Savoir Lire ENTRE les lignes
Sans aucun doute c'est, au départ, l'existence de ceux qu'on appelle des "malades mentaux" qui justifie la création de cette institution très malencontreusement baptisée "LA SANTÉ MENTALE".
Résultat d'erreurs du développement précoce du cerveau - pour des raisons et par des mécanismes dont la plupart sont encore obscurs -, les troubles du fonctionnement cérébral entraînent de nombreuses incapacités d'apprentissage et d'adaptation au monde environnant (ce sont en réalité une seule et même chose).
Les analogies apparentes que les "maladies mentales" peuvent présenter
avec d'autres affections mieux maîtrisées sont trompeuses. En
général, on ne s'aperçoit qu'assez tard de leur existence
chez leurs victimes, et leurs manifestations fluctuent au cours du temps.
Ceci peut, superficiellement, imiter le déclenchement d'une "maladie",
suivi de son "processus morbide plus ou moins évolutif",
suggérant ainsi, faussement, des causes extérieures et actuelles
(qu'elles soient "psychologiques" ou "sociales", ou
" biologiques et toxiques", etc., etc.).
Pareille interprétation est, fort probablement, une monumentale erreur
dans laquelle de nombreux "professionnels de la santé mentale"
continuent, les uns d'y tomber ou de s'y engouffrer, les autres de s'y obstiner
(est-ce l'inertie des habitudes, la paresse d'esprit, ou parce que se
recycler en neuroscience est un effort excessif pour beaucoup?)
Plutôt que de maladie mentale, il vaudrait mieux sans doute parler d'un phénomène comparable à une malformation qui frappe précocement le cerveau, ce véritable organisme à lui seul, cet organe extraordinairement complexe à l'intérieur du restant de notre organisme. Le cerveau se développe et se remanie sans cesse depuis les premières semaines de l'embryon jusqu'au delà de l'enfance. Tout avatar ou "erreur" ou "altération" survenant pendant ce développement (l'organogénèse cérébrale) modifie profondément, irréversiblement, le cours du développement ultérieur, l'organisation et la structure finales du cerveau.
Les personnes atteintes ne devraient pas être appelées des "malades" mentaux, elles sont plutôt des infirmes ou des invalides mentaux. L'habitude du nom est malheureusement prise et, par facilité plus que par accord, on la suivra ici aussi. Les altérations de l'architecture cérébrale des "malades mentaux" se traduisent par des troubles de la conscience, de la pensée, des sentiments et de l'humeur qui, à leur tour, se manifestent en fin de compte par des anomalies du comportement ("anomalie", contrairement à l'opinion courante, ne contient pas de jugement de valeur, sauf dans l'esprit des pseudo-professionnels qui veulent y faire croire). On charge des médecins spécialisés (les psychiatres) de combattre ces manifestations.
Globalement, les traitements "médicaux" et "psychologiques" mis en oeuvre dans ce but n'ont, au mieux, qu'une efficacité aléatoire et réduite, incomplète. Forcément non curatifs, puisqu'ils ne peuvent ni supprimer ni corriger les défauts inconnus à l'origine des "maladies mentales" (ils ne réorganisent pas les circuits cérébraux mal cablés, ils tentent seulement, à l'aveuglette, de favoriser ou, au contraire, de contrecarrer l'activité des uns ou des autres), ils laissent persister de nombreux troubles et apportent eux-mêmes des difficultés supplémentaires liées au caractère non spécifique de leur action.
Par conséquent, même "soignés", les malades
mentaux continuent d'être malades, et donc d'exister en tant que tels,
les "traitements médicaux" ne suffisant en général
pas à leur rendre toutes les capacités fonctionnelles nécessaires
à leur intégration dans les structures standard de nos sociétés
industrialisées modernes. Autrement dit, les traitements médicaux
ne font pas disparaître tous les malades mentaux du paysage social.
Une proportion significative de ces malades va ainsi constituer, bien malgré
eux, un corps étranger dans l'ensemble du corps social. Cela signifie
qu' il faudra trouver des "solutions
sociales" pour suppléer les "carences de la médecine".
Cela signifie aussi qu'isolément et indépendamment les unes
des autres, les interventions purement médicales et les interventions
uniquement sociales n'offriront qu'exceptionnellement des solutions réellement
satisfaisantes aux problèmes rencontrés par les malades mentaux.
Il faudra que médecins et travailleurs sociaux s'informent et s'instruisent
mutuellement, qu'ils collaborent étroitement en fonction et en faveur
de leur clientèle. L'habitude n'en est pas encore répandue.
Dans ce domaine "non marchand" de nos
activités, en pleine expansion et, plus particulièrement dans
le secteur désormais appelé "SANTÉ MENTALE",
différentes catégories de personnes vont alors se mettre à
proliférer. Cette prolifération est proportionnelle à
notre ignorance et à notre réelle impuissance face aux "maladies
mentales". Elle reflète la confusion permanente entre connaissances
avérées et convictions philosophico-religieuses quasi sectaires
(là où il ne s'agit que d'opinions, chacun est "expert"
et "toutes les opinions sont respectables").
De nos jours, on appelle les acteurs de ce secteur des "intervenants",
dont la raison d'être officielle est, à l'origine et en principe,
l'amélioration du sort, l'amélioration de la "qualité
de vie" des malades mentaux. Ce seront, d'une part des intervenants médicaux
et paramédicaux mais, d'autre part aussi des intervenants sociaux.
Certains, parfois, sont des hybrides entre ces différentes disciplines
ou ils les cumulent (ce qui, souvent, peut signifier qu'ils n'en maîtrisent
réellement aucune). Ces spécialistes se répartissent
sur deux niveaux principaux.
Le premier niveau d'intervenants,
ce sont, tout d'abord, les "vrais" acteurs du secteur, les "professionnels",
parmi lesquels figurent ceux qui sont plus ou moins proches du terrain, du
champ d'action (quoiqu'aucun ne voudrait avouer son ignorance éventuelle
du terrain). Ce sont, par exemple, des psychiatres et des psychologues,
des infirmières et des infirmiers, des travailleurs sociaux. C'est
l'infanterie, la piétaille, la chair à canon, les besogneux,
ceux qui sont, sinon en permanence, du moins fort souvent, en contact direct
avec les malades.
