QUELLES sont les RETOMBÉES CONCRÈTES des laborieux efforts de CONCERTATION et de RÉFLEXION de nos nombreux penseurs belges francophones de la "SANTÉ MENTALE"?
"C'est promettre beaucoup; mais qu'en sort-il souvent?
Du vent."
Jean De La Fontaine: La montagne accouche d'une souris.
Le 10 octobre 2004 était, comme chaque année depuis 1991 paraît-il, "Journée mondiale de la santé mentale", à l'initiative de la World Federation for Mental Health (WFMH) et de la World Health Organization (WHO) ou OMS.
A cette occasion, l' "Institut Wallon pour la Santé Mentale" (IWSM, asbl, voyez Deux Ans) présentait un dossier de presse vantant les "actions" de cet IWSM (voyez ici - 130 K pdf), et le lecteur curieux du contenu de ce document pouvait aisément tirer de sa lecture quelques conclusions évidentes.
- Tout d'abord, ce que nos politiques wallons et francophones appellent pompeusement
l'Institut Wallon pour la Santé Mentale,
et qui serait, selon eux, un "organe permanent
de concertation" est en fait un rassemblement, un
conglomérat hétéroclite de représentants ou délégués
d'institutions, d'organismes et d'associations à missions et vocations
extrêmement diverses: ce fameux Institut est donc bien plus une espèce
d'organigramme d'un "forum" virtuel n'existant que sur le papier,
plutôt qu'un véritable organisme doté d'une tête
unique, d'une conscience unitaire, d'une volonté et de moyens propres,
c'est-à-dire possédant la cohérence et la cohésion
indispensables à un minimum d'efficacité.
- Ensuite, si les familles et "usagers" de la
"santé mentale" figurent bien parmi les membres de cet "Institut",
remarquons que les malades mentaux chroniques et leurs familles n'y sont pourtant
que très discrètement représentés, de manière
plutôt symbolique, pourrait-on dire. Sans doute faut-il voir là,
de nouveau, le reflet de cette conception prévalant parmi nos "responsables":
aux niveaux régional, national, européen et même mondial
(voyez l'OMS), l'expression de cette idée selon laquelle il
ne faudrait surtout pas confondre la "Santé Mentale"
- qu'on prétend "promouvoir" quoiqu'elle soit une utopie
métaphysique insaisissable - avec les
"maladies mentales",
c'est-à-dire avec les véritables malades mentaux chroniques
qu'on préfère ignorer ou oublier - parce qu'on
ne veut pas se donner les moyens de résoudre les problèmes qu'ils
posent à notre société, car sans doute on soupçonne
qu'on ne voudrait pas payer le prix des véritables solutions.
- Extrayons aussi un passage particulièrement significatif
de ce "dossier de presse": "Ensemble,
les partenaires participent à la promotion de la santé
mentale en Wallonie. Ils soutiennent une réflexion
permanente sur les problématiques de santé mentale,
partagent un questionnement sur les pratiques et la
qualité des interventions et travaillent les questions éthiques
qui traversent le champ de la santé mentale."
Examinons dans l'ordre les éléments de texte en italique soulignés ci-dessus (et qui l'étaient dans l'original).
La prétendue "promotion de la santé mentale" n'est en réalité qu'un attrape-nigaud, comme nous l'avons expliqué à plusieurs reprises sur ce site. Elle est néanmoins fort utile à certains par le prétexte commode qu'elle offre à tous ceux qui pensent plus à "promouvoir" et médiatiser leur propre image qu'ils ne se soucient d'améliorer réellement le sort des malades mentaux. Mais il est superflu d'y revenir à nouveau.
La "réflexion permanente (sic) sur les problématiques de santé mentale" n'est qu'une formule dénuée de signification, donc de portée pratique, dès lors que la "santé mentale" elle-même n'est, dans la conception de ses "promoteurs", qu'un fantasme indéfinissable, métaphysique et non "opérationnalisable", que ce soit objectivement et socialement ou seulement médicalement.
