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DU POSITIF
Quelques gouttes d'espoir dans l'océan de la morosité...

"Experience has shown that the mechanistic question leads to scientific knowledge, while the teleological question does not."
Bertrand Russell: History of Western Philosophy
p. 73. Routledge 2004-2005 (1946), London.
ISBN 0-415-32505-6

(L'expérience a montré que répondre à la question mécaniste conduit à la connaissance scientifique, tandis que poser la question finaliste n'y conduit pas.)

Parmi les surfeurs du Net qui ont feuilleté les pages-écran du présent site, ou qui même auraient pris la peine de télécharger ("descendre") certains des fichiers au format PDF qui y sont disponibles, sans doute nombreux sont ceux qui pourraient n'en avoir retiré qu'un sentiment général de lassitude et de découragement. Il faut bien reconnaître que les sujets traités n'incitent guère à la joie.

Mais la "philosophie" qu'on a choisi de suivre sur ce site est d'y exposer, sur les maladies mentales chroniques et leurs traitements, sur les conditions de vie de leurs victimes, la vérité telle qu'elle est, telle que les scientifiques actuellement la connaissent, et aussi telle que la vivent les malades et leurs proches. Cette réalité-là est, le plus souvent, difficile à admettre. C'est pourquoi, ailleurs, pour la rendre plus "acceptable", on la travestit et on l'enjolive presque toujours. Mais, la rendre plus acceptable, n'est-ce pas s'y résigner plutôt que tenter de la changer pour l'améliorer? L'enjoliver sous prétexte de l'adoucir, n'est-ce pas vouloir se bercer d'illusions, au risque de désillusions plus amères encore?

Ici, on croit au contraire qu'il faut se battre: contre les affections mentales et, en attendant d'avoir pour cela les armes décisives qui manquent encore aujourd'hui, il faut se battre aussi pour l'aménagement et l'amélioration des conditions de vie des malades mentaux. Il faut encourager activement la recherche biologique sur le développement, l'architecture et le fonctionnement de notre cerveau; pour améliorer l'avenir des malades mentaux, il faut utiliser les progrès de nos connaissances biologiques, mais aussi les progrès technologiques que nous avons déjà.
Pour combattre efficacement un ennemi et espérer le vaincre un jour, il faut, non seulement bien connaître les forces et les faiblesses de cet ennemi, mais aussi connaître ses propres forces et ses propres lacunes. Aucun moyen contribuant à cet effort de connaissance ne peut être négligé.
Exemple parmi d'autres de ressources inexploitées dans notre pays, l'imagerie médicale assistée par ordinateur, pourtant déjà disponible en Belgique, est porteuse d'immenses promesses pour améliorer la compréhension des affections mentales. Pourquoi nos chercheurs ne l'explorent-ils pas en collaboration avec les psychiatres? Est-ce donc à ce point trop cher en comparaison du prix payé, tant pour les "traitements", les "soins", les "mesures sociales", ou en comparaison du prix inappréciable des souffrances qui continuent de s'accumuler?
Bien sûr, les résultats de la recherche sont rarement immédiats mais, si la recherche ne se fait pas, on aura beau les attendre jusqu'à la fin des temps...

A l'échelle planétaire, la recherche se poursuit dans de nombreux pays. Sur cette page, dès qu'on en aura connaissance, on s'efforcera d'attirer l'attention sur les avancées qui paraissent prometteuses.