A eux, auraient-ils pourtant des choses à dire à propos de leur
expérience de terrain, qu'on ne leur demanderait pas leur avis sur
"la santé mentale". Ou bien, on s'arrangerait pour ne le
leur demander que hors contexte pour, à l'occasion, renforcer une opinion
ou seulement pour l'anecdote, ce qui lui ôte toute portée générale.
Ces intervenants-là ont fini par en prendre leur parti et, en général,
ils se taisent.
Le deuxième niveau (plus
"élevé") d'intervenants, ce
sont les décideurs, c'est-à-dire des personnes qui détiennent
une parcelle, plus ou moins importante, de pouvoir politique. Ils ne sont
pas sur le terrain, ils n'en ont pas d'expérience personnelle. Ils
n'ont pas non plus de contact direct avec les malades, la plupart n'en ont
même jamais rencontré. Ce sont les hommes et femmes politiques.
Eux, évidemment, ils parlent. C'est un de leurs rôles mais, pour
des raisons évidentes, ils ne disent que ce qu'ils croient qu'on désire
leur entendre dire.
Ils ne sont pas seuls; pour pouvoir montrer qu'ils savent de quoi ils parlent,
ils choisissent et s'entourent de "conseillers conseilleurs techniques",
c'est-à-dire de personnages parfois issus du premier niveau ("sortis
du rang") mais en général trop heureux de s'en dégager
au plus vite pour de multiples raisons qu'il serait oiseux et, sans doute,
malséant de détailler ici. On pourrait peut-être considérer
qu'ils se situent à un niveau intermédiaire entre les deux premiers
(on peut aussi y trouver des philosophes et des sociologues, etc., venant
de milieux académiques ou espérant soit s'en rapprocher soit
y revenir.)
Ces conseillers s'estiment, à divers titres, détenteurs d'une
expertise en "santé mentale" dont attestent des diplômes
d'études supérieures en psychologie, sociologie, économie,
parfois même médecine, etc., etc. La proximité (promiscuité?)
des membres de cette "intelligentsia de la santé
mentale" avec le pouvoir politique accrédite et
renforce l'idée de cette expertise et de leurs compétences qui
semblent aller de soi. Elle leur confère, auprès du grand public,
un certain prestige et une réputation qu'à elle seule la compétence
effectivement acquise par l'expérience du terrain (que souvent,
d'ailleurs, ils n'ont pas) ne suffirait habituellement pas à étendre
au-delà d'un cercle restreint d'initiés.
Les retombées, matérielles, sociales et d'amour propre peut-être plus encore, dont ces conseillers espèrent bénéficier du fait de leurs positions dans l'ombre du pouvoir, ne peuvent qu'encourager ces experts à ne pas dire clairement, aux politiques qu'ils conseillent, même s'ils en sont avertis, les vérités que ces derniers ne désirent pas ou même dont seulement on imagine qu'ils pourraient ne pas désirer les entendre. Pourquoi, en effet, prendraient-ils le risque d'encourir le déplaisir de leur ministre du moment? Par conséquent, eux aussi ils ont tendance à ne dire que ce qu'ils croient qu'on désire leur entendre dire.
Il en va de même pour ces experts délégués par
leur pays auprès de l'une ou l'autre grande organisation supranationale
dépendant des Nations Unies, comme par exemple l'O.M.S., pour ne pas
la citer. Comment ces experts pourraient-ils se permettre de critiquer, même
et surtout si elle est criticable, la politique de santé publique pratiquée
dans leur pays, alors qu'ils ne sont pas vraiment indépendants des
autorités politiques de ce pays?
C'est pourquoi, tout comme les déclarations et annonces des politiques sont, en principe, toujours soumises à l'examen critique de tous les citoyens et de leurs représentants élus, les rapports des experts sur lesquels ces déclarations se basent devraient, eux aussi, être confrontés les uns aux autres (recoupés) et comparés à la réalité qu'ils prétendent décrire.
Il faut être capable de lire entre les lignes des déclarations politiques pour en dégager la vraie signification: celle que les politiques ne désirent éventuellement pas voir ou laisser voir; il faut lire entre les lignes des rapports d'experts pour en débusquer la vérité que les experts n'osent éventuellement pas montrer aux politiques qu'ils conseillent de leurs avis.
C'est ce que la presse devrait aider le citoyen à faire, mais souvent elle oublie cette tâche essentielle. Peut-être intimidés par l'argument d'autorité que constitue le prestige de l'expertise officiellement conférée et reconnue, de nombreux journalistes font confiance inconditionnellement aux "experts" (puisque ce sont des experts!) Ceux-ci ont alors toute latitude pour faire eux-mêmes et à eux seuls, dans les déclarations et communiqués à la presse, le jeu des questions et des réponses. De cette manière, les questions gênantes ne risquent guère d'être jamais posées, et les journalistes peuvent croire trouver, dans les "aide-mémoire" gracieusement mis à leur disposition, leur travail tout mâché. Ils n'ont plus à se documenter au préalable, même lorsque les sujets abordés leur sont peu familiers ou même, totalement étrangers. Les éventuels paresseux y trouvent sûrement leur compte mais, pour ce qui est de la vérité, il n'en va souvent pas de même.
Quelques exemples suivent, destinés à illustrer le danger évident
de pareilles habitudes. Ce danger s'appelle la désinformation.
Pour les politiques, ce danger s'appelle aussi prendre
ses désirs pour la réalité, c'est le
danger de confondre les discours annonciateurs de bonnes intentions avec leur
concrétisation dans la réalité quotidienne; il consiste
à faire des promesses sans se soucier de savoir si on pourra les tenir,
et parfois même cela revient à laisser croire qu'elles sont déjà
tenues: c'est alors plus que de la démagogie;
dans le dernier cas, cela s'apparente au mensonge
pur et simple.
