Revendication 5 - CIRCUITS DE SOINS PSYCHIATRIQUES

Les parents et familles de malades mentaux (c.à.d. les associations les regroupant) exigent d'être consultés lors de la conception, la mise en place et l'organisation d'un "réseau de soins psychiatriques" ou "circuit de soins psychiatriques".

Les familles mettent en garde contre la traditionnelle absence de toute concertation, absence qui ne peut aboutir, nécessairement, qu'à la mise en place - sur le papier - de structures en fait inadaptées aux besoins du terrain, "équipements" inefficaces et malgré tout coûteux. Persévérer dans cette voie ne constituerait qu'un mauvais "remake" de la réforme de 1990 ayant conduit à la triste situation actuelle.

Qu'on appelle pompeusement les structures de "santé mentale" un "réseau global de soins psychiatriques" (selon la brochure officielle du Ministère de la Santé Publique), ou encore des "circuits de soins psychiatriques" (selon la terminologie actuelle de Mme le Ministre des Affaires Sociales), encore faudrait-il que:

> le réseau possède des noeuds multiples dont l'existence est réelle, c'est à dire que leur fonctions précises soient exactement définies et que les moyens dont ils disposent leur permettent de remplir ces fonctions de manière autre que virtuelle;

> les noeuds soient reliés entre eux par des liens réels sur lesquels la circulation s'effectue sans entraves dans les deux sens, de telle sorte que le réseau soit effectivement composé de mailles et non de tronçons épars, isolés ou confidentiels, inaccessibles.

> Les noeuds du réseau soient dotés des moyens qui leur permettent d'aller au devant des malades pour les intéger au réseau et non pas simplement attendre qu'ils s'y présentent, dans l'espoir illusoire (mais reposant) qu'ils seront capables d'en découvrir l'accès par leurs propres recherches opiniâtres.

(Tout ceci était imaginé mais n'existe pas encore, malgré qu'on en ait parlé depuis la fin des années 1980. En l'absence de concertation avec les "usagers", les structures imaginaires supplémentaires qu'on pourrait élucubrer encore dans les tours d'ivoire des ministères ne pourront que continuer de s'effondrer au contact du terrain, si elles arrivent jusque là!)

Depuis quelques années, la tendance de la psychiatrie est de limiter à un minimum le temps des séjours des malades psychotiques chroniques dans les institutions psychiatriques hospitalières. Pour les professionnels de la psychiatrie, ceci trouve sa justification dans un souci fort louable d'éviter la marginalisation et l'exclusion de la société des patients psychotiques chroniques. L'exclusion résulterait inéluctablement de la mise à l'écart prolongée dans de grandes structures hospitalières fermées, qui constituent ainsi des ghettos de fait (les anciens "asiles").

Pour les pouvoirs publics - donc pour le "politique" -, c'était également, sous prétexte d'humaniser la psychiatrie en démantelant les "asiles", l'occasion de réaliser des économies espérées sur le budget de la "santé mentale", en expulsant des services psychiatriques tous les pensionnaires chroniques qui y végétaient "inutilement". Ceux-là, si besoin était, on leur trouverait des "structures alternatives d'accueil" à dimensions plus réduites, donc "plus humaines" (et en sous-entendu, sans doute moins coûteuses).

On a donc imaginé - dans l'abstrait et la sérénité des bureaux ministériels - des "réseaux de soins" comprenant des hôpitaux psychiatriques, des services psychiatriques dans des hôpitaux généraux, des "Centres Psychothérapeutiques de jour", des "Hôpitaux de Jour", des "Centres de nuit", des "Maisons de Soins Psychiatriques" (M.S.P.), des "Initiatives d'Habitations Protégées" (I.H.P.), des "Centres de Santé Mentale" (C.S.M.), etc. De dimensions plus réduites que les anciens "asiles" et en principe plus nombreux et donc mieux répartis que ces anciennes structures, tous ces nouveaux "équipements" devaient "quadriller" le territoire. D'accès par conséquent plus aisé - du moins on voulait y croire -, ils devaient travailler en liaison étroite les uns avec les autres et à la fois diminuer la fréquence des hospitalisations, et en écourter la durée. Grâce à la facilité d'accès (supposée) procurée par la proximité avec le tissu social "normal", la réinsertion dans la vie de la Cité des malades psychotiques chroniques dits "stabilisés" devait être grandement favorisée. Cela, c'est le projet technocratique et paperassier tel qu'on peut le présenter devant l'une ou l'autre "Commission" ad hoc.

