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Suite et fin de l'article PROMESSES

Nos ministres belges "de la Santé etc., etc." peut-être croient pouvoir se permettre d'écrire un peu n'importe quoi, comme le montre encore l'extrait suivant (tiré de leur "Guide vers de meilleurs soins en santé mentale" déjà cité - j'ai souligné) (v. www.psy107.be):

"La réforme des soins en santé mentale a diverses implications juridiques importantes pour le secteur hospitalier.
Son but est ainsi
[?? - JD] de pratiquer autant que possible une détection précoce, une prévention et d'éviter autant que possible une hospitalisation. Les patients seront de plus en plus traités et soignés à domicile." (sic).

Tout d'abord, le(s) "but(s)" énuméré(s) par les ministres est/sont un éclatant non sequitur de la phrase qui précède. Ensuite, on y parle d'une "détection précoce", mais une détection précoce de quoi? Cela, on évite de le préciser, prudemment on ne s'y risque pas (et cela ne doit pas nous étonner, car on peut se douter que les auteurs de ce texte seraient bien incapables de nous éclairer là-dessus!). De plus, la détection qu'on évoque ici, on ne semble pas non plus se rendre compte qu'elle suppose un diagnostic psychiatrique. Et nos ministres continuent à vouloir ignorer que poser un diagnostic correct en psychiatrie, cela demande un temps parfois long d'observation très attentive, ininterrompue et de tous les instants, qu'il est impossible de pratiquer celle-ci sérieusement à domicile (et pas plus lors de "séjours courts et intenses" dans de "petites unités"). Cela implique nécessairement l'hospitalisation (n'en déplaise aux "experts" conseillers des ministres!).

L'hospitalisation - au moins pour observation - pour suspicion de maladie mentale, nos ministres disent qu'ils vont s'arranger pour l'éviter "autant que possible" (sic). Les familles elles aussi voudraient bien évidemment l'éviter: car l'hospitalisation en psychiatrie, c'est en quelque sorte la reconnaissance officielle et publique (aux yeux de tous) de l'existence d'une maladie mentale chez l'hospitalisé. Les familles des patients, que les professionnels de la "santé mentale" et "psys" ont généreusement culpabilisées pendant des décennies, continuent encore de nos jours de se sentir stigmatisées, par l'opinion publique en général, et même encore par certains "psys" qui persistent à leur attribuer une responsabilité dans le développement de la maladie mentale de leur proche (parent ou enfant). Pareilles croyances, idées reçues et dénigrements les accompagnant, et même les plus stupides, ont été à tel point longuement entretenus, qu'ils sont devenus difficiles à déraciner complètement.

Parce qu'ils imaginent que ce qu'ils décrient et appellent le "système psychiatrique hospitalocentrique" serait plus coûteux et moins efficace que la psychiatrie ambulatoire (comment prouvent-ils cette affirmation?), nos ministres se servent de cette opinion pour faire miroiter aux yeux des familles la perspective de réduire, voire de supprimer ces hospitalisations qu'elles redoutent et qui signifient pour elles et leurs proches malades un interminable cortège de multiples misères. Ainsi, ils flattent indûment et à bon compte les espoirs actuellement quelque peu utopiques de ceux à qui ils s'adressent. Quel nom donne-t-on habituellement à pareille "politique"?

Pour une fraction importante de patients mentaux psychotiques, l'hospitalisation, temporaire (c.-à.d. provisoire) à un moment ou à un autre au cours de l'affection, voire plus ou moins prolongée (parfois même indéfiniment chez 30% d'entre eux), l'hospitalisation est très généralement inévitable et nécessaire. C'est là un constat évident et reconnu qu'on ne devrait plus, de nos jours, être forcé, à longueur de décennies, de rappeler et de seriner à des adultes en principe raisonnables, éduqués, informés et avertis. Mais, quand on aborde (dans notre pays) ce sujet avec des personnages "responsables" mais non impliqués personnellement, on finit souvent par avoir l'impression de ne jamais s'adresser qu'en vain à des enfants indociles et obstinés, incultes et ignorants, et sans doute délibérément et idéologiquement sourds (c.-à d. qu'ils refusent de vous entendre).