Dans le domaine de la "santé mentale" (où il est
habituel de confondre faits avérés et opinions à propos
de faits supposés), il est toujours possible de choisir les bons
"experts" pour trouver des apparences de justification à
n'importe quelles attitudes, aussi incohérentes ou contradictoires
soient-elles; les politiques ne demandent évidemment qu'à se
laisser séduire par les théories qui, par leur opportunité
du moment, leur conviennent. Ils semblent ne prendre l'avis d'experts que
pour en recevoir la bénédiction de leurs décisions et,
bien sûr, l'absolution a posteriori comme a priori
de leurs erreurs.
C'est au grand public de résister à ces dérives, c'est
à la presse d'y rester attentive et de les dénoncer en exposant
pour ce qu'elles sont les contradictions des experts et celles des politiques.
Déjà évoqués ailleurs, les propos tenus (en
mai 2001) par notre ministre Mme Aelvoet (v. Casques
bleus?) sont un exemple de désinformation particulièrement
flagrante ("SANTÉ MENTALE - Les ministres appellent
à l'action", p. 109, dans ce
fichier pdf [2,37 MB] sur
le site de l'O.M.S.) puisque, par exemple, ils suggéraient
que les services de "soins à domicile" pour les malades mentaux
auraient déjà été une réalité à
la date où le ministre prenait la parole... Allez donc vérifier
sur place ce qu'il en est!
Mais la ministre n'en reste pas là!
En effet, faire passer la suppression, en vingt-cinq ans (?), d'un grand nombre
de "lits psychiatriques chroniques" pour une bienveillante incitation
au retour à domicile, prétendre ensuite créer de cette
manière la possibilité pour les malades mentaux de "fonctionner
et travailler normalement" depuis chez soi, ne pourrait-on y déceler
un certain cynisme? Mais peut-être cela peut-il se comparer aux discours
d'une soirée de charité soigneusement médiatisée,
dans l'un ou l'autre orphelinat; on y lirait quelques extraits de Contes de
Perrault ou de Grimm, version moderne revue, corrigée et supervisée
par les ministères réunis des Affaires Sociales, de la Santé
Publique and Co., et tout le monde se féliciterait pour la bonne
ambiance qui règne. Mais cela apporte-t-il
quoi que ce soit de "positif" à la situation
déplorable des malades mentaux (cela l'aggraverait
plutôt)? Cela a-t-il un rapport quelconque avec la réalité?
Les statistiques des agences pour l'emploi disent ce qu'il en est à
ceux qui prennent la peine de les consulter.
Dans un communiqué émanant du Cabinet du Ministre des Affaires Sociales (30.04.1999 - 18) ayant trait à la "Programmation des services psychiatriques" (et qu'on peut encore trouver aujourd'hui (1er juin 2002) à l'adresse presscenter.org, nos ministres montrent à quel point ils sont bien informés par leurs conseillers et combien ils maîtrisent le savoir des sujets dont ils décident. Ainsi, dans leur communiqué de presse, faisant allusion aux patients schizophrènes, ils prennent bien soin de renvoyer le lecteur à une note explicative précisant qu'il s'agit de personnes souffrant d'un dédoublement de la personnalité... Où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir, comme on dit très justement. Ce ne sont que des ministres, après tout.
Sur leur site (ex.vandenbroucke.com),
à la date explicite de mars 2001, nos ministres
annoncent que "...en janvier
2001, un groupe de travail composé d'experts sera
constitué. Ce groupe de travail aura pour mission de réaliser
rapidement (sic) une étude portant sur les services de psychiatrie..."
Il est permis de se poser des questions: s'il s'agit d'une erreur typographique,
où est-elle? est-ce mars 2001 qui est une erreur, ou bien est-ce janvier
2001? La date de mars 2001 se trouvant dans le titre (en plus grands caractères),
on pencherait plutôt pour la deuxième hypothèse. Mais
peut-être faudrait-il la considérer non pas comme une erreur,
mais comme l'indice d'une volonté d'extrême rapidité et
le recours à la rétroactivité? (serait-ce une nouvelle
technique de l'oxymore, "la rétrospection anticipative"?)
Ou encore, mais alors malheureusement, ne serait-ce qu'une bonne intention
oubliée (avortée) depuis, dont personne ne
sait plus très bien si elle a été concrétisée
ou non? (et alors, dans le doute, positivons, c.à.d. parlons en
quand même, à tout hasard...)
Dans le même document ministériel, on peut lire, dans les dernières
lignes, au chapitre des bonnes intentions finales, la résolution portant
le n°8: "le service social
sera légalement reconnu, normé et financé, en
prélude à la mise en oeuvre d'un service d'accompagnement
des patients dans chaque hôpital."
Ce qui suggère fortement qu'un tel service n'existerait toujours pas.
Que font alors les travailleurs sociaux qu'on rencontre dans les couloirs
des services et hôpitaux psychiatriques? (ces rencontres seraient-elles
fortuites, ou les travailleurs sociaux ne seraient-ils là que pour
faire du macramé [c'est déjà mieux que faire tapisserie]?)
A ce propos, rappelons les affirmations trouvées dans les documents
diffusés récemment par l'O.M.S. au sujet du projet "Atlas"
mis sur pied par cette organisation, destiné, avec le "Rapport
sur la santé dans le monde en 2001", à faire un état
des lieux sur la santé mentale dans tous les pays.
Pour ce qui est de la Belgique, l'O.M.S. ne dispose
pas de données concernant le nombre de travailleurs
sociaux travaillant dans le secteur de la "santé mentale"
(pour la bonne raison que ces chiffres ne lui ont pas été
communiqués; traduisons: les autorités belges ne les ont pas).
Bien sûr, on nous rétorquera qu'il ne faut pas prendre toutes les affirmations, estimations et projections dans l'avenir faites par l'O.M.S. pour paroles d'évangile.
Tout d'abord, dans son tout récent projet "Atlas" (2001),
l'O.M.S. nous dit ceci, qui est révélateur:
"On ne dispose d'aucune donnée [pour
aucun pays - J.D.] sur le nombre de travailleurs sociaux
intervenant dans les divers secteurs de la santé mentale,..."