Les malades mentaux chroniques, leurs parents et leurs familles ont pu constater, à l'usage depuis des années, que

CELA NE FONCTIONNE PAS

surtout parce que les besoins réels, sur le plan des impératifs qualitatifs et sur le plan quantitatif du nombre des patients et de la durée de leur maladie, ont été systématiquement sous-estimés. Cette sous-estimation était évitable si on avait consulté les familles. Les raisons des dysfonctionnements, voire du non fonctionnement, sont multiples mais évidentes:

Dans la politique psychiatrique prévue (et "mise en place" depuis), l'hôpital psychiatrique est l'endroit où se fait "l'administration d'un traitement spécialisé intensif, aussi bref que possible, axé sur la réinsertion sociale" (op.cit., p. 5). Il est dit aussi: "Il y a dès lors lieu de veiller, dans les hôpitaux psychiatriques, à organiser des soins les plus intensifs possibles." (op.cit., p.15). "Le fait de rendre plus intensif le traitement lors de l'admission, ceci surtout en HP, réduira la durée de séjour dans ces établissements et donc le nombre de lits nécessaire."(sic., op cit., p.12)

Traduisons: Le nombre de lits "psychiatriques" réservés aux malades mentaux chroniques est trop élevé et nous coûte trop cher. Si, dès leur admission à l'hôpital, les malades mentaux sont "intensivement calmés" par des doses massives de neuroleptiques qui par ailleurs camoufleront les symptômes de leur maladie, on pourra les prétendre "stabilisés" et s'en débarrasser plus vite en les envoyant "ailleurs" (c.à.d. les fameuses "structures alternatives d'accueil"), où d'autres s'occuperont de les "réinsérer" dans la société. Des lits occupés moins longtemps, cela revient à un nombre moindre de lits... (donc aussi moins de personnel et moins de charges financières).

Les familles de malades mentaux pensent que:

les hôpitaux psychiatriques (et les services psychiatriques des hôpitaux généraux) sont (ou devraient être):

> l'endroit privilégié où le malade se rend pour que, grâce à un examen médical approfondi pratiqué par des médecins compétents, on identifie sa maladie (on pose un diagnostic);

> le lieu où on met au point le traitement médicamenteux le mieux adapté au cas particulier de chaque malade, et pas seulement "l'assommoir où on coupe la crise" qui se profile de la description dans l'encadré ci-dessus;

> le lieu d'où on ne laissera sortir le malade que s'il est capable d'une autonomie suffisante à l'extérieur, ou bien, s'il est assuré, à sa sortie, de retrouver un lieu protégé d'habitation et éventuellement un lieu de travail conformes à ses capacités et besoins.

> le lieu où, de temps en temps, lorsque le malade craint une rechute, il peut se rendre pour "souffler" et s'assurer que sa médication reste bien adaptée.

Dans la réalité, sur le terrain, que constate-t-on? Prenons l'exemple le plus frappant.

A elle seule, la schizophrénie est la psychose la plus fréquente et touche 1% de la population O . Son diagnostic est très difficile à poser car il ne se base que sur l'observation patiente et attentive, pendant des semaines et des mois, du comportement fluctuant, des attitudes et du discours de la personne malade (il n'y a présentement aucun test biologique sûr, aucun examen de laboratoire permettant d'identifier avec certitude les psychoses). Les manifestations en sont très variables d'un patient à l'autre et, chez le même patient, d'un moment à l'autre.