1. C'est ainsi qu'une percée récente semble avoir été réalisée en ce qui concerne le traitement de la dépression majeure (dépression unipolaire) et l'atténuation des épisodes dépressifs des troubles bipolaires. Les chercheurs de psychiatrie biologique ont montré qu'on peut sensiblement diminuer la fréquence des épisodes dépressifs des troubles bipolaires, mais aussi atténuer très significativement les manifestations de la dépression majeure (unipolaire) par des stimulations électriques du nerf vague (la dixième paire de nerfs crâniens, ou nerf X, parfois encore appelé de l'ancien nom de nerf pneumogastrique).
Qu'on se rassure tout de suite! Les stimulations électriques dont il est question délivrent au nerf X des impulsions dont l'intensité et la fréquence sont tout à fait comparables à ce qui peut naturellement circuler dans un prolongement de cellule nerveuse. Il ne s'agit donc aucunement d'une sorte d' "électrocution" ou d'une version améliorée de ces "électrochocs" dont la sinistre réputation est encore toujours vivace dans la mémoire de certains.
La technique actuellement utilisée consiste à implanter une sorte de "pacemaker" sous la peau du thorax. Il en part des fils conducteurs qui, par un trajet sous-cutané, rejoignent le nerf vague dans le cou. (L'intervention chirurgicale et l'implant sont chers et ne sont pas encore remboursés par la sécurité sociale en ce qui concerne les malades dépressifs. Un remboursement est prévu depuis peu pour ce même traitement s'il s'adresse à des patients souffrant d'épilepsie: v. ZARgezondheid4jaar . Espérons que l'intervention INAMI s'étendra bientôt aux patients dépressifs pouvant bénéficier de ce traitement.)
Les effets favorables sont beaucoup mieux ciblés que ceux obtenus par la prise de médicaments antidépresseurs. Ces derniers, en effet, agissent sans distinction sur l'ensemble des structures cérébrales, c'est-à-dire également là où cela n'est pas indiqué (d'où des effets secondaires indésirables). La stimulation du nerf X, par contre, parvient à un groupe localisé de cellules nerveuses de la moëlle allongée (le "noyau du faisceau solitaire" des neuroanatomistes). Ainsi stimulés, les neurones de ce noyau vont à leur tour envoyer des influx à d'autres noyaux voisins (dont le "locus coeruleus") dont les médiateurs synaptiques sont la noradrénaline et la sérotonine. Ce sont ces médiateurs-là dont dépend l'activité plus ou moins grande dans les circuits cérébraux plus "haut" situés qui influencent nos "états d'humeur" (et avec lesquels les médicaments antidépresseurs interfèrent, mais cette fois globalement, sans distinction de leur origine).
Il y aura sans doute encore des améliorations techniques à apporter à cette thérapeutique, mais on peut d'ores et déjà dire qu'on a trouvé une bonne piste.

(Pour plus de renseignements sur cette innovation, voir http://www.biopsychiatry.com/vagus/index.html )


2. Signalons aussi un développement technologique intéressant survenu en Angleterre (annoncé en janvier 2002). Des chercheurs de l'Institut de Psychologie (dépendant du King's College de Londres), sous la direction du physicien Derek Jones, ont mis au point une modification de la programmation informatique des appareils de IRM (Imagerie de Résonance Magnétique). Cette modification (appelée "VIVID") permet d'observer, sur le vivant et de manière non invasive, les trajets nerveux myélinisés (la "substance blanche") reliant, dans le cerveau, différents territoires cérébraux entre eux. Jusqu'à présent, ces faisceaux ne pouvaient pas être mis en évidence par les techniques d'imagerie in vivo disponibles.
On sait qu'une des hypothèses les plus plausibles expliquant certaines des manifestations de la schizophrénie est que, au cours du développement cérébral, certains territoires cérébraux ne se relient pas les uns aux autres de manière correcte, ce qui les empêcherait par conséquent d'évoluer normalement et de collaborer efficacement entre eux par la suite.
Les chercheurs anglais sont actuellement en train de comparer ces connexions chez des volontaires en bonne santé et chez des malades, notamment chez des malades atteints de schizophrénie. Bien qu'il soit beaucoup trop tôt encore pour espérer retirer de ces travaux des thérapeutiques nouvelles et décisives, ces recherches pourraient permettre néanmoins, assez rapidement, d'aider à mieux choisir à l'avance, pour chaque malade, la médication qui devrait s'avérer la plus favorable pour son cas particulier (ce qui n'est pas possible encore aujourd'hui).
Nous regrettons, à nouveau, de devoir constater qu'en Belgique, les techniques d'imagerie cérébrale sont, à la fois considérées comme trop chères par les pouvoirs publics, et décriées comme étant une "technicisation" excessive par certains de nos "professionnels psy" de la "santé mentale". Se prenant pour des poètes, préférant encore, à l'ère des traitements de texte sur PC, taquiner leur muse avec une anachronique (mais combien snob!) plume d'oie, nos psys ne semblent donc pas pressés de s'y intéresser vraiment. Espérons que l'exemple des Anglais leur change un jour les idées (ou leur en donne)...