Alors, qui devons-nous "croire"? Nos ministres, qui vont financer
les travailleurs sociaux de la santé mentale, ou l'O.M.S. qui prétend
qu'on n'en connaît pas les effectifs? On optera sans doute pour un compromis
"à la Belge", ce qui signifie qu'on financera sans savoir
qui ni quoi ni combien... mais on n'en a sans doute pas fini avec les "préludes".
Non, ne prenons pas les évaluations de l'O.M.S. pour paroles d'évangile.
Les rédacteurs du document sur le projet Atlas avouent eux-mêmes,
à propos de la collecte des données sur lesquelles leurs estimations
se basent, que "On ne dispose pas actuellement de précisions
sur les méthodes ou les types de collectes de données".
Ils ajoutent: "Les études épidémiologiques sont
également de qualité et de taille très variables. On
ne dispose pas actuellement de davantage de précisions sur celles-ci".
Quelle confiance peut-on accorder à des évaluations et des statistiques dont ceux qui les ont établies reconnaissent eux-mêmes qu'ils ne savent pas comment les données en ont été recueillies?
Dans le document ministériel déjà cité plus haut,
les ministres nous disent: "Il y a un manque criant
de bonnes données épidémiologiques en matière
de santé mentale".
Permettons-nous de rappeler aux enfonceurs impénitents de portes ouvertes
l'existence d'un arrêté royal (qu'ils sont payés pour
ne pas ignorer) publié au Moniteur du 3 décembre 1996,
qui stipule que les données statistiques relatives
aux séjours en service neuropsychiatrique ne doivent pas être
transmises au ministre de la santé publique.
Une autre résolution des ministres, portant le n° 6 dans le document
déjà cité, n'est pas "triste" non plus. Elle
nous dit que "Les soins psychiatriques à
domicile seront soutenus financièrement grâce aux moyens financiers
provenant de la reconversion, plus un budget supplémentaire de 100
millions [BEF].
Ce que les ministres ne disent pas, c'est que la "reconversion",
c'est-à-dire la restructuration (le dégraissage) de
tout le système psychiatrique d'hospitalisation et de soins a été
entamée depuis plus de 10 ans au moment où ils en escomptent
encore des économies. Si, là où elle a pu être
menée à bien, c.à.d. principalement en Flandre, la reconversion
avait permis de faire des économies, ce dont nous doutons fortement,
on peut soupçonner que ces maigres économies devraient aujourd'hui
s'être volatilisées depuis belle lurette (la reconversion
vers une psychiatrie "ambulatoire" de qualité
ne peut pas conduire, dans son ensemble, à un système moins
coûteux que le système "hospitalocentrique"
actuel, quoi que prétendent des théoriciens et administratifs
qu'il vaut mieux ne pas tenter de qualifier). Mieux encore, si une "reconversion"
véritable, jusqu'à présent n'a pu être obtenue
en Région Bruxelloise, de telle sorte que certains s'imaginent
à tort
qu'elle serait encore à venir et pourrait dégager d'hypothétiques
ressources nouvelles, c'est parce que la programmation de la reconversion
y rend cette dernière impossible: il y a, en Région Bruxelloise,
un déficit de structures psychiatriques d'accueil, alors que la reconversion
ne peut, légalement, se faire qu'à partir
des excédents. Les moyens financiers évoqués
par les ministres, ce sont donc, en majeure partie sinon en totalité,
des voeux pieux, le pot-au-lait de Perrette.
D'après un grand (?) quotidien belge qui sans doute éprouvait
le besoin de souligner l'importance de "l'information" en en réitérant
la mise en ligne sur le web à 24 heures d'intervalle (La
Libre Belgique, 03
et 04/07/2002), sous le titre évocateur (?) de "Une
réforme concertée" (de source comme souvent
non communiquée, ce journal ne voulant peut-être pas compromettre
l'anonymat de ses indicateurs "infiltrés" dans les cabinets
ministériels), nous apprenons que "Les
huit ministres compétents en matière de santé publique
ont créé une force de travail [sic, énergiquement
baptisée "task force"!] dont l'objectif
est d'élaborer un nouveau concept de soins de santé mentale."
, etc., etc.
Cela ne vous rappelle-t-il rien? Dans ce cas, rafraîchissez votre mémoire:
le 25 juin 1998
déjà,
Mme Magda de Galan, alors Ministre fédérale des Affaires Sociales,
informait le Président de la Chambre, d'une Conférence Interministérielle
de Santé Publique qui, précisément, avait établi
les bases d'une pareille "réforme" (voir notre dossier "revendications").
Comme déjà mentionné plus haut dans le présent
article, en mai 2001
déjà,
à l'occasion de la 54ème Assemblée Mondiale de
la Santé (O.M.S.), participant à une "Table Ronde Ministérielle"
(voir la fin de notre article "Casques Bleus"),
Mme Magda Aelvoet, actuelle Ministre Fédérale des Affaires Sociales,
etc... déclarait que les soins à domicile avaient été
"développés", etc., etc.
Ne se serait-il donc rien passé en réalité depuis 1998?
Mais alors, pourquoi se passerait-il quoi que ce soit en 2002, sinon une répétition
de vieux discours sans effets? A vous de juger...
Si le visiteur de ce site a bien lu tout ce qui précède, il sera sûrement d'accord avec nous: il faut toujours lire, non seulement les textes eux-mêmes, mais entre les lignes aussi, pour en extraire tout le non-dit qui, bien souvent, est encore plus important que ce qu'on veut bien nous dire et nous faire croire.
Lire "entre les lignes" ne suffit pas.
Il faut encore confronter les unes aux autres les déclarations successives
de nos ministres et de nos "responsables" professionnels de la "Santé
[mentale]", de même qu'aux prophéties de l'O.M.S. De telles
comparaisons et confrontations sont édifiantes.
A l'occasion de la "Journée Européenne de la Dépression"
(que certains pourtant semblent mettre à profit pour ne pas s'emm...!)
