L'art de l'amalgame en communication,
c'est la manipulation délibérée qui sert le besoin inavoué
de noyer le poisson
dans un océan de sophismes; c'est le moyen d'escamoter à bon
compte les problèmes qu'on préfère laisser pourrir plutôt
que de les résoudre.
"Health, like love, beauty or happiness,
is a metaphysical concept, which eludes all attempts at objectivisation. Healthy
people do not think of health, unless they are hypochondriacs, which, strictly
speaking, is not a sign of health. Similarly, when our organs perform their
functions perfectly, we are not aware of them. It is the absence of health
that gives rise to dreaming about health, just as the real meaning of freedom
is only experienced in prison.
The pursuit of health is a symptom of unhealth. When this pusuit is no longer
a personal yearning but part of state ideology, healthism for short, it becomes
a symptom of political sickness."
Dr Petr Skrabanek "La fin de la médecine à visage humain" (1994)
(Comme l'amour, la beauté ou le bonheur,
la santé est une idée métaphysique qui échappe
à toute approche objective. Les gens sains ne se préoccupent
pas de leur santé, sauf s'ils sont hypochondriaques, ce qui, à
proprement parler, n'est pas un signe de bonne santé. De façon
comparable, nous ne sommes pas conscients de la présence de nos organes tant qu'ils remplissent leurs fonctions
à la perfection. C'est l'absence de la santé qui
nous fait rêver de la santé, tout comme nous ne découvrons
la véritable signification de la liberté que quand nous nous
retrouvons en prison.
La quête de la santé est un symptôme de mauvaise santé.
Quand cette quête cesse d'être une aspiration personnelle mais
devient partie d'une idéologie d'État - c.à.d. en bref,
du "sanitarisme" - elle devient un symptôme de maladie politique.)
Dès que le site mens-sana.be a été créé (2001), à diverses reprises j'y ai insisté (Santé Mentale, Santé Sociale, Prévention, Année 2001, WHOOMS) sur une certaine définition, médicale, de la santé mentale, qui proclame haut et fort que:
la santé mentale, c'est l'absence de maladie mentale.
Un proverbe (reflet de la sagesse populaire)
nous dit, très justement me semble-t-il, qu'il n'y a que les sots pour
ne jamais changer d'avis. Par conséquent, certains estiment sans doute
que si je persiste dans mon opinion sur ce qu'est vraiment la "santé mentale", et cela en désaccord flagrant
et permanent avec les définitions unanimement émises et réitérées
a satiété depuis des années par diverses et fort respectables
organisations nationales et internationales (voire "planétaires") dites de promotion et de défense "de la santé", c'est
que je devrais sûrement être à jamais rangé par
tous en compagnie des sots et imbéciles du proverbe.
(Les surfeurs intéressés par les définitions "officielles"
des diverses "santés" que nos politiques et idéologues
s'efforcent d'accréditer peuvent consulter l'article que l'encyclopédie
en ligne Wikipedia (francophone) y consacre: Wiki-Santé , ce qui ne signifie évidemment pas que personnellement j'y
souscrirais! L'article correspondant de Wikipedia anglophone est à
peine un peu plus critique: Wiki-Health)
Toutefois, le rationaliste impénitent que je suis reste encore à
l'affût d'idées nouvelles dont je ne peux m'empêcher d'espérer,
à chaque fois qu'elles se présentent à moi, qu'elles
s'avèrent innovantes et progressistes (mais si possible claires
et rationnelles!). L'ancien médecin enseignant universitaire et
le chercheur biologiste que j'ai été, (je me suis jadis aussi
un peu aventuré en neuroscience) ne se souvient pourtant pas qu'on
lui ait jamais proposé une définition alternative de la "santé"
(mentale ou non), je veux dire une définition qui soit convaincante tout en contredisant celle qu'avec de nombreux autres scientifiques je défends
ici. Si cela avait été le cas, j'aurais alors volontiers, sans
regrets et sans doute depuis longtemps abandonné ma première
définition, pour autant que la définition nouvelle fût
tout à la fois l'expression de l'observation impartiale et fidèle
d'une réalité concrète, empiriquement
constatée, rationnellement justifiée et à tout moment
étayée en bonne logique. Mais, justement, le cas où toutes
ces conditions réunies seraient remplies ne me paraît pas s'être
présenté jusqu'à présent.
C'est pourquoi je n'ai toujours pas changé d'opinion à propos
de ce qui me paraît être la seule "bonne"
et surtout sensée définition
de la "santé mentale". Voilà pourquoi ma définition
préférée, apparemment trop concise, trop claire et, pour
cette dernière raison gênante et décriée, traitée
de "simpliste" (et aussi appelée "idée fausse"),
cette définition médicale qui semble
fort peu au goût de nos organisations politiques officielles figure
encore toujours, bien visible et inchangée, sur la page d'entrée
du présent site.