Une fois de plus, le progrès viendra sans doute de différents côtés (mais pas de la psychiatrie elle-même, du moins telle qu'elle est pratiquée ajourd'hui dans notre pays!) Les exemples les plus frappants de progrès seront probablement donnés d'abord par les neurologues et les neurochirurgiens se basant sur les données apportées par les neurophysiologistes et les neuroanatomistes. Les psychiatres seront alors bien forcés de suivre le mouvement, à moins de devoir "passer la main". Les progrès annoncés sont déjà en marche. Ils résultent, entre autres, de très nombreuses études (des milliers de cas!) réalisées sur des patients atteints de maladie de Parkinson, p.ex., et aussi des avancées techniques (imagerie cérébrale, etc.). Ils font partie de ce que certains appellent déjà la "psychochirurgie", dénomination qui, chez les personnes mal informées, risque de faire resurgir d'anciens mauvais souvenirs et de provoquer des polémiques passionnées.

En effet, les interventions de neurochirurgie (leucotomies, lobotomies) pour des indications psychiatriques furent pratiquées dans les années 1940 et 1950. Premièrement, les connaissances neuroanatomiques et neurophysiologiques de l'époque étaient bien plus lacunaires que celles dont nous disposons aujourd'hui. Très aléatoire, la décision d'intervenir chirurgicalement pour telle ou telle "indication psychiatrique" correspondait souvent plus à une sorte de loterie qu'à une décision basée sur des connaissances neuroanatomiques assez solides et assez précises. Deuxièmement, les interventions neurochirurgicales pratiquées alors étaient, nécessairement toujours et uniquement destructrices, ce qui veut dire que leurs conséquences, favorables et non favorables, étaient irréversibles. D'autre part, la précision avec laquelle on parvenait à localiser et à délimiter l'étendue des lésions chirurgicales (par stéréotaxie) était fort grossière en comparaison de ce que nos capacités techniques actuelles nous permettent déjà (et qui ne cessent de s'affiner encore).

Aujourd'hui, il est devenu possible de stimuler le cortex cérébral au moyen de courants induits par des champs magnétiques variables extérieurs à la boîte crânienne, sans qu'il soit nécessaire d'implanter des électrodes (stimulation magnétique transcranienne ou SMT). La SMT a déjà été utilisée avec succès pour le traitement de la dépression, qu'elle soit unipolaire ou bipolaire. Par rapport à la sismothérapie (électro-convulso-thérapie ou ECT, "électrochocs"), la SMT présente de très grands avantages: elle ne nécessite pas de narcose ni d'anesthésie, le patient reste conscient et participe au traitement. Celui-ci n'entraîne pas de troubles cognitifs (pas d'amnésie rétrograde, par exemple).

Des aménagements et améliorations techniques peuvent être prédits pour un avenir peut-être proche: 1) l'amélioration du pouvoir de résolution des techniques d'imagerie (leur précision), ce qui permettra de visualiser et de cibler de mieux en mieux la (/les) structure(s) à stimuler; 2) l'amélioration de la précision - et donc de la sélectivité - des sondes de stimulation, 3) la stimulation de territoires cérébraux ("afférents" de la cible à influencer) contenant des neurones inhibiteurs, ce qui rendra inutile le recours à des interventions destructrices irréversibles.
A l'heure actuelle, ce sont les TOC (troubles obsessionnels compulsifs) qui semblent devoir être les premiers pour lesquels cette "psychochirurgie de seconde génération" serait entreprise. Certaines dépressions rebelles aux traitements actuels devraient logiquement être les suivantes sur la liste.


3. Depuis quelques années, les chercheurs (dans d'autres pays que le nôtre) s'efforcent d'établir des corrélations entre, d'une part les déficits cognitifs, les anomalies cérébrales structurales et fonctionnelles, et d'autre part des "catégories" distinctes de schizophrénies qui correspondraient à une classification basée sur des critères plus solides que ceux actuellement utilisés, qui sont intuitifs, arbitraires et donc discutables. Il semble bien qu'ils y arrivent: en détectant l'absence ou la présence de certains déficits de diverses modalités de mémoire (par des tests neuropsychologiques) qu'ils peuvent corréler avec des anomalies anatomiques cérébrales (visualisées par imagerie TEP et IRM). Il est désormais possible de distinguer des schizophrénies où les atteintes pathologiques des cortex cérébraux temporaux prédominent, et des schizophrénies où ce sont surtout le cortex frontal et le striatum qui seraient touchés. Ceci conforte l'hypothèse controversée de l'hétérogénéité du syndrome schizophrénique et devrait permettre, à l'avenir, entre autres de mieux adapter la médication en fonction des territoires cérébraux atteints par l'affection, c'est-à dire en fonction du "type" clinique de schizophrénie à soigner.
(Turetsky, B.I., et al., Neuropsychol. 16, 481-490, 2002)


