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APPROCHES PSYCHOLOGIQUES et PSYCHOTHÉRAPEUTIQUES
de "LA FOLIE"
n'ont, de la SCIENCE, que les APPARENCES; souvent, ce ne sont que des
PÉTITIONS DE PRINCIPE, des mauvaises QUESTIONS MAL POSÉES

Les "réponses" illusoires ainsi obtenues ne sont, en réalité,
que des tautologies, des lapalissades: des dérobades commodes pour gagner du temps.

Si on progresse, POURQUOI AVANCE-T-ON SI LENTEMENT?

Quand, à propos des "diagnostics" et des "soins et traitements psychiatriques", nous tentons d'adopter le point de vue des "usagers" (celui des malades mentaux chroniques et de leurs proches), très naïvement nous croyons ainsi nous mettre, au moins un instant, en quelque sorte "à la place" de ces usagers. Mais ce faisant, nous découvrons alors - sans doute avec quelque surprise - que nous devrions nous efforcer d'ignorer que les soi-disant progrès tant vantés que certains (et pas seulement dans notre pays!) prêtent à la psychiatrie actuelle, sont loin de se traduire en évidentes réussites thérapeutiques avérées, décisives et durables. Mais qu'est-ce donc que des "progrès" sans les résultats qui en découlent?

Pourtant, les nombreux communiqués d'un optimisme forcé dont nos "professionnels de la santé mentale" nous inondent sous prétexte, entre autres, de "conscientisation", s'acharnent sans relâche à nous convaincre des prétendus succès thérapeutiques obtenus par la psychiatrie (et par la "Santé Mentale"!) dans les affections mentales psychotiques chroniques. Les démonstrations concrètes et vérifiables de ces "guérisons" annoncées ne nous sont cependant jamais fournies: on semble donc penser qu'il doive aller de soi que nous croyions sur parole - et rien que sur parole! - les affirmations des autorités de la "science psychiatrique" et que nous nous en contentions. Ces véritables "décrétales psy" acquièrent ainsi la valeur d'un dogme qu'il serait fort malséant sinon quasi blasphématoire de mettre tant soit peu en doute.

De nos jours encore et même quand ils s'en défendent, une majorité de nos psychologues cliniciens, mais aussi de nos psychiatres, continuent de distinguer (de séparer) les "problèmes" qu'ils appellent "psychiques", d'une part en problèmes biologiques (qu'ils préfèrent habituellement ignorer pour en laisser le soin à d'autres qu'eux), et en problèmes psychologiques d'autre part. Ils ne veulent surtout pas admettre que ces derniers, surtout quand ils sont sévères, rebelles aux raisonnements et alors très handicapants, puissent n'être que la conséquence des premiers (ils ne veulent pas voir que, dès le départ, la biologie impose ses contraintes à la psychologie, ils refusent de reconnaître que la structure matérielle de notre corps et la biologie de notre organisme, qui vont de pair et en sont à la fois le support et le moteur, soient la condition préalable et nécessaire à l'existence des processus psychologiques [du "psychisme"] et à leur développement).

N'imaginant pas que le corps puisse être, dès avant la naissance, intrinsèquement et matériellement "déficient" ou "abîmé" (que ce soit par "erreur génétique" ou par "accident de développement"), puisque nous ne sommes capables d'en détecter les défauts que bien plus tard (trop tard!), de nombreux "psys" pensent tout simplement que les "problèmes psychiques" des personnes psychotiques, lorsqu'enfin ils se manifestent et nous deviennent perceptibles, ne peuvent avoir pour causes principales que des "expériences vécues" plus ou moins précoces, traumatisantes ou nocives prenant leur source dans leur "milieu de vie" (familial, éducatif, social, culturel, etc., : les problèmes dits "psychiques" seraient le résultat d'une sorte de mauvais "apprentissage", de mauvaises influences "extérieures" s'étant exercées sur nos neurones - mais ils ne songent à ces derniers que quand cela les arrange ou que, leur imagination étant épuisée, ils ne trouvent plus d'autres présumés "coupables").