Assez récemment encore, deux volumineux documents en français
ont été publiés et mis en ligne sur la toile, qui s'efforcent
(trop laborieusement) de nous convaincre que la "Santé Mentale",
non seulement ce serait bien plus qu'une notion médicale, mais ce serait
aussi un "concept à plusieurs dimensions" (je reconnais
volontiers que plus nombreuses et diverses sont les "dimensions"
qu'un concept se voit attribuer, plus je serais enclin à m'en méfier,
et je conseillerais à tous de faire de même, car les partisans
de pareil concept protéiforme reconnaissent eux-mêmes, sans y
être poussés le moins du monde, qu'on risque
de le rendre "difficile à appréhender"!)(sic,
"La Santé Mentale, l'affaire de tous", p. 20).
L'autre document, d'origine belge, nous est présenté comme le
compte-rendu d'une "Enquête par interview" (!!) auprès
de la population belge .
Il n'apporte rien de vraiment nouveau par rapport à son concurrent
et modèle français, sinon une pléthore d'histogrammes
et de graphiques dont la validité (grâce à l'évaluation
mathématique de la subjectivité!), la signification réelle
et les conclusions que leurs auteurs en extraient sont pour le moins difficiles
à cerner correctement. Aux internautes et statisticiens critiques d'aller
y voir eux-mêmes, je les laisse juges de décider si cela en vaut
la peine.
Dès son introduction,
le Rapport français (252 pages) ne laisse aucun doute sur l'argumentation
qu'il choisit d'utiliser. Elle est basée sur la première Conférence
ministérielle européenne de l'OMS sur la santé mentale
(Helsinki, janvier 2005). Et en effet, d'après les ministres européens
de la santé, il paraîtrait que:
"Pas plus que la santé physique, la
santé mentale ne se limite à l'absence de maladie. Définir
la santé mentale par son contraire n'est pas satisfaisant."(sic,
note n° 14 en p.20).
Puisqu'elle avait été concoctée dans des réunions
de ministres et apparemment sans trop de concertation avec des médecins
praticiens "de terrain", on ne sera pas surpris que la définition
"modernisée" de la "santé mentale" que les
experts officiels depuis longtemps voudraient nous imposer soit purement politique,
d'herméneutique idéologique et de compromis consensuel.
On ne peut pas plus la qualifier de scientifique, rationnelle ni même
pas de bonne logique faisant état d'une "vérité"
factuelle. Et, de l'aveu même des rédacteurs de ce Rapport, la santé mentale n'est qu'un concept (c.à.d.
une idée, pas un phénomène ni un processus, c.à.d.
pas une concaténation de faits directement
reliés entre eux par des relations vérifiées de cause
à effet!). En d'autres termes plus concis: cette conceptualisation
n'a rien à voir avec quelque réalité que ce soit; c'est ce qu'on appelle communément - et ironiquement -
une "vue de l'esprit".
En seulement un peu moins d'un siècle et comme par un plaisir quelque peu pervers, on a trituré, compliqué à l'extrême et torturé un concept très ancien qui jusqu'alors était resté heureusement simple depuis l'antiquité. On est aujourd'hui parvenu à lui adjoindre ou lui incorporer par l'imagination des "dimensions" qu'auparavant on aurait soi-disant ignorées ou négligées, on s'est évertué à l' "enrichir" (sic) en lui greffant des composantes socioculturelles et socioéconomiques voire ethniques et audimétriques, diverses et multiples au point de transformer une idée simple et claire, parlante et accessible à tous, en un véritable souk, un bazar hétéroclite de-et-pour communicants socio-anthropo-psycho-touristes logorrhéiques, un bazar tout à la fois disparate, incohérent, contradictoire et absurde mais en fin de compte opportunément et commodément propice à la "disputation scolastique". Chacun peut y trouver ce qui lui convient et se faire admirer par l'étalage à l'infini, sur cette "santé mentale", d'une rhétorique inépuisable, opaque mais vide, sans jamais permettre d'en retirer que des conclusions pour le moins nébuleuses condamnées à s'évaporer sans laisser de traces solides au moindre contact avec la réalité concrète.
