être rejetés par le restant de la société, exactement de la même manière, mais plus intensément encore que les handicapés moteurs et invalides ressentant l'absence d'aménagements des lieux publics, qui leur en rendraient l'accès moins malaisé.
Les moyens à mettre en oeuvre et les structures à mettre en place pour réduire les inégalités naturelles qui défavorisent ces malades (ces citoyens "hors normes") par rapport aux autres, et pour leur permettre de mener une vie qu'ils trouvent supportable, doivent s'ajouter à ceux et celles qui existent déjà pour la population des bien portants. Leur signification est, d'abord et très évidemment, de nature humanitaire et de solidarité humaine. Elle est aussi, indirectement, politique, dans la mesure où elle indique quelle image notre société démocratique veut donner d'elle-même. Mais elle touche principalement des problèmes humains très individuels.

Ces deux objectifs, l'un de bien-être général et social (ou, si on préfère, de non-mécontentement aussi général que possible), l'autre d'aménagement des lieux, modes et moyens de vie des malades mentaux, sont aujourd'hui systématiquement réunis et confondus sous une même appellation suggérant une bienveillance, une sollicitude de bon ton: c'est la "SANTÉ MENTALE", qu'on pourrait tout aussi bien appeler "LE NOUVEL OPIUM DU PEUPLE".

Les exemples illustrant cette affirmation sont nombreux. N'en prenons que deux. Un troisième exemple, important pour la Belgique - puisqu'il reflète l'attitude du pouvoir politique belge du moment - ne pourra "qu'enfoncer encore un peu plus le même clou".
Déjà signalé dans un autre des présents articles, l'exemple donné par l'O.M.S. (W. H. O., Organisation Mondiale de la Santé) est d'autant plus frappant qu'il émane d'une organisation supranationale de dimension planétaire dont les avis font habituellement autorité. On pourrait supposer qu'elle privilégie l'efficacité, l'économie bien comprise des moyens judicieusement choisis et mis en oeuvre, la santé au sens médical du terme. Mais elle affirme encore que la santé n'est pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité. Ce serait aussi un état de "parfait bien-être social" (selon le Dr Petr Skrabanek, op. cit., "Sensation que le commun des mortels peut connaître brièvement pendant l'orgasme ou sous l'influence de drogues"). La santé, pour l'OMS, cela ne peut donc être que le paradis sur terre?
D'autres exemples peuvent être trouvés dans les textes d'une publication trimestrielle (Bruxelles Santé) par l'a.s.b.l. "Question Santé" (http://www.questionSANTE.org). On y lit notamment:"quand nous disons 'prévention en santé mentale', nous ne parlons pas de prévention des maladies mentales (au sens psychiatrique du terme) ou des handicaps mentaux. Il s'agit de la souffrance psychique et psychosociale et, plus concrètement, de problèmes comme la dépression,...".
Voilà, en prime, la confusion qu'on installe entre d'une part la déprime, c'est-à-dire le découragement et le désespoir liés aux conditions de vie particulièrement ingrates, et la dépression vraie (psychiatrique) d'autre part.

Dans une brochure datant de 1999, intitulée "Les Services de Santé Mentale de la Communauté Française" (et qu'on pourra encore, si l'on veut, télécharger à partir du site déjà mentionné plus haut), on peut lire: "Pour permettre aux personnes d'exprimer leur souffrance et leur détresse, la Commission Communautaire Française s'appuie sur les services de santé mentale. Ceux-ci ne s'intéressent donc pas seulement aux individus souffrant de troubles mentaux. Ils permettent à toute personne dont la santé mentale est perturbée ou qui risque de voir son équilibre psychique compromis d'obtenir une réponse adaptée à ses besoins et une attention appropriée à sa situation."
Que voilà donc une suite d'affirmations péremptoires, crédibles et rassurantes! Mais quelle est donc cette distinction subtile (?) quoique fondamentale qu'on fait, "sans avoir l'air d'y toucher", entre les "troubles mentaux" et la "santé mentale perturbée"? Quels sont donc les administratifs visionnaires et théoriciens extra-lucides qui la décrètent? Combien de temps (en minutes, bien sûr!) leur faut-il pour l'établir? Quels sont donc ces nouveaux experts pseudo-psys (auprès des tribunaux?) qui prétendraient être capables de décider, en l'espace d'une ou même plusieurs "consultations", si une personne "risque de voir son équilibre psychique compromis"? Faut-il aller les voir en leur disant: "Je sens que je deviens fou"? Beaux discours de bureaucrates, mais fort mauvaise poésie et prose détestable, et tellement peu en rapport avec la réalité du terrain!

Enfin, dans une "note de politique générale" du ministre des Affaires Sociales et des pensions et du ministre de la Santé publique (mars 2001) mise en ligne sur Internet le 11 mai 2001, ces ministres (fédéraux) affirment: "Partisans d'une vision "écologique" de la santé, nous partageons cette conception bio-psycho-sociale [celle de l'OMS]". On peut toujours se demander en quoi pourrait bien consister une "vision écologique de la santé" - (peut-être à proscrire le port de lunettes jetables?). Sans doute veut-on parler d'une conception idéologique "écologiste" de la santé. Dans le contexte où il y est fait allusion, cette "vision" risque de n'être guère plus qu'une hallucination, un mirage, une formule politicienne tout aussi dénuée de sens véritable que les affirmations de l'OMS. L'histoire du siècle dernier nous a amplement démontré, à diverses reprises, que la mise en ménage forcée de l'idéologie avec la biologie conduit toujours à des catastrophes (quoi qu'on en dise, la santé est affaire surtout de biologie d'abord, sans aucun doute de politique aussi, mais ensuite seulement). Certains hommes et femmes politiques, à défaut de mémoire, s'inventent hâtivement des "visions" entr'aperçues auxquelles, de plus, ils voudraient nous faire croire.

La "vision" politique dite "écologique" et "sociale bon teint" de la "santé mentale" me fait toujours irrésistiblement penser à la vieille plaisanterie suivante, qui pourrait aisément résumer et symboliser de nombreuses "visions" officielles sur la "santé mentale":

affalé par terre, appuyé contre le mur d'un lieu de culte, un mendiant tend sa casquette pour quémander une aumone auprès d'une dame élégamment vêtue sortant de l'office: "une petite pièce, madame! Cela va faire une semaine que je n'ai pas mangé!" Et la dame, prenant un air horrifié, de lui répondre sur un ton plein de certitudes, apitoyé mais sans réplique: "Oh! Le pauvre! Mais il faut vous forcer, mon brave!"

Je ne peux m'empêcher d'imaginer aussitôt une suite plausible à cette histoire: cette dame, plutôt que d'ouvrir son porte-monnaie ou son garde-manger (ce qui ne serait pas une solution, n'est-ce pas?), emmène le mendiant suivre une psychothérapie, où on s'efforcera de lui faire retrouver l'appétit. La dame sera bien contente de sa bonne action qu'elle s'empressera de raconter à ses amies réunies autour de quelques pâtisseries; de leur côté, les psychothérapeutes seront ravis de pouvoir dire qu'ils sont débordés de travail, et de démontrer ainsi leur utilité!

Non, lecteur, ce n'est pas moi qui me moque de toi, mais je suis d'accord avec toi: quelque part, il y a sûrement des gens qui font métier de nous prendre pour des c... (mais, à la réflexion, n'est-ce pas nous qui les encourageons à l'exercer, ce métier, puisque nous donnons nos sous pour cela? Auraient-ils donc raison?)


Première publication: 27 Mai 2001 (J.D.) Dernière modification: 18 octobre 2002

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