L'hospitalisation s'impose dès le départ pour pouvoir faire le choix judicieux et la mise en route du traitement, et l'évaluation correcte de sa mise au point. C'est-à dire que l'hospitalisation s'impose pour évaluer tout ce dont, au début des manifestations de l'affection, on ne peut présumer ni préjuger: l'adéquation ou l'inadéquation des "soins" à chaque cas individuel, que seule permettra d'évaluer l'appréciation, quotidienne et pendant un temps suffisant, de leur efficacité sur la manifestation des "symptômes". Cela non plus ne peut certainement être ni instauré, ni maintenu, ni encore surveillé de manière adéquate ni satisfaisante à domicile, et encore moins en quelques jours (ou même semaines!) seulement! Les "experts" conseillers techniques des ministres l'auraient-ils oublié ou l'auraient-ils toujours ignoré?

Quant à la "prévention" des affections mentales, elle est peut-être possible, mais seulement si cette prévention ne vise que la consommation des drogues ainsi que les addictions qu'elles entraînent, sans doute par la mise en place de mesures d'éducation, de police et de mesures sociales, sanitaires et économiques. Je ne m'aventurerai cependant pas sur ce terrain, car je ne m'y sens pas plus compétent que ne me semblent l'être des sociologues, des sociopsychologues, des anthropologues, etc., etc., et les politiques qui, tous et surtout à coups d'hypothèses et d'idéologies, ne font que se disputer à qui mieux mieux sur ce sujet.

Les problèmes à résoudre ne sont pas les mêmes pour ce qui est d'une toute imaginaire et utopique "prévention" des maladies mentales chroniques regroupées sous l'appellation de psychoses. Déjà à de multiples reprises sur ce site, j'ai répété ad nauseam cette autre évidence élémentaire qui, pour toute fondamentale et universelle qu'elle soit, pourtant et d'après mon expérience personnelle, ne semble pas toujours mériter l'attention ni rencontrer la compréhension sans doute déjà toutes deux encombrées et surmenées (par de trop nombreuses et diverses tâches et préoccupations trop exigeantes?) de nos décisionnaires politiques: jamais personne n'a pu prévenir quelque phénomène imprévisible que ce soit dont les causes nous sont inconnues. Et cette ignorance, elle englobe précisément les causes et la grande majorité des mécanismes des psychoses. Alors... Faut-il avoir fait de longues études supérieures et à combien de mains doit-on se prendre la tête pour se gratter le crâne et pour savoir et comprendre cette impossibilité de prévision et de prévention, et peut-être pour parvenir à en tirer les conséquences qui nécessairement et très logiquement en découlent?

De plus, une logique très élémentaire n'a-t-elle pas encore fait entrevoir à nos responsables politiques et experts en santé mentale que la prévention des maladies mentales, dont ils veulent croire dur comme fer (et nous en persuader à notre tour) qu'elle serait possible, c'est une notion contradictoire de celle de la détection, aussi précoce que cette dernière puisse être? (Inconscients de l'absurdité de leur raisonnement, certains se vantent même de s'efforcer de parvenir à une détection à ce point précoce que, du moins selon ces alchimistes attardés du XXIème siècle englués dans le XVIIème, en quelque sorte elle se transmuterait en prévention, sans doute grâce à la magie d'on ne sait quelle pierre philosophale qu'ils croiraient avoir redécouverte ou réinventée à leur manière).
Quand on détecte et identifie la maladie mentale, c'est qu'elle est bien là, et il n'est donc plus temps de la prévenir!

Enfin, nos ministres, tels des augures bienveillants, rassurants autant qu'omniscients et même prescients, nous prédisent et semblent nous promettre qu'à l'avenir "les patients seront de plus en plus traités et soignés à domicile."(sic; j'ai souligné).
Ils ne nous disent pourtant pas ce qu'ils entendent par "domicile". Ils ne nous disent pas non plus quelle est, par rapport à l'ensemble de la "population" des patients, la proportion de ces patients qui bénéficieront de ces merveilleux soins à domicile annoncés. Quant à la fréquence et à la durée - la pérennité - de ces "traitements" et de ces "soins" à "domicile" prédits, on garde évidemment un silence prudent...