4. La stimulation magnétique transcranienne (SMT) du cortex temporo-pariétal gauche a récemment été mise en oeuvre dans des cas de schizophrénie (et de "psychose schizo-affective") dont les manifestations d'hallucinations auditives s'étaient montrées résistantes aux traitements par neuroleptiques. Les résultats encore préliminaires de ces essais montrent une rémission - ou au moins une atténuation significative en fréquence et en intensité - des hallucinations auditives, se prolongeant pendant au moins 15 semaines chez la moitié des patients traités. Aucun effet neuropsychologique secondaire défavorable n'a été signalé. Ces recherches se poursuivent et représentent une future possiblité additionnelle de traitement.
(Hoffman, R.E., et al., Arch Gen Psychiatry. 60, 49-56, 2003)


5. Depuis longtemps déjà, on avait remarqué que "la" schizophrénie se déclare en moyenne de 5 à 10 ans plus tard chez les femmes que chez les hommes, ce qui pouvait laisser supposer que les hormones sexuelles femelles (les oestrogènes) pourraient exercer "une influence protectrice" sur le cerveau féminin contre cette affection. Des équipes internationales de chercheurs (Australie, U.S.A., Ecosse) suivent actuellement cette piste. Ils ont observé que chez les femmes atteintes de schizophrénie, l'intensité des signes et symptômes peut subir des fluctuations en phase avec le cycle hormonal et menstruel, en accord avec l'hypothèse de départ. Des études préliminaires semblent montrer une potentiation des effets favorables de la médication neuroleptique par l'adjonction (sous forme de patch cutané) de faibles doses d'oestradiol (inférieures à celles qu'on trouve dans les pilules contraceptives).
Des essais préliminaires ont aussi été pratiqués pendant deux semaines chez plus d'une trentaine de volontaires de sexe masculin. Chez eux aussi, des effets favorables ont été rapportés, dont on a dit qu'ils étaient très nets. Dans le sexe mâle, l'administration prolongée d'oestrogènes ne peut évidemment être envisagée telle quelle. Si ces premiers résultats encourageants se confirment, il faudra mettre au point des molécules dérivées des oestrogènes, interférant avec les récepteurs neuronaux pour ces hormones, mais qui soient dépourvues d'effets en dehors du cerveau (dépourvues d'effets "féminisants" généraux).
Les mécanismes par lesquels ces effets favorables sont produits ne sont pas encore élucidés; il faudra quelque temps pour établir quels sont les circuits cérébraux (surtout hypothalamiques) impliqués, mais on sait, déjà maintenant, où regarder plus précisément (par imagerie du cerveau - RMN).
(Kulkarni, J., & al., Arch. Women Ment. Health 5(3), 99-104, 2002)

Les conclusions de cette publication ont depuis lors été mises en doute: à cause des nombres trop faibles de patientes traitées dans différentes études passées en revue, et à cause de méthodologies hétérogènes. Pour pouvoir conclure (dans un sens comme dans l'autre), il faudra attendre de disposer de cohortes de patientes plus importantes et de traitements plus comparables entre eux.
(W.L. Chua & al., The Cochrane Database of Systematic Reviews 2005, 4, Art No:CD004719. DOI:101002/14651858. CD004719pub2. )


6. Dans la même ligne que le point précédent, partant du constat des effets "psychologiques" de la DHEA (la déhydroépiandrostérone, un métabolite physiologique des stéroïdes sexuels, un moment préconisé comme traitement de confort "anti-âge" par le professeur français Beaulieu), des chercheurs israéliens ont administré ce stéroïde pendant 6 semaines à des patients schizophrènes des deux sexes, en plus de leur traitement neuroleptique habituel. Sans influence décelable sur les signes "positifs" de l'affection, la DHEA a pourtant exercé un effet favorable sur les signes et symptômes négatifs (qui, jusqu'à présent et quoi qu'en disent les firmes pharmaceutiques, ne sont que fort peu améliorés par les neuroleptiques). Les effets bénéfiques significatifs sur les signes négatifs, l'anxiété et la dépression étaient plus marqués chez les femmes que chez les hommes. Ces résultats préliminaires (30 patients seulement jusqu'à présent) demandent évidemment à être confirmés chez un nombre plus élevé de patients.
(Strous, R.D., & al., Arch. Gen. Psychiatry 60(2), 133-141, 2003)


