Mis en ligne le 8 juin 2001, sous l'intitulé
L'exception cache la règle 
en réaction à l'article paru
le 26 avril 2001dans Le Soir en ligne
"Santé: Un schizophrène primé.
Chasser les préjugés"

par Hermine Bokhorst

01. La fausse chasse aux préjugés...

L'idée selon laquelle seul ce qui est exceptionnel vaut la peine d'être rapporté, seul l'inhabituel, le sensationnel est digne d'intérêt, cette idée-là est très répandue dans l'opinion publique. La presse et les médias, par leurs choix des sujets abordés et la manière de les présenter, entretiennent cette vision des choses. Conséquence de ce systématique parti pris de sensationnel, on néglige, donc on efface l'importance première de l'apparente banalité, de cette "règle que l'exception confirme". On oublie que l'exception ne tire son intérêt à nos yeux que du contraste qu'elle fait avec la règle qu'elle semble contredire, et que la curiosité qu'elle suscite est d'autant plus marquée que la règle "confirmée/contredite" est plus générale et, surtout, bien connue de tous (par contre, comment s'étonner de l'exception, comment en juger, l'admirer ou, au contraire, la condamner, si la règle générale est ignorée?)

Dans un articulet intitulé "Santé: Un schizophrène primé. Chasser les préjugés", la journaliste rapportait son interview d'une personne atteinte d'une psychose chronique (appelée "schizophrénie paranoïde et psychose endogène" [sic]!) et qui, malgré ce handicap très lourd, a reçu une récompense de 400.000 BEF de la Fondation belge de la Vocation.

Réjouissons-nous pour cette personne dont les mérites ont été reconnus et espérons pour elle que l'avenir se montrera désormais un peu plus clément à son égard. Cependant, avant de tourner la page pour passer à une autre "information", comme sans doute le feraient la plupart des lecteurs, peut-être devrions-nous nous attarder un peu sur les motivations qui pourraient avoir poussé la journaliste à écrire sur ce sujet en particulier. Nous pourrions aussi tenter de faire apparaître en pleine lumière ce qui, dans sa rédaction, est resté implicite, le "non-dit" peut-être le plus important, et nous pourrions imaginer les raisons de ce silence.

Ce qui, manifestement, a justifié la publication de ce petit article, c'est qu'on a estimé que l'événement rapporté revêtait un caractère exceptionnel. Ce sont les mêmes raisons qui, d'habitude, incitent les journaux à relater les circonstances de l'achat des billets gagnants de la Loterie Nationale ou du Loto, et à décrire les caractéristiques personnelles des heureux bénéficiaires d'un pactole d'autant plus fabuleux qu'il est extraordinaire (littéralement) et n'échoit qu'à un nombre infime d'élus désignés par le hasard. A pareille occasion, on se soucie peu de la multitude de tous les autres joueurs rentrés chez eux bredouilles et on n'en parle évidemment pas, car ils représentent la majorité banale et dépourvue d'intérêt (ils savaient ce qu'ils faisaient, ils n'y étaient pas obligés; ils n'ont pas gagné, mais ils n'ont perdu que leur mise, voilà tout). De plus, comme tout le monde connaît les conditions et règles du jeu, il est inutile de les rappeler: l'extraordinaire saute aux yeux sans qu'il soit besoin de rappeler l'ordinaire.

Alors que cette fois il est question de malades mentaux et non plus de joueurs, n'est-ce quand même pas pour les mêmes raisons qu'on trouve tout aussi inutile de dire combien de malades mentaux chroniques (ordinaires) n'ont pas eu la même "chance" que la personne (extraordinaire) interviewée? Est-ce donc parce qu'on veut croire qu'ici aussi, tout le monde connaît assez bien les circonstances "du jeu" pour qu'il soit superflu de les rappeler?

En réalité, on nous suggère que l'événement rapporté est extraordinaire sans nous expliquer pourquoi il l'est, sans dire combien il est exceptionnel et improbable. On fait comme si tout le monde savait pourquoi, alors que peu de gens le savent vraiment. On s'attend donc à ce que nous admettions sans comprendre, à ce que nous admirions de confiance l'extraordinaire (que nous "positivions") sans réellement rien vouloir savoir de l'ordinaire et banal (que nous ne "négativions" pas), même si nous soupçonnons - mais n'osons découvrir - qu'il nous serait insupportable, intolérable.