Les "patients" malades mentaux en général, ont-ils vraiment un "domicile"? Si l'on imagine qu'il s'agirait du domicile familial, comment peut-on oublier que la maladie mentale oblige la majorité de ses victimes à suivre un traitement et des "soins" à vie, alors que leurs parents sont, nécessairement, tout à la fois plus âgés qu'eux et ne peuvent mener de front deux vies: d'une part celle où ils tiennent leur rôle de "accompagnateurs gardiens soignants permanents" tout en continuant d'autre part de mener une vie professionnelle, relationnelle, sociale et familiale ("si possible"?) normale?

Nos ministres - tout comme leurs experts "psys" qui très probablement ne s'y sont jamais risqués - devraient eux-mêmes en tenter l'expérience: ils devraient héberger à leur propre domicile (ou à un "domicile" dont ils auraient personnellement la responsabilité et la charge), par exemple pendant un an seulement (rien qu'une toute petite année!), un "patient" psychotique "traité" et "soigné". Après quoi, ils auraient peut-être enfin eu l'occasion et peut-être aussi saisi une petite chance d'apprendre et de comprendre de quoi il retourne, et je doute fort qu'ils tiendraient désormais le même langage qu'aujourd'hui; (malheureusement, je doute tout autant qu'ils tenteraient l'expérience, même s'ils pouvaient s'octroyer une année sabbatique rémunérée compensatoire!).

Et que se passe-t-il quand il n'y a plus de famille? Quand les parents, âgés, épuisés et usés sont partis soit à la maison de retraite, soit au cimetière? Très rapidement il n'y a plus de véritable domicile pour le "patient traité et soigné" ("de plus en plus"? Peut-être, mais certainement pas de mieux en mieux!). Si le patient a de la chance, on lui trouvera peut-être une "MSP" qui l'accueillera, mais c'est loin d'être sûr, et ce sera vraisemblablement loin aussi de son ancien logement, loin de son environnement familier.
Nos ministres savent fort bien que le parc des logements spécialement adaptés aux patients psychiatriques et à leurs particularités (toujours individuelles) est, déjà aujourd'hui, très insuffisant, très carencé tant en nombre qu'en qualité et en sécurité. Alors, parler de "domicile"! Et dire qu'on va y traiter et y soigner? Qui peut très naïvement croire cela?

Les ministres nous disent que dorénavant la loi permettra aux hôpitaux psychiatriques de "détacher" (ou, si on préfère, "distraire") une partie de leur personnel pour constituer les équipes soignantes à domicile, tout en continuant à comptabiliser ces soignants au "Tableau Organique" de leur institution hospitalière d'origine: ceci afin de ne pas affecter négativement le statut de cette dernière par rapport aux normes officielles d' "agrément" des hôpitaux en vigueur (et d'abord et surtout en "évitant d'augmenter les dépenses!") Voilà bien une astuce de bureaucrates et d'administratifs gestionnaires et comptables sur papier vivant à l'abri des basses réalités concrètes! Pensent-ils donc que les gestionnaires hospitaliers et les responsables soignants (qui ne sont certainement pas les ânes pour lesquels il semble qu'on veuille les faire passer) vont se mettre à courir derrière cet "alléchant" mirage de carotte?

Posons-nous une première question: les services hospitaliers de psychiatrie (qu'ils s'agisse d'hôpitaux psychiatriques ou d'hôpitaux généraux) disposent-ils aujourd'hui d'un personnel soignant spécialisé suffisant pour assurer aujourd'hui correctement les missions qui leur sont officiellement assignées (de soins, de "revalidation" et de "réintégration [!!] dans la société") ? Je crois bien n'avoir pas besoin de répondre moi-même à cette question. Prélever des "soignants spécialisés" sur un personnel déjà en sous-effectifs pour l'affecter ailleurs, cela ne coûtera bien sûr pas plus cher sur le papier, mais ce seront quand même les patients hospitalisés et les soignants restants qui, d'une manière ou d'une autre, payeront la note!