à la date du 7 octobre 2004, notre ministre
(Communauté Française) [de la prévention] de la Santé
[mentale], le Docteur Catherine Doyen-Fonck aurait déclaré:
"Notre société est une société
à deux vitesses: certains sont mentalement malades de trop travailler
alors que d'autres le sont en raison de leur exclusion du système socio-économique."
(rapporté par le Dr Etienne Bourdon dans "Le Généraliste",
n°709 du 21 octobre 2004, p.16). Si c'est cela qu'on enseigne de
nos jours dans nos Facultés de Médecine en Belgique, il va falloir
sérieusement recycler tant les enseignants que leurs programmes. La
confusion entre les effets prétendus (les "maladies" mentales)
et leurs causes supposées continue ses ravages chez les ministres,
même quand ils (elles) sont titulaires d'un diplôme de médecin!
La même ministre rappelait aussi que "on
peut effectivement craindre une véritable épidémie de
dépressions dans les prochaines années."
Ceci sans doute s'appuierait sur les prophéties alarmistes de l'O.M.S.
qu'il est toujours de bonne politique de citer. Mais ce n'est pas exactement
cela que l'O.M.S. prédit. Qu'on croie l'O.M.S. sur parole ou non, cette
organisation annonce plus précisément que la charge financière
résultant directement et indirectement des cas de dépression
remontera progressivement au deuxième, sinon au premier (?) rang du
palmarès (le "hit-parade") des charges
globales de "santé". Cela n'est certainement
pas la même chose qu'une "épidémie
de dépressions", mais cela frappe moins les
imaginations! Remarquons aussi que, si nous devions en croire Mme la Ministre,
on pourrait constater que c'est surtout depuis que nos responsables politiques
s'évertuent à nous dire qu'ils "mettent l'accent sur
la prévention" que l'on peut aussi les entendre dire qu'on
"peut craindre une véritable épidémie
de dépressions dans les prochaines années"
(alors, prévention, piège à c...?)
De son côté, le Prof. Christine Reynaert (Psychiatrie CHU de
Mont-Godinne, U.C.L.) s'interrogeait, lors de la même "Journée":
"Dans notre société, le droit
à la santé n'est-il pas un leurre? Tout le monde ne peut pas
être heureux tout le temps! Les gens ont parfois tort de le croire et
sombrent dans la dépression au moindre échec."
Que de confusions et d'amalgames, involontaires ou bien délibérés?
Car si, en effet, ce que certains appellent le "droit à la santé"
n'est bien qu'un souhait, un leurre brandi par des rêveurs, une bienveillante
utopie (comme, par exemple, le droit [?] pour chacun de ne naître
qu'à terme, beau, intelligent et dans une famille fortunée et
célèbre), par contre l'accès et le droit aux meilleurs
soins en cas de maladie, eux, ne devraient certainement pas être des
leurres puisqu'ils ne dépendent que de la volonté humaine et
politique; on pourrait donc espérer que tous, y compris nos professeurs
de psychiatrie, puissent en convenir et contribuer à leur mise en oeuvre!
De même, suggérer que la santé [mentale] ne consisterait
qu'à être heureux en permanence (à la manière
d'une brute repue ou d'un benêt béat?) et, inversément,
laisser croire qu'être malheureux - avec de bonnes raisons de l'être
- correspondrait à une mauvaise "santé mentale", voire
à la dépression psychiatrique, quelle vision de la vie et de
la psychiatrie est-ce là? Laissons donc, s'il vous plaît, pareil
discours aux rédacteurs de communiqués et porte-parole de l'O.M.S.!
Toujours lors de la même "Journée", et telle une vérité enfin sortie de "la bouche des enfants", cette constatation en forme de voeu émis cette fois par des médecins généralistes: "Les médecins généralistes suggèrent des réunions interdisciplinaires de concertation [avec les psychiatres], à l'instar de ce qui se pratique déjà en oncologie, car il y a tout un suivi du patient que le psychiatre ne connaît pas du tout." (Thierry Goorden, "Le Journal du médecin" n° 1625 du 22 octobre 2004, p.8: "Comme un nouveau souffle") (on ne le leur fait pas dire, et souhaitons bonne chance à ces généralistes optimistes; cela ne se passe-t-il pas de tout commentaire?)
Dans un contexte plus "politique" bien qu'aussi plus "surréaliste" encore que ce qui précède, voici deux "informations" qui jettent une lumière crue sur les conceptions plutôt "infantiles" de nos gouvernants, politiques et décideurs au sujet de la "santé mentale", sur l'importance réelle qu'ils accordent en fait au sort des malades mentaux (plutôt que ce qu'ils en disent), et sur le mépris évident qu'ils affichent à l'égard de l'intelligence de leurs concitoyens.
1) Dans une "Fiche
de Budget 2005 n°12" qu'on peut trouver sur
un site web du gouvernement fédéral belge (v. 337K
doc ), portant le titre de "circuit de soins psychiatriques",
nos décideurs politiques et gouvernants nous rappellent que "les
Ministres compétents en matière de Santé ont décidé
le 24
juin 2002 d'organiser
l'offre des soins de santé mentale dans notre pays selon les principes
des groupes cibles et des réseaux..." . Il
paraît que la "mesure proposée"
aujourd'hui (pour 2005!) a pour objectif
de "permettre la mise sur pied d'expériences
pilotes de réseaux et circuits garantissant notamment la continuité
des soins." Ils nous disent aussi que "cette
mesure permettrait une création d'emplois."
Et, pour en quelque sorte couronner cette succession de "déclarations
d'intentions" débutant déjà en 1998-1999, on nous
dit aujourd'hui que le coût (l'incidence financière) de cette
mesure proposée sera nul. En effet, "il
s'agit d'une part, du transfert des moyens existants - correspondant aux lits
des maisons de soins psychiatriques extinctifs (sic),
à concurrence de 581.760 euros; et d'autre
part, de l'utilisation de moyens prévus pour les "renouvellements
de soins" - soit 1.627.000 euros qui seraient exclusivement utilisés
pour l'élaboration de ces projets pilotes."