7. On s'obstine généralement à oublier que le cerveau est une machine extraordinaire composée de quelque cent milliards de neurones conversant les uns avec les autres de manière coordonnée après avoir établi entre eux, (au cours du développement foetal puis dans l'enfance et jusqu'à l'âge adulte), d'innombrables réseaux de communication.
Comprendre comment les anomalies des fonctions mentales et du comportement prennent naissance, cela suppose de déchiffrer ce labyrinthe d'une immensité et d'une complexité uniques (sans commune mesure avec quelque autre objet à quoi l'homme se soit jamais attaqué). Cela suppose aussi de connaître les étapes successives du développement et de la mise en place de cette immense toile d'araignée jamais en repos qu'est notre cerveau.

Il ne suffit pas d'observer que, chez les malades mentaux, la fonction d'un médiateur synaptique (p.ex. la dopamine) semble altérée dans certains territoires cérébraux. Il faut aussi se rendre compte que toute altération constatée dans une des mailles de l'immense réseau neuronal, non seulement influence - et altère - la structure et le fonctionnement d'autres mailles (en aval ou plus tardives), mais qu'elle est peut-être elle-même la conséquence d'altérations d'autres mailles (en "amont" ou plus anciennes). Il n'y a donc pas d'altération qui se limiterait à un seul médiateur synaptique et qui "expliquerait" toutes les manifestations d'une affection mentale chronique: toute altération neuronale retentit nécessairement sur un nombre indéterminé d'autres neurones et de leurs circuits, elle modifie aussi les actions d'autres médiateurs synaptiques, et ceux-ci, à leur tour, provoquent d'autres altérations, etc., etc.
En résumé fort simpliste, pour pouvoir soigner efficacement, il faut comprendre "la machine". Il faut "débrouiller" les innombrables cascades de causes et de conséquences qui conduisent à la formation d'un cerveau qui "fonctionne bien", et il faut reconstituer les enchaînements défectueux qui ont pour conséquence l'apparition des "maladies" mentales, c'est-à-dire la formation d'un cerveau qui "ne fonctionne pas bien".

Cette tâche fondamentale, on conçoit qu'elle ne puisse être que titanesque et de longue haleine, et qu'elle nécessite la collaboration de nombreuses équipes de chercheurs, tant "fondamentaux" que "cliniciens", de disciplines fort diverses: psychiatres, psychologues, neurologues, biologistes, généticiens, statisticiens, biochimistes, cytologistes, etc., etc.
On peut donc se féliciter de l'existence du Conte Center for the Neuroscience of Mental Disorders, réunissant de nombreux chercheurs de plusieurs universités des U.S.A., qui se sont attelés à cette tâche monumentale, essentielle et indispensable, constituée actuellement de sept programmes différents mais complémentaires (université de Pittsburgh).
Evidemment, personne aujourd'hui ne peut dire quand des conséquences pratiques de ces recherches deviendront disponibles pour les malades. Cependant, nous pouvons être optimistes: les résultats de la recherche étant cumulatifs, celle-ci ne peut aller qu'en s'accélérant.


8. Tout récemment, une équipe de chercheurs (U.S., Canada, Taiwan) a montré qu'on peut, avec une grande fiabilité (95-97%), à partir d'un simple prélèvement sanguin, identifier les malades atteints de schizophrénie, ceux souffrant de troubles bipolaires, les distinguer les uns des autres et des personnes indemnes (les "témoins") grâce à l'examen de l'ARN de leurs cellules sanguines ("microarray analysis" [génomique]).
Ceci pourrait constituer une première percée décisive dans le domaine du diagnostic biologique et objectif de ces affections en nous donnant enfin quelques uns de ces "marqueurs biologiques" dont, depuis si longtemps, les uns insinuent qu'ils n'existeraient pas, pour tenter de ridiculiser les efforts des autres pour les trouver.
(Ming T. Tsuang & al., Am. J. Med. Genetics, 133B, 1., 1-5, 2005.)