Tout au long de leur Rapport, les rapporteurs experts français - mais aussi leurs homologues/émules belges - reprennent à leur compte une idée apparentée à leur concept, elle aussi "reçue" (c.à.d., très répandue et donc fausse selon eux, du moins si on les écoutait à propos de toutes ces autres opinions qu'évidemment ils refusent de partager), idée qui a été exprimée plus synthétiquement par le psychologue britannique Richard P. Bentall: "There is no clear boundary between mental health and mental illness. Psychological complaints exist on continua with normal behaviours and experiences. Where we draw the line between sanity and madness is a matter of opinion." (Il n'y a pas de frontière nette entre la santé mentale et la maladie mentale. Les plaintes psychologiques existent sur un même continuum que les comportements et expériences normaux. Là où nous traçons la limite entre la santé mentale et la folie, c'est affaire d'opinion.) (voyez Entêtement).
Pareille conception efface par la négation la distinction entre d'une
part le fonctionnement de notre cerveau en bon état de marche, (qu'indifféremment il fonctionne dans des conditions de vie présentées
comme idéalement idylliques ou qu'au contraire il se débatte
dans des conditions ressenties comme étant insupportables), et
d'autre part ce qui se passe quand, la structure
de notre cerveau étant défectueuse, il ne fonctionne plus de
manière adéquate malgré qu'il soit confronté à
des conditions de vie ne différant en rien des précédentes.
Dans ce second cas, notre cerveau n'est plus physiquement capable
d'interpréter le monde conformément à la représentation
que la [bonne] société voudrait s'en faire et souhaite
lui recommander (ou lui imposer?)
Nos sociopsychologues de la "santé mentale" gomment la distinction
entre, d'un côté l'inadaptation
de certains à la société due au dysfonctionnement de
leur cerveau, et d'un autre côté,
exprimés par des personnes raisonablement motivées au cerveau
cette fois intact, la critique et le refus pourtant justifiables rationnellement d'une idéologie politique
de "santé sociale" à géométrie
variable quoiqu'arbitrairement dogmatique et autoritaire, toujours imaginaire
et infondée, idéologie qui n'est somme toute qu'une sorte de
nouvelle religion ou théologie laïque. On peut d'ailleurs être
amené à s'interroger: cette théologie ne serait-elle
pas le successeur idéologique et politique qualifié cette fois
de "social" se substituant à l'ubiquitaire
psychanalyse individuelle et personnelle actuellement moribonde et en voie
de disparition?
Une fois la frontière entre "santé mentale" traditionnelle
et maladie mentale abolie, on peut profiter de cette abolition pour à
nouveau négliger voire ignorer l'existence du cerveau des individus.
N'existe plus alors que le seul milieu ambiant, c.à.d. les conditions
de vie des populations: comme nécessairement chacun de nous y est plongé,
on prétendra y puiser et y trouver tous les "déterminants"
de notre santé (mentale). Toutes les activités humaines
relèveront à présent d'un seul continuum (mais prétendu
double!): celui de la "santé".
On baptisera d'un nom unique - la santé, c'est aussi agréable
aux oreilles que possible - le système sociopolitique dans lequel nous
vivons; ce sera le champ de la SANTÉ
[mentale] qui, exempt de solution de continuité,
s'étendra de la version idéologique qu'on voudra donner d'une
vision délirante d'un prétendu paradis sur terre (appelé
la "bonne" santé
mentale ou santé mentale "positive")
jusqu'à celle, non moins idéologique, qu'on proposera d'un menaçant
enfer sur terre dont il faudrait se prémunir (appelé la "mauvaise"
santé mentale ou santé mentale "négative"). Il ne sera
donc plus question de maladies,
terme malsonnant et devenu politiquement incorrect, puisqu'on en prédit
l'éradication (pour l'année 2000!! selon l'OMS en 1946) . On
ne parlera plus que de SANTÉ, en oubliant de remarquer
le caractère devenu ambivalent du mot ainsi modifié.
Mieux encore: la santé mentale, ce n'est plus le bon état naturel
et inné de notre matière grise individuelle, mais ô! Progrès!
Ce sera désormais un objectif global de société et de
mode de vie idéal à promouvoir et à atteindre. Mais ce
sera aussi un état à cultiver en permanence pour constamment
l'améliorer et l'amener à un optimum (peut-être à
la portée de seulement quelques privilégiés?). Ce sera
par conséquent aussi la "préconisation" arbitrairement
mais officiellement estampillée, par les pontifes reconnus et autorisés
de la "santé mentale positive",
de tous les moyens que très souverainement
ils jugent (et décrètent) indispensables pour la mise en œuvre
et pour la concrétisation de cette grandiose utopie sociopsychologique,
ce devoir de santé
quasi patriotique de chacun et de tous, et pour en permettre (ou en imposer?) l'accès à tous les citoyens qu'ils n'en auront pas jugés
indignes pour n'y avoir peut-être pas assez consacré d'efforts!
C'est ce qui permet d'affirmer, en titre bien évocateur de ce rapport:
"La santé mentale, l'affaire de
tous", et d'en rajouter une couche très explicite
en sous-titre: "Pour une approche cohérente
de la qualité de la vie".
