Chap. VII
Note 7

Les milieux psychiatriques modernes professent actuellement qu'il faut, autant que possible, limiter la fréquence et la durée des séjours des malades schizophrènes en institution psychiatrique.

Limiter la fréquence et la durée des hospitalisations est la politique officiellement suivie, sous prétexte qu'elle serait la plus favorable pour le bienêtre des malades, pour une bonne thérapeutique et un bon pronostic de leur évolution. Ce sont ces raisons qu'on entend évoquer le plus souvent par les professionnels et les responsables politiques de la "santé mentale", bien qu'elles soient loin de reposer sur des preuves fermement établies. Les autres justifications de cette politique sont économiques: les hospitalisations coûtent évidemment plus cher à la communauté que si les malades restent à domicile et à charge principalement de leurs proches. Par conséquent, les responsables politiques de la "santé publique", pour réduire les frais qui grèvent leur budget, ont tout intérêt à accréditer la vision selon laquelle tous les traitements "ambulatoires" sont de meilleure thérapeutique que les hospitalisations. Leurs arguments dans ce sens sont délibérément tendancieux et même erronés, mais ils nous ont été tellement répétés depuis des décennies qu'on a fini par les croire.

Le pronostic serait meilleur pour les malades traités "en ambulatoire": nous avons là l'illustration parfaite de la confusion déjà maintes fois dénoncée des causes et des effets. Les malades qui sont hospitalisés sont ceux dont les manifestations de leur affection sont les plus sévères, et qu'on est donc obligé d'hospitaliser (pour s'assurer qu'ils suivent effectivement leur traitement qu'autrement ils négligent ou ils refusent). On peut donc aussi logiquement s'attendre à ce que le pronostic de leur maladie soit plutôt défavorable dès le départ. Ce n'est évidemment pas le fait de les hospitaliser qui serait, par luimême, responsable de ce mauvais pronostic: c'est la réciproque qui est vraie.

Inversement, les malades qui peuvent bénéficier d'un traitement "ambulatoire" sont ceux dont les manifestations moins sévères de l'affection permettent un certain degré d'autonomie à leurs victimes. C'est la sévérité moindre de l'affection qui explique un meilleur pronostic et autorise à ne pas hospitaliser, ce n'est pas le traitement ambulatoire qui est de meilleure thérapeutique!

Les "institutions psychiatriques" (les hôpitaux, instituts, les anciens "asiles") rassemblent sous un même toit des malades, forcément plus nombreux au même endroit que si on disperse ces mêmes malades dans des lieux d'accueil de plus petites dimensions, voire si on les renvoie dans leur familles individuelles quand celles-ci en ont la capacité, et si elles existent encore!

Contrairement à ce dont certains responsables d'organisations de "défense" des malades mentaux veulent se convaincre et qu'ils tentent de nous faire croire à notre tour, les hôpitaux psychiatriques n'ont pas pour objectif de cacher aux yeux de la population, dans des lieux écartés, les malades dont la société veut se débarrasser. Bien plus simplement, ils ont pour vocation d'héberger, au calme et loin de l'agitation des villes à laquelle ils ne parviennent pas à s'adapter, qui aggrave leur état et leur fait courir des risques accrus, des malades auxquels un personnel (délibérément, mais de manière irresponsable, beaucoup trop limité) pourra consacrer tout son temps. Malheureusement, ainsi regroupés pour la facilité des soignants et par volonté politique d'économie (en infrastructures et en personnel), ces malades offrent aux visiteurs occasionnels et aux profanes, plus ou moins horrifiés et révoltés, le lamentable spectacle de leurs misères individuelles rassemblées, spectacle infiniment plus saisissant que celui, bien plus discret du même nombre des mêmes misères tout aussi réelles, mais cette fois individuellement dispersées dans les familles ou de petites communautés d'accueil.

Rassemblés en nombre en divers lieux "d'accueil", les malades mentaux chroniques ne peuvent qu'attirer sur eux l'attention, si loin ces lieux soient-ils des centres d'urbanisation. A l'opposé, dispersés cette fois dans la population, ils disparaissent effectivement aux regards mieux encore que si on les avait déportés dans quelque colonie lointaine; on peut dès lors prétendre qu'on a résolu le problème qu'ils constituaient, on peut les oublier.

Sont-ils pourtant mieux soignés dans un cas que dans l'autre? Bien sûr que non! Mais quand les malades sont rassemblés, l'insuffisance et l'impuissance actuelle des moyens thérapeutiques disponibles sont nécessairement bien mises en évidence, rassemblées elles aussi comme les malades, et étalées aux yeux de tous. Quand, par contre, les malades ont disparu dans leurs familles, quand leurs nombres ont été "dilués" au sein de la population, on peut faire croire à cette dernière qu'ils sont et ont été bien mieux soignés, voire qu'ils sont guéris, puisqu'on a pu les sortir des hôpitaux psychiatriques où ils étaient si nombreux auparavant!


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