Après avoir, à la suite des philosophes de l'antiquité grecque puis de Descartes (et avec nos philosophes et théologiens chrétiens, même actuels), séparé le "corps" de "l'esprit" (l'âme), et après avoir trop longtemps voulu ignorer que nous sommes des êtres entièrement "biologiques", nombre de nos psychologues et psychiatres sont aujourd'hui pourtant bien forcés de reconnaître l'existence de la biologie. Toutefois, des acquis plus récents des neurosciences, ils ne veulent retenir qu'une seule notion qu'ils récupèrent à leur manière, à leur profit pensent-ils. Ils croient en effet qu'elle les conforte dans une idée qu'abusivement ils généralisent et qu'ils résument de façon lapidaire mais expéditive, selon laquelle "l'esprit façonne la matière".

Il est désormais bien établi (scientifiquement!) et de notoriété publique que tout apprentissage, toute expérience vécue se traduit en effet par des modifications synaptiques au sein du neuropile du cortex cérébral (des traces matérielles de l'expérience "s'inscrivent" dans nos neurones). Certains, qui ne découvrent cette vérité que tardivement, en déduisent, mais bien trop hâtivement (comme pour "rattraper" l'audience, l'influence et le temps qu'ils se sont ingéniés à perdre) de manière simpliste, sommaire et erronée, que les neurosciences auraient prouvé qu'on peut résoudre les problèmes "psychiques" des psychotiques par une psychothérapie correctrice (une rééducation). Celle-ci agirait en quelque sorte à la manière de l'apprentissage (le psychologique "modelant" le biologique) et, par le détour d'une action psychologique sur "le psychisme", cette "thérapie" serait à même d'indirectement (ou devrait-on dire à rebours?) susciter la reconstruction ou la réorganisation du cablage neuroanatomique des circuits nerveux peut-être avortés, ou fourvoyés, ou disparus, ou encore défectueux, se distribuant aux afférents et efférents du cortex cérébral (eux-mêmes peut-être atteints ou non!) chez les patients psychotiques.

Si tant de progrès ont été accomplis par les neurosciences depuis plus d'un demi-siècle, comment se fait-il que nos psychologues et nos psychiatres, alors qu'ils n'hésitent pas aujourd'hui à les récupérer (très approximativement!) dans leur discours, ne semblent pourtant en faire que fort peu utilement bénéficier les malades mentaux psychotiques chroniques?

La situation actuelle s'explique par nos ignorances en biologie à l'époque des débuts de la psychologie et de la psychiatrie, et par l'historique, philosophique et spéculatif, de ces disciplines qui, se confinant dans leurs spéculations de départ, se sont accrochées au seul prolongement de leur lancée initiale sans se soucier des progrès et des apports de la biologie qu'elles n'ont pas voulu intégrer à temps. Il est inutile de ressasser à nouveau ici cette histoire. Rappelons seulement brièvement que deux attitudes ont prédominé dès la naissance des disciplines "psy".

La première, dite spiritualiste, part de l'affirmation que "l'esprit" est une chose immatérielle (l'âme) distincte du corps (puisqu'on veut croire qu'il lui survivrait), et ses partisans estiment qu'on ne peut le comprendre que par des procédés "philosophiques" (c.à.d., en fait, par l'imagination suppléant le savoir insuffisant). Ensuite, se basant sur la représentation abstraite ainsi esquissée par la seule imagination (par des concepts), on croit pouvoir accéder à cet "esprit" et le modifier en l'influençant par la persuasion ou, plus exactement, par ce qu'il faut bien appeler un endoctrinement. Comme on le verra un peu plus loin, cette conception est encore très répandue de nos jours.

La deuxième attitude, par opposition avec la première, est souvent appelée matérialiste (et ce qualificatif s'accompagne, pour les spiritualistes, d'une connotation péjorative). Elle consiste à penser que l'esprit (le "psychisme") n'est pas une chose, mais est la manifestation du fonctionnement ininterrompu du cerveau: c'est-à dire un ensemble de processus, une activité qui, par conséquent, ne peut avoir d'existence - ni aucun sens - dans l'instant, mais seulement et comme toute histoire, avec et dans le temps qui s'écoule, et qui ne persiste que grâce au cerveau qui la génère et l'entretient en continu. Les biologistes tenants de cette vision affirment depuis toujours que jamais on n'a pu donner, dans aucun domaine, un seul exemple convaincant d'un quelconque processus qui puisse se dérouler, se maintenir et évoluer dans le temps, sans reposer en permanence sur un support bien matériel. C'est pourquoi ils ne peuvent qu'être sceptiques envers les concepts des "spiritualistes" réifiant l'esprit, et ils les contestent (car, si l'on en croit certaines définitions, la spiritualité serait "le caractère de ce qui est indépendant de la matière", idée qui me paraît assez difficile à étayer en logique, et dont j'avoue sans honte que je ne parviens pas à en comprendre le sens).