Ne croyez pas que le rédacteur du site mens-sana.be, ce belge grincheux
pour lequel souvent certains voudraient me faire passer, serait le seul à
dénoncer l'idéologie qui se dégage de ces 252 pages.
Voyez aussi www.bakchich.info.
Dans son livre d'où est extraite la citation reproduite en tête
du présent article, le Dr Skrabanek, déjà en 1994 signalait
que l'idée de super-santé avait été émise
et prônée par un médecin américain en 1926 déjà
(W.C. Phillips, "The physician and the patient of the future", JAMA,
1926, vol.86, pp. 1259-1265). Il rappelait aussi
que cette idée avait été intégrée dans
les Statuts de l'Organisation mondiale de la santé en 1946. De nombreuses
autres organisations "de santé" se sont ensuite empressées
de se l'approprier, dont l'Union Européenne.
Dès 2002, je crois avoir montré sur ce site (WHOOMS)
combien le concept de "santé positive" était un non-sens,
une sorte de périssologie. Mais après les USA, le Canada l'a
adopté, puis l'Europe. Et la situation de ceux qui aujourd'hui, en
francophonie, s'emparent à nouveau de ce concept et le défendent
ne manque pas d'une certaine ironie: rappelons qu'en effet ils nous disent:
"Pas plus que la santé physique, la
santé mentale ne se limite à l'absence de maladie. Définir
la santé mentale par son contraire n'est pas satisfaisant."
Tout d'abord, ne peut-on pas légitimement s'interroger sur ce que pourrait
bien être "le contraire" du "concept de santé"
avant même que ce dernier ne soit défini? (On se croirait
revenu à l'époque du Pseudo-Denys et des disputes des théologies
symbolique et apophatique!)
Ensuite, nos sociopsychologues eux-mêmes ne définissent la santé
(mentale) que par des "déterminants"
de faits, de situations et de circonstances que principalement ils imaginent
et n'interprètent que selon leurs préjugés et répugnances
personnels et culturels acquis, ils les décrètent préjudiciables
à la santé ou s'opposant,
selon eux, à son épanouissement.
Mais pareille démarche "intellectuelle" intuitive n'est-elle
pas justement celle qu'ils dénoncent comme "non
satisfaisante", puisqu'elle se base précisément
sur les "contraires" (sic) des "dimensions" de la périssologie
qu'ils tentent de "conceptualiser"? (c.à.d. exactement
la démarche qu'ils s'autorisent à eux-mêmes mais prétendent
contester aux autres).
Ce qui fort malheureusement résulte des attitudes politiques adoptées
par nos experts rapporteurs responsables, c'est, entre autres, qu'ils ignorent
délibérément les véritables malades mentaux, c'est
qu'ils négligent systématiquement la "qualité de
vie" de ces malades pour qui ils semblent bien incapables - ou peu soucieux?
- de mettre sérieusement en œuvre "l'approche cohérente
de la qualité de vie" dont pourtant ils se targuent. Depuis 1946,
année où le WHO (l'OMS) a adopté le concept de "santé
mentale positive", et bien que cette
organisation et ses "filiales" n'aient pas cessé de sonner
le tocsin en dénonçant l'accroissement continu de la charge
financière due à la progression de la "mauvaise
santé mentale (négative?)",
quel est donc aujourd'hui le bilan publié de leur "promotion
de la santé mentale positive"
dont ils peuvent se prévaloir?
On pourrait tenter de traduire ce que nos responsables politiques de la "santé mentale" nous disent dans les termes suivants:
"Nous faisons la promotion
de la santé mentale positive..."
(c.à.d. de celle qui, en réalité, n'a pas vraiment
besoin d'être "augmentée" ni améliorée),
"...par conséquent la moyenne de la
santé mentale ne peut que "s'élever", s'améliorer..."
(ce qui n'est qu'imaginaire) ...et personne ne s'aperçoit
que l'importante mais ignorée minorité des malades mentaux chroniques
- ceux à la santé mentale négative - ne bénéficie d'aucune amélioration (mais ceux-là,
n'en parlons surtout pas! Il faut positiver...)
Cela revient à prétendre que la santé mentale, c'est
un continuum dans lequel on peut faire des opérations d'arithmétique;
autrement dit, il y aurait une santé mentale négative, une santé
mentale positive et, à la jonction/transition graduelle et indistincte
des deux, une santé mentale nulle?
Je crains que ce ne soient là que des "psychomathématiques" bien absurdes mais aussi fort néfastes à bien des points de vue.
Première publication: 26 Avril 2010 | (J.D.) | Dernière modification: 26 Avril 2010 |