Posons-nous la deuxième et inévitable question: les soignants faisant partie des équipes mobiles et se dispersant avec zèle et alacrité en tournées de visite chez des "patients à domicile", à moins d'être beaucoup plus nombreux qu'en institution résidentielle (ce qui, d'avance, est évidemment exclu car cela représenterait d'importantes dépenses supplémentaires!), pourront-ils, tout en papillonnant de l'un à l'autre des patients plus ou moins nombreux et géographiquement dispersés, leur consacrer à chacun la même fréquence et durée de contacts et d'échanges, le même temps pour les "soins" et les "traitements" que ce qu'ils faisaient quotidiennement et sans interruptions quand ces patients étaient hospitalisés, rassemblés et disponibles sur place, sur leur "lieu de travail", c.à d. dans l'institut ou à l'hôpital psychiatrique?

Et combien de temps ces "équipes itinérantes" pourront-elles consacrer (si toutefois on leur en consent les moyens!) à rechercher et à courir derrière ceux de leurs patients qui auraient fugué - bien sûr personne ne sachant où - , et à relancer ceux qui n'auraient tout simplement pas respecté leurs rendez-vous, tout cela sans interrompre ni espacer ni négliger leurs (combien fréquentes?) "visites" aux autres patients: ceux malgré tout bien sages, observants des règles et obéissants? (tous les parents et proches de malades ont été un jour ou l'autre, et parfois plus souvent qu'à leur tour, confrontés à pareilles fugues et disparitions, ce qui tend à prouver qu'elles sont loin d'être imaginaires...) .

Enfin, se basant sur une étude publiée en 2008 par le "Centre Fédéral d'Expertise des Soins de Santé" (KCE, voyez Les séjours psychiatriques de longue durée en lits T et le communiqué de presse), nos ministres concluent très sommairement et tout aussi erronément (en page 7 de leur "Guide") que "Les patients psychiatriques chroniques séjournent souvent trop longtemps à l'hôpital" et que "les hôpitaux psychiatriques ne fournissent pas suffisamment d'efforts pour réintégrer ces patients dans la société"(sic).
Ils laissent à nouveau entendre à demi-mot que les longues hospitalisations auraient un effet nocif sur l'évolution des affections psychiatriques chroniques (cette vieille antienne du fameux effet iatrogène des hospitalisations), sans reconnaître que c'est précisément le degré de sévérité d'une affection psychiatrique et son degré de résistance aux soins et aux traitements qui rendent l'hospitalisation inévitable et tout aussi inévitablement la prolongent, et cela bien malgré la bonne volonté des soignants qui ne souhaitent qu'une chose aux patients: qu'une fois en meilleur état, ils puissent au plus tôt sortir de l'hôpital. (mais pour aller où? Où donc les envoyer pour "s'en débarrasser" sans qu'ils ne reviennent aussitôt, et aggravés, de plus?)

Tout d'abord, on ne peut s'empêcher d'imaginer et de déduire des affirmations péremptoires de nos politiques, qu'aussi bien les auteurs "scientifiques" de cette étude que les ministres de la santé sont encore toujours fort peu capables de distinguer, dans les phénomènes psychiatriques dont ils ne font ici que globalement recenser les victimes sur papier, ce qui appartient aux causes et ce qui sont des conséquences de ces causes (l'éternelle confusion des causes et des effets). Du propre aveu de ses auteurs (mais un aveu très discret et en passant!), l'étude ("statistique") citée ne tient compte ni ne se préoccupe des aspects cliniques (et les auteurs peuvent ainsi se permettre d'ignorer la clinique psychiatrique qui pourtant est la seule méthode dont la psychiatrie dispose chez nous!)