Quant au "questionnement sur les pratiques", il ne date certes pas d'aujourd'hui; il a toujours existé chez les "usagers", mais il ne semble toutefois pas avoir généralement été au nombre des préoccupations principales des professionnels, et ce désintérêt perdure encore aujourd'hui. Les professionnels, dans leur grande majorité, bien loin de "se questionner", se sont de plus toujours dérobés au dialogue (ce qu'ici on ose appeler le "partage") avec ceux qu'aujourd'hui, avec une bienveillance toute récente et de façade, on affecte de dénommer leurs "partenaires".
Ces derniers, eux, n'ont jamais arrêté de poser des questions sans y recevoir de réponses crédibles. Mais, de leur côté, les professionnels ont toujours considéré leurs "clients" ou "usagers" non comme des partenaires, mais comme un troupeau docile en position d'infériorité et de faiblesse, une clientèle devant par conséquent faire preuve de soumission envers les "Intervenants de la Santé Mentale", croire religieusement à tous leurs discours sans jamais protester ni poser les questions gênantes.
Et on doit craindre que la composition de l'Institut Wallon pour la Santé Mentale ne soit guère favorable à un renversement de cette vieille habitude en faveur de ces "usagers" que sont les malades mentaux chroniques: leur représentation est ridiculement minoritaire et ils risquent fort de jouer, en "permanence" eux aussi, le rôle du parent pauvre, ignorant et malade, relégué à l'office ou dans la soupente et à qui, par charité, on abandonne les restes refroidis d'un repas dont on ne s'inquiète guère de savoir s'ils sont conformes au régime qui lui est médicalement prescrit par ailleurs.
Depuis le temps qu'on prétend "partager le questionnement" alors qu'on n'entend guère poser les vraies questions, on serait en droit d'attendre qu'on "partage" enfin quelques bonnes réponses.
Enfin, il paraît que les partenaires..."travaillent" (sic)
les questions éthiques qui
"traversent" (sic) le champ de la santé mentale. Pareille
affirmation ne peut que provoquer un certain scepticisme chez tous ceux dont
la mémoire et l'intérêt pour le sort des malades mentaux
chroniques ne sont pas totalement disparus ou anesthésiés par
le verbiage. Nous avons ici un parfait exemple de ce que disent toujours nos
"intervenants en Santé Mentale" qu'ils font ou feront sans
que jamais ils ne passent réellement aux actes annoncés.
En effet, et puisqu'il faut bien taper sans relâche sur le même
clou si l'on veut qu'un jour il traverse les crânes pour atteindre les
consciences, rappelons qu'un des aspects les plus graves (et bien connus!)
affectant une proportion importante des maladies mentales chroniques est l'absence
de conscience des malades d'être atteints d'une affection mentale.
C'est ce qu'on appelle l'anosognosie,
que certains préfèrent appeler le déni (parce que ce
nom laisse croire, mais c'est une erreur, à un phénomène
psychologique qui serait, comme chez tout un chacun bien-portant, accessible
et modifiable par le raisonnement et la persuasion). Les "professionnels"
compétents de chez nous qui en parlent sont encore l'exception. Certains
"professionnels" semblent même oublier ce phénomène
(nous ne voudrions pas insinuer qu'ils puissent l'ignorer, quoique...),
et le grand public, par conséquent, en est le plus souvent ignorant à
son tour. Il éprouve de grandes difficultés à le comprendre
et à s'en souvenir, difficultés d'autant plus grandes qu'on semble
habituellement s'efforcer de surtout ne pas mentionner ni expliquer cette anosognosie
("lack of insight" des anglo-saxons).
Pourtant, personne ne devrait avoir de mal à comprendre qu'une personne
persuadée de bien se porter, qui de surcroît est naturellement,
"organiquement incapable" (c.à.d. du fait même de
la maladie) de croire ceux qui lui affirment qu'elle est malade, n'a aucune
raison de consulter un médecin, ni de se faire hospitaliser, ni de suivre
un traitement.
L'anosognosie est par conséquent un obstacle
majeur, l'obstacle le plus important à l'accès précoce
aux soins, l'obstacle au traitement (et à son suivi)
des malades mentaux psychotiques chroniques. Elle aggrave aussi toutes les autres
difficultés.