Si, sur la toile d'Internet, nous consultons la version en français de la très utile encyclopédie libre "wikipedia" (bien que parfois révélatrice des mythes acceptés et préjugés de ceux qui contribuent à sa rédaction), nous pouvons y trouver que :

"Aujourd'hui, l'étude du système nerveux passe par de multiples approches qui suivent deux grandes directions :
* une approche ascendante (ou bottom-up) qui étudie les briques de base du système nerveux pour essayer de reconstituer le fonctionnement de l'ensemble;
* une approche descendante (top-down) qui, en étudiant les manifestations externes du fonctionnement du système nerveux, tente de comprendre comment il est organisé et comment il fonctionne."
(c'est moi qui souligne).
Psychologie et psychiatrie revendiquent souvent aujourd'hui de faire partie des neurosciences. Manifestement, et au moins dans notre pays, elles ne se préoccupent presque exclusivement que de la deuxième approche (descendante ou "top-down").
Consultons à présent la version en anglais de cette encyclopédie en ligne ; elle est un peu plus explicite que la précédente:

"Neuroscience generally includes all scientific studies involving the nervous system. Psychology, as the scientific study of mental processes, may be considered a sub-field of neuroscience, although some mind/body theorists argue that the definition goes the other way - that psychology is a study of mental processes that can be modeled by many other abstract principles and theories, such as behaviorism and traditional cognitive psychology, that are independent of the underlying neural processes."
(La neuroscience, en général, englobe toutes les études scientifiques ayant trait au système nerveux. La psychologie, en tant qu'étude scientifique des processus mentaux, peut être considérée comme une subdivision de la neuroscience, quoique certains théoriciens des rapports entre l'esprit et le corps veuillent que la définition soit inversée - c.à.d. que la psychologie soit une étude des processus mentaux qu'on peut modéliser d'après de nombreux autres principes abstraits et sur des théories telles que le comportementalisme et la psychologie cognitive traditionnelle, qui sont indépendants des processus neuraux sous-jacents.) (à nouveau c'est moi qui souligne et qui reste perplexe, car comment peut-on prétendre que les processus mentaux puissent être "indépendants" des processus neuraux, alors que, précisément ceux-ci leur seraient "sous-jacents" [sic] et sont indispensables à leur genèse et à leur déroulement? A moins d'en revenir aux esprits, fées et lutins, et autres fantômes des anciens contes et légendes pour les enfants et les magiques veillées d'hiver..., qui n'ont besoin, pour exister, de rien d'autre que du talent imaginatif des conteurs, et surtout, de la crédulité de ceux qui acceptent d'y croire).

A ma connaissance, l'approche descendante ou "top-down design" est une méthode utilisée, par exemple en programmation informatique, ainsi qu'en robotique (mais aussi en organisation de sociétés, du travail dans les entreprises, etc.). On parle (en anglais) de "top-down design" surtout quand il s'agit de mettre au point des programmes informatiques de grande ampleur et complexes dont on s'est d'abord fixé les objectifs généraux qu'on a bien définis (le "top") et qu'ensuite on subdivise progressivement en objectifs individuels plus limités au sein de l'ensemble, c.à.d. en modules de plus en plus petits pour en rendre la construction plus aisée (on descend du général au particulier: "down"). On peut aussi penser qu'une telle "approche" puisse être employée, par exemple en aéronautique ou en astronautique pour répartir entre différentes équipes de dimensions raisonnables des tâches limitées de construction de projets partiels qui auraient été trop grands et trop complexes s'ils avaient dû être traités dans leur ensemble sur un seul chantier, du début à la fin (selon la méthode déjà préconisée par Descartes, le problème général trop vaste qu'on veut résoudre est morcelé en problèmes progressivement plus petits jusqu'à ce qu'ils deviennent finalement individuellement accessibles, et on pourra ensuite les rassembler lorsque chacun d'eux aura été résolu).