(une question indiscrète ne vous effleure-t-elle pas, du genre:
"et ta soeur, va-t-elle au lit avec un extincteur? Comment s'y renouvelle-t-elle?")
Donc, aujourd'hui, c'est-à-dire très bientôt 2005, on
en est toujours aux intentions, portant sur des projets seulement "pilotes",
qui devraient tout à la fois créer des emplois et ne coûteraient
rien (ils utiliseraient des ressources financières soit fictives, soit
retirées d'autres postes où elles risquent pourtant d'être
encore nécessaires).
Résumé: on vous dit que demain, c'est sûr, on rasera gratis,
mais il ne faut surtout pas être pressé ni trop y croire, parce
que cela fait déjà des années que cela dure sans qu'on
en perçoive de résultats sensibles.
2) Récemment (26/10/2004), à la Chambre des Représentants, en Commission "Santé Publique", des questions ont été posées au ministre fédéral des Affaires sociales et de la Santé publique (Mr Rudy Demotte) sur les "projets pilotes relatifs à "l'activation des patients" (sic) dans le secteur des soins de santé mentale" (questions n° 4055 et 4099). Ces questions étaient révélatrices de la désarmante naïveté et des illusions que semblent nourrir, sur la "santé mentale" et tout ce qui s'y rapporte, ceux qui les posaient. A leur tour, les réponses du ministre laissent clairement entendre que les résultats obtenus par ces "projets pilotes" paraissent, dans l'ensemble, trop décevants pour que le gouvernement continue à les subsidier. D'après Mr Ludwig Verduyn, rédacteur au "Journal du médecin" (n°1629, 9/11/2004), 19 "projets pilotes en santé mentale" seraient ainsi arrêtés.
Pour mémoire, rappelons que, d'après notre Administration des Soins de Santé, "La fonction de soins activation doit être intégrée par les soins de santé mentale dans la perspective de l'inclusion. Le patient ne doit pas être le seul à devoir s'adapter aux attentes de la société. La société doit faire preuve d'ouverture et prendre des initiatives qui visent à soutenir la resocialisation des personnes présentant des problèmes psychiatriques". (v. activation [février 2003])
D'après la même Administration, les projets pilotes de "renouvellement en matière de soins concernent les soins psychiatriques pour patients séjournant à domicile [comprenez les patients hébergés dans des 'initiatives d'habitations protégées'] et imposent une collaboration avec une 'initiative de coordination de soins à domicile'." (v. renouvellement [février 2003]).
Ainsi, Mme la députée Annelies Storms (sp.a-spirit) a remarqué
"que les projets "arrêtés"
concernent quelque 1.600 patients, leurs proches et un personnel nombreux
(sic) - deux équivalents
temps plein par projet [...]"
Le ministre rappela que: "L'objectif des
projets était d'accompagner les participants dans leur recherche d'un
emploi approprié dans le circuit régulier. Cette démarche
n'a été couronnée de succès que pour moins de
8% des participants. L'accompagnement du parcours de formation dans le circuit
régulier est quasiment resté lettre morte."
Mr le député Luc Goutry (CD&V) a néanmoins affirmé:
"Le secteur [de la
Santé] lui-même reconnaît
que les résultats obtenus à ce jour ne sont pas extraordinaires.
Le ministre ne peut toutefois ignorer l'utilité indéniable de
ces projets." (sic). (v. chambre-sp-26-10-04,
point 10).
Quelques remarques évidentes s'imposent à la suite de pareille
lecture. Ainsi, commençons par procéder à un calcul d'arithmétique
élémentaire, qui ne tient toutefois compte ni de l'hétérogénéité
des nombres de "participants" à chacun des projets, ni de
la diversité des pathologies dont étaient victimes ces participants
(les intervenants au débat semblaient peu se soucier de cet aspect
des choses). N'importe, faisons pour l'instant comme eux, parlons en nombres
globaux et toutes pathologies confondues...
Si 19 projets ont été "arrêtés",
portant sur 1600 "participants" et un personnel
de 2 équivalents temps plein par projet, cela représente, en
moyenne, 2 personnes "d'encadrement" ou "d'accompagnement"
devant s'occuper chacune de plus de 84 patients à "activer".
Et on a l'inconscience (l'indécence) de trouver cela "nombreux"?
Par exemple, vous en connaissez beaucoup, vous, des instituteurs qui ne protesteraient
pas si on tentait de leur faire éduquer des enfants - et des enfants
bien portants cette fois - dans
des classes comportant 42 enfants par enseignant? Et vous croyez sincèrement
que l'enseignement, dans pareilles conditions, d'enfants, bien que non
handicapés, conduirait à des résultats
acceptables? Et croyez-vous que les parents de ces enfants serrés à
42 par classe ne crieraient pas au scandale? Et ne sait-on pas que la "revalidation"
de patients "mentaux", si on veut la croire possible, est pourtant
encore bien plus délicate, difficile et plus longue que celle d'enfants
bien-portants?
Alors, si, en effet, licencier quelque trente-huit (?) personnes "soignantes"
peut légitimement être ressenti comme une perte d'emplois certes
regrettable et non négligeable, on oublie l'essentiel: le nombre de
ces personnes était en réalité tout à fait insuffisant,
dérisoire même en regard
des objectifs prétendument poursuivis, et leur échec était
aisément prévisible.
On nous parle de "perspective de l'inclusion"
(vide supra) qui serait le but poursuivi. Cette "perspective"
ne serait actuellement atteinte que par moins de 8% des participants, ce qui
devrait correspondre à quelque 128 personnes. Mais celles-là,
compteraient-elles "pour du beurre" pour nos responsables gouvernementaux?
On veut espérer que ce sont ces 128 personnes peut-être "réinsérées"
(mais pour combien de temps si désormais on s'en désintéresse?)
auxquelles Mr le député Goutry pensait quand il parlait "d'utilité
indéniable" qu'il n'a pas explicitée.
S'il a fallu quelque 38 personnes "soignantes", travaillant dans
de fort mauvaises conditions, pour arriver à ce résultat, soit
un peu plus de 3 aides par patient "réussi", doit-on trouver
cela une proportion et une dépense excessives? Mais alors, quels sont
donc les seuils de dépenses et de résultats à partir
desquels on décidera que cela "n'en vaut pas la peine"?