Le plus souvent, au moins en début de traitement, mais parfois aussi
pour des périodes extrêmement longues, le refus du traitement ou
son abandon forcent à contraindre le malade à l'hospitalisation
pour s'assurer qu'il suit bien le traitement médicamenteux qu'on doit
lui imposer. Ces contraintes, même si on les espère temporaires,
constituent une atteinte formelle aux droits et aux libertés de la personne.
Mais comment obtenir autrement de cette personne privée
de jugement qu'elle suive le traitement sans lequel elle n'a
que très peu de chances de recouvrer un jour sa santé, son
jugement, son autonomie?
Voilà bien une importante
"question éthique",
me semble-t-il, c'est sans conteste LA PLUS
IMPORTANTE DE TOUTES.
Aucun responsable, aucun politique, aucune "autorité" ne semble
pourtant pressée de la "travailler" (ne parlons même
pas d'éventuelles réponses qu'on y apporterait).
Pourtant, l'année 2004
tire à sa fin. Pourtant, l'
IWSM a été inauguré par le ministre wallon de
la Santé (Mr Detienne) en octobre 2002
déjà. Pourtant, pour ceux qui ne le sauraient
pas, rappelons l'existence du "Comité consultatif de Bioéthique
de Belgique", effective depuis 1995
déjà pour nos trois Communautés (www.health.fgov.be/bioeth)
Pourtant, parmi la trentaine d'avis (est-ce
beaucoup? Est-ce peu?) rendus publics par cette instance à ce jour
et depuis qu'elle existe, UN SEUL (le
n° 21, est-ce beaucoup? Est-ce peu?) avait trait à un problème
de psychiatrie mais ne concernait pas
l'hospitalisation sous contrainte, et AUCUN
avis de ce Comité de Bioéthique n'a été rendu public,
qui aurait été sollicité par l' IWSM auprès de cet
organisme.
N'est-ce pas là un bel exemple (Wallon? Belge?) de "travail
des questions éthiques" et d'une "action"
de "concertation" en "interaction
avec les autorités responsables" (sic)?
Dans toutes les prairies du monde où l'homme fait pâturer ses troupeaux, nous pouvons observer , aujourd'hui encore, çà et là sur le sol, des bouses ou des crottins. L'homme sait, depuis les temps préhistoriques, quand il était encore pasteur et nomade, que plus ces déjections sont volumineuses, fraîches et malodorantes, plus abondants et vrombissants seront les essaims de grosses mouches multicolores qui s'y attarderont pour s'en délecter.
Il devrait par conséquent avoir toujours su - mais l'aurait-il aujourd'hui oublié? - que l'intensité du seul bourdonnement de ces essaims ne contribue en rien à l'élimination des bouses et n'est qu'indirectement et inversément proportionnelle à leur dessication progressive et spontanée.
Et aujourd'hui, à la moitié de l'année 2010, où en sommes-nous arrivés, alors que, depuis 1990, on "réfléchit activement" et on nous "promet" (la lune)?
Dans le n° 2087 (vendredi 4 juin 2010) du "Journal du Médecin" [belge], sous la plume de Mr Vincent Claes, paraissait l'annonce de l' "Ouverture du grand chantier de la santé mentale", telle que l'ont présentée à la presse nos divers ministres (francophones?) de la santé, dont Mme Laurette Onkelinx, le mardi 1er juin 2010. Selon le journaliste du "Journal du Médecin", Mme la ministre aurait précisé que "cette réforme doit se faire en douceur et ne vise pas à réaliser des économies" (mais, par économie quand même, vise à prélever sur les moyens déjà restreints des services hospitaliers, ce qui, à mon humble avis du moins, ne pourra pourtant pas suffire aux équipes extra-hospitalières pour rendre leurs "circuits" opérationnels!). Nous apprenons aussi que, d'après ce qu'en aurait dit Mme la ministre, il s'agit d'une "révolution douce qui commence par des projets-pilotes..."(sic) "qui devrait être menée durant les prochaines années" (j'ai souligné).