Toutefois, cette approche "top-down" n'est utile et n'a d'intérêt que pour très concrètement élaborer des plans de "machines" avant de les construire, et non pour "tenter de comprendre"(sic), sans même les démonter, comment des machines déjà existantes sont faites et fonctionnent! Non seulement on sait, dès le départ, quelles sont toutes les tâches très "matérielles" et bien délimitées (définies) qu'on en attend, mais on en connaît également d'avance toutes les pièces constitutives dont on peut disposer pour les assembler et les agencer entre elles en vue de la construction globale. Nous avons affaire, dans les cas de "top-down", à des constructions humaines artificielles et très matérielles dont toutes les parties constitutives, depuis le niveau le plus haut et général (le "top") jusqu'au plus bas niveau élémentaire (la brique de base, le "down") nous sont connues (par le "bottom-up" préalable), sinon toutes d'avance, au moins en grande partie et à mesure que la construction progresse (puisque nous sommes les constructeurs et que c'est nous qui choisissons ce qui nous convient pour réaliser l'objectif poursuivi; mais dans le cas présent, on prétend, sans se rendre compte de l'absurdité de la démarche, qu'on comprendrait l'organisation et le fonctionnement du système nerveux si on parvenait à en reproduire [simuler] les manifestations externes)

Cette approche, appliquée à l'étude du système nerveux, comme le suggère l'affirmation citée plus haut, extraite de wikipedia francophone, peut-elle fournir des réponses utilisables (univoques)? La réponse à cette question-là est immédiatement évidente. C'est un NON! catégorique. Prenons un exemple bien connu de tous et qui soit d'actualité. La robotique et la cybernétique ont fait, ces dernières années, des progrès considérables. Nous avons tous pu admirer ces robots japonais dont les performances et le comportement "externes" simulent de mieux en mieux, même si ce n'est encore que très imparfaitement, certains comportements humains. On peut sans doute s'attendre dans ce domaine à des progrès encore bien plus remarquables dans un avenir proche. Pourtant, et même chez les personnes les moins averties, qui donc aurait la naïveté de croire et oserait prétendre que le "cerveau" de ces robots serait "organisé et fonctionnerait" sur le même modèle et de la même manière que le système nerveux humain?

En réalité, nous savons déjà aujourd'hui que, même si nous étions capables de construire des robots simulant, aussi parfaitement que possible, les "manifestations externes du fonctionnement du système nerveux humain", cela ne nous donnerait néanmoins aucune preuve que le système nerveux humain normal "serait organisé et fonctionnerait" à la manière de ces robots. En d'autres termes, même si une simulation est en apparence (superficiellement) parfaitement fidèle à son modèle (autrement dit, si elle donne "le change"), elle ne peut jamais fournir la preuve que l'émulateur (ou le simulateur) artificiel qui la produit serait construit et fonctionnerait comme un double identique à l'original dont on cherche à imiter les actions (et elle ne peut évidemment pas plus fournir la preuve de la réciproque à partir de l'original).

Ajoutons encore que, si la "psychologie" apparente de nos robots paraît, à l'un ou l'autre moment, "dérailler" ou s'écarter tant soit peu du comportement pris pour modèle à reproduire, nous avons toujours la possibilité d'ouvrir la carcasse de nos machines, de remplacer ou de changer une ou plusieurs pièces ou d'en modifier l'agencement, et d'apprécier ensuite si le résultat de cette intervention nous restitue une imitation plus ressemblante de notre modèle original.
Pareille vérification est évidemment interdite au psychologue et au psychiatre qui ne peuvent, en guise d'exploration et de vérification de leurs concepts hypothétiques, que tenter de modifier les conditions "extérieures" de fonctionnement dans lesquelles baignent leurs sujets d'expérience, sans aucunement toucher à leurs hypothétiques et conceptuels "rouages intérieurs". Ces modifications expérimentales de l'environnement, qu'elles semblent entraîner ou non des changements dans la réponse "externe" du système nerveux (la seule qu'ils puissent constater et qu'ils appelleront "réaction"), ils n'auront cependant pas plus de certitude(s) qu'avant sur lequel ni combien des hypothétiques "rouages" internes du système nerveux elles auront exercé (ou non, ou peut-être!) leur influence.