9. Les "adjuvants" aux traitements neuroleptiques et "psychotropes".


10. Effectuée par des chercheurs israéliens, une étude récente portant sur 34 patients atteints soit de schizophrénie, soit d'un syndrome schizo-affectif, a consisté à leur administrer, pendant une semaine, en plus de leur traitement neuroleptique habituel (qui provoquait des signes extrapyramidaux), une dose quotidienne de 100 mg de DHEA (déhydroépiandrostérone, vide supra). Cette adjonction au traitement neuroleptique a significativement réduit les signes extrapyramidaux, sans toutefois influencer l'akathisie (ou "acathisie") due au neuroleptique. Ces résultats demandent à être confirmés sur des nombres plus grands de patients et des temps plus longs.
(T. Nachshoni & al., Schizophrenia Research 79 (2), 251-256, 2005 )


11. Le glycocolle (glycine) auquel on se référait plus haut circule dans l'organisme grâce à des transporteurs; la sarcosine (N-méthylglycine) inhibe l'un de ces transporteurs (ce qui revient à élever les taux synaptiques locaux de glycine). Dans une récente étude portant sur 65 patients en phase aiguë de schizophrénie, des chercheurs taiwanais ont observé une potentiation manifeste des effets favorables du traitement par la rispéridone ("Risperdal") en adjoignant (pendant 6 semaines) au neuroleptique 2 grammes/jours de sarcosine dans l'alimentation. Bien que les nombres de patients de cette étude soient encore peu élevés et que la durée des observations soit courte, les résultats obtenus sont néanmoins cohérents avec ceux, favorables, déjà observés pour le glycocolle. Les auteurs prévoient de poursuivre cette recherche et d'augmenter le nombre des patients.
(H.-Y. Lane & al., Arch. Gen. Psychiatry 2005; 62: 1196-1204)


12. On ne dispose jusqu'à présent, pour les schizophrénies, par exemple, d'aucun "marqueur biologique" validé (confirmé scientifiquement) qui permettrait d'une part de poser le diagnostic de l'affection, d'autre part de prédire de façon assurée sa réponse à un traitement donné. (Les "marqueurs biologiques" d'une affection sont ces produits de notre organisme dont soit la présence, ou l'absence, ou la concentration anormales - résulte de l'affection et en signe l'existence). Cette lacune qui handicape encore toujours lourdement la recherche nous est opportunément rappelée par le Dr R. Kaddurah-Daouk (PLoS Med 3(8):e363, août 2006). Mais ceci pourrait bientôt changer grâce aux progrès techniques avançant à pas de géant (cette "technomédecine si décriée par certains "culturopsys" de chez nous).

Nous commençons en effet à disposer de méthodes automatisées d'analyse permettant d'établir le "profil" de l'ensemble des protéines et peptides, des sucres, des composés lipidiques qui se rencontrent (normalement et anormalement) dans les liquides biologiques (plasma, LCR) des malades et des personnes en bonne santé. Cette tâche est à ce point gigantesque qu'elle était, il y a peu encore, difficilement envisageable (tout comme pour le déchiffrement du génome humain!). (Les profanes pourraient se faire une vague idée des résultats que ces méthodes fournissent, en les comparant à ces spectres des émissions lumineuses qui nous sont envoyées par les étoiles, qui nous permettent d'en analyser les composants et leurs importances quantitatives).

Les recherches de plusieurs équipes, au moyen de ces techniques, sur des maladies mentales telles que les schizophrénies, les dépressions, les TOC, ont commencé. Les résultats ne portent encore que sur des nombres trop peu élevés de patients pour qu'on puisse en tirer des conclusions générales. Ils permettent néanmoins déjà d'espérer que ces techniques d'analyse constituent une aide précieuse au diagnostic et au choix du neuroleptique le mieux adapté à chaque malade en particulier.
(Holmes, E. & al.: PLoS Med 3(8): e327, et Huang, J.T.-J., & al.: PLoS Med 3(11): e428)


13. Depuis maintenant une bonne dizaine d'années, les chercheurs se sont intéressés aux anomalies de l'odorat observées chez certains malades schizophrènes. Tout récemment, on a pu établir que ces malades, qui présentent, dans leur transpiration, un métabolite de l'acide hexénoïque qui lui confère une odeur particulière, sont moins sensibles à cette odeur que les individus en bonne santé. Cette insensibilité coïncide aussi avec une importance plus marquée de "symptômes négatifs" et de "désorganisation". L'insensibilité à l'odeur du dérivé de l'acide hexénoïque était plus fréquente chez ceux des malades qui étaient insensibles aux phéromones.
Les chercheurs australiens sont actuellement en train de mettre au point un "kit" test d'odorat très simple d'emploi (languettes de plastique à gratter et à "renifler") qui devrait permettre de détecter très précocement, non seulement les malades dès le début des manifestations de l'affection , mais déjà pendant la période prodromique (et peut-être déceler des anomalies de même nature chez les membres de la famille...). Ce test devrait aussi permettre de prévoir le "type" de schizophrénie auquel on devrait s'attendre.
[On sait que le cortex olfactif est un des plus anciens phylogénétiquement, qu'il reçoit des afférences dopaminergiques, et on a montré que, si on le compare à celui de personnes en bonne santé, son volume est diminué chez les personnes atteintes de schizophrénie.]
Les surfeurs intéressés pourront trouver des indications sur schizophrenia.com et une abondante bibliographie sur sensonics.com.


