"En résumé, il faut savoir que les mots que nous employons pour exprimer les phénomènes, quand nous ignorons leurs causes, ne sont rien par eux mêmes, et que, dès que nous leur accordons une valeur dans la critique ou dans les discussions, nous sortons de l'expérience et nous tombons dans la scolastique."
Claude Bernard,
"Introduction à l'étude de la médecine expérimentale" (Paris 1865)

En guise de conclusion (provisoire)

Il n'y a encore que peu d'années de cela, certains psychiatres amateurs de sophismes, férus de belle rhétorique et tourneurs de sentences bien ronflantes, semblaient penser que la parole du psychiatre, puisqu'elle traite de l'esprit et qu'elle est censée s'adresser à lui, et surtout si elle s'exprime par des métaphores de sonorité poétique ou par de brillants sophismes passant pour révolutionnaires mais seulement provocateurs, peut non seulement contrefaire l'expression d'un profond savoir qualifié de "scientifique" et peut-être occulter les lacunes réelles de ce savoir, mais elle serait aussi, en elle-même et comme par magie, porteuse de mystérieuses vertus thérapeutiques.

Parmi ces sophistes impénitents, non seulement philosophes amateurs mais s'instituant aussi connaisseurs et "réparateurs" professionnels du mental, de l'esprit, du "psychisme", et parfois aussi mais très accessoirement médecins diplômés, certains proclamaient à qui voulait bien les écouter et les croire que le concept de maladie mentale ne pouvait être qu'un oxymoron, c'est-à-dire une contradiction, une impossibilité, une absurdité, et que par conséquent elles n'existent pas (l'esprit étant distinct du corps, les maladies ne pouvant toucher que le corps). Pour eux, les manifestations anormales attribuées à ces "maladies inexistantes ou imaginaires" ne seraient que le résultat d'un conflit avec la société dans laquelle vivent ceux qui en sont affligés.

D'autres, parmi ces héritiers spirituels de Platon, qui en étaient (et en sont encore) restés à Descartes et se représentent "l'esprit" comme distinct du corps, l'esprit étant pour eux immatériel bien qu'étant aussi une "chose", imaginent qu'en se bornant à écouter les divagations et les "raisonnements" faussés des malades qu'ils interprètent selon leur propre fantaisie, ils peuvent se faire une représentation de cette "chose", ils se persuadent qu'ils peuvent la "comprendre".
En se contentant de lui "parler", ils croient pouvoir la modeler pour lui rendre une forme qu'ils pensent conforme à celle qui serait commune à tous les bien-portants (à la manière dont certains espèrent de leurs souhaits, leurs voeux et leurs prières, qu'ils seront exaucés si ils"prient de la bonne façon").

On commence à savoir et à admettre, aujourd'hui, que les troubles mentaux chroniques sont la manifestation d'altérations organiques (c-à-d. matérielles, concrètes) du cerveau. Par conséquent, on commence aussi à admettre qu'on ne peut y remédier qu'en recourant d'abord aux médicaments psychotropes, tels que, pour les schizophrénies par exemple, les neuroleptiques.

Mais on prend aussi progressivement conscience que ces médications, même si elles constituent un grand progrès, incontestable en comparaison de la totale impuissance de la psychiatrie d'il n'y a encore que six ou sept décennies, même si on peut dire qu'il serait criminel de vouloir systématiquement s'en passer, ne sont ni assez spécifiques des altérations cérébrales (qu'on commence, de nos jours seulement, à identifier et à recenser) ni assez efficaces pour, à elles seules, suffire à contrecarrer les signes et symptômes survenant dans tous les cas de schizophrénie(s).

Ces constats ont des corollaires évidents: selon la sévérité des atteintes, il y aura, parmi les malades schizophrènes, une grande diversité de tableaux cliniques.

Les uns, seulement légèrement handicapés, seront capables de s'adapter d'eux-mêmes à une vie calme et réglée ("monotone") qu'on sera parvenu à leur procurer en société, moyennant une médication continue et adaptée au cas particulier de chacun. Peut-être faudra-t-il, discrètement et en gardant ses distances, les surveiller quelque peu pour leur éviter les "dérapages" (la "déstabilisation") toujours possibles à cause des aléas par définition imprévisibles.

D'autres, plus profondément atteints et trop peu conscients de leur affection, ne seront capables d'une autonomie que fort réduite, et ne seront pas en mesure de s'adapter - sauf peut-être fort lentement et très partiellement - à une vie dans notre société comparable à celle que la moyenne des bien-portants mènent eux-mêmes.
Souvent, pour ceux-là, le simple fait de s'aventurer seuls dans cette société, en général et partout fortement urbanisée et à l'activité trépidante voire épuisante même pour les bien portants, suffira à les "déstabiliser", à entraîner l'abandon de la médication et, par conséquent, l'aggravation des signes et symptômes de leur maladie. Ceux-là, il faudrait leur trouver des lieux (réservés) de calme où ils seraient accompagnés et "encadrés" en permanence, à demeure, par un personnel nombreux mais changeant peu: en quelque sorte un environnement familial de substitution mais professionnel, pourrait-on dire. Les modes actuels de vie dans notre société occidentale ne permettent plus aux familles biologiques de ces malades de jouer, sans limite dans le temps, leur rôle de cellule protectrice et d'accueil: tant pour des raisons économiques, que sociales, que psychologiques.

Les solutions sociales qui sont ainsi suggérées sont vraisemblablement coûteuses. Mais ne le sont-elles pas plus encore du point de vue de nos habitudes de pensée que de nos finances?


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