Sous prétexte de "positiver" (par rapport à quoi?), ne jamais évoquer que "l'heureuse" exception, sans expliquer en quoi elle est exceptionnelle, est-ce la bonne manière de "positiver"? Chasse-t-on efficacement les préjugés sans d'abord les débusquer, les exposer, en démontrer l'inanité?

Ne serait-il pas plus utile, et donc plus "positif" d'informer vraiment sur les maladies mentales chroniques et le vécu quotidien des quelque 100.000 malades mentaux psychotiques chroniques de notre pays, pour n'avoir plus besoin de monter en épingle "positive", à l'occasion seulement d'une "Année de la Santé Mentale", l'un ou l'autre exemple exceptionnel de tirage d'une sorte de loterie de bienfaisance?


Mis en ligne le 30 juin 2001, sous l'intitulé
Le tabou a bon dos en réaction à l'article
paru le 12 juin 2001dans Le Soir en ligne
"Le combat pour le bien-être"
par Xavier Flament

02. "Du fait même du tabou qui les frappe, il est difficile d'établir précisément l'ampleur de ces maladies [mentales]".

Cette affirmation ne fait que tendre à renforcer encore une légende depuis longtemps entretenue dans les milieux "psycho-para-médico-sociaux"; un examen quelque peu critique la réduirait pourtant facilement à néant.

En effet, si, dans notre pays, le tabou était effectivement responsable de l'absence de données épidémiologiques fiables sur les maladies mentales, comment alors expliquer que des statistiques assez précises existent par contre en ce qui concerne les M.S.T. (les maladies sexuellement transmissibles, parmi lesquelles le SIDA)? Depuis longtemps et aujourd'hui encore, ces maladies-là sont, elles-aussi, très fortement marquées de tabou, tout le monde le sait, y compris sûrement les journalistes sérieux!

Ici, selon toute vraisemblance, le journaliste crédule (et peu critique) n'a fait que répéter de confiance ce que des "experts autorisés" lui ont dit. Il n'a entendu qu'un son de cloche. Un peu à la manière de celui qui, pour rendre compte d'une grève, se contenterait du seul point de vue des responsables dirigeants et ignorerait délibérément celui de leurs employés grévistes ou des syndicats.

Si les maladies mentales graves (par exemple les psychoses) "ne sont pas bien diagnostiquées", c'est parce qu'à aucun moment de notre histoire, ni nos "experts", ni les décideurs politiques qu'ils conseillent n'ont jamais voulu reconnaître l'ampleur réelle des moyens (temps, ressources humaines, institutions, donc ressources financières) à mettre en oeuvre pour y parvenir. Les maladies mentales graves ne se diagnostiquent pas entre deux portes ni en trois coups de cuiller à pot, les traitements adéquats ne se décident pas non plus en quelques minutes d'apparente réflexion. Cela requiert souvent des mois de tâtonnements fort pénibles!


Mis en ligne le 30 juin 2001, sous l'intitulé
La mystification en réaction à l'article
paru le 22 juin 2001 dans La Dernière Heure
"Ah, ces monstres intérieurs!"
par Virginie Stassen

03. "La coordination sociale et culturelle de Rixensart tient à démystifier la santé mentale"

Sous le titre "Ah, ces monstres intérieurs!", on nous offre cette belle phrase révélatrice (à la manière des lapsus freudiens, pour ceux qui y croient ou aiment cela) de la confusion qu'on entretient entre mythes et mythification d'une part, mystification et démystification d'autre part. Si on parle de démystification, c'est-à-dire de dénonciation de mystification, c'est que, "quelque part", il y a mystification. Et pour le "Petit Robert", une mystification, c'est une tromperie collective, d'ordre intellectuel, moral. La "santé mentale" serait-elle donc une mystification? Cette question en fait naître une autre: dans ce cas, qui sont-ils donc, les mystificateurs? Si on ne nous le dit pas, serait-ce par crainte de la naphtaline ou de "l'antimythes"?


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