Mr le député Luc Goutry disait encore: "Il est impensable
qu'aucun projet ne donne satisfaction". Pourtant, n'oublions jamais que
ce sont bien les faits qui toujours ont raison. Si aucun projet ne donne satisfaction,
c'est soit qu'aucun d'eux n'est applicable en pratique, soit qu'il est inadéquat
au but poursuivi, soit qu'aucun de ces projets ne dispose des moyens qui lui
permettraient d'aboutir à la "satisfaction" recherchée.
En bref, soit les projets ne sont pas bons, soit ils n'ont pas les moyens
de leurs ambitions.
Et cela, c'est tout à fait pensable. Mais sans doute n'a-t-on aucune
envie d'y penser. Cependant, les "non-envies" ne suffisent pas à
construire une politique.
Note: Mme la députée Annelies Storm s'est étonnée
qu'il n'ait pas été tenu compte de "l'avis" favorable
à la poursuite des "soins activation" émis par le
Conseil National des Etablissements
Hospitaliers. On peut se demander si Mme la députée
a réellement lu cet "avis" et si, dans ce cas, elle est parvenue
à y comprendre quelque chose d'utile; en effet, le document en question
n'est qu'un magnifique exemple de psittacisme administratif (du type "galimatias
double" selon Voltaire). On ne peut qu'approuver le ministre de s'être
assis dessus (voyez, si vous en avez le courage, mais n'en usez qu'avec la
plus grande modération: cneh
PSY 235-1.pdf, 86 KB).
Certaines interventions publiques de nos représentants
politiques belges sont suffisamment explicites pour
ne nécessiter aucune interprétation compliquée, et dispensent
donc opportunément de "lire entre les lignes". Qu'on en juge:
au Sénat de Belgique, le 11 mars 2005, la sénatrice Mme Jacinta
De Roeck a posé au ministre (Mr Rudy Demotte) une question sur les
"soins de santé mentale" et les "maisons de soins psychiatriques"
(MSP)(question n° 3-2344).
La sénatrice y affirme, entre autres, que "Les personnes pour
lesquelles un traitement psychiatrique est
peu utile ou n'offre plus aucune perspective et qui sont encore
à peine considérées parce qu'elles n'ont plus
aucune utilité économique directe, ont droit
à un accompagnement et à des soins dans un environnement adapté,
tel que celui qu'offrent les MSP" (je souligne). Mme la
sénatrice semble oublier que les MSP ont été instaurées,
non pas à l'intention des personnes handicapées mentales, mais
plus précisément pour les personnes devant continuer
à bénéficier de soins et d'un traitement psychiatrique
(même si on ne le qualifie pas d' "intensif", ce qui, d'ailleurs,
ne veut rien dire...)
De plus, si les appréciations et jugements de certains sénateurs
sur "l'utilité" des résidents de MSP ne laissent ici
que peu de place au doute quant à leur "humanitarisme", pareilles
appréciations pourraient tout aussi bien amener le citoyen lambda à
s'interroger à propos de "l'utilité économique
directe" de ces représentants eux-mêmes, pour employer
leur propre expression...
Dans l'article du site Mens Sana intitulé "Quatre
Ans", il était fait allusion aux tentatives
de "réseaux et de circuits de soins psychiatriques"
qui avaient été expérimentées dans d'autres pays
que le notre. On rappelait que leur but était de limiter le nombre
et la durée des hospitalisations et de prévenir les ruptures
de traitement des malades en évitant de les laisser sans aucun suivi
véritable (cette absence d'un suivi digne de ce nom, chez nous
mais aussi ailleurs en Europe, est la situation habituelle de la majorité
des malades mentaux chroniques non hospitalisés).
Nos politiques, dès 1998 (!), se sont saisis de ces
mots - mais uniquement des mots! - constitutifs de l'appellation "réseaux
et circuits de soins psychiatriques", auxquels ils ont ajouté
le "concept des groupes cibles" (les jeunes, les vieux, les
drogués, les alcooliques, etc. ). L'accumulation de tous ces beaux
mots juxtaposés semblait alors augurer d'une toute nouvelle façon
d'assurer les "soins psychiatriques" aux malades mentaux chroniques,
elle paraissait promettre une "politique de soins" en quelque sorte
révolutionnaire qui allait améliorer radicalement leur sort,
les "resocialiser" voire les "réactiver"
(sic), tout en faisant les économies exigées par un budget de
la santé publique et de la sécurité sociale menacé
en permanence de faillite annoncée.
On allait enfin s'y mettre (dans le courant de 2005), et on allait voir ce
qu'on allait voir!
Des documents relatifs à ces annonces de "politique de soins"
sont accessibles sur Internet, sur le site gouvernemental fédéral
belge consacré à la "Santé publique" (health.fgov.be/vesalius/...
PDF, 270 K , rudydemotte.be/...
DOC, 275 K, vesalius/candipsy/...
PDF, 40 K ). Les personnes motivées
et ne reculant pas devant la perspective d'une lecture et d'un décryptage
extrêmement ardus, (pour le moins de très faible rendement
et fort peu gratifiants après traduction et débroussaillage
indispensables), peuvent tenter d'en prendre connaissance. Ici, je me
bornerai à résumer ce qu'on peut en tirer (plus que du vent?):
notre gouvernement fédéral a désigné (choisi)
ses "experts scientifiques" qu'il a chargés de lui faire
un rapport "d'évaluation" sur des "projets pilotes"
de soins psychiatriques, notamment pour les "patients résidant
à domicile". Cette désignation et le "rapport sur
l'évaluation de ces projets pilotes" semblent déjà
constituer, en eux-mêmes, ce qu'on appelle un "projet pilote",
ce qui permet à certains d'affirmer - avec une belle candeur - que
les projets pilotes ont bien "démarré".