En règle générale, c'est quand ils sont très agités, incohérents, "dangereux pour autrui et pour eux-mêmes", que les psychotiques sont amenés à l'hôpital, très souvent contre leur gré car ils n'ont pas conscience d'être malades. Là, le fameux "traitement intensif" est habituellement instauré, consistant en l'administration de médicament(s) neuroleptique(s) à forte dose. Grâce à l'abrutissement ainsi obtenu, l'agitation, c'est à dire la seule chose qui semble vraiment "dérangeante" pour autrui (dont les soignants), paraît maîtrisée. Si, après un maximum de 2 mois (mais souvent moins, "dès que possible") l'agitation n'a pas réapparu, on parle de "stabilisation" et on évacue le malade: soit vers n'importe quelle "structure intermédiaire d'accueil" pourvu qu'elle existe et qu'elle ait de la place disponible, ou, à défaut et plus souvent, chez les membres de sa famille capables de l'accueillir, ou encore: nulle part, c'est à dire à la rue, et "débrouillez-vous, vous êtes adulte!"

Pendant pareils séjours "brefs" (par rapport à la maladie), apprendre à connaître le patient, établir un diagnostic sur base d'un simple entretien - même pas quotidien - de quelques minutes avec un psychiatre occupé par de multiples tâches est pour le moins aléatoire. Dans ces conditions, trouver la médication adéquate au patient et en adapter le dosage à son cas particulier relève plus de la loterie ou de la divination que de l'art de la médecine.

La "stabilisation" ainsi obtenue n'est qu'un leurre. On ne peut même pas appeler cela une rémission de la maladie. Il serait plus juste de parler d'état précaire, temporairement stationnaire. Cette "stabilisation" généralement s'écroule dès la sortie de l'hôpital ou peu après: quand les conditions d'environnement du patient ayant changé - du fait de la sortie prématurée de l'hôpital -, l'inexactitude du diagnostic, l'inadéquation du médicament, la mauvaise adaptation du dosage aux besoins réels se révèlent de manière parfois progressive, mais souvent aussi brutale.

C'est alors le retour en catastrophe à l'hôpital de départ, et on peut encore s'estimer heureux si la place qu'on avait quittée peu de temps auparavant y est restée libre! Sinon, il faudra chercher ailleurs... Et re-belotte...

On a ainsi remplacé l'ancien enfermement sans traitement et le croupissement asilaires par:

> le ballottement des allers et retours d'une institution à l'autre, ou d'un "établissement de soins" inadapté au foyer familial,

> la succession des diagnostics variés et contradictoires, des traitements aléatoires et donc inefficaces ou même nuisibles. Beau progrès que ces actuels "circuits de soins" qui s'apparentent plus au "parcours du combattant" qu'à quoi que ce soit d'autre!

Dans les associations de familles de malades mentaux, il n'est pas rare de rencontrer des parents dont l'enfant, malade depuis plusieurs années, parfois même une décennie, a erré de psychiatre en psychiatre, d'hôpital en clinique ou autre "centre psychothérapeutique", et n'a toujours ni diagnostic ni traitement cohérent.

Pourquoi donc cette obstination dans l'échec?

Sans doute les experts médicaux et psychiatriques consultés par les politiques n'ont-ils pas suffisamment insisté auprès de ces derniers sur les caractéristiques des maladies mentales chroniques. Ces affections imposent des contraintes de programmation qui ont été minimisées, ou même, ignorées.