Ensuite, conclure, de la très (trop) faible proportion de patients hospitalisés qu'on parvient à réintégrer dans la société, que les hôpitaux psychiatriques "ne fournissent pas suffisamment d'efforts" pour parvenir à la réintégration (la "réinsertion"), c'est là une opinion qui ne peut être le reflet, soit que d'une ignorance crasse des aspects pratiques des problèmes posés par les psychoses, soit peut-être même d'une insincérité particulièrement méprisante des tenants de cette opinion envers ceux à qui ils l'expriment. Venant de "responsables et décisionnaires" et d' "experts", l'accusation d'une insuffisance d'efforts (de la part des H.P. laissés sans moyens adéquats et sur lesquels on se défausse ainsi commodément et impunément) n'est pas justifiable ni excusable plus par l'une que par l'autre de ces deux hypothèses.

Les "responsables" et "experts scientifiques et professionnels" auteurs de ces documents semblent vouloir se persuader eux-mêmes, en appliquant obstinément une sorte de méthode Coué, que la réinsertion/réintégration des patients psychiatriques chroniques dans la société ne dépend que d'efforts de "réintégration" dans la société, qu'il faudrait fournir ces efforts de préférence au choix de ces "solutions" qu'ils appellent la "réorientation" dans d'autres institutions résidentielles telles que nos MSP. Ces dernières sont en effet actuellement, chez nous en Belgique, la "solution" communément privilégiée (c'est une sorte de "voie de garage" de fin de parcours) mais qui, semble-t-il, paraît encore trop coûteuse à nos rédacteurs de rapports, en regard de la relative [in]efficacité thérapeutique de ces MSP (ce qu'on ne peut qu'interpréter comme étant un aveu contraint et peu glorieux d'impuissance difficile à assumer officiellement. N'oublions pas non plus l'extrême frugalité du budget alloué par nos "Communautés" à la psychiatrie et à ses institutions, budget qui pourtant pèserait encore bien trop lourd pour notre petit Etat morcelé).

Les rédacteurs de rapports ne se risquent toutefois pas à suggérer quels moyens ils envisagent pour promouvoir cette "réintégration" qu'ils recommandent. Ils ne savent en réalité pas si pareils moyens existent en pratique (personne ne le sait vraiment), ni en quoi ils pourraient bien consister; ce qui revient à dire qu'ils ne savent pas si, actuellement, la réintégration dont ils bavardent depuis des décennies sans résultats probants est vraiment et toujours possible (mais ils voudraient le croire à la façon des croyants qui croient au paradis et à l'enfer dans l'au-delà et, en bons prêcheurs se passant de preuves concrètes, ils espèrent pourtant nous convertir à leurs croyances).

Mais ce dont ils sont au moins aussi convaincus sans toutefois le reconnaître, c'est que de toutes façons des essais sérieux pour tester la "faisabilité" des revalidations et de la "réintégration" coûteraient déjà bien trop cher. Ils savent fort bien aussi que, au moins dans l'immédiat, notre société, ses institutions sociales et ses entreprises commerciales (son économie) ne sont pas prêtes à se réorganiser pour faire l'onéreuse expérimentation de ces efforts accompagnés des moyens nécessaires et suffisants, et cela pendant un temps lui aussi suffisant pour permettre soit de démontrer l'efficacité et l'intérêt de la démarche, soit d'en constater l'échec avéré survenant malgré le sérieux et la durée des efforts mis en œuvre.

Il semblerait que nos "responsables" (c.à.d. politiques et professionnels) refusent de reconnaître (ou d'apprendre?) que les affections psychiatriques chroniques ne se "guérissent" pas comme la plupart des maladies dites "somatiques" et ne se "soignent" pas non plus comme ces dernières ni comme on s'efforce de pallier les séquelles et handicaps physiques bien visibles, consécutifs par exemple à des traumatismes ou à des maladies physiquement et visiblement invalidantes.

Ils ne donnent pas non plus l'impression de savoir qu'à la différence des affections dites "somatiques", les affections psychiatriques, même "stabilisées" en apparence (et en dépit d'un traitement qualifié absurdement d'aussi "intensif" qu'on prétendrait), ne sont pourtant pas "guéries". Ils devraient savoir et ouvertement reconnaître qu'il est à peu près impossible d'en prévoir et d'en empêcher d'éventuelles exacerbations plus ou moins subites, car il est aujourd'hui encore impossible de connaître et par conséquent d'éviter, pour chaque patient individuellement, les innombrables facteurs et circonstances possibles qui, dans un environnement infiniment varié et changeant, et malgré un "traitement d'entretien" scrupuleusement observé, seraient susceptibles de déclencher une "rechute" de leur affection.