Ce qui précède pourrait aussi se résumer ainsi: les manifestations extérieures du fonctionnement du système nerveux ne fournissent a priori aucune piste permettant d'en appréhender ni la véritable organisation ni le fonctionnement réel. C'est déjà ce que laissaient entendre, à leur manière, les psychologues Sally P. Springer et Georg Deutsch dans leur livre "Left Brain, Right Brain", W.H. Freeman & Co, New York 1998, p. 288. ISBN 07167-3110-X, quand ils disaient: «To assume that similar symptoms always result from the same cause is to grossly oversimplify the intricacies of human brain-behavior relationships.» (Supposer que des symptômes semblables ont toujours pour origine les mêmes causes, c'est exagérément et grossièrement simplifier les intrications des relations existant entre le cerveau humain et le comportement.)

Une autre façon encore d'exprimer cette évidence (qui ne semble pourtant pas sauter aux yeux de tous nos professionnels), est de dire qu'il est toujours possible d'imaginer une infinité d'explications différentes et plausibles en apparence à chaque "manifestation externe de l'organisation et du fonctionnement internes" du système nerveux. Toutefois, compte tenu de nos connaissances actuelles encore lacunaires de la neuroanatomie fonctionnelle précise de notre système nerveux central, l'approche "descendante" ou "top-down", qui est celle de la psychologie "intuitive" et de la psychiatrie, ne permet jamais de décider si ces "explications" imaginaires ont un rapport autre que métaphorique avec la réalité. Parmi la multiplicité des "explications" proposées, rien, sinon notre fantaisie, ne nous permet d'en choisir une - qui serait "la bonne" - plutôt que de nombreuses autres, fausses en réalité, bien que tout aussi "plausibles" en apparence.

Pour bien faire saisir toute la différence de sens qu'il y a entre approche "descendante" pour concevoir et construire des robots humanoïdes, et la même approche "top-down", cette fois pour "tenter de comprendre l'organisation et le fonctionnement du système nerveux humain", répétons qu'au lieu de construire, en bons ingénieurs, une machine concrète avec des pièces matérielles bien définies, nos psychologues cliniciens et intuitifs et nos psychiatres "praticiens" élaborent, par l'approche "descendante" (top-down"), tels les rêveurs et poètes qu'ils ont toujours aimé être, à partir de concepts psychologiques a priori et réifiés et par l'imagination, un système nerveux imaginaire, d'organisation et de fonctionnement forcément tout aussi imaginaires.

Ils restent donc prisonniers de leur imaginaire conceptuel, sans espoir - ni apparemment désir ni besoin - de s'en évader pour revenir en quelque sorte sur un terrain solide. La démarche ainsi entreprise n'a rien de scientifique - ni même de pragmatique - et peut tout au plus être qualifiée de fiction romanesque, ou même de rêve de [science-] fiction reposant sur des pétitions de principe et des hypothèses invérifiables. Tant que nos "psys" et soignants s'en tiendront à l'approche "descendante" toute superficielle, sans que l'approche "ascendante" n'ait fourni à celle-ci une solide et large base concrète sur laquelle s'appuyer, ils ne se baseront que sur les croyances qui, peut-être, leur paraîtront personnellement les plus séduisantes ou qui flatteront le plus en eux le sentiment de leur originalité personnelle (qu'on pourrait aussi qualifier de "poétique" plutôt que de "scientifique").

Les médecins psychiatres matérialistes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle ont bâti des théories selon lesquelles les maladies mentales chroniques qu'aujourd'hui on appelle psychoses résultent d'altérations biologiques - donc bien matérielles ou "organiques" - du cerveau. Ils ne possédaient malheureusement pas encore les connaissances sur le système nerveux central que nous avons acquises depuis, et ils ne disposaient pas des moyens techniques d'investigation qui n'ont été développés que plus tard, relativement récemment, qui leur auraient permis de confirmer leurs hypothèses et de conforter leurs théories. Les altérations organiques du cerveau qu'ils estimaient à juste titre devoir exister n'étaient alors pas à la portée de leurs microscopes, ils ne pouvaient tout au plus que très logiquement les supposer. Comme ils ne pouvaient pas apporter la preuve de leur existence, leurs adversaires spiritualistes avaient beau jeu de les nier. D'où est née la fiction d'une distinction entre maladies mentales dites organiques (dont le seul exemple admis par certains jusqu'il y a peu était la paralysie générale résultant de l'atteinte du cerveau par le tréponème de la syphilis), et psychoses "fonctionnelles" dans lesquelles les "lésions" cérébrales restaient encore temporairement invisibles pour les "matérialistes" qui les postulaient. Puisque par conséquent elles n'étaient qu'hypothétiques, ces altérations n'étaient, aux yeux des spiritualistes, qu'une fiction médicale représentant une sorte de négation de l'esprit, une hérésie, une sorte de blasphème.

