Chap. VII
Note 5

La majorité des psychiatres ne se rendent pas au domicile du patient.

Une majorité de nos psychiatres ne se rendent pas au domicile d'un patient dont l'entourage les appelle, même en cas de "crise" ou d'urgence. Certains psychiatres prétendent même, ce qui est faux, que cela leur est interdit par des accords qu'ils auraient passés avec l'INAMI (l'équivalent belge de la CNAM en France) et avec les syndicats et associations de médecins généralistes.

Les familles ont du mal à comprendre cette attitude, mais je crois qu'on peut lui trouver, sinon rien que d'excellentes excuses, du moins des explications très plausibles et des "circonstances atténuantes".

En cas d'urgence ou de crise, supposons que le psychiatre se rende au domicile du malade. Une fois sur place, que voudriez-vous qu'il fasse? Croyez-vous que sa seule apparition sur place suffise à calmer une situation agitée et incohérente?

Nos psychiatres ne sont pas le "négociateur" à la fois intrépide et expert en "psychologie appliquée" dont les séries policières télévisées nous montrent les improbables interventions et exploits pour dénouer, par exemple, des prises d'otages. Ils ne sont pas les impavides auxiliaires de la police en action et ne résolvent pas, sur le terrain, les conflits violents pour lesquels, habituellement, on appelle les représentants de l'ordre. Eventuellement, ils se pointeront plus tard, quand les choses se seront calmées et qu'on les requerra pour décider du sort des personnes impliquées: la prison ou l'hôpital?

Nos psychiatres sont plus accoutumés à officier dans la confortable quiétude et la confidentialité de leur "cabinet de consultation". Ils y sont entourés d'un décor qui leur est familier, qui tout à la fois les sécurise et leur prête, aux yeux de leur patientèle ou clientèle, une certaine auréole de "sagesse" et d'autorité conférée par le savoir "scientifique" et professionnel qu'on leur suppose, ce savoir qui, de plus, est encore souligné par l'ambiance liée au décor.

Mais se rendre, seul de surcroît (sans "garde du corps", sans assistant[e] social[e], sans infirmier ni infirmière), en pays inconnu, sans savoir dans quel imbroglio on s'aventure? Risquer de devoir improviser dans l'instant, devoir peut-être même payer physiquement de sa personne plutôt que se donner, dans la sérénité de son bureau, le temps de la réflexion?
Ce serait là, pour un tacticien se croyant stratège, renoncer à un certain prestige et à tous les avantages sur "l'adversaire" conférés par la position privilégiée que constitue, au profit de l'expert, la place qu'il occupe dans son fauteuil, derrière son bureau, dans son cabinet. Ce serait renoncer à une bonne part de son autorité, ce serait discréditer d'avance l'hypothétique stratégie en risquant de dévoiler l'insuffisance, voire l'absence de la tactique.

La plupart de nos psychiatres s'estiment sans doute les "médecins de l'esprit". Ils pensent probablement qu'ils ‘soignent' l'âme immatérielle de leurs patients, ce qui les dispense de recourir à des moyens physiques et bien concrets pour atteindre cette âme dont, en réalité, ils n'appréhendent que le nom mais qu'ils sont incapables de concevoir autrement qu'en la réifiant. Ils devraient méditer cette parole de médecin, qui ne date pas d'aujourd'hui:
«L'homme est naturellement métaphysicien et orgueilleux; il a pu croire que les créations idéales de son esprit qui correspondent à ses sentiments représentaient aussi la réalité.» (Claude Bernard: Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris 1865). Une bonne part des échecs de nos psychiatres et de nos psychothérapeutes vient de la méconnaissance de cette vérité élémentaire.

Mais ne se satisfaire que de ces "vues de l'esprit" qu'on s'est fabriquées à force de rêveries revient à se condamner à l'inaction et, à la manière de mauvais généraux en chef, c'est se contenter d'une représentation indirecte et théorique de la bataille à laquelle on n'assiste soi-même que de loin et, en réalité, personnellement impuissant.

Pour prendre une autre comparaison, certes approximative mais peut-être plus parlante: quand la maison brûle, appelle-t-on l'architecte? Trouve-t-on anormal qu'il ne se rende pas aussitôt sur les lieux? Mais que pourrait-il donc bien y faire pour se rendre utile et ne pas gêner les sauveteurs dans leur travail?
Non, très raisonnablement on appelle les pompiers et peut-être l'ambulance.
Quant à l'architecte, on le mettra au courant plus tard: quand, une fois le feu éteint et l'émotion retombée, il faudra déblayer et reconstruire. Mais, si cela se trouve, il ne travaillera que sur plans, on ne le verra que peu sur le chantier: concepteur et penseur, il se fera donner, par l'entrepreneur et les responsables des différents corps de métiers présents sur place, les renseignements sur l'état d'avancement des travaux et, à cette occasion, il distribuera ses instructions que les exécutants du chantier, les vrais acteurs, s'efforceront de mettre en oeuvre.

Une majorité de nos psychiatres sont des théoriciens se voulant "penseurs". Ils ne sont des "praticiens de terrain" qu'en apparence et parce qu'ils veulent le laisser croire, à la manière de ces experts "sociologues" et "politologues" auxquels les médias font abondamment appel pour prédire notre avenir. Ils disent qu'ils "pensent", mais ils ne font qu'imaginer, et ils tentent de nous convaincre que ce serait la même chose.
Ils ont pris l'habitude de se borner à écouter le discours du patient, à en interpréter la signification possible d'après ce qu'un auditeur imaginatif (eux-mêmes) peut en recréer et reconstruire, c'est-à-dire qu'ils tentent de rationaliser rétrospectivement l'incompréhensible et l'absurde en lui trouvant des raisons qu'ils appellent abusivement des causes, ce qui est en soi-même une absurdité (puisque c'est précisément la raison qui fait ici défaut!)

Combien d'entre eux reconnaissent-ils que les causes, les vraies, ils les ignorent? Combien d'entre eux admettent-ils qu'ils ne les recherchent pas?
Ils ne s'attaquent qu'aux seules "causes" imaginaires qu'ils inventent. Voyez aussi
Revendication 10

Par conséquent, face à ces attitudes purement et délibérément spéculatives, la question de la réalité de l'efficacité pratique de la présence des psychiatres auprès des malades mentaux chroniques tels que les malades schizophrènes ne peut que susciter encore plus d'interrogations que ces professionnels n'y apporteraient eux-mêmes de réponses. En attendant, que deviennent les malades?


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