Chap. V-5 Note 3

La (les) "psychothérapie(s)" (8/8)

La constatation suivante est plus affligeante encore. Dans notre pays, bien qu'on parle abondamment de psychothérapies de revalidation, destinées aux malades schizophrènes, par exemple (mais on ne fait qu'en parler), jamais il n'est fait appel, par les professionnels ayant à s'occuper de ces malades, à des tests neuropsychologiques fiables et reproductibles parce qu'éprouvés scientifiquement, portant sur les caractéristiques psychologiques et les capacités mentales cognitives de ces patients. On ne se préoccupe aucunement de tester les déficits de leur "théorie de l'esprit"; on ne tente pas d'évaluer leur capacité d'interpréter les expressions idiomatiques et les idiotismes propres à leur langue maternelle; on ne cherche pas à savoir quelle compréhension ils ont des analogies et des métaphores. On n'essaye pas de savoir quelles sont leurs capacités d'empathie;
je n'ai encore ni rencontré ni lu aucun psychothérapeute ou psychiatre de chez nous qui aurait convaincu ni même seulement tenté de conseiller à un de ses patients schizophrènes de tenir un journal intime (sauf une exception canadienne). Ne pourrait-on pas imaginer que cela serait peut-être d'une utilité thérapeutique au moins aussi plausible que le "dialogue intersubjectif" de par la relecture que cela permet? Etc., etc.

Par conséquent, quand on prétend se préoccuper chez nous de "soigner" par "psychothérapie" un malade mental psychotique chronique, personne ne semble encore capable de décider, en fonction de sa personnalité et des particularités de son affection, quelle serait la "psychothérapie" qui serait, a priori, peut-être la plus recommandable et la plus prometteuse dans son cas.
Par conséquent aussi et pour les mêmes raisons, l'évaluation fiable de l'efficacité probable et du caractère durable d'éventuels effets d'une "psychothérapie" (forcément quelconque) qu'on prétendrait avoir ainsi mise en oeuvre au hasard n'est, elle aussi, qu'un objectif inaccessible.

Il semblerait bien qu'aujourd'hui encore, dans le domaine des maladies mentales, nos professionnels en soient restés à une philosophie n'ayant guère évolué depuis Platon. Ce grand philosophe grec antique ne se souciait aucunement de tirer des conclusions de sa réflexion contemplative, d'en voir d'éventuelles conséquences pratiques, ni d'en envisager de possibles applications utiles dans la vie réelle. Cette attitude ne vous rappelle-t-elle rien dans notre vie actuelle?

Quoi qu'il en soit, les professionnels qualifiés capables de procéder à des évaluations fiables des fonctions mentales des malades, compétents pour préconiser et mettre en oeuvre des techniques psychothérapeutiques vraiment novatrices semblent ne pas exister chez nous, peut-être parce qu'ils ne recevraient pas la formation adéquate. Peut-être encore la volonté politique n'existerait-elle pas non plus de mettre à disposition des institutions psychiatriques les moyens financiers de faire appel à eux, si du moins pareils professionnels se trouvaient chez nous.

Il en résulte un remarquable dilettantisme, une aimable et souriante (compatissante?) "pifométrie" artistique qui caractérise les "appréciations", "jugements" et affirmations des psychiatres sur l'état de leurs patients. Dans nos institutions psychiatriques où les malades chroniques sont hospitalisés, les opinions et croyances des "médecins traitants" sur leurs malades sont, en principe, consignées dans le dossier médical de chaque patient. Quand ce dossier est "bien tenu" et régulièrement mis à jour (?), on peut souvent penser que son contenu se résume et se limite, essentiellement, à une paraphrase stylistique, éventuellement enjolivée - involontairement ou non - par l'imagination du psychiatre, des rapports que lui ont fait les infirmiers, eux qui ne sont pas des littérateurs manqués, eux qui sont les seuls à vraiment être en contact permanent avec les patients et ne se piquent pas de littérature.

Mais les infirmiers psychiatriques, et ceci n'est surtout pas une critique à leur égard, seulement un regret, sont bien trop peu nombreux, ils ne sont malheureusement pas psychologues cliniciens, ils ne sont pas non plus logopèdes ni pédagogues spécialisés, et on tient fort rarement compte de leur expérience et de leurs avis dans les décisions prises au niveau politique.


Conclusions de ces trop longues considérations: ce qu'on regroupe habituellement sous la dénomination de psychothérapies n'a, selon moi, que fort peu sinon aucune utilité pour les malades schizophrènes eux-mêmes, et je suis reconnaissant à la mémoire de ce grand scientifique et humaniste qu'était Peter Medawar de pouvoir le rejoindre sur ce point.

Les psychothérapies, de toute évidence, sont utiles aux psychothérapeutes, puisque, depuis qu'elles existent, elles leur permettent d'en tirer leur subsistance et, de surcroît, de se donner, à leurs propres yeux comme à ceux du public, une image relativement flatteuse de bienfaisance.

Les psychothérapies peuvent aussi s'avérer utiles aux personnes empêtrées dans divers problèmes psychologiques, ces problèmes qu'on s'obstine à tort à qualifier de mauvaise "santé mentale".

Mais les malades schizophrènes, eux, ont besoin d'une véritable aide pratique, sous forme d'un accompagnement, d'un encadrement attentif et attentionné, ce qui est aux antipodes des discours psychothérapeutiques.


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