Pourtant, il y a de cela plus de 16 ans déjà, le neurophysiologiste et lauréat Nobel Eric Kandel disait déjà: "Diseases that produced anatomical evidence of brain lesions were called organic [in the nineteenth century - J.D.]; those lacking these features were called functional. [...] This distinction is unwarranted. [...] The basis of contemporary neural science is that all mental processes are biological and any alteration in those processes is organic." (E. Kandel, J.H. Schwartz & T.M. Jessel: Principles of Neural Science, p. 1028. Elsevier, third edition 1991) (Des affections entraînant des lésions anatomiques du cerveau étaient appelées organiques [au XIXème siècle - J.D.]; celles qui ne présentaient pas ces caractéristiques étaient appelées fonctionnelles. [...] Cette distinction est injustifiée. [...] La neuroscience contemporaine se base sur le fait que tous les processus mentaux sont biologiques et que toute altération de ces processus est de nature organique.)
Néanmoins, de nos jours encore et assez inexplicablement, il ne manque pas de psychologues cliniciens réputés qui s'obstinent à considérer les psychoses, telles que les schizophrénies et les troubles dépressifs bipolaires, par exemple, comme des "psychoses fonctionnelles". En leur faisant porter cette étiquette, inévitablement ils perpétuent la confusion inacceptable entre, d'une part la fiction de l' "altération psycho-[patho]-logique de l'esprit immatériel" et, d'autre part, la réalité qui aujourd'hui s'impose à nous d'une biopathologie altérant le support structurel organique dont le fonctionnement engendre le psychisme. (un exemple de cette confusion: Mary Boyle: Schizophrenia. A scientific delusion? pp. 32, 33. Routledge 2d edition, 2005. ISBN: 0-415-22717-8 ).

Dans un livre récent ayant recueilli un certain succès, un professeur psychologue clinicien anglais affirme: "There is no clear boundary between mental health and mental illness. Psychological complaints exist on continua with normal behaviours and experiences. Where we draw the line between sanity and madness is a matter of opinion." (Richard P. Bentall: Madness Explained. Psychosis and Human Nature., p.143. Penguin Books, London 2004. ISBN: 0-140-275540-1) (Il n'y a pas de frontière nette entre la santé mentale et la maladie mentale. Les plaintes psychologiques existent sur un même continuum que les comportements et expériences normaux. Là où nous traçons la limite entre la santé mentale et la folie, c'est affaire d'opinion.).
Voilà des affirmations qui risquent de rencontrer, à première vue, un large assentiment dans le grand public. Mais sont-elles exactes, correspondent-elles entièrement à la réalité? Quant à moi, je soutiens qu'elles comportent une erreur importante, qui ne peut qu'entraîner la confusion.
Ce sont seulement les "manifestations externes" de la santé mentale et de la maladie mentale, c'est-à dire des apparences superficielles, qui nous semblent, comme des fonctions mathématiques continues, se fondre les unes dans les autres, à la manière d'un "fondu-enchaîné" de cinéma. Mais cette analogie est fausse et les manifestations extérieures produites par notre cerveau résultent de l'activité des myriades de neurones "sous-jacents" qui, eux, ne se situent pas sur un continuum, mais sont des entités discrètes, discontinues que le psychologue oublie, parce qu'il ne peut voir que ce qui se passe en surface et croit pouvoir s'en contenter.

Aux évènements psychologiques qui émergent en surface, le psychologue trouve des raisons psychologiques de même nature et tout aussi superficielles qu'il appelle explications, bien qu'en réalité elles ne soient pas des relations de cause à effet, mais ne sont que l'interprétation plus ou moins arbitraire d'apparences et de coïncidences, de corrélations complexes dont il ignore les véritables origines et les "mécanismes" de leur production. Et ces successions observables et superficielles d'évènements psychologiques, il les dénomme "mécanismes psychologiques" (Richard Bentall, ibid.). Mais a-t-on le moindre droit d'appeler "mécanismes" des enchaînements [peut-être chronologiques] d'apparences? Est-ce donc bien le sifflet du chef de gare qui anime la locomotive, ou encore les aiguilles de l'horloge qui atteignent l'heure prescrite pour le départ du train selon l'horaire prévu?