CELA NE FONCTIONNE PAS

> parce qu'en de nombreuses régions de Belgique, mais principalement dans la partie francophone du pays, les "structures alternatives d'accueil" sont en nombre insuffisant. Dans la Région de Bruxelles - Capitale, par exemple, il n'y a qu'une M.S.P. francophone (60 lits maximum) et la législation actuellement en vigueur ne permet pas d'en créer d'autres (en avril 1998, l'association Similes - Bruxelles a.s.b.l. a expliqué en détail les raisons de cette situation dans une lettre ouverte à tous les députés belges);

> parce que, même quand des "structures alternatives d'accueil" existent, non seulement leur nombre est insuffisant, mais elles ne répondent pas aux besoins des patients qu'on leur adresse:

Nous venons de voir qu'en amont de ces structures alternatives d'accueil, le temps indispensable à l'établissement du diagnostic et à la mise au point du traitement n'est pas disponible. Par conséquent, même si une apparente "stabilisation" de la psychose semblait avoir été obtenue au terme d'une hôpitalisation psychiatrique trop brève, les malades se "déstabilisent" dès leur arrivée dans les "structures alternatives d'accueil". De plus, ces dernières sont en général dépourvues des moyens de poser le diagnostic, de déterminer le "bon" traitement, et d'encadrer efficacement des patients dont le traitement médicamenteux n'est pas au point (ces tâches ne rentrent pas dans le cadre de leurs missions). Elles ne peuvent donc suppléer le temps et les moyens qu'il aurait fallu accorder au séjour hospitalier.

Les "structures alternatives d'accueil" n'ont aucune spécificité quant aux pathologies des résidents qu'elles reçoivent: il s'agit tout aussi bien de résidents handicapés mentaux, de déments séniles, de toxicomanes que de malades psychotiques. Il paraît assez évident que les "soins psychiatriques" correspondant à ces différentes pathologies devraient être, eux aussi, assez diversifiés. Pourtant, cette diversité n'est pas prise en compte, ni dans les normes architecturales ni dans le calcul quantitatif et qualitatif du personnel soignant ni, a fortiori, dans les "thérapies" prétendant à la réinsertion. Ne parlons même pas du bien-fondé thérapeutique, pour le moins fort discutable, de ce mélange des pathologies.

CELA NE FONCTIONNE PAS

> parce que, bien que les responsables de la "santé mentale" ne se lassent pas de clamer bien haut que tous les traitements et "soins psychiatriques" sont "axés sur la réinsertion sociale", les moyens mis en oeuvre (?) pour se rapprocher de cet objectif sont totalement inadéquats à la tâche prétendument entreprise, ce qui devrait être évident pour chacun. En effet:

Dans la plupart des pays du monde, les professionnels de la "santé mentale" et tous ceux qui s'impliquent dans des tâches de revalidation et de rééducation savent qu'il faut travailler avec les psychotiques (surtout les schizophrènes) comme s'il s'agissait de personnes handicapées physiquement. Tout le monde comprend quand on dit que, travaillant avec un aveugle, on ne cherche pas à supprimer la cécité. On lui apprend plutôt comment se débrouiller dans son environnement, compte tenu de ses handicaps.

Réinsérer les malades mentaux dans la société, c'est donc aussi d'abord évaluer, de manière aussi précise que possible, leurs déficits cognitifs et autres, déterminer leurs points faibles mais aussi leurs points forts. C'est en s'appuyant sur les points forts qu'on pourra compenser les déficits des points faibles.

Pour évaluer les points forts et les points faibles d'un psychotique, il faut prendre un minimum de temps pour le connaître et connaître son histoire, non seulement depuis qu'il est malade, mais aussi et surtout avant que la maladie ne survienne.

Actuellement, ni le temps, ni les moyens, matériels et humains, de procéder à une véritable évaluation neuropsychologique fiable des malades psychotiques n'existent DANS AUCUNE DES STRUCTURES DE LA "SANTE MENTALE".

Par conséquent, les efforts de "réinsertion" se bornent à offrir indistinctement à tous les "malades stabilisés" les mêmes "thérapies occupationnelles" au contenu fort limité, qui reflètent plus les qualifications professionnelles des "éducateurs" que l'on parvient à recruter, que les capacités et motivations des patients à revalider. Procéder ainsi, c'est évidemment vouloir courir à l'échec.


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