Plus sommairement dit: on ne peut renvoyer chez eux, prétendument "guéris" (jusqu'à la "prochaine fois"), sans plus devoir trop se soucier d'eux ensuite, les malades mentaux chroniques "soignés", comme on pourrait le faire pour des personnes soignées pour une grippe, une pneumonie, ou une jambe cassée, ou même un diabète, par exemple.

Se "réinsérer dans la société" signifie habituellement y retrouver un emploi plus ou moins bien rémunéré qui permette d'y vivre sa vie dans des conditions supportables et avec un minimum de dignité. C'est ce qu'en principe la législation s'efforce paraît-il d'encourager (de "promouvoir"), en demandant aux entreprises d'embaucher un quota de personnes handicapées physiques (celles dont le handicap est plus ou moins apparent et manifeste). Un certain nombre d'entreprises répondent à cette demande, en aménageant quelques postes à pourvoir et les activités qu'ils comportent, en fonction du handicap et des capacités résiduelles des personnes handicapées se présentant à l'embauche.

Nos décisionnaires politiques semblent croire (en tous cas, ils n'hésitent pas à l'affirmer!) qu'on ne "fournit pas assez d'efforts" pour adopter une attitude comparable, c.à.d. "volontariste" en faveur des malades mentaux chroniques "traités et soignés", et que cette inertie ou "paresse" (implicite) serait assimilable à une discrimination et à une stigmatisation, une sorte d'ostracisme exercé à l'encontre des malades mentaux chroniques par les employeurs et embaucheurs potentiels (et les politiques semblent se défausser, non seulement sur les soignants psys de leur manque de résultats, mais aussi sur les "employeurs" potentiels, de l'impuissance générale à "activer" et à "caser" les malades mentaux chroniques).

Pourtant, pourquoi et comment reprocher à ces employeurs de se protéger, eux-mêmes et leurs entreprises, des risques que feraient courir à la bonne marche de leur entreprise des personnes notoirement excessivement fragiles "psychiquement", tout à la fois atteintes de handicaps invisibles, peu cohérentes dans leurs attitudes, aux comportements souvent imprévisibles et peu fiables (même si chacun sait ou devrait savoir qu'en toute bonne foi, elles ne sont jamais volontairement ni délibérément responsables des hallucinations, illusions, superstitions impérieuses et envahissantes, des handicaps et déficits multiples dont elles peuvent être les victimes!)?

Très manifestement, nos responsables de la "santé mentale" continuent à confondre les "mal-être psychologiques" et les affections psychiatriques. Ils croient (peut-être leurs experts le leur laissent-ils croire parce qu'en effet ils voudraient y croire) qu'on peut "guérir" les secondes en leur appliquant les "traitements" et remèdes "éducatifs" qui peut-être conviennent aux premiers. Tant qu'ils refuseront de reconnaître et de corriger cette erreur pourtant évidente, les efforts de réintégration, quels qu'ils soient, ne remporteront pas plus de succès qu'aujourd'hui, car la société actuelle n'est pas prête à accepter en son sein des patients psychotiques chroniques qu'elle est incapable de soigner pour les rendre tous "assez conformes" à ses propres normes admises (parce que c'est encore impossible dans l'état actuel de nos connaissances scientifiques), et elle n'est pas non plus prête à créer, ni à mettre en place ni à organiser des endroits réellement protégés et privilégiés où prévaudraient des dérogations particulières à ces normes permettant aux malades de vivre décemment malgré leurs handicaps.

Tant qu'on ne se sera pas donné les indispensables moyens financiers et humains, les nouveaux "grands chantiers" annoncés de la santé mentale continueront, comme par le passé, à n'être que des phrases pleines de promesses impossibles à tenir.


Première publication: 17 Septembre 2010 (J.D.) Dernière modification:17 Septembre 2010

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