J'ai déjà rappelé ailleurs (Illusions) ce que disait le psychologue U.S. Steven Pinker: "Many explanations of behavior have an airy-fairy feel to them because they explain psychological phenomena in terms of other, equally mysterious psychological phenomena. [...] These explanations are scams". (Steven Pinker, 1997, "How the mind works") (De nombreuses explications du comportement laissent une impression de farfelu, parce qu'elles expliquent des phénomènes psychologiques par d'autres phénomènes eux aussi psychologiques et tout aussi mystérieux. [...] De telles explications sont des arnaques.) En fait, de telles explications n'expliquent rien du tout, et rappellent la réponse de Sganarelle à Géronte qui lui demandait d'où venait que sa fille était muette: "Il n'est rien de plus aisé. Cela vient de ce qu'elle a perdu la parole." (Molière, "Le Médecin malgré lui").

Laisser croire que [bonne] "santé mentale" et "folie" seraient dans le prolongement insensible et continu l'une de l'autre, c'est délibérément oublier qu'on ne parle que de "manifestations" et d'apparences et qu'on néglige soigneusement de parler de ce qui donne naissance à ces apparences. Mais cet oubli permet aussi de prétendre que les "explications" qu'on donne aux apparences que prend la "folie" peuvent être les mêmes et aussi valables que celles qu'on s'est habitué à recevoir des comportements dits "normaux", alors que nous savons maintenant que ces "explications", déjà peu valables pour les bien portants, le sont encore moins pour les malades mentaux, car les apparences qu'elles prétendent "expliquer" ne prennent pas naissance grâce aux mêmes circuits et mécanismes neuronaux dans les deux cas.

Tant que l'approche "montante" ("bottom-up") dont on parlait plus haut n'aura pas beaucoup plus progressé encore qu'aujourd'hui, l'approche "descendante" ("top-down") ne pourra être que stérile et, dans le cas du système nerveux, elle restera l'illustration d'une mauvaise recherche. Je n'en veux pour preuve que l'aveu (involontaire!) même du professeur Richard P. Bentall à propos des idées délirantes: "[...] Whereas ten years ago there was hardly any evidence to discuss, we now have the opposite problem of trying to make sense of a wide range of research findings which can be interpreted in a variety of ways." (op.cit., p. 328). (Alors qu'il y a dix ans, il n'y avait quasi pas de preuves sur lesquelles discuter, nous sommes confrontés aujourd'hui au problème opposé, qui est de donner du sens à un large spectre de résultats de recherche qui peuvent recevoir des interprétations diverses.) (Ceci, comme tous les scientifiques le savent bien, est la caractéristique d'une "recherche" dont les méthodes et les questions qu'elle pose sont inadéquates aux buts prétendument poursuivis).

La tâche à accomplir pour comprendre l'organisation et le fonctionnement de notre système nerveux est à ce point gigantesque que nul aujourd'hui ne sait quand elle aboutira à des traitements vraiment efficaces ou à une certaine prévention des maladies mentales chroniques. Mais il faut savoir qu'on ne pourra se dispenser de cette recherche "biologique" dans le vain espoir d'en faire l'économie. C'est donc une priorité dont l'urgence ne peut être assez hautement proclamée. Tant que notre connaissance des mécanismes neuronaux normaux de nos processus mentaux ne sera pas plus étendue qu'elle ne l'est aujourd'hui, l'approche dite "descendante" et spéculative adoptée par une certaine psychologie et une certaine psychiatrie ne sera qu'une illusion à laquelle je suis persuadé qu'il ne faudrait pas consacrer une énergie qui serait mieux utilisée en aménagements sociaux.

Par conséquent, en attendant les percées décisives des neuroscientifiques, il faut trouver, pour les malades mentaux chroniques, des solutions médicales et sociales "palliatives" qui leur permettent de vivre une vie décente et supportable. Pareille ambition serait-elle trop modeste mais trop onéreuse comparée aux discours bien plus ambitieux de nos professionnels et politiques?


Première publication: 18 Juin 2007 (J.D.) Dernière modification: 18 Juin 2007

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