14. Dans un communiqué de presse daté du 6 décembre 2010, la firme pharmaceutique Roche a annoncé les résultats de l'étude multicentrique (de phase II) de 8 semaines portant sur quelque 323 patients atteints de schizophrénie "à symptômes principalement négatifs". Ces patients ont reçu une dose quotidienne (trois posologies testées vs un placebo) d'une nouvelle molécule (RG1678) inhibitrice de la recapture de la glycine (ou glycocolle déjà évoqué plus haut), en plus de la médication neuroleptique qu'ils recevaient déjà auparavant. Une amélioration d'au moins 20% des "signes négatifs" a été constatée.
Le communiqué ne dit pas à quelle date on envisage de pouvoir mettre le nouveau médicament sur le marché.


15. Alors que déjà l'année 2011 touche bientôt à sa fin, le diagnostic des affections psychotiques est encore toujours basé uniquement sur la clinique, ce qui implique qu'il nécessite presque toujours des temps d'observation très longs et de nombreux et fastidieux "tâtonnements". Mais l'actuelle accélération quasi explosive des progrès des techniques d'analyses biochimiques automatisées permet désormais d'explorer en une fois un spectre de plus en plus étendu de métabolites aussi bien dans le sang que dans les urines ou le LCR (liquide céphalorachidien) des malades. Ces progrès technologiques rendent enfin accessible pratiquement la recherche des "biomarqueurs" des affections mentales, recherche qui, jusqu'à présent, s'apparentait plus à la chasse, non pas d'une aiguille dans une botte de foin, mais plus à celle d'un grain de poussière dans un immense fenil (v. aussi le point 12 ci-dessus).
Des chercheurs chinois en collaboration avec des scientifiques U.S. sont ainsi parvenus à distinguer correctement (à 100%) les malades des non-malades, à partir d'un "panel" de différents métabolites dans le sérum, l'urine et le LCR prélevés chez 112 malades récents et non médiqués comparés à 110 volontaires sains. Prudents, ces chercheurs disent vouloir confirmer leurs résultats en multipliant le nombre de cas testés. Mais on avance!
J Yang, T Chen et al., : Molecular Psychiatry advance online publication 25 October 2011; doi: 10.1038/mp.2011.131


16. L'ocytocine (oxytocin en anglais) est un nonapeptide (9 aminoacides) secrété dans le cerveau (dans les noyaux magnocellulaires de l'hypothalamus, connus sous les noms de noyaux supraoptiques et paraventriculaires). Les extrémités axonales des neurones de ces noyaux se regroupent dans la neurohypophyse où ils accumulent leurs transmetteurs - dont l'oxytocine - sous la forme depuis longtemps bien connue des "corps de Herring", inclusions dont ils déversent ensuite le contenu dans la circulation sanguine (après avoir séparé le peptide de sa protéine transporteuse). C'est un des exemples le mieux connu du phénomène qu'on a appelé la "neurosécrétion", et aussi d'une chaîne réflexe neuro-humorale. Chez les mammifères, dont l'espèce humaine, cette hormone est responsable, principalement, de la contraction du muscle utérin lors de l'accouchement, et du réflexe d'éjection du lait lors de l'allaitement, qui est provoqué par la stimulation du mamelon par la tetée du nourrisson. Assez récemment, on s'est aperçu que l'ocytocine n'agit pas seulement sur des tissus périphériques situés en dehors du cerveau, mais influence également directement celui-ci en exerçant des effets sur les réactions affectives et les relations sociales, ce qui a motivé certains à appeler ce peptide l'hormone de l'amour (voyez Lee et al., 2005)
Des travaux cliniques sur l'homme (Feifel, D. et al., Biol Psychiatry 2010;68:678-680) font état de l'effet favorable sur les symptômes de la schizophrénie de l'administration d'ocytocine en spray nasal. Des résultats favorables comparables ont été obtenus lors d'une étude portant sur des patients non plus schizophrènes, mais atteints de troubles du spectre autistique (Andari, E. et al., PNAS, 107(9), 43-89, 2 mars 2010). Ces résultats sont encore trop limités pour qu'on puisse proposer et généraliser un traitement par ocytocine supplémentant en routine celui de tous les patients souffrant de schizophrénie. Mais il me semble qu'on pourrait sérieusement envisager, en début de traitement, d'au moins vérifier par de simples tests préalables la possible efficacité de pareil adjuvant peu difficile à mettre en œuvre.