Il me semble avoir déjà beaucoup entendu parler de "projets-pilotes", de "réseaux de soins" et de "circuits de soins" depuis une décennie au moins. Leur élaboration, (mais peut-on, sans éprouver de sentiment de gêne, parler de leur mise en œuvre toujours repoussée aux calendes grecques?) , l'appréciation ("l'évaluation") de leurs résultats et leur éventuelle adoption (ou généralisation) ont toujours suscité des controverses, des réticences, d'incroyables durées de "réflexions approfondies", et de multiples difficultés (dont, entre autres, le soutien effectif dérisoire en regard des besoins réels financier, en personnel et en fonctionnement), difficultés et lenteurs souvent de nature plutôt administrative et bureaucratique, voire peut-être idéologique ou même politicienne... (voyez Entre les Lignes, Trois Ans, Discours de M. Detienne, Quatre Ans).
Les ministres se sont payé la dépense d'un site internet (http://www.psy107.be)
destiné, paraît-il, à informer médecins et soignants
au sujet de ce "grand chantier". Ce site web est censé présenter
(fournir?) des "guides" devant aider les "intervenants"
de la santé mentale en Belgique francophone à s'orienter dans
le maquis des institutions de soins, de les inciter à proposer la création
de "réseaux de soins" (soumettre des "projets").
Mais en fait, ce guide n'est pour l'instant qu'une sorte de recueil de vagues
déclarations générales d'intentions et des "rappels
historiques" succincts et superficiels témoignant surtout du besoin
d'autosatisfaction dans le chef de ses commanditaires et "promoteurs",
cette autosatisfaction qu'ils espèrent sans doute convainquante et
peut-être contagieuse. C'est en quelque sorte un gros pamphlet de campagne
électorale sans lien véritable avec une quelconque réalité
concrète, donc sans aucune utilité pratique évidente.
Alors qu'on nous parlait déjà de "grand chantier"
de la santé mentale il y a deux décennies de cela, on nous en a dit à diverses reprises que des réformes très
importantes étaient entreprises en santé mentale (mais se
souvient-on encore des lois dites Busquin en 1990 en Belgique?),
et si on compare ce qu'on nous disait alors (et encore depuis lors) avec ce qu'annonce aujourd'hui ce site ministériel, force est de constater
que l'on n'a toujours pas, ni pratiquement ni
concrètement avancé d'un pouce.
D'après le "Journal du Médecin", Mme la Ministre Onkelinx
aurait expliqué: " Les guides publiés par les
autorités décrivent un cadre commun qui servira de base de réflexions
à une phase exploratoire tout en encourageant la créativité
des acteurs de terrain, les échanges de bonnes pratiques, pour la création
d'un nouveau modèle de soins."(sic).
D'après cette annonce (et toutes celles qui, depuis des années
les ont précédées), on pourrait légitimement
s'interroger: pendant ces deux décennies paraît-il déjà
consacrées à une profonde réflexion et à l'expérimentation
de "projets-pilotes", la réflexion n'aurait-elle toutefois
pas été encore assez approfondie, la "phase exploratoire"
n'aurait-elle eu pour résultat, faute de moyens ou de volonté,
que le découragement, le renoncement ou la disparition, voire la carence
et le forfait des "explorateurs" disponibles?
Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui, alors que notre situation socio-économique
est à ce point en piteux état qu'on ne songe même pas
à envisager et surtout pas à évoquer "vraiment
concrètement" le coût de la logistique
nécessaire pour soutenir la stratégie purement spéculative
que les ministres ont tenté de pondre sur le papier et à laquelle
ils voudraient nous faire croire?
On ne peut s'empêcher de trouver un parallèle avec un certain
chantier Bruxellois interminable et de fameuse mémoire: celui de la
jonction Nord - Midi. Entamé en 1910, il ne fut finalement achevé
que plusieurs décennies plus tard (après la seconde guerre mondiale),
tellement on s'y activa sans relâche! (voyez Jonction Nord-Midi ).
Espérons qu'enfin nos ministres de la santé, sous prétexte
de crise (entre autres multiples excuses possibles), ne prendront pas exemple
sur ce chantier pharaonique!
Mais on peut en effet tout craindre...
Première publication: 25 Octobre 2004 | (J.D.) | Dernière modification: 5 juillet 2010 |