Le gouvernement fédéral ("l'autorité de tutelle") a fourni à ses "experts" un "modèle à suivre et à respecter" d'organisation des "soins psychiatriques" imposant de ne faire appel qu'aux structures et services existant déjà dans le pays (qu'il s'agisse de "santé mentale" ou de "services généraux et de soins à domicile"), ainsi qu'au personnel qui y fonctionne déjà actuellement (si la nécessité de tâches supplémentaires devait apparaître, elles devraient être accomplies par du personnel détaché des institutions et organisations existantes). Justification sous-jacente, non exprimée mais évidente de ces exigences: ne pas créer de dépenses nouvelles: il faut "faire avec ce qu'on a déjà" (et on n'évoque surtout pas la possibilité, en de nombreux endroits de Belgique, de n'avoir rien encore, ou que ce qui existe peut-être serait très insuffisant!).
De leur côté, les "experts scientifiques" choisis
et subsidiés par le gouvernement ont, pendant deux années consécutives,
utilisé ces subsides pour constituer, avec divers "intervenants",
des équipes "scientifiques", pour réunir à
diverses reprises ces équipes, leur permettre de se rencontrer, de
se concerter, pour leur faire "mener une 'recherche' permettant de répondre
aux questions posées par le gouvernement".
Cette "recherche" a consisté en réalité à
faire une sorte d'inventaire des structures de "soins" (de "santé
mentale" et de "services de soins généraux")
existantes et, parmi elles, de celles disposées à établir
une collaboration entre elles. Cette recherche a aussi tenté de résumer
quantitativement, au moyen d' "évaluations" chiffrées
en fonction du nombre d'accompagnants, du nombre des patients et du temps
qui leur était consacré, les activités mensuelles des
intervenants (soignants psychiatriques et autres) déployées
lors des deux années de leurs interventions. Aucune "évaluation"
du "rendement thérapeutique" de ces "projets" n'a
été fournie ni même recherchée, semble-t-il.
Les "chiffres" fournis par le "rapport final" des "experts" sont des pourcentages divers (de temps, parfois en nombres astronomiques de minutes! Et de personnes, parfois en nombres fractionnaires!) à partir desquels il n'est le plus souvent pas possible de remonter aux nombres et valeurs originaux. On peut donc se douter qu'il serait difficile, pour une "autorité de tutelle" quelqu'elle soit, de tirer de pareilles "études" dites "scientifiques" (?) des conclusions utilisables en pratique pour la mise en oeuvre d'une politique rationnelle, cohérente et efficace de "soins psychiatriques".
Il est donc permis de soupçonner que là n'était pas le but poursuivi par le SPF Santé publique. Mais le gouvernement fédéral a officiellement fait la preuve de son souci des malades mentaux en chargeant des "experts scientifiques" de lui faire parvenir un rapport sur la question. Les "experts", quant à eux, après s'être réunis et après avoir réfléchi (2 ans), ont sorti leurs calculettes et ont pondu un certain nombre de pages à peu près illisibles bien que souvent répétitives; mais ils savaient que cela n'avait guère d'importance, car ils savaient d'avance que le ministre, qui se flatte de n'être pas technicien, ne risquait pas de les lire. L'important pour tous, c'est que les rapports aient été demandés et qu'on puisse dire qu'ils existent, même si cela ne change finalement rien dans le quotidien concret des malades.
Quant aux malades mentaux chroniques, quant à ceux qui s'en soucient réellement, qui donc se préoccupe de savoir s'ils retireront un jour un soulagement effectif de pareilles pantomimes psycho-administrativo-pseudo-"scientifiques"?
J'ai un peu hésité sur l'emplacement où faire part de
l'information qui suit: la faire figurer dans "du positif" ? Ou
bien dans "Entre les lignes" ?
Quoique, à première vue, la nouvelle qu'une véritable
tentative concrète de "soins à domicile"
était enfin envisagée ne pouvait qu'être accueillie avec
l'enthousiasme que mériterait du "vrai positif", quelques
instants de réflexion m'ont incité à la prudence et,
finalement, j'ai préféré la signaler ici et laisser les
internautes décider, après lecture, de l'interprétation
qu'eux-mêmes ils donneraient de cette nouvelle.
Le 18 avril dernier, la Fondation Roi Baudouin a attribué au projet pilote "ACT Mendeljev" un subside, en provenance du Fonds Johnson & Johnson (un consortium de plusieurs firmes commerciales), de 100.000 euros par an renouvelable deux fois (donc 300.000 euros au total). Le projet ACT (Assertive Community Treatment) s'inspire d'initiatives déjà mises en place depuis quelques années dans certains états des U.S.A., ainsi que plus récemment en Australie et aux Pays-Bas. Le projet se limite actuellement aux communes bruxelloises d'Ixelles (St Alexius) et d'Etterbeek. Son coordinateur nous apprend que "Les patients sont accompagnés d'une équipe de quatre thérapeutes disponibles jour et nuit", et "une équipe ACT se compose de psychologues, d'infirmiers et d'assistants sociaux".
Des questions viennent aussitôt à l'esprit de ceux qui attendent en vain et depuis fort longtemps qu'on aide effectivement les malades mentaux chroniques; peut-être devrait-on suggérer au public intéressé de se les poser, lui aussi, bien qu'on n'ait pas éprouvé le besoin de les soulever dans la presse:
- combien d'ETP disponibles 24h sur 24 et hautement spécialisés (psychologues, infirmiers et assistants sociaux), disposant de quel salaire brut, peut-on espérer attirer dans de telles "équipes ACT" pour les rémunérer avec un budget annuel global de 100.000 euros?
- les déplacements de "l'équipe ACT", itinérante et en quelque sorte "volante" sont-ils, eux aussi, défrayés grâce à ces 100.000 euros?
- Une fois les trois ans du projet écoulés, quel organisme assurera le renouvellement du financement du projet? Ou bien pense-t-on que les malades "suivis" (par des "contacts" de quelle durée et à quelle fréquence dans le temps?) seront définitivement "réintégrés" ou "réinsérés" (sous-entendu: "guéris"?) dans la société au bout de trois ans, et qu'à partir de ce moment, on pourra s'en désintéresser?