17. Il semble bien qu'on redécouvre, mais de nos jours seulement, une technique non invasive de traitement de troubles du cerveau qu'on connaissait pourtant depuis longtemps (voyez ici) mais qui avait été abandonnée et pour ainsi dire oubliée en faveur, tout d'abord de l'électroconvulsivothérapie (les électrochocs) souvent efficace sur les dépressions sévères (mais qui a gardé de ses débuts - à vrai dire peu engageants - une mauvaise réputation dans le public), et plus récemment par la stimulation magnétique transcrânienne dont les indications thérapeutiques pourraient se multiplier pour diverses affections (dont les schizophrénies).
La stimulation électrique transcrânienne par courant continu (sigle anglais: tDCS) a été expérimentée sur des patients schizophrènes par différentes équipes de chercheurs (France: Université de Lyon: Bron - Le Vinatier: 2012 ; Harvard, U.S.A: 2011; Sidney, Australie: 2011). Des résultats prometteurs ont été obtenus sur les hallucinations, les signes "positifs" et "négatifs", et sur les processus de pensée associative.
L'appareillage ainsi que la technique mise en œuvre sont beaucoup moins lourds et moins onéreux, tant financièrement qu'à l'usage, que ce qui est nécessaire pour la stimulation magnétique transcrânienne. Les essais n'ont jusqu'à présent porté que sur un nombre limité de patients, mais ils se sont avérés dépourvus de séquelles négatives. On peut donc espérer que ces essais vont bientôt se multiplier, et que leurs indications vont rapidement se préciser.


18. Dans la question 3 de la FAQ, j'évoquais déjà les études ayant porté sur les effets de la consommation de cannabis suspectée de favoriser l'apparition d'une schizophrénie. Ces études ont été à l'origine de controverses et de polémiques dans le public, sur la nocivité de cette addiction (les amateurs de joints ne voulant pas y "croire", les opposants étant bien évidemment de l'opinion contraire). Les résultats parfois en apparence discordants de ces études pourraient s'expliquer par l'hétérogénéité des préparations de cannabis mis en circulation par un commerce à l'origine souvent plus ou moins clandestin, au contrôle pharmacologique et médical sans doute quasi absent, conditions peu favorables à la constance de composition et à la qualité de produits distribués "sous le manteau". Plusieurs études ont depuis démontré qu'un "cannabinoïde", le cannabidiol (CBD), possède des propriétés antipsychotiques - même plus marquées que celles du médicament "amisulpride". Cette molécule naturelle coexiste avec le Delta9- tétrahydrocannabinol (THC) dans les préparations d'herboristerie de marijuana. Les deux composants exercent, directement et indirectement, des effets opposés sur les récepteurs cérébraux au cannabis: le THC favorise les manifestations psychotiques, le BDC au contraire les atténue.
Je n'ai toutefois pas connaissance de publications d'études cliniques multicentriques menées actuellement à grande échelle sur l'usage thérapeutique en psychiatrie du CBD. Pareilles études ne devraient sans doute pas tarder à être publiées, car le CBD, sorte de molécule "polyvalente" (ne disons pas "miracle"), serait aussi doué de propriétés anticancéreuses.
Voyez aussi:


19. L'administration d'acide folique (vitamine B9) et de vitamine B12, ainsi que de choline ou de phosphatidyl choline, chez les mères pendant la gestation et les nourrissons pendant les premiers mois après la naissance, se justifie par le "principe de précaution" et les explications détaillées, trop longues pour figurer ici, en sont données dans l'article "Progrès Divers".


Première publication: 28 Juillet 2001 (J.D.) Dernière modification: 8 avril 2013

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